Je rebondis sur mon article précédent sur les plaisirs de bouche et j’en profite pour poursuivre une rubrique entamée sur ce blog, celle des livres insolites (cf. articles du 27.02 et du 13.06).
Je veux en effet vous parler aujourd’hui de La physiologie du goût de Brillat-Savarin (publié en 1825). J’ai découvert cet ouvrage à quinze ans et l’ai aussitôt classé parmi mes livres préférés. Précisons tout de suite que pour l’apprécier, il faut aimer les textes décousus et le mélange d’informations savantes, d’anecdotes personnelles et de réflexions philosophiques.
Pour faire la transition avec mon article précédent, je commencerai par vous citer un passage qui, par son style et son contenu, fait venir l’eau à la bouche. Une dame, venue pour une œuvre charitable rendre visite à un curé, arrive chez lui alors qu’il venait de se mettre à table et assiste à son dîner. Sa curiosité et son désir culinaire (mais croiriez-vous que le bon curé lui aurait fait apporter une petite assiette ? le goujat n’y songe même pas!) sont à leur comble quand elle voit arriver une omelette au thon :
Après ce premier plat, il attaqua l’omelette, qui était ronde, ventrue et cuite à point. Au premier coup de la cuiller, la panse laissa échapper un jus lié qui flattait à la fois la vue et l’odorat ; le plat en paraissait plein, et la chère Juliette avouait que l’eau lui en était venue à la bouche.
Dans un registre plus savant mais non moins passionnant, Brillat-Savarin nous explique que le goût comporte en fait trois sensations successives :
Celui qui mange une pêche, par exemple, est d’abord frappé agréablement par l’odeur qui en émane ; il la met dans sa bouche, et éprouve une sensation de fraîcheur et d’acidité qui l’engage à continuer ; mais ce n’est qu’au moment où il avale et que la bouchée passe sous la fosse nasale que le parfum lui est révélé ; ce qui complète la sensation que doit causer une pêche. Enfin, ce n’est que lorsqu’il a avalé que, jugeant ce qu’il vient d’éprouver, il se dit à lui-même : « Voilà qui est délicieux ! »
Mais une de mes anecdotes préférées est celle du turbot. Brillat-Savarin est appelé à la rescousse par une cousine et son mari : ils ont acquis un énorme turbot qui ne rentre dans aucun de leurs plats de cuisson. Le problème tourne à la dispute conjugale, le mari étant d’avis de couper le poisson en deux, la femme ne pouvant se résoudre à ce « crime ». Sur ce, survient Brillat-Savarin. S’aventurant dans la buanderie, il y trouve une chaudière (j’imagine qu’il s’agit d’une sorte de grosse marmite pour faire bouillir l’eau du linge), installe dessus une grande claie destinée au rangement des bouteilles de vin et transformée pour l’occasion en panier vapeur, et pose sur le tout en guise de couvercle un cuvier (là aussi, initialement destiné au linge).
J’adore cette anecdote pour l’ingéniosité de la solution trouvée, ainsi que pour le désespoir de la dame à l’idée de devoir couper une aussi belle pièce, mais ce qui me fait rire est aussi la conclusion rassurante de Brillat-Savarin :
Tout ceci est bon à retenir, parce qu’il est peu de maisons de campagne où l’on ne puisse trouver tout ce qui est nécessaire pour constituer l’appareil dont je me servis dans cette occasion, et qu’on peut y avoir recours toutes les fois qu’il est question de faire cuire quelque objet qui survient inopinément et qui dépasse les dimensions ordinaires.
Pauvre Brillat-Savarin ! Il serait bien embêté, aujourd’hui, pour transformer une machine à laver en cocotte-minute ! Il est vrai aussi que les énormes turbots ne courent plus les rivières…
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