vendredi 11 février 2022

Les transfusions dangereuses : secrets des femmes et commentaires fumeux


Comme mes lecteurs les plus fidèles le savent, je travaille actuellement sur une thèse sur les menstrues au Moyen Âge, ou – pour être plus exacte – sur la vision des menstrues au Moyen Âge. En effet, si on sait assez peu de choses sur la manière dont les femmes géraient au quotidien cette affection, on a en revanche une quantité énorme de sources sur la manière dont ce phénomène était perçu, des observations médicales bienveillantes pour en réguler le flux ou en atténuer les douleurs aux considérations physico-théologiques sur l’impureté, la conception humaine, ou la formation de Jésus dans l’utérus maternel, en passant par les affirmations les plus fantaisistes sur les pouvoirs venimeux du sang menstruel ou du regard d’une femme menstruée.


Une grande partie de ces affirmations fantaisistes se retrouve dans des textes appartenant au genre « secrets des femmes », dont j’ai fait le point de départ de ma thèse. Il s’agit d’abord d’un ouvrage en latin écrit vers la fin du XIIIe siècle, sans doute par un clerc d’origine germanique. Ce texte a ensuite été traduit et adapté dans les deux siècles qui ont suivi dans de nombreuses langues dites « vernaculaires » (c’est-à-dire autre que latin : français, anglais, italien, castillan, allemand, néerlandais, tchèque, etc.). D’autre part, les éditions en latin ont été de plus en plus publiées avec un commentaire (en latin aussi). Nous avons différentes versions de ces commentaires qui sont souvent plus longs que le texte lui-même et constituent donc en eux-mêmes de nouvelles variantes du genre « secrets des femmes ». Ces commentaires sont encore inédits en édition moderne. On en trouve toutefois des éditions imprimées des XVIe et XVIIe siècle ; et la chercheuse Helen Rodnite Lemay a publié en 1992 un ouvrage intitulé Women's secrets. A translation of pseudo-Albertus Magnus' De secretis mulierum with commentaries, qui propose une traduction anglaise du De secretis mulierum ainsi qu’une traduction anglaise de deux de ces commentaires (qu’elle appelle sobrement « commentaire A » et « commentaire B »). On se sait pas de quand datent ces commentaires, sans doute XIVe ou XVe siècle.


Or, si le De secretis mulierum est déjà un concentré de toutes les affirmations fantaisistes sur le corps féminin en général et sur les menstrues en particulier qui ont eu cours de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge, ces deux commentaires sont parfois si extravagants que j’ai parfois dû plusieurs fois relire une phrase pour m’assurer que j’avais bien lu ou aller rechercher la version latine dans une édition du XVIIe siècle numérisée sur internet pour m’assurer qu’Helen Rodnite Lemay n’avait pas fait une traduction elle-même fantaisiste !

C’est donc un petit florilège de ces deux textes que j’ai choisi de vous proposer aujourd’hui. Comme toujours dans les articles de ce blog, il ne s’agira pas d’une analyse problématisée, mais d’une promenade au gré de mes envies et d’une cueillette de ce qui m’a le plus fait rire… J’indiquerai simplement entre parenthèses si le passage que je cite ou que je paraphrase est issu du « commentaire A » ou du « commentaire B » de l’édition de d’Helen Rodnite Lemay.


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- (A) Attention aux bains mixtes ! Si un homme a éjaculé dans un bain et qu’une femme s’y baigne juste après, elle risque de tomber enceinte ! Cette croyance n’est en soi pas si absurde (et je n’ai d’ailleurs pas les connaissances scientifiques pour démontrer que c’est impossible, même s’il me semble que ça l’est) et elle apparaît dans d’autres textes du Moyen Âge. Notre auteur dramatise toutefois un peu la scène en expliquant que la vulve attire puissamment le sperme. On imagine bien la dame se baignant avec entre les jambes une sorte de super aspirateur drainant les moindres particules de sperme flottant dans l’eau !


- (A) Juste après, continuant sur sa lancée, l’auteur nous apprend également que si un chat éjacule sur de la sauge et que quelqu’un mange de cette sauge, cette personne se retrouvera avec des chatons dans le ventre, et qu’il faudra vomir pour les expulser ! Curieusement, le texte latin emploie le mot « vir » (« homme ») : le cas envisagé serait donc celui d’un homme tombant enceint de chatons après avoir dégusté sa tisane de sauge ! Tant qu’à faire dans le fantasque, autant aller jusqu’au bout !


- (A) Dans la série « grands questionnements philosophiques », l’auteur se demande pourquoi, puisque les menstrues suivent les mouvements de la lune (j’en profite, vu qu’il y a encore des gens qui le croient aujourd’hui, pour vous rappeler que c’est faux), ce n’est pas le cas aussi de l’urine, des excréments et de la sueur. Ben oui, c’est vrai, quoi, on pourrait faire pipi, caca, ou transpirer une fois par mois ! Je ne sais pas si ce serait plus pratique… Bref, la réponse, vous vous en seriez peut-être douté, c’est que ces résidus sont en trop grande quantité pour attendre un mois de s’en débarrasser !


- (A) Malgré les pertes menstruelles, des humeurs menstruelles s’accumulent dans le corps de la femme, parfois assez épaisses. Oui, c’est vrai, il n’y a pas que du sang liquide, mais aussi de la matière plus solide, un peu visqueuse. Mais nous savons aujourd’hui que cette matière ne va que de notre utérus à notre vulve et ne se balade pas dans tout le corps. C’est ce que croyaient certains au Moyen Âge, d’où d’ailleurs la croyance (développée depuis Aristote) que l’humeur menstruelle se déplace jusqu’aux yeux, d’où elle s’échappe en vapeur, du fait de leur porosité et humidité, traverse l’air, et peut infecter ce sur quoi tombe le regard d’une femme menstruée (au choix : un miroir qui sera taché, ou un petit enfant au berceau qui peut être tué sur le coup). Cette croyance est un des motifs phare du De secretis mulierum et de ses commentaires ; mais notre commentateur A développe également une autre théorie. Partant de cette idée d’épaisseur et de viscosité de l’humeur menstruelle, il nous explique que cela obstrue et affaiblit le cerveau. Donc… c’est pour cela que les femmes sont moins aptes aux apprentissages ! CQFD. Merci, je me demandais aussi, pourquoi nous sommes moins intelligentes que les hommes !


- (A) Vous vous êtes sûrement demandés pourquoi les menstrues sont rouges. Eh bien c’est très simple. C’est l’effet de la cuisson d’une matière terrestre humide. En fait, ça fonctionne comme les briques ! Les briques ne sont pas rouges avant d’être cuites, elles deviennent rouges sous l’effet de la chaleur. Cela explique pourquoi chez certaines femmes les menstrues restent brunâtres : c’est que ces femmes ont trop d’humidité dans leur corps pour que la cuisson agisse. Comme la terre qui reste brune si elle n’est pas cuite.


- Après avoir expliqué qu’une blessure par le fer est plus dangereuse si elle est faite lors du dernier quartier de lune, car alors l’humidité domine et la blessure cicatrisera moins bien, l’auteur du De secretis mulierum lui-même met en garde ses compagnons (visiblement la communauté monastique qui constituera son lectorat) contre les relations sexuelles avec une femme, évoquant le fait que certains hommes se sont retrouvés avec une large plaie au pénis causée par un fer placé par la femme dans son vagin. Ayant bien suscité notre curiosité, il s’exclame qu’il craint trop Dieu pour révéler ce type de secrets. Qu’est-ce donc que cette histoire mystérieuse ? L’un des commentateurs va évidemment tout nous expliquer…

- (B) Pour commencer, il établit un lien entre les phases de la lune et le cycle menstruel, même si ce n’est pas dit explicitement : il déconseille d’avoir des relations sexuelles avec une femme lors du dernier quartier, juste après avoir affirmé que les femmes peuvent dire tout de suite quelle est la phase de la lune d’après leur cycle menstruel ! (Les autres textes médiévaux qui associent les deux cycles établissent généralement une correspondance avec l’âge, les jeunes filles auraient plus souvent leurs menstrues pendant la lune croissante et les vieilles femmes pendant la lune décroissante). Mais surtout, il explicite cette histoire de fer glissé dans le vagin comme petite surprise pour le malheureux pénis qui va s’y introduire : il ne s’agit pas juste de faire une blessure pour blesser, c’est bien plus subtil et retors que cela, on n’est pas fille d’Eve pour rien ! Vous êtes prêts ? Si vous avez suivi les explications qui précèdent, vous en avez déduit que cette dangereuse relation sexuelle se passe avec une femme qui a ses règles. Eh bien, la blessure au pénis, c’est juste pour ouvrir une brèche vers les veines de l’homme et faire une transfusion sanguine ! Une transfusion de sang menstruel, donc, évidemment ! C’est-à-dire de cette substance dont on ne cesse dans ce texte et dans d’autres d’affirmer le caractère néfaste, toxique, de dire que c’est un poison, un venin, un porteur de lèpre ! Pauvre petit homme !

Bon, me direz-vous, et la pauvre petite femme, alors ? C’est bien beau de blesser l’homme en sa virilité par le fer et par le poison, mais comment s’en sort-elle, elle-même ? Oh, très bien, figurez-vous ! Notre auteur a réponse à tout. En ce qui concerne le poison, ce sera abordé à un autre endroit du texte, on l’explique par la mithridatisation (le mot n’est pas prononcé, mais c’est l’idée), c’est-à-dire le fait d’habituer son corps à une substance toxique en en absorbant d’abord de petites quantités et en augmentant peu à peu les doses : c’est ce qui se produit dans le corps de la femme avec le sang menstruel. Le lien est fait également avec l’histoire de la « pucelle venimeuse », très célèbre au Moyen Âge, ici évoquée vaguement, mais en général associée à Alexandre le Grand : on aurait élevé à dessein une jeune fille dès l’enfance en l’accoutumant petit à petit au poison jusqu’à ce que son corps soit entièrement venimeux, puis on l’aurait offerte à un roi, Alexandre ou autre, afin qu’elle le tue rien qu’en faisant l’amour avec lui ! Et le fer ? Parce que moi, même si j’étais méchante au point de vouloir blesser un homme à son pénis, je ne serais pas très partante pour m’enfiler un fer dans le vagin… Mais non, pas de souci, d’après notre auteur ! Bon, d’abord, il faut savoir que le vagin est beaucoup moins poreux que le pénis. En gros, la peau du pénis, c’est une petite pellicule toute fine prête à saigner, tandis que la peau du vagin, c’est du bon cuir bien serré ! Ça ne vous rassure toujours pas ? Alors c’est le moment de sortir le remède miracle : l’huile de rose !!! Euh… Oui, l’huile de rose. Bon, je veux bien admettre que l’huile de rose ait des vertus cicatrisantes, mais de là à penser qu’elle peut éviter une blessure au fer ou la guérir instantanément, je suis sceptique !

Ah oui, et j’oubliais ! Si certaines lectrices sont enthousiasmées à l’idée d’expérimenter cette transfusion, et ont préparé leur lame et leur petit flacon d’huile de rose, ce n’est pas à faire n’importe quand ! Évidemment, on l’a dit, il faut que ce soit quand vous avez vos règles ET au moment du dernier quartier de la Lune. Mais si vous voulez mettre toutes les chances de votre côté, faites-le quand la Lune (en son dernier quartier, donc) sera dans le Scorpion, et qu’il y aura une conjonction de la Lune et de Vénus : alors, la blessure sera incurable.


- L’auteur du De secretis mulierum affirme que si on enterre en hiver des cheveux de femme menstruée sous un fumier, il en naîtra au printemps ou en été un serpent ! Ce qui me sidère dans cette affirmation, ce n’est pas tant l’absurdité de la croyance (qui, cependant, s’explique assez bien, car, cheveux de femme menstruée ou pas, il y a de fortes chances que l’on trouve sortant d’un fumier au printemps toutes sortes de vers, qu’avec un peu d’exagération on transformera en serpent) ; c’est l’absurdité de l’expérience. Qui va avoir l’idée d’enterrer sous un fumier des cheveux de femme menstruée ??? Et si encore c’était pour obtenir quelque chose d’intéressant (un bon engrais, par exemple), mais là qui aurait intérêt à faire naître de son fumier un gros serpent ???

- (B) Histoire que ce soit encore plus absurde, le commentateur précise que pour que ça marche il faut que la Lune soit dans le Scorpion ou le Bélier, ou que Vénus soit dans la Vierge. Donc, vous imaginez le type qui fait soigneusement ses calculs astrologiques pour trouver le jour idéal avec la bonne conjonction ; et n’oubliez pas que l’opération doit avoir lieu en hiver ; ce jour-là, il doit trouver une femme qui a ses règles, qui veut bien lui dire, qui veut bien lui donner quelques cheveux ; il prend sa pelle, il sort dans son jardin gelé, et il va creuser sous le fumier pour y mettre ses quatre cheveux s’ils ne se sont pas envolés entre temps ; au printemps, il se plante devant son fumier toute la journée pendant des jours pour ne pas rater l’éclosion ; et un beau jour, youhou, y a un serpent qui sort et il est content ! J’ai du mal à croire à la situation !!! Bon, on peut aussi imaginer que c’est une femme qui fait cette expérience : en ce cas, cela poserait moins de problème pour avoir des cheveux sous la main au moment où elle a ses règles, et ça pourrait expliquer la motivation, une femme peut toujours avoir l’utilité d’un serpent (c’est une association fréquente, soit en association avec Eve, soit en lien avec le poison, sans parler des femmes serpents comme Mélusine ou les Vouivres) ; mais dans tous les textes du Moyen Âge et de la Renaissance, l’astrologie apparaît comme une pratique masculine ; d’autre part les textes, que ce soit celui du De secretis mulierum ou du commentaire, parlent de « prendre les cheveux d’une femme menstruée » comme une expérience proposée à un lecteur homme (d’autres indices identifient d’ailleurs les destinataires de ces textes comme des hommes).


- (A) À propos du motif du sang menstruel dont la vapeur toxique s’échappe par le regard, on l’expliquait par le fait que les yeux sont une partie du corps particulièrement poreuse et aqueuse. L’auteur du commentaire A prétend démontrer ce dernier point par le fait que si on presse un peu l’œil, il en sort des larmes. Et il approfondit sa réflexion. En effet, qui pleure le plus ? Les femmes, bien évidemment ! Et là encore, tout s’explique par l’excès d’humidité qu’elles ont dans le corps du fait de leurs humeurs menstruelles !


- L’auteur du De secretis mulierum explique que le regard d’une femme menstruée, laissant échapper toutes les humeurs toxiques qui circulent dans son corps, risque facilement de tuer un petit enfant au berceau (et à plus forte raison celui d’une femme ménopausée, car en ce cas, les humeurs toxiques s’accumulent sans être évacuées et sont donc particulièrement concentrées). Mais cela était dit déjà par d’autres auteurs avant lui (Thomas d’Aquin) et sera repris ensuite : je me suis donc presque habituée à cette affirmation à force de la lire. En revanche, je ne m’attendais pas au nouveau type de victime du regard d’une femme menstruée évoqué dans le commentaire A…

- (A) D’après son auteur, l’œil d’une voyante a un jour forcé un chameau à se jeter dans un fossé où il a fait une chute mortelle ! Vous me direz qu’on parle d’une voyante, et non d’une femme menstruée. Certes, mais deux phrases plus loin, on explique que le pauvre chameau fuyait les humeurs venimeuses de cette femme. Cette anecdote m’a particulièrement touchée, car, si vous avez lu mon blog les premières années, vous savez que le chameau fut jadis mon animal préféré. Cela a donc été une bonne surprise d’en recroiser un ici, dans une situation improbable et ridicule, comme ces bêtes-là savent toujours s’y mettre dans les textes !


- (B) On parle du phénomène de suffocation de la matrice : on pensait que la matrice, c’est-à-dire l’utérus, pouvait se déplacer dans le corps de la femme, provoquant syncope, évanouissement, crise d’ « hystérie » (étymologiquement liée à l’ « utérus ») ou d’épilepsie. Ce phénomène n’existe tout simplement pas, on le sait aujourd’hui ; on a pourtant cru le reconnaître, sous diverses formes, de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle. Pour y remédier, diverses techniques sympathiques étaient employées. Hippocrate (Antiquité grecque) proposait par exemple de faire respirer des odeurs nauséabondes à la femme pour que son utérus, s’il s’était déplacé vers le haut du corps, s’en éloigne avec dégoût et reprenne sa place ; ou au contraire de placer la femme assise sur une chaise percée au-dessus de fumigations de plantes odorantes destinée à pénétrer son vagin pour attirer l’utérus vers le bas. Notre auteur du commentaire B poursuit cette tradition en beauté en proposant d’attacher fermement la femme par ses cuisses, puis d’approcher de son nez une substance ayant une forte odeur, au choix : du fumier, de la fumée de cheveux humains brûlés, la semelle d’une bête brute.

Ce même auteur fait un constat qui nous intéresse beaucoup pour l’histoire des mentalités. Il se moque de certaines femmes, plutôt des vieilles femmes, qui, après avoir recouvré leurs esprits, commentant a posteriori un épisode de syncope, prétendent ridiculement qu’elles avaient été plongées en extase et transportées aux Cieux. Et voilà que notre auteur, qui jusque là s’est autorisé les pires élucubrations fantasmatiques, se gausse soudain de la crédulité de ces femmes et se pique de ce qu’on appellerait aujourd’hui un scepticisme rationnel. Il nous livre une explication complètement physiologique des transports mystiques de ces dames. Non seulement cette extase a été provoquée par une suffocation de la matrice (dont j’ai oublié de vous dire, mais vous l’aurez deviné, qu’elle est toujours en lien avec un trop plein de menstrues), mais le type d’extase dépend de la texture des vapeurs menstruelles qui leur sont montées au cerveau : si elles sont épaisses et lourdes, les femmes se croiront transportées en enfer et elles croiront y voir de noirs démons ; si elles sont légères, elles se croiront transportées aux Cieux et croiront voir briller Dieu et ses anges. Là aussi, il y a quelques remèdes radicaux pour faire revenir à la raison la femme tombée dans cette fausse extase : la nettoyer avec un tissu de lin propre (plutôt agréable, comme remède, mais pas évident de comprendre la cause ; peut-être faut-il sous-entendre un bain auparavant, peut-être un lavage destiné à nettoyer le sang menstruel ou la transpiration générée par toute cette agitation), la chatouiller sous les bras ou lui frotter les pieds de sel. Beaucoup plus désagréables, les deux dernières solutions : c’est le genre d’action qui provoque en général un rire nerveux, je reconnais que cela puisse être efficace pour « faire revenir sur terre » une personne qui s’est abîmée dans une extase plus ou moins psychosomatique.


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Alors, avez-vous survécu à la tisane à la sauge et au sperme de chat, au cerveau engourdi par vos humeurs menstruelles, à la cuisson des briques, au fer dans votre vagin ou sur votre pénis, aux observations astrologiques, au serpent sortant du fumier, au regard tueur de chameaux, aux odeurs de patte d’animal et de cheveux calcinés, aux visions infernales, aux chatouilles sous les bras et au sel sous les pieds ?


Je termine par une précision importante, car je ne voudrais pas que vous citiez des passages de mon blog en ricanant des hommes du Moyen Âge ou en vous indignant de leur crédulité, de leur bêtise et de leur misogynie : ce texte n’EST PAS représentatif de la pensée des hommes du Moyen Âge. Il est vrai que beaucoup de pensées fantaisistes sur le corps des femmes et sur les menstrues ont largement circulé et ont été relayées d’un texte à l’autre pendant des siècles, comme la toxicité du regard d’une femme menstruée ou le risque d’attraper la lèpre en ayant une relation sexuelle avec une femme menstruée. Mais la plupart des autres idées extravagantes évoquées ici ne sont imputables qu’aux deux auteurs anonymes des commentaires sur le De secretis mulierum. Ce texte lui-même a eu un énorme succès si l’on en juge par la quantité de manuscrits où il a été copié, puis d’imprimés où il a été édité, par les nombreuses langues vers lesquelles il a été traduit ou adapté, et par les textes ultérieurs qui s’en sont inspirés. Mais les deux commentaires dont je vous ai parlé aujourd’hui n’ont pas eu la même postérité. La majorité de leurs affirmations étaient bien dans l’air du temps et reprenaient des idées qui circulaient ; mais les passages que j’ai choisis sont parmi les plus extravagants et les idées qui y sont développées n’apparaissent généralement pas dans d’autres textes.

Et bien sûr, on ne peut s’appuyer que sur les sources écrites. On ne saura pas ce qu’en pensaient les hommes du Moyen Âge qui n’ont pas pris la plume. Ni les femmes.


On sait juste que Christine de Pizan, au début du XVe siècle, a accusé le Secrets des Dames (une des versions françaises) d’être un « traittié tout de mensonges ».

 

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