On
lit, dans la Vie de saint Arsène, par Jacques de Voragine (Légende
dorée, XIIIe siècle),
l'anecdote suivante :
Un
autre frère encore devait porter, au-delà d'un fleuve, sa mère qui
était vieille ; alors il se couvrit les mains de son manteau. Sa
mère lui demanda : « Pourquoi, mon fils, avez-vous ainsi
couvert vos mains ? » « C'est, lui répondit-il, que le
corps d'une femme est un feu, et
en vous touchant le
souvenir des autres femmes me venait à l'esprit. »
(traduction
du latin par J.-B. M. Roze, 1967)
L'anecdote
ne date pas du XIIIe siècle. Elle est reprise des Vies
des Pères du désert,
recueil rédigé entre le IVe et le Ve siècle.
On
cite parfois, comme exemple extrême de misogynie, la déclaration de
certains hommes machos, « Toutes des putes, sauf ma mère » ;
mais vous voyez que ce moine aurait pu aller encore plus loin et
dire : « Toutes des putes, même ma mère ! »
Ce
que je trouve incroyable, dans cette anecdote extrêmement courte,
c'est que nous voyons bien que c'est le fils qui a un problème (nous
dirions aujourd'hui « Il ne pense qu'à ça » ou « C'est
un obsédé sexuel ») au point d'éprouver un désir luxurieux
envers une vieille flétrie et d'avoir des pensées incestueuses
envers sa propre mère, et pourtant c'est elle qui est présentée
comme coupable ! Coupable d'être l'éternel féminin, en somme.
J'espère que la vieille mère, une fois le fleuve traversé, a donné
une bonne paire de claques à ce petit insolent !
Cette
histoire de vieille mère
m'en rappelle une autre, médiévale aussi, puisqu'elle est racontée
par ma chère Christine de Pizan, dans La
Cité des Dames,
1405
(cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2017/01/christine-de-pizan-une-feministe-au.html) et qu'elle concerne le roi Théodoric (VIe s. ap. JC).
L'anecdote est savoureuse et revigorante, et cette vieille mère
venge l'autre, à mes yeux. Pourtant, celle-ci montre carrément son
sexe à tout un champ de bataille, mais cette impudeur n'a rien de
luxurieux. Elle tente en vain d'encourager son fils à ne pas fuir
alors
qu'il se voyait vaincu.
Comme
ses paroles restaient sans effet, cette dame, enflammée de colère,
souleva le devant de sa robe et lui dit : « Tu veux fuir,
mon fils ! Alors rentre au ventre qui t'a porté ! »
Théodoric en fut si humilié qu'il cessa de fuir, rassembla ses
troupes et retourna à la bataille. Brûlant de honte à cause de la
remontrance maternelle, il combattit avec tant d'ardeur qu'il écrasa
l'ennemi et tua Odoacre. (traduction de l'ancien français par
Thérèse Moreau et Eric Hicks, 1986)
Je
vais m'arrêter à ces deux anecdotes, mais je pourrais continuer, de
vieille femme en vieille femme, car c'est un sujet passionnant. Il
y a même un mot spécifique en latin médiéval, la « vetula »
(« petite vieille ») terme
qui enveloppe
dans son mépris la femme âgée plus ou moins guérisseuse,
herboriste et sage-femme.
La
vieille femme fait peur aux hommes, qui en ont fait une sorcière : Mona Chollet dans son essai tout
récemment paru, Sorcières.
La puissance invaincue des femmes (que j'ai eu la chance de l'entendre présenter en personne dans une
librairie il y a quelques semaines) l'évoque comme la troisième figure de sorcière (après la femme sans mari et la femme sans enfants). Elle nous rappelle que cette dévalorisation est encore de mise dans notre société actuelle, où un vieil acteur ou un vieux professeur peut être considéré comme encore séduisant et désirable, contrairement à une vieille femme, quel que soit son statut social.
Pourquoi
fait-elle peur ? Souvent veuve (du fait de la grande différence
d'âge entre époux au Moyen Âge, l'homme ayant fréquemment entre dix et vingt
ans de plus que la femme), indépendante, moins naïve
que les jeunes, elle
offre moins de prise au pouvoir des hommes. Il y a aussi le
raisonnement des médecins antiques et médiévaux sur la ménopause.
On pensait alors que les règles servaient à évacuer les impuretés
du corps (ne vous en faites pas pour les hommes : eux ils les
évacuent pas les poils!) Alors, comment vont s'évacuer les
impuretés de la femme ménopausée ? Facile ! Par les
yeux ! Vous êtes malade et vous cherchez la cause de votre
maladie ; et soudain vous vous souvenez : il y a quelques
jours, vous avez croisé une vieille femme, dans la rue, elle vous a
jeté un regard sombre… Eh bien, c'est cela ! Elle vous a
empoisonné à distance ! Tellement pratique à croire… Et
si Baudelaire dit « Moi, je buvais, comme un extravagant / Dans
son œil, ciel livide où germe l'ouragan / La douceur qui fascine et
le plaisir qui tue », si Marc Lavoine chante « Elle a les
yeux revolver / Elle a le regard qui tue », bien sûr, ils
parlent de jeunes femmes certainement pas ménopausées, mais ce sont
des femmes, on n'a jamais parlé d'homme au regard qui tue. Et je
suis sûre que si ces images (très belles en l'occurrence) leur sont
venues sous la plume, c'est l'écume de ce vieux substrat de
croyances véritables au pouvoir meurtrier qu'avait le regard de la
vieille femme.
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Dans son dernier ouvrage intitulé « Sorcières », Mona Chollet fait référence aux propos tenus par Marie Hélène Lahaye, au sujet de l'accouchement, et qui rappelle dans son livre que la femme mérite mieux que les conditions dans lesquelles, aujourd'hui encore, la médecine accompagne la femme lors de cet évènement.
RépondreSupprimerJe préciserai à mon tour que dans des temps très reculés, il existait des temples dans lesquels les accouchements se passaient, et seules les femmes y assistaient.
Le Parthénon, magnifique temple élevé sur l'Acropole d'Athènes à la gloire de Minerve, n'est généralement regardé que comme un édifice religieux. Il avait cependant, à côté de l'enseignement qu'on y donnait, une destination plus pratique. C'est là qu'on venait consulter les Asclépiades (nom dont on à fait Asclépios et Esculape) et c'est là que se faisaient les accouchements. Et le nom même du Parthénon vient de « Partus », enfanter.
Salomon Reinach, dans la séance du 9 mai 1908 de l'Académie des Inscriptions, lut un mémoire sur l'origine du nom du Parthénon, montrant qu'on a trouvé des parthénons dans plusieurs villes, où ils désignent des temples consacrés à une Divinité maternelle : Déméter, Cybèle, Artémis, Leucophryné. « Un Parthénon, dit-il, est un temple spécialement affecté à des rites, à des cérémonies exécutées par des jeunes filles ». Ces jeunes femmes Sont celles qui exerçaient la médecine et pratiquaient les accouchements ; on les appelle Parques (de Partus), parce que ce sont elles qui coupent le cordon ombilical.
C'est plus tard, par jalousie, que les misogynes feront des Parques les Déesses de l'enfer.
On a trouvé à côté de chaque temple un petit édifice nommé Mammisi (d'où Cérès mammosa), le lieu d'accouchement, qui offrait sur ses murs le tableau de la naissance de l'enfant (on dira du Dieu-enfant Horus).
Suite : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/faits-et-temps-oublies.html
Cordialement.
Merci pour votre commentaire intéressant, même s'il n'a pas trop de rapport avec le sujet de l'article, qui parle des vieilles femmes au Moyen Âge...
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