jeudi 23 mai 2013

Louise Vernet



Aujourd'hui, je vais vous parler d'une petite jeune fille apparemment effacée et qui pourtant se révèle presque un pivot de l'histoire de l'art en France au début du XIXe s.
Au commencement, il y a deux tableaux, situés à une dizaine de mètres de distance au Musée du Louvre. Le premier représente une petite sauvageonne de 4 ou 5 ans, les chaussettes en accordéon et les joues roses d'avoir couru dans le jardin, qui serre contre elle un chat qui semble son tigre apprivoisé et qui lance au peintre un regard de défi. Le deuxième, une quinzaine d'années plus tard, représente une jeune cruche au regard totalement inexpressif, vêtue et coiffée comme si elle était un objet d'art.




Puis un troisième tableau, habituellement à Nantes, mais qui pour quelques mois s'est rapproché des deux autres, puisqu'il figure dans l'exposition « L'ange du bizarre : le Romantisme noir au XIXe s. » (que je vous recommande vivement par ailleurs!!!) au Musée d'Orsay. Très dérangeant, il représente une jeune femme sur son lit de mort, sa beauté lumineuse rendue malsaine par la couleur blanche de sa peau et par l'aspect ridicule que la mort donne à sa bouche ouverte et à son œil clos, étrangement surmontée d'une auréole.



Or il s'agit bien de la même personne, Louise Vernet, éternisée à trois moments clés de sa vie : l'enfance, la jeunesse et la mort (il n'y aura pas de vieillesse, la pauvre est morte à 31 ans). Ce fait est déjà assez remarquable en soi. Mais ce n'est pas tout.
Les trois tableaux sont l'œuvre de trois peintres différents, tous célèbres (même si le premier l'est un peu plus que les deux autres). Or, chaque peintre a peint une Louise qui ressemble à son style de peinture :
  • Théodore Géricault, le peintre de la beauté animale, des chevaux, des tigres et des hommes aux muscles tendus, a peint une petite bien en chair, pleine de sève et d'énergie, prête à bondir griffes tendues comme son petit fauve.
  • Horace Vernet a peint sa fille avec autant de minutie, mais aussi de froideur, que ses scènes de batailles, dont Baudelaire, qui détestait ce peintre, disait : « M. Horace Vernet est doué de deux qualités éminentes, l'une en moins, l'autre en plus : nulle passion et une mémoire d'almanach ! Qui sait mieux que lui combien il y a de boutons dans chaque uniforme, quelle tournure prend une guêtre ou une chaussure avachie par des étapes nombreuses! » (Salon de 1846)
  • Paul Delaroche, le peintre romantique, qui fait pleurer la ménagère de moins de 50 ans avec sa manière pathétique de représenter des scènes historiques ou mythologiques, a peint son épouse neuf ans après sa mort comme une sainte dont la mort édifiera les foules (exactement comme il peindra l'année suivante, son tableau le plus célèbre, La Jeune martyre, aux airs d'Ophélie, mais surmontée aussi d'une auréole – et qui est, paraît-il, une représentation de sa fille, morte encore plus prématurément que sa mère).
Face à ces tableaux, je me demande où est la véritable Louise. Elle est si différente dans ces trois tableaux! Est-ce dû à son évolution personnelle, à ses propres changements, ou à l'œil de chacun des peintres? La question est d'autant plus compliquée que chacun des peintres a une relation très forte avec Louise : Horace Vernet est son père ; Paul Delaroche son mari et amoureux ; quant à Géricault, c'est un ami de la famille avec qui, malgré les 23 ans de différence, un rapport de séduction n'est pas exclu, comme souvent entre une petite fille et un ami de la famille célibataire. Il était d'ailleurs encore fort bel homme dans les années 1820 ; il se tuera d'une chute de cheval en 1824, quelques années après le portrait de Louise, alors qu'elle a dix ans : nul doute que cela ait marqué la petite fille...

On peut rêver des heures sur ces trois tableaux. 

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On peut aussi creuser encore l'histoire de Louise. En effet, il existe encore d'autres représentations d'elles :
  • une statuette d'elle portant dans ses bras son fils Horace bébé, par Jean Auguste Barre, conservée également au Louvre : là encore, elle est dans un rôle, celui de la Madone à l'enfant.



  • un autre portrait (mais présumé) par Paul Delaroche, assez charmant : vue de dos, le visage de profil, elle hume une rose ; si c'est bien elle, c'est sans doute le portrait qui semble le plus naturel. Ce tableau apparaît sur des sites de ventes aux enchères ; il n'est donc pas visible dans un musée.



  • un dessin d'un autre peintre célèbre, Ingres. Visiblement très contemporain de celui de Vernet ; Louise porte la même robe (avec un foulard en plus et une coiffure moins compliquée) et le même air cruche. Ce dessin est conservé dans la collection privée Ian Woodner aux États-Unis.



  • un affreux portrait d'un certain Adolphe Yvon, apparemment plus porté sur la peinture militaire, où elle apparaît comme une bourgeoise stupide.

     
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Vous trouverez tout cela en tapant simplement « Louise Vernet » dans un moteur de recherche d'images.
Vous trouverez aussi que ce n'est pas que des peintres qu'elle a été la muse. Alors qu'elle avait accompagné à Rome son père, nommé directeur de la Villa Médicis entre 1828 et 1833, elle y rencontra un de ses pensionnaires célèbres, Hector Berlioz, dont elle chantait volontiers les airs au piano et qui lui a dédié la mélodie qu'il a composé sur « La Captive », un poème de Victor Hugo, dont j'aime imaginer Louise chanter le dernier couplet :
« Mais surtout quand la brise
Me touche en voltigeant,
La nuit, j’aime être assise,
Être assise en songeant,
L’œil sur la mer profonde,
Tandis que, pâle et blonde,
La lune ouvre dans l’onde
Son éventail d’argent. »


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