Parlant du 1er mai, Čapek déclare :
« Un homme qui possède quelques arpents de terre et qui y cultive quelque chose devient, en vérité, un être conservateur car il est assujetti à des lois naturelles millénaires ; on aura beau faire, aucune révolution n’accélérera la germination ni ne fera fleurir les lilas avant le mois de mai ; cette leçon rend l’homme plus sage et fait qu’il se soumet aux lois et aux coutumes. » (traduction Joseph Gagnaire)
Puis il déploie une réflexion sur le travail que feraient bien de méditer ceux qui nous abrutissent avec une prétendue « valeur travail », comme si le travail était une valeur en soi !
« Mais ce n’est pas le travail qui importe, c’est la campanule. Tu ne travailles pas parce que le travail est beau, ni parce qu’il ennoblit, ni parce qu’il est sain ; tu travailles pour que la campanule croisse et pour que les saxifrages s’étendent comme un tapis. » Il poursuit sa réflexion en assurant que, le 1er mai, on ne devrait pas célébrer le travail en lui-même, mais « le petit salé, les enfants et la vie », bref tout ce qui est le résultat du travail et de son salaire.
Ces deux passages, et surtout le premier, m’ont rappelé comme une évidence fulgurante un passage d’une de mes œuvres préférées, le Voyage en Italie de Jean Giono (1954). Après vérification, il s’est avéré que c’était très différent. Voici en effet les phrases précises auxquelles mon souvenir se référait :
« On ne peut pas imaginer l’homme sans imaginer le bonheur. Si ce n’est pas ce qu’il cherche, que cherche-t-il ? Sans remonter à Sardanapale, il y a toujours un géranium qu’on plante dans une vieille casserole. »
et :« Soigner des bêtes ou des plantes engage dans un sens où l’on trouve très vite le bonheur. Il suffit d’une truie ou d’une graine. »
(Concernant la première citation, inutile de dire, pour ceux qui me connaissent ou qui commencent à me connaître par ce blog, que le choc pour moi avait aussi été dans l’évocation de Sardanapale et, de façon sous-entendue, des Jardins Suspendus de Babylone, de toutes les légendes sur la Mésopotamie véhiculées par les Grecs, bref de mon dada !)
Différent ? Pas si sûr… Certes, l’un parle de propriété privée et de révolution, d’effort et de résultat, tandis que l’autre parle de bonheur. Toutefois, ce qui m’a profondément touchée dans les deux cas, c’est l’idée que le jardinage transforme l’homme : il le rend sage, il le rend heureux.
Vous pensez peut-être à une citation littéraire plus célèbre : « Il faut cultiver notre jardin. », conclusion du Candide de Voltaire (1759). J’aime cette phrase, mais elle me touche cependant moins que les réflexions de Čapek et de Giono. Peut-être parce qu’il est si évident que c’est une métaphore et que l’on sent bien que Voltaire, dans le fond, se fiche des pistaches, des ananas et du cédrat confit, mais qu’il nous invite plutôt à cultiver notre jardin intérieur. Les réflexions de Čapek et de Giono, elles, peuvent aussi être lues sur un plan métaphorique, mais ils nous parlent avant tout vraiment de jardinage : ils ont les mains dans la terre autant que dans l’encre, et ce n’est que par hasard qu’ils amorcent une réflexion philosophique au milieu d’un discours sur les plants et les semis ou d’une description de la route de Padoue à Ferrare.
Quant à moi, je n’ai pas de jardin, mais j’ai un peu plus qu’un géranium dans une vieille casserole : j’ai un balcon. M’en occuper me rend-il heureuse ? Certes oui ! Me rend-il plus sage ? Je l’espère…
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