Je vais vous parler aujourd'hui de
deux poètes que je connaissais tous deux depuis longtemps, mais dont
je n'avais jamais réalisé à quel point leur destin était
semblable. Il s'agit d'Ovide (Publius Ovidius Naso), poète latin né
en 43 av. JC et mort en 17 ou 18 ap. JC, et d'al Mu'tamid (Abu al
Qasim Muhammad al Mu'tamid ibn Abbad), poète arabe andalou né en
1040 et mort en 1095.
*
Tous deux ont commencé avec une
carrière brillante de poète à succès, qu'avantageait leur
position sociale : Ovide, protégé du cercle des poètes
d'Auguste, le premier empereur de Rome ; al Mu'tamid, souverain
de la riche et (encore) puissante principauté de Séville, lui-même
à la tête d'un cercle de poètes. Tous deux se sont signalés par
des poèmes d'amour, des poèmes brillants, mais où la recherche de
la préciosité l'emportait sur la sincérité de la passion.
Et puis, le choc, la chute, et pour
tous deux un douloureux exil.
Pour Ovide, une raison encore
mystérieuse, apparemment, d'après ce qu'il livre à demi-mots, liée
à quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir (quand on sait la vie
dissolue que menait Julie, la fille de l'empereur, d'après les
auteurs contemporains, on peut avoir une petite idée de ce qu'il a
eu le malheur de surprendre...). Cette faute lui valut d'être exilé
à Tomes, sur les bords de la Mer Noire, en Roumanie actuelle, loin
de toute civilisation.
Pour al Mu'tamid, c'est sa principauté
qui se trouva prise en tenaille entre au sud les Berbères Almoravides, et au nord
les Francs de Castille. Qu'il s'allie avec les uns ou avec les
autres, il savait qu'il finirait victime du vainqueur, mais
préférant, comme il le dit, finir « gardien de chameaux
plutôt que gardien de cochons », il choisit l’alliance avec
les Almoravides, ce qui le conduisit en effet quelques années plus
tard à l'exil au Maroc, dans un dénuement proche de celui d'un
gardien de chameaux...
Et pour les deux, la métamorphose :
cette douleur de l'exil a transformé leur poésie jusque là
brillante et précieuse en une poésie sincère, passionnée,
déchirante, pour exprimer leur souffrance d'être exilé loin de
Rome, loin de Séville, loin des lieux où ils avaient connu le
bonheur, loin des gens qu'ils avaient aimés...
Je retiendrai pour chacun deux
anecdotes.
Lorsqu'al Mu'tamid était encore prince, sa bien-aimée
avait émis le désir capricieux de marcher pieds nus dans la boue
comme les femmes du peuple, curieuse de cette sensation inconnue ;
al Mu'tamid avait fait étendre pour elle une boue de crème parfumée
et d'eau de rose ; une fois en exil, les propres filles du
prince se virent réduites à marcher elles-mêmes pieds nus dans la
boue, comme les femmes du peuple.
Ovide, frappé entre autres par le
climat si différent de Rome, décrit dans un poème un froid tel que
le vin gelé se débite en morceaux et que les barbes des indigènes,
couvertes de glaçons, cliquettent quand ils bougent !
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Pour lire des traductions françaises
des poèmes d'exil d'Ovide, suivez le lien ci-dessous :
Ce lien vous donne accès au
premier livre des Tristes ;
le sommaire en haut de la page vous permet de lire les quatre livres
suivants de ce recueil, puis d'enchaîner sur le recueil des
Pontiques
(quatre livres).
Il existe aussi une très belle traduction de ces deux
recueils sous le titre Tristes
Pontiques, effectuée
par Marie
Darrieussecq en
2008, publiée chez P.O.L.
Pour al Mu'tamid, je n'ai pas trouvé de traductions françaises
sur internet ; faute de mieux, vous pouvez trouver quelques
traductions en anglais à cette page :
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