lundi 20 juin 2011
« L'enfant gras », ou comment le latin permet de dévoiler les vices cachés des produits de grande consommation
Une élève s'étant plongée dans le dictionnaire de latin s'exclama soudain :
- Ça alors, « pinguis », ça veut dire « gras »!
- Oui, en effet. (Je ne voyais pas l'objet de sa stupéfaction)
- Mais alors, les « Kinder Pingui », c'est gras!
Trop heureuse de saisir l'occasion, je rebondis aussitôt par une tirade moralisatrice contre les friandises dont la société de consommation abreuvent nos enfants, quand un autre élève, germaniste, me stoppe net dans mon enthousiasme :
- Mais pas du tout! « Kinder » veut dire « enfant » en allemand et « pingui » veut dire « pingouin », d'ailleurs il y a un pingouin sur le logo! « Kinder Pingui », ça veut dire « Enfant Pingouin ».
Je reconnais qu'il a raison et qu'il aurait été absurde de la part d'un industriel d'afficher ouvertement un défaut de son produit. J'explique ensuite aux élèves que le mot « pingouin », que ce soit dans sa version française ou allemande, vient bien du latin « pinguis » : en effet, le pingouin est doté d'une épaisse couche de graisse sous sa peau pour le protéger du froid.
Ma première élève tenait à sa découverte :
- N'empêche que « Pingui » vient bien de « pinguis », et que « Kinder Pingui » c'est un « enfant gras »! Je n'en mangerai plus!
Et voilà comment le latin a permis à une jeune consommatrice de déjouer les pièges tendus par les industriels! Vous voyez bien que ça sert, le latin!
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samedi 21 mai 2011
Les premiers mots de l'humanité
Hérodote, un de mes auteurs grecs préférés, raconte une anecdote savoureuse à propos du roi égyptien Psammétique. Ce dernier ayant voulu savoir quelle langue était la première de l'humanité, fit élever deux nouveaux-nés sans la moindre communication, et un beau jour, ils s'exclamèrent « bécos », qui veut dire « pain » en phrygien!
Le texte complet est ici :
Les Égyptiens se croyaient, avant le règne de Psammitichus, le plus ancien peuple de la terre. Ce prince ayant voulu savoir, à son avènement à la couronne, quelle nation avait le plus de droit à ce titre, ils ont pensé, depuis ce temps-là, que les Phrygiens étaient non seulement plus anciens qu'eux, mais qu'ils l'étaient plus que toutes les autres nations. Les recherches de ce prince ayant été jusqu'alors infructueuses, voici les moyens qu'il imagina : il prit deux enfants de basse extraction nouveau-nés , les remit à un berger pour les élever parmi ses troupeaux, lui ordonna d'empêcher qui que ce fût de prononcer un seul mot en leur présence, de les tenir enfermés dans une cabane dont l'entrée fût interdite à tout le monde, de leur amener, à des temps fixes, des chèvres pour les nourrir, et, lorsqu'ils auraient pris leur repas, de vaquer à ses autres occupations. En donnant ces ordres, ce prince voulait savoir quel serait le premier mot que prononceraient ces enfants quand ils auraient cessé de rendre des sons inarticulés. Ce moyen lui réussit. Deux ans après que le berger eut commencé à en prendre soin, comme il ouvrait la porte et qu'il entrait dans la cabane, ces deux enfants, se traînant vers lui, se mirent à crier : Bécos, en lui tendant les mains. La première fois que le berger les entendit prononcer cette parole, il resta tranquille ; mais ayant remarqué que, lorsqu'il entrait pour en prendre soin, ils répétaient souvent le même mot, il en avertit le roi, qui lui ordonna de les lui amener. Psammitichus les ayant entendu parler lui-même, et s'étant informé chez quels peuples on se servait du mot bécos, et ce qu'il signifiait, il apprit que les Phrygiens appelaient ainsi le pain. Les Égyptiens, ayant pesé ces choses, cédèrent aux Phrygiens l'antériorité, et les reconnurent pour plus anciens qu'eux.
Hérodote, L'Enquête, II 2, traduction Larcher
Évidemment, aujourd'hui, cette expérience nous paraît complètement idiote, et nous savons hélas que les enfants privés de communication humaine deviennent des enfants sauvages, comme le célèbre Victor de l'Aveyron.
Cependant, le questionnement sur l'origine du langage est toujours là. A la fois, comme dans l'expérience de Psammétique, de l'origine du langage dans l'histoire de l'humanité, et de l'origine du langage chez chaque individu humain. J'imagine qu'il doit y avoir des recherches activement menées dans ce domaine par les spécialistes des neurosciences, dans le genre de celle, édifiante, menée sur l'origine de la lecture et dont je vous avais parlé il y a deux ans :
et
A ma modeste échelle, j'ai observé mes propres enfants. Non, c'est promis, je ne les ai pas enfermés dans une cabane seuls avec du lait de chèvre, mais j'ai simplement notés leurs premiers mots, dans l'ordre d'apparition.
Dans les dix ou douze premiers mots, on trouve beaucoup de points communs : « Papa », « Maman », + le nom de la grande sœur pour le cadet, « Non », « Caca », « Coucou », « Au revoir » et « Ham » (= « manger »). Ces mots semblent donc d'une importance capitale! Et de même pour quelques autres arrivés peu après, comme « Encore », « Doudou » ou « Pain ».
Leur propre nom (prononcé à leur façon, mais reconnaissable) est arrivé au même stade pour chacun d'entre eux, autour du vingtième mot.
Mais il est intéressant (même si je suis consciente que cela a peu de signification en ne comparant que deux enfants) et amusant de repérer les différences.
Rien d'étonnant à ce que le garçon compte « Zizi » parmi ses premiers mots et pas la fille! Rien d'étonnant non plus à ce que l'un ait très tôt parlé du « Feu » (de cheminée) et l'autre des « Myrtilles » (tout dépend de la saison à laquelle a eu lieu l'explosion du langage!), que celle qui a eu la chance d'aller à la campagne en été à cette époque ait désigné comme premiers animaux « Poule » et « Escargot », tandis que celui qui a passé son hiver en appartement parle plus de « Crabe » et de « Girafe »... en plastique, bien sûr! Ou encore que celle pour qui la sortie du dimanche consistait souvent à aller voir passer les RER dans le Parc Montsouris ait parlé de « Train », tandis que celui qui voit avec envie sa grande sœur jouer aux sept familles avec les grands préfère « Carte »...
Mais pourquoi la grande compte-t-elle « Là » et « Voilà » comme troisième et septième mots alors que le petit ne les disait pas encore à un stade bien plus avancé? On pourra dire que la première est plus active et le second plus contemplatif, mais cette explication est sans doute tirée par les cheveux... Et pourquoi le cinquième mot du petit est-il « Nez » et qu'il adore montrer son nez et celui de tous ceux qui l'entourent? Pour le coup, voilà qui est plus actif que contemplatif!
Vous l'aurez compris, je l'espère, loin de moi l'idée de partir dans un délire interprétatif. Je suis juste émerveillée de voir à quel point les êtres humains sont à la fois semblables et différents, et, cette vérité que je retrouve tous les jours en côtoyant les Grecs et les Romains d'autrefois – si semblables et si différents de nous – , de la retrouver chez mes propres enfants.
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mercredi 16 mars 2011
L'Antique Parade
En prélude au Festival Européen Latin Grec qui commence demain à Paris et dont je vous parle chaque année, avait lieu dimanche dernier la première Antique Parade à travers les rues de Paris. Encore modeste pour la première année, elle n'en fut pas moins très réussie.
Après un parcours du Jardin du Luxembourg aux Arènes de Lutèce sous les yeux médusés des promeneurs du dimanche et des habitants à leurs fenêtres, elle s'est terminée par une heure de spectacles dans les dites Arènes sous les yeux encore plus médusés des footballeurs du dimanche, qui ont parfois cessé leurs passes pour écouter les accents énergiques de la troisième Pythique de Pindare déclamée dans le texte au son d'une mélodie grecque antique exécutée à la guitare électrique...
Des hoplites rue Soufflot.
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vendredi 18 février 2011
L'architecte qui voulait sauver le monde
Je suis allée visiter dans ses derniers jours l'exposition du Louvre « L'Antiquité rêvée », qui présente l'inspiration de l'Antiquité chez les artistes (essentiellement peintres, sculpteurs, architectes et décorateurs) du XVIIIe s. (vous pouvez en avoir un aperçu sur ce site : http://mini-site.louvre.fr/saison18e/index_f.php?expo=antiquite_revee#/antiquite_revee)(note en 2019 : le site n'existe plus et c'est dommage, mais je laisse le lien pour mémoire).
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J'ai été un peu déçue : non pas que l'exposition fût mal faite ; elle était excellente et très intéressante comme le sont habituellement les expositions du Louvre ; mais, décidément, l'art du XVIIIe s. européen est souvent bien froid.
Il y a des exceptions, heureusement, et quelques œuvres m'ont ravie. J'ai aussi découvert des artistes que j'ignorais, comme l'architecte Etienne Boullée : son projet de cénotaphe pour Newton (une gigantesque sphère) m'a beaucoup surprise : d'abord naturellement parce que c'est une forme tout à fait inhabituelle et frappante en architecture (même dans notre moderne XXIe s.), mais aussi et surtout parce qu'avant d'aller lire la légende, j'étais persuadée que ce dessin était l'œuvre d'un autre grand architecte du XVIIIe s., Claude Nicolas Ledoux, Claude Nicolas Ledoux dont le nom était d'ailleurs cité sur le panneau de présentation de la salle où figurait le dessin de Boullée, mais pas la moindre œuvre de lui! Pour le coup, cette absence fut un vrai regret, car c'est un artiste auquel je suis profondément attachée, et j'ai donc décidé d'en profiter pour mener mes sentiers fleuris du côté de sa ville idéale.
CN Ledoux était un inventeur et artiste de génie, mais arrivé au mauvais moment, c'est pourquoi sa notoriété est moyenne. On connaît surtout les bâtiments qu'il a fait édifier pour la Saline Royale d'Arc-et-Senans dans le Doubs, mais ce superbe demi-cercle qui suscite déjà l'admiration des touristes devait dans le projet initial former un cercle complet, et ce cercle ne devait être que l'élément central d'une ville idéale construite autour de la saline ; mais il dut s'arrêter là, faute de moyens dans le budget royal. Il est aussi l'auteur de charmants petits pavillons dressés à toutes les portes de Paris (destinés aux fonctionnaires percevant l'octroi de ceux qui entraient dans la ville), lesquels, à peine quelques années après leur construction, ont été détruits par la Révolution qui y voyait le symbole de l'oppression fiscale : il n'en reste qu'un sur la place Denfert-Rochereau, un sur la place Stalingrad, au bord du canal, et deux ou trois autres. Enfin le livre qu'il avait projeté d'écrire pour expliquer sa vision du monde, de l'humanité et de l'art, fut interrompu par son arrestation pendant la Terreur et resta à l'état de brouillon.
Ce qui m'a d'abord fascinée chez CN Ledoux, c'est le style absolument stupéfiant et qui ne ressemble à aucun autre (sauf celui de Boullée, puis-je ajouter maintenant!) des bâtiments qu'il a imaginés. A une époque de mon adolescence où je cherchais de l'inspiration pour imaginer la maison de mes rêves, ses planches (photocopiées dans un ouvrage trouvé à la bibliothèque) m'ont longuement fait rêver.
Ce n'est que plus tard que j'ai découvert son œuvre littéraire, qui a été éditée en 1804 deux ans avant sa mort ; les éditions Hermann en ont édité en 1997 un fac-simile que j'ai dans mes rayonnages. Si j'ai parlé plus haut d'un texte à l'état de brouillon, c'est qu'on a du mal à le suivre. Il n'y a pas de chapitres, si ce n'est des titres de planches, mais le texte qui suit ne correspond pas toujours exactement à la planche. Le texte semble être construit selon le fil de sa pensée et sans ordre clair. Il saute sans cesse de descriptions précises de bâtiments qu'il a conçus à des tirades poétiques ou morales évoquant la vie dans sa ville idéale. Face à une telle écriture et à une telle personnalité, il ne faut pas essayer de comprendre à tout prix, mais se laisser emporter par ses élans. Alors, derrière le fouillis des mots, on voit se dresser un homme qui croyait vraiment au progrès de l'Humanité – beaucoup d'Européens y croyaient sincèrement en cette fin de XVIIIe s. : qu'avons-nous fait en deux petits siècles pour qu'aujourd'hui l'Humanité soit redevenue aussi, voire encore plus désabusée qu'aux temps antiques et médiévaux? – , et qui croyait, avec un orgueil naïf, que l'architecture et en particulier la sienne pouvait apporter aux hommes le bien-être, la morale, la concorde, le bonheur...
Mais ne terminons pas cet article sans découvrir l'art de Ledoux, car je pense que je vous ai mis l'eau à la bouche! Pour son œuvre architecturale (réalisée ou projetée), un simple « Claude Nicolas Ledoux » tapé dans un moteur de recherche d'images vous donnera une idée de l'audace et de la beauté de ses conceptions. Quant à son œuvre littéraire, il est dur de choisir! J'ai finalement opté pour un passage où l'on trouve à la fois son style lyrique, ses considérations morales et sa description d'un bâtiment :
« Maison des commis employés à la surveillance.
Déjà le roi des saisons réjouissait l'univers ; son trône décorait majestueusement le cercle écliptique ; les Heures sortaient de leur retraite, et se tenant par la main, provoquaient, au son des instruments, la gaieté du matin. Les fleurs, les plantes aromatiques distribuaient leurs parfums, et le dieu bienfaiteur régénérait la terre. L'aurore vacillante déployait un jour incertain sur le fond du tableau, lorsque j'aperçus un édifice qui, par son étendue, ne pouvait prétendre à de grands effets ; le point de vue était un peu éloigné ; cependant on avait invité les ombres à noircir les surfaces qui en étaient susceptibles. On avait approfondi un porche pour protéger les murs du second plan contre les souffles pénétrants du nord. On voyait des bossages rustiques et additionnels aux forces ordinaires ; des colonnes d'une proportion courtes faisaient oublier les pertes de l'écartement, et l'art s'enorgueillissait de ces contours outrés (c'est toujours le voyageur qui parle). J'ignore le prestige qui fascinait ma vue, mais ce genre de construction me plaisait. La pierre, la brique, m'offraient des tons variés, et la masse entière était en opposition avec des arbres verts, des arbres à fruits ; alors les plaisirs étaient purs, les peines légères ; l'âme encore dans le sommeil de la candeur méprisait les vanités ; l'amour ignorait les maux qui le suivent ; l'hymen, les dégoûts qui le fatiguent. O! délires impuissants qui applaudissez de tout, parce que vous ignorez tout, prolongez les chimères consolatrices de l'école, ce n'est que là où l'imagination n'est point enchaînée.
La coupe indique la hauteur des planchers. »
Claude Nicolas Ledoux, L'architecture
considérée sous le rapport de l'art, des meurs et de la législation, p. 204-206
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dimanche 30 janvier 2011
Le printemps des Romains
Si vous avez, comme moi, un balcon, voire un jardin, vous aurez sans doute remarqué cette semaine, alors que le temps ne s'est pas radouci (au contraire!), une multitude de fraîches petites pousses vertes qui pointent leur nez droit vers le ciel.
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Je n'ai pas manqué d'être frappée, quand j'ai fait cette observation, par une coïncidence singulière, mais loin d'être fortuite. Vous savez que je vis avec mes élèves au rythme du calendrier romain (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/11/halloween-chez-les-romains.html). Or, précisément, cette semaine, du 24 au 31 janvier, les Romains fêtaient les Paganalia, une fête des semailles pour protéger les tendres pousses qui pointent en janvier, avec sacrifices à Tellus, la divinité de la Terre et à Cérès, la déesse de l'agriculture. Et le 7 février, une semaine plus tard, était considéré par eux comme le premier jour du printemps, pour les mêmes raisons.
Vous aurez donc une pensée pour les Romains, ce week-end, en faisant l'inspection de vos jardinières...
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jeudi 23 décembre 2010
La banane de Pline
Encore une question d'élève :
- Comment dit-on « banane » en latin?
- Mais voyons, les Romains ne connaissaient pas les bananes!
Cela dit, je ne laisse pas complètement en plan mon élève, car je me souviens avoir justement vu avec une certaine stupeur ce mot dans un des manuels de latin américains que je commande parfois sur le site « Amazon ». Les Américains enseignent le latin comme une langue vivante. Ils sont donc moins calés que nous sur le contexte culturel nécessaire à une bonne compréhension des textes d'auteurs ; en revanche, ils manient la langue avec beaucoup plus d'aisance que nous et rentrent donc beaucoup plus facilement dans ces textes d'auteurs ; rien n'est parfait! Si je fais parfois mon marché parmi les manuels d'outre Atlantique, ce n'est pas pour contrevenir aux instructions officielles du programme de l'Education Nationale française, c'est juste pour piocher ponctuellement des idées de petits dialogues faciles qui soulagent les élèves en leur donnant le sentiment d'avoir compris un texte entier sans peiner.
Bref! De retour chez moi, je me plonge dans le manuel en question et retrouve facilement ma banane : « ariena »! Voilà qui est surprenant, car on aurait pu s'attendre à « banana », mais d'où sort ce « ariena » bien précis, qui ne veut dire « banane » dans aucune langue moderne, pour désigner une réalité inconnue des Romains?
Je saute sur le Gaffiot qui, de « ariena », me renvoie à « ariera » et j'apprends que c'est le fruit du jaquier, un arbre que je n'avais pas l'heur de connaître. Il y a une référence : Pline, XII 24. C'est le chapitre consacré aux arbres exotiques dans l'Histoire Naturelle de Pline l'Ancien. Je commence à comprendre : il se peut que les Romains n'aient pas connu la banane, mais qu'un auteur l'ait décrite d'après des récits de voyageurs.
Bon. Je tente de trouver le texte de Pline en question, en latin et si possible en traduction française, ce qui, malgré la magie d'internet, n'est pas si facile, car Pline a écrit une telle somme que rares sont les traducteurs qui ont osé le traduire entièrement (apparemment, il n'existe que des traductions du XIXe s. (inutile de dire qu'on ne les trouve plus à la Fnac!)) et que rares sont les internautes d'aujourd'hui qui ont fini de le numériser entièrement en latin! D'autre part, il s'avère que « XII 24 » est parfois référencé « XII 12 », il doit y avoir des chapitres et des paragraphes qui se superposent...
Bref, j'ai fini par trouver, et je vous soumets le texte dans la traduction de Littré légèrement modifiée :
« Un autre arbre fruitier, plus grand, l'emporte par la grosseur et la saveur de son fruit, dont les sages de l'Inde se nourrissent. La feuille a la forme d'une aile d'oiseau ; elle est longue de trois coudées, et large de deux. Le fruit sort de l'écorce ; il est admirable par la douceur de son suc ; un seul suffit pour rassasier quatre personnes. L'arbre se nomme pala ; le fruit ariena. Il abonde surtout dans le pays des Sydraques, terme de l'expédition d'Alexandre. »
D'autre part, en cherchant un peu, là encore sur internet, j'ai compris que l'on avait parfois pensé que Pline décrivait dans ce texte la banane, avant de découvrir qu'il s'agissait plutôt du fruit du jaquier.
Du coup, même si cette interprétation a été démentie, il était tentant de proposer ce mot latin existant pour traduire notre si commune banane ; et je ne pense pas que le bon Pline s'en serait offusqué...
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Un commentaire à cet article m'a été fait deux ans plus tard, le 10 septembre 2012 :
Une recherche + approfondie mais rapide sur Internet nous dit que lorsque Alexandre parvint aux Indes, il défendit à tous ses soldats de consommer ce fruit jaune, trop lourd, disait-il, et capable de réduire les forces de son armée. Ainsi l'armée d'Alexandre le Grand a-elle certainement apporté des bananiers en Europe, et grecs et romains ont-ils probablement cultivé et mangé ces fruits. MUSA est le terme latin botanique et l'Académie de Latin, même de France, devrait accepter MUSA, faute de trouver d'autres traductions certaines chez les auteurs latins et grecs classiques. Et il est prudent de ne pas avoir trop d'a priori en matière d'histoire. Les migrations humaines et naturelles des plantes à travers le monde sont bien plus anciennes que les romains, qui ne sont pas les inventeurs exclusifs de "la civilisation".
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Ma réponse à ce commentaire :
Merci pour ces compléments d'informations, mais ils ne font que poser de nouvelles questions, qui me passionnent, mais auxquelles je n'ai à mon grand regret pas trouvé de réponse.
D'abord, l'histoire d'Alexandre. Vous avez raison, il suffit d'une recherche très rapide sur internet (Alexandre + banane!) pour voir apparaître l'anecdote que vous citez, en plusieurs centaines d'exemplaires, le même texte mot pour mot, comme toujours sur internet! Mais quant à trouver la source, bon courage! Pour m'être intéressée il y a quelques années à l'expédition d'Alexandre (à propos de ma chère Mésopotamie), je sais que son histoire est principalement relatée par quatre auteurs antiques : Diodore de Sicile, Arrien, Plutarque et Quinte-Curce. Bien que cette question m'intrigue, j'avoue n'avoir pas le courage de me plonger dans la relecture de ces quatre œuvres, d'autant plus qu'un grand nombre d'autres auteurs anciens parlent aussi d'Alexandre, ce qui est le cas d'ailleurs de Pline dans le texte que je citais dans mon billet.
Deuxième problème : même sans avoir le texte sous les yeux, je pense qu'il est difficile d'affirmer avec certitude que le fruit jaune et lourd cité était bien une banane. On voit bien pour le texte de Pline que les uns penchent pour la banane, les autres pour le fruit du jaquier ; et je crains qu'on ne puisse jamais savoir la vérité exacte.
Une dernière question m'est évoquée par la deuxième partie de votre commentaire, concernant le mot "musa". De même que je m'étais interrogée sur l'origine du mot "arena", je m'interroge sur celle de "musa", mais je n'ai pas trouvé de réponse, ce mot n'existant pas en latin classique.
Finalement, après toutes ces questions sans réponses, je laisse le dernier mot à l'imagination. Dans le manga Thermae Romae, l'auteure Mari Yamazaki imagine que son héros, un Romain de l'Antiquité, qui fait des allers et retours avec le Japon contemporain, en aurait rapporté une banane, dont il aurait planté une graine dans le jardin de l'empereur Hadrien : une petite pousse sort de terre, mais finit, hélas, écrasée sous les ébats amoureux du fils adoptif de l'empereur et de sa belle! Qui sait? Voilà peut-être comment les Romains connurent ou ne connurent jamais la banane!...
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Ajouts en 2022 :
- Je trouve qu'il y a 12 ans (je n'étais pourtant pas si jeune !), j'avais un style un peu ampoulé que je n'ai plus. Il semblerait qu'en vieillissant j'aie mûri comme une bonne banane !
Un commentaire à cet article m'a été fait deux ans plus tard, le 10 septembre 2012 :
Une recherche + approfondie mais rapide sur Internet nous dit que lorsque Alexandre parvint aux Indes, il défendit à tous ses soldats de consommer ce fruit jaune, trop lourd, disait-il, et capable de réduire les forces de son armée. Ainsi l'armée d'Alexandre le Grand a-elle certainement apporté des bananiers en Europe, et grecs et romains ont-ils probablement cultivé et mangé ces fruits. MUSA est le terme latin botanique et l'Académie de Latin, même de France, devrait accepter MUSA, faute de trouver d'autres traductions certaines chez les auteurs latins et grecs classiques. Et il est prudent de ne pas avoir trop d'a priori en matière d'histoire. Les migrations humaines et naturelles des plantes à travers le monde sont bien plus anciennes que les romains, qui ne sont pas les inventeurs exclusifs de "la civilisation".
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Ma réponse à ce commentaire :
Merci pour ces compléments d'informations, mais ils ne font que poser de nouvelles questions, qui me passionnent, mais auxquelles je n'ai à mon grand regret pas trouvé de réponse.
D'abord, l'histoire d'Alexandre. Vous avez raison, il suffit d'une recherche très rapide sur internet (Alexandre + banane!) pour voir apparaître l'anecdote que vous citez, en plusieurs centaines d'exemplaires, le même texte mot pour mot, comme toujours sur internet! Mais quant à trouver la source, bon courage! Pour m'être intéressée il y a quelques années à l'expédition d'Alexandre (à propos de ma chère Mésopotamie), je sais que son histoire est principalement relatée par quatre auteurs antiques : Diodore de Sicile, Arrien, Plutarque et Quinte-Curce. Bien que cette question m'intrigue, j'avoue n'avoir pas le courage de me plonger dans la relecture de ces quatre œuvres, d'autant plus qu'un grand nombre d'autres auteurs anciens parlent aussi d'Alexandre, ce qui est le cas d'ailleurs de Pline dans le texte que je citais dans mon billet.
Deuxième problème : même sans avoir le texte sous les yeux, je pense qu'il est difficile d'affirmer avec certitude que le fruit jaune et lourd cité était bien une banane. On voit bien pour le texte de Pline que les uns penchent pour la banane, les autres pour le fruit du jaquier ; et je crains qu'on ne puisse jamais savoir la vérité exacte.
Une dernière question m'est évoquée par la deuxième partie de votre commentaire, concernant le mot "musa". De même que je m'étais interrogée sur l'origine du mot "arena", je m'interroge sur celle de "musa", mais je n'ai pas trouvé de réponse, ce mot n'existant pas en latin classique.
Finalement, après toutes ces questions sans réponses, je laisse le dernier mot à l'imagination. Dans le manga Thermae Romae, l'auteure Mari Yamazaki imagine que son héros, un Romain de l'Antiquité, qui fait des allers et retours avec le Japon contemporain, en aurait rapporté une banane, dont il aurait planté une graine dans le jardin de l'empereur Hadrien : une petite pousse sort de terre, mais finit, hélas, écrasée sous les ébats amoureux du fils adoptif de l'empereur et de sa belle! Qui sait? Voilà peut-être comment les Romains connurent ou ne connurent jamais la banane!...
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Ajouts en 2022 :
- Je trouve qu'il y a 12 ans (je n'étais pourtant pas si jeune !), j'avais un style un peu ampoulé que je n'ai plus. Il semblerait qu'en vieillissant j'aie mûri comme une bonne banane !
- Il existe désormais une traduction française récente dans une édition commode à consulter et en un seul volume des Histoires Naturelles de Pline l'Ancien. C'est l'œuvre de Stéphane Schmitt publiée en 2013 dans la collection La Pléiade.
- En ce qui concerne le mot "musa", l'explication en était à portée de souris (d'ordinateur). Une courte recherche m'a appris qu'il vient du nom d'Antonius Musa, médecin de l'empereur Auguste, dont j'apprends qu'il a soigné entre autres le grand poète Horace et le beau Marcellus (neveu d'Auguste hélas mort jeune, dont nous avons conservé une sublime statue en pied visible au Louvre et deux sublimes vers de Virgile dans l'Énéide). "Le naturaliste Carl von Linné donna en son honneur le nom de Musa au genre Musa, qui regroupe les bananiers" (d'après https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Antonius_Musa).
- D'autre part, c'est probablement ce nom latin scientifique qui est à l'origine du nom courant de la banane en arabe, موز , "mouz", transcription de "musa".
- Quelques points encore irrésolus :
--> "ariena"/ "ariera" désignait-il un fruit correspondant à la banane ou non ?
--> pourquoi Linné a-t-il choisi le nom d'Antonius Musa pour désigner la banane ? Était-ce un simple hommage sans raison précise ou y a-t-il un lien entre ce médecin et ce fruit ?
- En ce qui concerne le mot "musa", l'explication en était à portée de souris (d'ordinateur). Une courte recherche m'a appris qu'il vient du nom d'Antonius Musa, médecin de l'empereur Auguste, dont j'apprends qu'il a soigné entre autres le grand poète Horace et le beau Marcellus (neveu d'Auguste hélas mort jeune, dont nous avons conservé une sublime statue en pied visible au Louvre et deux sublimes vers de Virgile dans l'Énéide). "Le naturaliste Carl von Linné donna en son honneur le nom de Musa au genre Musa, qui regroupe les bananiers" (d'après https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Antonius_Musa).
- D'autre part, c'est probablement ce nom latin scientifique qui est à l'origine du nom courant de la banane en arabe, موز , "mouz", transcription de "musa".
- Quelques points encore irrésolus :
--> "ariena"/ "ariera" désignait-il un fruit correspondant à la banane ou non ?
--> pourquoi Linné a-t-il choisi le nom d'Antonius Musa pour désigner la banane ? Était-ce un simple hommage sans raison précise ou y a-t-il un lien entre ce médecin et ce fruit ?
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lundi 15 novembre 2010
Halloween chez les Romains
J'ai pris l'habitude d'afficher chaque jour sur le tableau de ma salle de classe la date du jour d'après le calendrier romain, suivie si possible de l'indication d'une fête ou d'une célébration ayant lieu ce jour-là chez les Romains, ainsi que d'un événement qui se serait produit ce jour-là dans l'Histoire romaine.
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Or, le 5 octobre dernier, c'était « Mundus patet », « le monde est ouvert ». Il s'agit du monde des morts. En effet, ce jour-là, les Romains, déplaçaient une lourde pierre plate posée sur un trou censé être une bouche des Enfers. Les esprits des morts pouvaient donc sortir toute la journée à l'air libre et faire la fête avec leurs proches du monde des vivants. A la fin de la journée, ils regagnaient sagement leur trou!
Une élève m'a demandé si c'était la même chose que Halloween. La similitude m'a en effet frappée, ainsi que la proximité dans le calendrier, d'autant plus que les Romains remettent ça le 8 novembre!
Bien sûr, Halloween est apparentée à la Toussaint, qui est une fête chrétienne, mais on sait bien que les Chrétiens n'ont rien inventé et que la plupart de leurs fêtes ont une origine gréco-romaine. Gréco-romaine ou celte, et en l'occurrence, Halloween est bien d'origine celte, et les Chrétiens ont juste greffé la Toussaint le lendemain, histoire de se démarquer.
Toutefois, la question de mon élève reste entière, car il semble difficile à croire que ce soit le hasard qui ait fixé des fêtes semblables vers la même période de l'année (Mundus Patet a lieu trois fois : le 24 août, le 5 octobre et le 8 novembre). Je pense qu'il ne faut pas aller chercher bien loin la réponse. Chez les Romains comme chez les Celtes, la fête des morts a lieu tout simplement en automne, au moment où la nature semble commencer à mourir, où le temps est plus triste, où les nuits sont plus longues, et où l'on est naturellement plus porté à songer à la mort.
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mercredi 27 octobre 2010
Tom et Léa sauvent le patrimoine de l'Humanité
Après Percy Jackson (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/07/mythologie-la-sauce-u.html), me revoilà dans la littérature de jeunesse, à nouveau d'origine américaine, mais pour les plus jeunes. Il s'agit de la série « La cabane magique », découverte grâce à ma fille. Cette série a actuellement un grand succès si j'en juge par sa présence non seulement dans les rayonnages des librairies, mais aussi dans ceux des magasins de presse et des hypermarchés!
L'idée de départ est simple et séduisante. Les héros, Tom et Léa (un frère et une sœur de 9 et 7 ans), voyagent dans le temps et dans l'espace grâce à une cabane magique (dirigée par la fée Morgane, qui prend elle-même ses ordres de l'enchanteur Merlin) et à des livres. Dans chaque tome de la série, ils sont investis d'une mission, en général sauver un livre ou une œuvre d'art importants pour l'Humanité, et doivent résoudre des énigmes pour y parvenir.
Le résultat n'est toutefois pas tellement à la hauteur. L'écriture est assez pauvre (tout est d'ailleurs rédigé au présent, ce que je trouve assez bizarre) et les rebondissements largement prévisibles (peut-être pas par les lecteurs de l'âge ciblé, il est vrai, mais j'aime qu'on soit ambitieux dans la littérature de jeunesse). Enfin, dans les premiers tomes, écrits à la fin des années 1990, les apports culturels se limitent à quelques grands clichés connus du grand public. En revanche, je le reconnais, l'auteure (Mary Pope Osborne) a bien évolué et les derniers tomes (beaucoup plus longs, d'ailleurs), écrits ces dernières années, sont construits sur une intrigue plus complexe et contiennent des apports culturels beaucoup moins évidents.
Je vous parlerai ici des trois tomes qui concernent mes sujets de prédilection – tiens, d'ailleurs, Tom et Léa ne sont pas encore allés en Mésopotamie! Cela viendra peut-être... - : les Romains avec Panique à Pompéi (1998), la Grèce antique, avec Course de chars à Olympie (1998) et l'âge d'or du monde arabo-musulman avec Tempête de sable (2007).
Dans les deux premiers, Tom et Léa sauvent un livre racontant une légende, à Olympie celle de Pégase (dont le nom est orthographié en grec au début du roman (avec une erreur sur la graphie du êta majuscule!) : cela est censé susciter un suspense insoutenable, sauf que quand on lit le grec (je sais, je sais, c'est rare chez les lecteurs de l'age ciblé!), on sait tout de suite le mot de la fin!) et à Pompéi, celle d'Hercule (« vir fortissimus in mundi » : là encore j'ai assez vite deviné qui était « l'homme le plus fort du monde »!).
Le passage qui m'a le plus fait rire (de consternation!) est la rencontre de Tom et Léa avec Platon dans Course de chars à Olympie :
Tous deux se dirigent vers l'entrée du bâtiment, quand une voix les interpelle:
- Attendez!
Ils se retournent. Un homme à barbe blanche marche vers eux.
- Bonjour, dit-il en regardant la petite fille. Qui êtes-vous?
- Et vous? réplique Léa, agressive.
Le barbu sourit :
- Je me nomme Platon.
- Platon? répète Tom. Votre nom me dit quelque chose...
- Peut-être avez-vous entendu parler de moi. Je suis philosophe.
- C'est quoi, un phiso... un philosophe? lui demande Léa.
- Un homme qui recherche la sagesse.
- Waouh! fait la petite fille, impressionnée.
Cela fait rire Platon.
Lequel Platon est ensuite présenté comme un fervent féministe, ce qui est totalement anachronique! Mais surtout, je trouve cette grande figure un peu ridiculisée dans son rôle de barbu de passage!
Il en va tout autrement de Tempête de sable. Vous vous souvenez de mes récents articles sur la transmission des sciences grecques (notamment des ouvrages d'Aristote) aux Arabes des VIIIe-IXe s., lesquels les ont ensuite retransmis à l'Europe occidentale :
cf. « Des livres très lourds » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/01/des-livres-tres-lourds.html
cf. « Les Grecs, les Arabes et nous » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/05/les-grecs-les-arabes-et-nous.htmlcf. « Pensée grecque, culture arabe » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/08/pensee-grecque-culture-arabe.html
Quelle ne fut pas ma surprise de voir que c'est ce sujet – pour le coup beaucoup plus pointu que l'éruption du Vésuve à Pompéi ou que les Jeux d'Olympie! - qui est traité par Mary Pope Osborne dans ce roman! Et évidemment, vous avez deviné à qui nous devons la transmission des écrits d'Aristote (lesquels semblent tenir tout entiers en un petit livre, ce qui est curieux quand on sait quel auteur prolifique c'était, mais passons!) au calife al-Mamoun... Eh oui, à Tom et à Léa, bien entendu!
Mais ici, malgré quelques inévitables clichés (chameaux, palmiers, tapis volant (tiens! un tapis volant, encore un : cf. « Le mystère des tapis volants » http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/04/le-mystre-des-tapis-volants.html)), le récit est bien documenté, et le personnage du calife al-Mamoun est traité avec splendeur, bien loin du ridicule du pauvre Platon.
Enfin, je dois dire que j'apprécie qu'en 2007, alors que les troupes américaines occupaient une Bagdad effrayante livrée à la guerre civile, une auteure américaine ait choisi d'évoquer dans un ouvrage pour enfants une Bagdad magnifique, porteuse de culture et de sagesse...
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Le résultat n'est toutefois pas tellement à la hauteur. L'écriture est assez pauvre (tout est d'ailleurs rédigé au présent, ce que je trouve assez bizarre) et les rebondissements largement prévisibles (peut-être pas par les lecteurs de l'âge ciblé, il est vrai, mais j'aime qu'on soit ambitieux dans la littérature de jeunesse). Enfin, dans les premiers tomes, écrits à la fin des années 1990, les apports culturels se limitent à quelques grands clichés connus du grand public. En revanche, je le reconnais, l'auteure (Mary Pope Osborne) a bien évolué et les derniers tomes (beaucoup plus longs, d'ailleurs), écrits ces dernières années, sont construits sur une intrigue plus complexe et contiennent des apports culturels beaucoup moins évidents.
Je vous parlerai ici des trois tomes qui concernent mes sujets de prédilection – tiens, d'ailleurs, Tom et Léa ne sont pas encore allés en Mésopotamie! Cela viendra peut-être... - : les Romains avec Panique à Pompéi (1998), la Grèce antique, avec Course de chars à Olympie (1998) et l'âge d'or du monde arabo-musulman avec Tempête de sable (2007).
Dans les deux premiers, Tom et Léa sauvent un livre racontant une légende, à Olympie celle de Pégase (dont le nom est orthographié en grec au début du roman (avec une erreur sur la graphie du êta majuscule!) : cela est censé susciter un suspense insoutenable, sauf que quand on lit le grec (je sais, je sais, c'est rare chez les lecteurs de l'age ciblé!), on sait tout de suite le mot de la fin!) et à Pompéi, celle d'Hercule (« vir fortissimus in mundi » : là encore j'ai assez vite deviné qui était « l'homme le plus fort du monde »!).
Le passage qui m'a le plus fait rire (de consternation!) est la rencontre de Tom et Léa avec Platon dans Course de chars à Olympie :
Tous deux se dirigent vers l'entrée du bâtiment, quand une voix les interpelle:
- Attendez!
Ils se retournent. Un homme à barbe blanche marche vers eux.
- Bonjour, dit-il en regardant la petite fille. Qui êtes-vous?
- Et vous? réplique Léa, agressive.
Le barbu sourit :
- Je me nomme Platon.
- Platon? répète Tom. Votre nom me dit quelque chose...
- Peut-être avez-vous entendu parler de moi. Je suis philosophe.
- C'est quoi, un phiso... un philosophe? lui demande Léa.
- Un homme qui recherche la sagesse.
- Waouh! fait la petite fille, impressionnée.
Cela fait rire Platon.
Lequel Platon est ensuite présenté comme un fervent féministe, ce qui est totalement anachronique! Mais surtout, je trouve cette grande figure un peu ridiculisée dans son rôle de barbu de passage!
Il en va tout autrement de Tempête de sable. Vous vous souvenez de mes récents articles sur la transmission des sciences grecques (notamment des ouvrages d'Aristote) aux Arabes des VIIIe-IXe s., lesquels les ont ensuite retransmis à l'Europe occidentale :
cf. « Des livres très lourds » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/01/des-livres-tres-lourds.html
cf. « Les Grecs, les Arabes et nous » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/05/les-grecs-les-arabes-et-nous.htmlcf. « Pensée grecque, culture arabe » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/08/pensee-grecque-culture-arabe.html
Quelle ne fut pas ma surprise de voir que c'est ce sujet – pour le coup beaucoup plus pointu que l'éruption du Vésuve à Pompéi ou que les Jeux d'Olympie! - qui est traité par Mary Pope Osborne dans ce roman! Et évidemment, vous avez deviné à qui nous devons la transmission des écrits d'Aristote (lesquels semblent tenir tout entiers en un petit livre, ce qui est curieux quand on sait quel auteur prolifique c'était, mais passons!) au calife al-Mamoun... Eh oui, à Tom et à Léa, bien entendu!
Mais ici, malgré quelques inévitables clichés (chameaux, palmiers, tapis volant (tiens! un tapis volant, encore un : cf. « Le mystère des tapis volants » http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/04/le-mystre-des-tapis-volants.html)), le récit est bien documenté, et le personnage du calife al-Mamoun est traité avec splendeur, bien loin du ridicule du pauvre Platon.
Enfin, je dois dire que j'apprécie qu'en 2007, alors que les troupes américaines occupaient une Bagdad effrayante livrée à la guerre civile, une auteure américaine ait choisi d'évoquer dans un ouvrage pour enfants une Bagdad magnifique, porteuse de culture et de sagesse...
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mercredi 6 octobre 2010
Le dernier païen
En lisant l'ouvrage de Dimitri Gutas (cf. "Pensée grecque, culture arabe" : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/08/pensee-grecque-culture-arabe.html), j'ai découvert l'existence d'un certain Georgios Gémistos Pléthon (1360-1452 ou 4), un philosophe byzantin, qui pensait que la Grèce en particulier et le monde en général se porteraient mieux si l'on abandonnait le Christianisme pour revenir à une système proche du Paganisme grec. Il a exposé sa doctrine dans Les lois, ouvrage malheureusement en partie détruit. Les dieux olympiens, dans un ordre hiérarchique précis, y sont présentés comme dirigeant l'univers. Il disait aussi s'inspirer de la doctrine de Zoroastre (qui avait cours dans la Perse Antique) et des Oracles Chaldaïques (qui est en fait un ouvrage mystique grec tardif, sans aucun rapport avec les Chaldéens, dans quelque sens de ce mot : cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/05/qui-sont-les-chaldens.html et http://cheminsantiques.blogspot.com/2009/08/ils-sont-fous-ces-chaldeens.html).
J'aime le courage de ce monsieur, qui semblait par ailleurs fort intelligent et cultivé, et je regrette que son nom soit tombé dans l'oubli.
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mardi 17 août 2010
Pensée grecque, culture arabe
Suite à un commentaire qui m'avait été fait dans un article récent sur les Grecs et les Arabes (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/05/les-grecs-les-arabes-et-nous.html), je me suis attelée à la lecture de Pensée grecque, culture arabe de Dimitri Gutas. Très intéressant!
J'avoue avoir sauté certains passages qui rentraient dans les détails de tel ou tel traducteur, mais l'essentiel est là : un travail de fourmi, sérieux et approfondi, qui nous dresse un panorama complet du mouvement de traduction des œuvres grecques dans les premiers siècles du califat. Encore une fois, comme dans l'autre ouvrage que j'évoquais ici, on comprend que les entités « Grecs » et « Arabes » n'ont pas de sens intrinsèque, qu'elles ont des significations très différentes selon l'époque, le lieu, la religion. Les traductions concernent des langues aussi variées que le pehlvi (langue de la Perse Sassanide), des langues de l'Inde, le grec, l'hébreu, l'arabe, le syriaque (langue sémitique parlée notamment par des Chrétiens arabes de Syrie) ; des peuples variés (Arabes de Syrie, d'Irak, d’Égypte, Grecs de Byzance et d’Égypte, Persans d'Iran et d'Irak) et des religions variées (Chrétiens, Musulmans, Juifs, Zoroastriens, Païens), toutes ces catégories s'entrecroisant allègrement en un riche bouillon de cultures!
Dimitri Gutas explique bien l'historique de ces traductions, leurs commanditaires, et même les légendes construites après coup sur ces mouvements de traduction. Légendes auxquelles je croyais moi-même : ainsi dans un article du début de cette année (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/01/des-livres-tres-lourds.html), je vous parlais de la « Bayt al Hikma » (« Maison de la Sagesse ») d'al-Mamoun ; elle n'était en réalité qu'une bibliothèque, extrêmement riche, certes, mais en aucun cas une université ni un centre de traduction.
Un point que j'ai trouvé très intéressant et que feraient bien de méditer les intégristes de tous bords (et aussi ceux qui accusent tous les Musulmans d'être des intégristes!) est le suivant.
Une des raisons qui a poussé certains savants religieux musulmans, suivis par les califes, à traduire certains textes grecs, notamment de Platon et d'Aristote, traitant de rhétorique et d'argumentation, est qu'ils voulaient y trouver une méthode dialectique pour être à même de contrer les arguments de leurs adversaires dans des discussions religieuses (soit avec des non-Musulmans, soit entre Musulmans de différentes obédiences). Le plus drôle est que les empereurs chrétiens byzantins, eux, voulaient au contraire se débarrasser de ces textes grecs païens, craignant que la possibilité d'une discussion argumentée risque de leur faire perdre des fidèles si les adversaires argumentaient mieux. Ils furent donc tout contents de voir que les Musulmans s'étaient emparés de ces textes, et pensaient avoir joué un bon tour à ces naïfs!
Peu m'importent l'une ou l'autre religion, mais je trouve que dans cette histoire, les personnes les plus sages, les plus humaines, sont bien celles qui ont préféré la possibilité d'une discussion avec autrui, même si cette discussion pouvait comporter le risque d'être convaincu par celui qu'on voulait convaincre (ce qui, d'ailleurs, n'est pas arrivé : les dialogues que citent Dimitri Gutas témoignent d'une grande écoute de l'autre, mais à la fin chacun reste sur ses positions, convaincu de sa foi!)!
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lundi 19 juillet 2010
Le dromadaire psychopompe
Je vous avais informé récemment de la réouverture le 7 juillet des salles de sculpture grecque au Louvre (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/06/dans-les-secrets-de-la-venus-de-milo.html). Naturellement, je n'ai pas tardé à me rendre sur place. J'ai été ravie de revoir mes préférés, parmi lesquels les trois de Praxitèle (ou attribués à, ou copiés de, ces subtilités m'importent moins que la jouissance de la contemplation), Apollon sauroctone (= tueur de saurien, en l'occurrence un lézard), Aphrodite à la pomme et Artémis raccrochant sa tunique : des dieux adolescents, raffinés, gracieux, taillés dans un marbre à paillettes presque translucide. Même la Vénus de Milo m'a semblé moins cruche que d'habitude - est-ce l'éclairage différent (elle est désormais en éclairage naturel, près d'une fenêtre)? est-ce d'avoir lu les propos qui lui ont été attribués (dans le fameux blog)? - et j'ai trouvé son sourire aguicheur d'une beauté troublante...
Mais surtout, j'ai découvert un bas-relief que je ne me souvenais pas avoir jamais vu. Cela fait en effet bientôt quinze ans que je me passionne pour les chameaux, et à peu près autant (et même plus) que je sillonne les salles du Louvre. Il s'agit d'un bas-relief représentant un dromadaire chevauché par une jeune fille aux ailes de papillon :

Le texte du cartel ne fait qu'épaissir le mystère :
« Relief votif (?) :
Psyché sur un dromadaire
IIe s. av. JC
Alexandrie de Troade (Turquie)
Marbre
La fonction comme l'interprétation de ce relief ne sont pas certaines. Psyché aux ailes de papillon montée sur un dromadaire pourrait symboliser le voyage de l'âme vers le monde des Bienheureux. »
En grec, l'âme se dit « psyché » ; elle est souvent personnifiée sous la forme d'une jeune fille, surtout dans le très beau récit d'Apulée racontant l'histoire d'Eros (l'Amour) et Psyché, mais ce récit est postérieur de quatre siècles à notre bas-relief, et il n'y est par ailleurs jamais question d'un voyage en chameau (le narrateur y est un âne, mais c'est une autre histoire!).
Dans la mythologie grecque, l'épithète « psychopompe » (= « conducteur d'âmes ») était souvent attribuée au dieu Hermès, quand il a pour fonction de conduire les âmes de ceux qui viennent de mourir vers le monde des morts.
Dans l'article de Wikipédia consacré au mot « psychopompe », je lis que les divinités psychopompes « sont souvent associés avec des animaux tels que les chevaux, les phoques, les corbeaux, les chiens, les chouettes, les moineaux ou encore les dauphins. »
Eh bien il va falloir y ajouter le chameau! Je pense en effet qu'il n'y a pas de plus belle monture pour parvenir au monde des Bienheureux, au rythme lent et tranquille de son pas sûr et chaloupé.
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Le texte du cartel ne fait qu'épaissir le mystère :
« Relief votif (?) :
Psyché sur un dromadaire
IIe s. av. JC
Alexandrie de Troade (Turquie)
Marbre
La fonction comme l'interprétation de ce relief ne sont pas certaines. Psyché aux ailes de papillon montée sur un dromadaire pourrait symboliser le voyage de l'âme vers le monde des Bienheureux. »
En grec, l'âme se dit « psyché » ; elle est souvent personnifiée sous la forme d'une jeune fille, surtout dans le très beau récit d'Apulée racontant l'histoire d'Eros (l'Amour) et Psyché, mais ce récit est postérieur de quatre siècles à notre bas-relief, et il n'y est par ailleurs jamais question d'un voyage en chameau (le narrateur y est un âne, mais c'est une autre histoire!).
Dans la mythologie grecque, l'épithète « psychopompe » (= « conducteur d'âmes ») était souvent attribuée au dieu Hermès, quand il a pour fonction de conduire les âmes de ceux qui viennent de mourir vers le monde des morts.
Dans l'article de Wikipédia consacré au mot « psychopompe », je lis que les divinités psychopompes « sont souvent associés avec des animaux tels que les chevaux, les phoques, les corbeaux, les chiens, les chouettes, les moineaux ou encore les dauphins. »
Eh bien il va falloir y ajouter le chameau! Je pense en effet qu'il n'y a pas de plus belle monture pour parvenir au monde des Bienheureux, au rythme lent et tranquille de son pas sûr et chaloupé.
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Suite à cet article de blog, j'avais écrit en 2015 un article dans le magazine Mythologie(s).
Je m'étais livrée à une enquête longue et poussée, et je pense pouvoir dire que j'ai probablement résolu l'énigme !
Vous pouvez accéder à la version auteur de cet article en le téléchargeant depuis cette page : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03310542v1
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vendredi 9 juillet 2010
Mythologie à la sauce US
J'ai lu récemment le premier tome d'une série pour la jeunesse (qui a aussi inspiré un film sorti cette année que je n'ai pas vu) : il s'agit des aventures de Percy Jackson, par l'auteur américain Rick Riordan. L'idée de départ est savoureuse : les dieux de la mythologie grecque existent toujours et ils continuent à flirter avec des mortels et à engendrer des demi-dieux, et l'histoire suit ces demi-dieux, adolescents d'aujourd'hui des États-Unis, et notamment un, Percy (en fait Persée) Jackson, fils de Poséidon.
Je dois l'avouer : je ne trouve pas ce livre franchement bien écrit (et de plus, pas très bien traduit non plus : on sent les anglicismes), ni bien construit (je devinais toujours ce qui allait se passer au moins trois chapitres avant les personnages : à la longue, c'est un peu lassant!), mais... il est vraiment très drôle. Même si je ne crois pas que j'aurai le courage de me lancer dans les tomes suivants de la série, je me suis bien amusée en lisant ce premier tome.
Ainsi, le héros est, comme beaucoup d'adolescents d'aujourd'hui, dyslexique et hyperactif. La raison en est simple : les demi-dieux sont programmés pour lire le grec ancien (d'où la dyslexie!) et pour participer à des batailles sur le terrain (d'où l'hyperactivité!). Rassurant, non, de se dire que tous nos jeunes dyslexiques ou hyperactifs cachent sans doute une ascendance aussi prestigieuse!
Autres perles : la Gorgone Méduse tient un magasin de nains de jardin (qui sont en fait les gens qu'elle a pétrifiés!) et Procuste tient un magasin de matelas à eau (et encourage vivement ses clients à essayer ses matelas, pour ensuite ajuster leur taille (des clients, pas des matelas!)
Enfin, un des passages qui m'a le plus fait rire, mais au deuxième degré, cette fois, car je ne m'attendais pas à trouver dans un ouvrage pour la jeunesse et sur la mythologie grecque ce trait d'esprit propre à beaucoup d'Américains qui pensent que leur nation est le centre du monde. L'un des personnage explique très sérieusement que le palais du mont Olympe s'est déplacé dans l'histoire pour être toujours « avec le cœur de l'Occident » (il faudrait que l'on m'explique ce que signifie cette expression, et aussi « l'Occident », d'ailleurs, car les dieux grecs, sont plus orientaux que Rick Riordan ne semble le croire!) : d'abord en Grèce, il s'est ensuite déplacé à Rome, puis en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne, en Angleterre, et maintenant il est à New York, au-dessus de l'Empire State Building, car « à l'heure actuelle, les États-Unis sont le fer de lance de l'Occident »...
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samedi 1 mai 2010
Les Grecs, les Arabes et nous
Quand j'ai appris qu'était paru à l'automne 2009 un livre ainsi intitulé, je me suis dit : Voilà un livre pour moi, qui me passionne pour la transmission des savoirs entre Orient et Occident, dans les deux sens, qui ai fait des études de grec et des études d'arabe. Je m'attendais à un documentaire historique ; c'est en partie le cas, mais c'est aussi et surtout un ouvrage polémique, comme l'annonce d'ailleurs d'emblée son sous-titre : « Enquête sur l'islamophobie savante » ; et finalement, ce n'en est que plus intéressant, car j'ai découvert que ce sujet un peu poussiéreux qui ne passionne habituellement pas les foules se révèle brûlant d'actualité s'il est instrumentalisé.
Il s'agit d'un ouvrage collectif auquel ont participé des savants spécialisés en histoire médiévale, anthropologie, philosophie, étude des religions, linguistique, etc., et qui se veut une réponse à un ouvrage de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne, publié l'année précédente en 2008, ainsi qu'à de nombreux articles parus dans des journaux et sur internet dans les mois qui ont suivi, nourrissant une polémique médiatique qui, je l'avoue, m'avait à l'époque totalement échappé.
Le sujet concerne les nombreux textes de l'Antiquité grecque qui ont été transmis à l'Europe médiévale par l'intermédiaire de savants arabes.
En gros, Sylvain Gouguenheim explique que les savants qui prétendent que « nous » devons « tout » aux « Arabes » (ce sont les termes qu'il emploie) ont tort, puisque les textes d'Aristote par exemple n'ont pas été transmis que par les Arabes, mais aussi par des copistes européens, notamment dans un monastère du Mont-Saint-Michel.
***
Les auteurs de Les Grecs, les Arabes et nous lui répondent, non pas en rétorquant « Mais si, mais si, nous devons beaucoup aux Arabes », mais en nous donnant une magistrale leçon de méthode historique, qui finalement fait plus l'intérêt de l'ouvrage que son sujet particulier.
C'est pourquoi je pense que cet ouvrage devrait être lu par tout étudiant en histoire, et même par tout citoyen responsable (même si certains passages sont un peu ardus, on en retiendra l'esprit).
Voici les grandes lignes des précieux enseignements que j'ai retenus de cette lecture salutaire :
- Premier enseignement : on ne doit pas confondre l'idéologie avec l'histoire. Les vrais historiens ne sont pas pour ou contre telle théorie : ils cherchent à connaître la vérité le mieux possible et, comme tout scientifique qui se respecte (car l'histoire est une science), ne « croient » que ce dont ils ont une preuve certaine.
- Deuxième enseignement : il faut se méfier des formules vagues. Je ne prendrai qu'un exemple, celui du mot « nous ». D'abord, dans « Nous devons (tout / rien) aux Arabes. » Qui est ce « nous »? Les Européens, les Occidentaux? D'aujourd'hui? Du Moyen Age? D'ailleurs, qui suis-je, dans ce « nous », moi qui suis à moitié française et à moitié arabe? Et puis le « nous » de « On nous avait caché l'existence d'autres filières de transmission. » C'est le « nous » du « grand public » : mais le grand public n'a pas pour habitude de s'intéresser à des sujets aussi pointus. Pour ceux qui veulent se documenter, rien n'est caché, il suffit de consulter des ouvrages spécialisés!
- Troisième enseignement (qui rejoint le précédent) : dès qu'on fait des recherches sérieuses en histoire, on se rend compte que la vérité n'est jamais simple. L'Europe occidentale médiévale ne doit ni rien ni tout aux Arabes. Et d'ailleurs, quelles réalités recouvrent des termes comme « les Arabes », « l'Islam », « les Grecs », « l'Europe », « le Moyen Age »? Des réalités très différentes dans le temps, dans l'espace, et selon le contexte. Quelques exemples simples : « les Grecs » ne sont pas que les Grecs de l'Antiquité, mais aussi les Grecs de Byzance : ces Grecs appartiennent-ils à l'Europe? A la Chrétienté? Oui, et pourtant souvent en conflit avec la Chrétienté de l'Europe occidentale. « Les Arabes » ne sont pas que des Musulmans, mais aussi des Chrétiens et de Juifs. Et les Juifs, parlons-en : il y en a au Moyen Age comme aujourd'hui des deux côtés de la Méditerranée, et qui appartiennent à différentes cultures, tout en portant aussi la culture hébraïque. « Les Musulmans » ne sont pas tous arabes, mais aussi persans, turcs, berbères. Finalement, entre la fin de l'Antiquité et le Renaissance (car « le Moyen Age » est aussi une formule sujette à caution), on voit graviter autour des textes grecs antiques tant de personnes variées (Chrétiens d'Occident, Chrétiens de Byzance, Chrétiens de Syrie, Arabes musulmans d'Orient et Arabes musulmans d'Espagne, Musulmans persans, Juifs d'Orient, du Maghreb, d'Espagne, d'Europe du Nord, et j'en passe), qu'on aurait bien du mal à réduire tout ce beau monde à des formules ou à des théories.
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mardi 23 mars 2010
Le chameau panacée
Puisque je vous ai parlé de chameaux en janvier et février et de Jahiz en janvier, voici une des anecdotes les plus savoureuses que ce grand écrivain raconte sur ce noble animal. Pour comprendre cette histoire, il faut savoir que le chameau (bien sûr il s'agit du chameau dromadaire, mais contrairement à ce que croient la plupart des français, « chameau » ne signifie pas « à deux bosses », mais est le terme générique) est l'animal symbole des Arabes, lesquels, même en plein IXe s. cultivé, revendiquent leur origine de bédouins du désert, simples et frustes, face aux Perses (ici représentés par le souverain Khosroès) dont le raffinement excessif est souvent moqué.
- Khosroès avait appelé à sa cour un bédouin, pensant s'étonner de sa rudesse et de son ignorance. Il lui demanda:
- - Quelle est la chose dont le son porte le plus loin ?
- Le bédouin répondit :
- - Le chameau
- - Et quelle est la chose dont la viande est la meilleure ?
- - Le chameau.
- - Comment le chameau peut-il avoir la voix qui porte le plus loin, alors que nous entendons celle de la grue à tant de lieues à la ronde ?
- - Mets la grue à la place du chameau et mets le chameau à la place de la grue, et tu apprendras lequel des deux a la voix qui porte le plus loin.
- - Mais comment la viande du chameau peut-elle être meilleure que la viande du canard, du poulet, des poussins, de la francoline, des oiseaux sores, des pigeonneaux...
- - Que l'on cuise de la viande de poulet avec de l'eau et du sel, et que l'on cuise de la viande de chameau avec de l'eau et du sel, et tu verras la différence entre les deux viandes.
- - Et comment oses-tu prétendre que le chameau porte des charges plus lourdes que l'éléphant, alors que l'éléphant porte des charges de plusieurs ratels ?
- - Qu'un éléphant baraque et qu'un chameau baraque, et que l'éléphant essaie de porter la charge du chameau : eh bien, s'il se relève avec, je veux bien reconnaître que c'est lui qui porte les plus lourdes charges ! ...
- La page consacrée au chameau et à l'éléphant (dans laquelle j'avais déjà cité cette historiette de Jahiz) : http://patrick.nadia.pagesperso-orange.fr/chameau_-elephant.html
- La page « chameau ou dromadaire », pour mieux comprendre l'origine de ces termes et leur sens véritable : http://patrick.nadia.pagesperso-orange.fr/chameau_ou_dromadaire.html
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