dimanche 26 novembre 2023

Arc-en-ciel, signe divin, et explications scientifiques

 

Plusieurs de mes articles de blog ont pu faire ressortir des défauts de raisonnement ou un esprit un peu borné de la part de certains auteurs médiévaux. Or au Moyen Âge, comme aujourd’hui, il y avait autant d’esprits éclairés que bornés. Aussi je voudrais me rattraper dans cet article. Ce sera l’occasion de casser quelques idées reçues. On ne s’attend pas à ce qu’un éminent théologien du XIIIe siècle comme Thomas d’Aquin (et même « saint Thomas d’Aquin » puisqu’il a été béatifié !) décrive un phénomène naturel avec l’exactitude scientifique d’un physicien d’aujourd’hui et qu’il balaie d’un revers de main l’explication théologique de ce phénomène donnée dans la Bible.

On ne s’attend peut-être pas non plus à ce qu’un phénomène aussi anecdotique que l’arc-en-ciel soit l’objet d’un débat théologique approfondi.


Commençons par cela : ce n’est pas un phénomène anecdotique. 

En effet, dans la Genèse, 9, 13, Dieu déclare : « Je mettrai mon arc dans les nuées, et il sera un signe d’alliance entre moi et la terre. ». 

Thomas d’Aquin se demande donc « l’arc-en-ciel est-il le signe qu’il n’y aura plus de déluge ? » Ce questionnement s’intègre dans le cas de ses Questions quodlibétiques. Les questions quodlibétiques étaient des questions sur n’importe quel sujet (« quod libet » signifie « ce qu’on veut ») qui pouvaient être posées à la fin d’un cours à l’Université par qui le souhaitait : les étudiants s’entraînaient à y répondre en posant des arguments qui s’affrontaient, et le maître concluait par une savante synthèse qui donnait la réponse définitive au problème. Les meilleures réponses des maîtres étaient compilées dans des recueils, et c’est le cas des Questions quodlibétiques de Thomas d’Aquin. Nous avons la chance de disposer en ligne d’une édition latine de cet ouvrage assortie d’une traduction française de qualité par Jacques Ménard, revue et corrigée par Dominique Pillet. C’est cette traduction que je citerai dans cet article. Je vous invite à aller y jeter un coup d’œil, c’est à cette page : http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/questionsdisputees/Quodlibet.htm. La table des matières est vers le début de la page et je pense que la lecture des intitulés de toutes ces questions devrait piquer votre curiosité et vous perdre dans de longues lectures !

Aujourd’hui, nous en resterons à la question de l’arc-en-ciel, dont vous pouvez retrouver le lien direct ici : http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/questionsdisputees/Quodlibet.htm#_Toc244190180

 

 Thomas commence par exposer la question et démarre tout de suite par la thèse qui semble la plus évidente :

Il semble que l’arc-en-ciel ne soit pas le signe qu’il n’y aura plus de déluge.

<1> En effet, ce qui semble se produire par une nécessité de la nature ne semble pas avoir été établi pour signifier quelque chose. Or, l’arc-en-ciel vient d’une nécessité en raison de l’opposition du soleil par rapport aux nuages pleins de rosée. Il ne semble donc pas que ce soit le signe qu’il n’y aura plus de déluge.

La phrase latine qui débute le <1> dit « Illud enim quod fit ex necessitate naturae, non videtur esse institutum ad aliud significandum » et je la traduirais plutôt par « En effet, ce qui se produit par une nécessité de la nature n’a visiblement pas été établi pour signifier autre chose ». Magistrale leçon de rationalité donnée par un théologien du Moyen Âge, et que feraient bien de méditer les pseudo rationalistes d’aujourd’hui qui voient des « signes » partout ! Moi la première, d’ailleurs, car – je le reconnais – j’adore voir des « signes » ; mais dans le fond, je sais bien que c’est moi-même qui donne un sens à des conjonctions issues du hasard ou d’une « nécessité de la nature », et certainement pas une instance supérieure (Dieu, le Destin, ma bonne étoile, mon signe du zodiaque ou la sorcière du coin de la rue)…

<2> Ces apparitions dans l’air, tels l’arc-en-ciel et le halo, c’est-à-dire un cercle autour du soleil et de la lune, et les autres choses de ce genre, sont causées principalement par les vapeurs humides qui se trouvent dans l’air, dont proviennent les pluies qui causent le déluge. L’apparition de l’arc-en-ciel est donc davantage le signe d’un déluge à venir que de ce qu’il n’y aura plus de déluge.

Thomas aborde la véritable explication, « les vapeurs humides qui se trouvent dans l’air », et fait cependant un lien avec le déluge, mais en expliquant au contraire que l’arc-en-ciel peut être la conséquence des pluies d’un déluge, et que donc si on doit s’attendre à ce qu’il y ait d’autres arcs-en-ciel, on doit s’attendre à ce qu’ils soient précédés d’autres déluges… Zut alors !

<3> S’il est le signe qu’il n’y aura plus de déluge, ou bien il est le signe qu’il n’y aura jamais de déluge, ou bien il est le signe qu’il n’y aura pas de déluge jusqu’à un certain moment. S’il est le signe qu’il n’y aura jamais de déluge, il n’aurait pas été nécessaire qu’il apparaisse plus d’une fois. Mais s’il est le signe qu’il n’y aura pas de déluge jusqu’à un certain moment, il faudrait que le moment soit déterminé, alors qu’il ne peut être déterminé ni par une autorité de l’Écriture, ni par la raison humaine. Ce genre de signe est donc donné en vain.

À ce stade, Thomas, comme un bon lycéen s’attaquant aux sous-parties de sa dissertation, distinguent deux possibilités d’interprétation de « l’arc-en-ciel est le signe qu’il n’y aura plus de déluge ».

1) Cela peut signifier qu’il n’y aura plus jamais de déluge. Bon, ben en ce cas, un seul arc-en-ciel aurait suffi. On voit le comique de la situation si à chaque arc-en-ciel depuis Noé, il fallait imaginer Dieu nous disant « Ah, au fait, les gars, je sais plus si je vous l’ai déjà dit, mais rassurez-vous, hein, y aura plus de déluge ! » Un peu gâteux, Dieu le Père 

2) Cela peut signifier qu’il n’y aura plus de déluge jusqu’à un certain moment. Oui, mais quel moment ? Il nous faudrait un mode d’emploi, un truc qui nous dise « Hop, un arc-en-ciel, pas de déluge pendant cent jours » ou « pas de déluge jusqu’au prochain Noël ». Si on ne sait pas, cela revient juste à dire « Arrêt des déluges jusqu’à la prochaine fois », la prochaine fois pouvant être dans dix siècles, jamais, ou dans trois minutes !

Cependant, s’oppose à cela ce qui est dit en Gn 9, 13 : Je mettrai mon arc dans les nuées, et il sera un signe d’alliance entre moi et la terre. Puis il est dit plus loin : Et il n’y aura plus de déluge qui détruira toute chair.

Hé oui, bon, y a juste ce petit truc embêtant : c’est ce que Dieu dit dans la Bible ! On va quand même pas dire que Dieu raconte des sornettes ou que la Bible rapporte des choses fausses, non ?

Réponse. Dans ce qui est dit dans l’Ancien Testament, il faut d’abord relever la vérité littérale. Mais comme l’Ancien Testament est la figure du Nouveau, souvent certaines choses sont proposées dans l’Ancien Testament de sorte que la manière même de parler indique qu’il s’agit de la figure de quelque chose.

Et là, Thomas nous rassure tout de suite. Ah oui, mais l’Ancien Testament, c’est un truc un peu vieillot, ça date d’avant Jésus. Alors bien sûr, il n’y a rien de faux, mais c’est des FIGURES, ok ? Des façons de parler, quoi ! En latin « aliquid figurate designet » (mot à mot « ça désigne quelque chose de manière figurée »). Ce n’est pas qu’une entourloupe. Cet argument était très souvent énoncé par les théologiens pour expliquer des affirmations violentes ou radicales de l’Ancien Testament qui les gênaient.

Je me permets pour l’illustrer un petit exemple qui nous entraîne un peu loin de l’arc-en-ciel, mais qui concerne mon sujet favori, la menstruation : heureusement pour les femmes chrétiennes d’Europe occidentale, les auteurs de droit canon n’ont pas considéré qu’il fallait respecter les interdits extrêmement contraignants énoncés dans le livre 15 du Lévitique à propos des femmes menstruées, de tout ce et de tous ceux qui avaient été en contact avec elles. La plupart ont estimé comme Thomas ici qu’il s’agit d’une figure, en l’occurrence l’impureté de la menstruation est en général vue comme la figure de l’impureté morale, voire de l’hérésie (j'en parlerai dans un prochain article) ; par conséquent, ne pas avoir de contact avec une femme menstruée ne signifie pas cela littéralement, mais c’est une façon de dire qu’il ne faut pas avoir de contact avec une personne immorale ou avec un hérétique. Soit.

En l’occurrence, Thomas ne nous explique pas tout de suite de quoi l’arc-en-ciel est la figure, mais il approfondit son explication scientifique, que les physiciens d’aujourd’hui apprécieront, j’espère :

[…] Il faut considérer que la cause efficiente des pluies est le soleil, mais [la cause] matérielle [est] la vapeur humide qui s’élève de la terre et des eaux par la puissance du soleil. Ces deux choses peuvent être disposées de trois manières. En effet, parfois la chaleur du soleil l’emporte totalement sur les vapeurs et les dessèche, et alors les pluies ne peuvent en découler ; ainsi, en Égypte et dans les pays très chauds, il n’y a pas de pluies, et en été, en raison de la proximité du soleil, les pluies sont plus rares, mais en hiver elles sont plus fréquentes. Parfois c’est le contraire : la puissance du soleil est suffisante pour produire des vapeurs en abondance, mais elle ne peut les dessécher, et alors il y a une surabondance de pluies, qui est la cause d’un déluge. Et parfois, [la puissance du soleil] est intermédiaire, de sorte que la puissance du soleil ne produit pas seulement l’élévation de vapeurs, mais aussi l’emporte sur elles ; ainsi elles ne se multiplient pas au point d’entraîner un déluge, ou même que les vapeurs en soient desséchées et qu’il n’en découle pas de pluies.

Il finit toutefois par faire le lien entre cette explication scientifique et le déluge.

L’arc-en-ciel est causé par cette disposition ou ce rapport intermédiaire du soleil avec les vapeurs : il n’apparaît pas lorsque les vapeurs sont totalement desséchées, pas plus que lorsqu’elles surabondent dans l’air.

C’est pourquoi l’arc-en-ciel est le signe qu’il n’y aura pas de déluge, dans la mesure où il vient d’une cause qui s’oppose au déluge.

Et nous livre enfin la signification de la figure de l’arc-en-ciel :

C’est pourquoi l’Écriture utilise une telle manière de parler, car par l’arc-en-ciel est signifié le Christ, par qui nous sommes protégés d’un déluge spirituel.

Eh bien oui, les menstrues signifient l’hérésie et l’arc-en-ciel signifie le Christ. Tout se tient ! Et le déluge signifie le déluge spirituel. Je rappelle bien que « signifie » n’a absolument pas sous la main de Thomas le sens de « est un signe de Dieu », comme il l’a d’emblée déclaré au début de ce texte, mais plutôt « est une figure pour parler de ». Aujourd’hui, on dirait « une métaphore ». Après tout, pourquoi pas ? Même si, pour ma part, je n’ai pas de croyances, cette interprétation métaphorique des textes religieux me semble beaucoup moins dangereuse que l’interprétation littérale qui a hélas encore lieu dans de nombreuses communautés dans le monde.

*


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samedi 11 mars 2023

À la recherche d’un manuscrit perdu


Comme vous commencez à le savoir depuis quelques articles, mon principal corpus pour ma thèse sur la vision des menstrues au Moyen Âge, est un ensemble de textes de type « secrets des femmes », l’un en latin et deux en français, Secrets des femmes et Secrets des dames. C’est aujourd’hui du Secrets des dames que je vous parle. J’en ai parlé récemment ici : « Un livre sur les femmes, interdit aux femmes, dédié à une femme », https://cheminsantiques.blogspot.com/2022/09/un-livre-sur-les-femmes-interdit-aux.html

J’avais également parlé il y a plus longtemps d’un autre passage, sans rapport avec ce texte, mais qui figure dans le même manuscrit : « Un poème mnémotechnique latin médiéval », https://cheminsantiques.blogspot.com/2021/01/un-poeme-mnemotechnique-latin-medieval.html

Mon problème vient précisément de ce manuscrit. Le Secrets des dames n’a pas d’autre édition qu’une édition de 1880, par Alexandre Colson et Charles-Edmond Cazin (lisible en ligne ici : https://archive.org/details/cesontlessecresd00cols). Autant vous dire que les critères de scientificité dans l’édition ont évolué depuis 1880. Et encore, certains ouvrages édités au XIXe siècle le sont de manière tout à fait correcte. Mais là, Alexandre Colson et Charles-Edmond Cazin ont fait tout ce qu’il ne faut pas faire, par exemple en produisant un texte issu de plusieurs manuscrits différents, choisissant à chaque fois la version qui leur semblait la plus intéressante (reconnaissons quand même qu’ils ont indiqué en note de quel manuscrit vient quel passage, mais il est difficile de s’y retrouver), alors que les règles habituelles d’édition enjoignent de choisir un manuscrit unique et d’indiquer les variantes en notes ; et je ne parle même pas de l’idée saugrenue d’utiliser pour le texte des caractères d’imprimerie de style gothique sans doute pour imiter les manuscrits médiévaux, mais cela entrave évidemment considérablement la lecture (et aussi le processus de reconnaissance de texte numérique, mais bon, ça, ils ne pouvaient pas le savoir…).

 



Parmi tous ces éléments gênants figure le mystère du manuscrit Colson. C’est moi qui en parle comme d’un mystère, parce que personne à ma connaissance n’a soulevé le problème, qui mériterait pourtant une sérieuse enquête de spécialistes des fonds d’archives et de bibliothèques – ce que je ne suis hélas pas. C’est entre autres pour cela que j’ai choisi d’écrire un article de blog sur un problème non résolu. Qui sait, peut-être cette bouteille à la mer trouvera-t-elle quelqu’un qui parviendra à résoudre le mystère…


Comme je l’ai dit, nos auteurs mêlent dans leur édition les textes de différents manuscrits. Cependant, ils ont tout de même fait le choix d’un manuscrit principal, qui est celui qu’ils ont presque toujours suivi. Or, ce manuscrit était la propriété privée d’Alexandre Colson. Ils ne l’appellent pas autrement que « manuscrit Colson ».


Avant de revenir à ce manuscrit, quelques remarques s’imposent (et là, ouvrez grand les yeux, si vous êtes un·e futur·e doctorant·e et que vous avez envie d’étudier des textes passionnants et drôles sur le corps féminin, car il y a du travail !) :


- Le Secrets des dames n’a donc pas été édité depuis 1880. À part ce manuscrit Colson dont je vais reparler, il existe sept manuscrits dont voici la liste :

Glasgow, University Library, Ferguson 241, f. 66-73

Paris, BNF, fr. 631, f. 278 -286

Paris, BNF, fr. 2027, f. 150r-160v

Paris, BNF, fr. 19994, f. 178-193

Paris, BNF, NAF 11649, f.150r-160v

Turin, BNU, L. IV.17, f. 539-548

Chantilly, Musée Condé, ms 330, f. 101r-109r

Le manuscrit de Turin a été détruit dans l’incendie de la bibliothèque en 1904. Il en reste néanmoins six. Plusieurs sont même visibles scannés en ligne : le fr 2027 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9059388v/f109.item) le fr. 19994 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9007150q/f194.item) et le NAF 11649 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10082075z/f152.item). Or depuis 1880, aucun chercheur, aucun étudiant, n’a entrepris d’utiliser un ou plusieurs de ces six manuscrits pour en faire une édition moderne qui serait bien utile. À bon entendeur salut ! Il y a un énorme pain sur la planche !


- Le Secrets des femmes, variante du précédent, est longtemps resté inédit. En 2006, une étudiante de Montréal, Jennifer Préfontaine, en a fourni une édition dans son mémoire de master : Préfontaine Jennifer, Secrets des femmes : édition critique, Mémoire, Université McGill, Montréal, 2006, [En ligne : https://central.bac-lac.gc.ca/.item?id=TC-QMM-98575&op=pdf&app=Library&oclc_number=1032889049]. Cette édition est, elle, d’une très bonne qualité, mais elle n’a pas été éditée officiellement par une maison d’édition, ce n’est qu’un mémoire d’étudiante que l’on peut lire en ligne. Le travail à faire est donc moindre que pour le Secrets des dames, mais il serait bon que Jennifer Préfontaine ou quelqu’un d’autre entreprenne de reprendre ce travail pour en faire un ouvrage édité.


Mais revenons à notre manuscrit Colson. Si vous avez bien suivi, tous les chercheurs qui depuis 1880 mentionnent le Secrets des dames (et j’en fais partie) s’appuient sur une édition unique qui ne respecte pas les critères de l’édition scientifique et qui s’appuie majoritairement sur un manuscrit…, un manuscrit… Mais quel manuscrit, au fait ? Parce que le manuscrit Colson, ok, appelons-le comme ça… Mais où est-il, aujourd’hui ? Où est-il ? Mystère !!! Difficile de chercher un manuscrit quand on n’a que le nom de celui qui le possédait en 1880. Google ne nous offre rien, en tout cas. Je pense qu’il y a deux solutions :

1) Le manuscrit a fini dans une bibliothèque quelque part dans le monde, et plus vraisemblablement en France. Cela me semble très peu probable. La plupart des bibliothèques ont depuis une vingtaine d’années fait un travail colossal de recension numérique de leurs collections. En tapant sur Google les mots « manuscrit Colson secrets dames », on trouverait quelque chose. Peut-être se trouve-t-il perdu dans une petite bibliothèque de province qui n’a pas mis son catalogue en ligne, me direz-vous. Peut-être, mais j’ai du mal à y croire : l’IRHT s’est occupé de faire le recensement et la numérisation pour les manuscrits médiévaux de toutes les bibliothèques municipales de France, même celles dont le fonds de manuscrits est minime (https://bvmm.irht.cnrs.fr/).

2) Le manuscrit est encore dans une collection privée, c’est ce qui me semble le plus probable. Mais quelle collection privée ? Après tout, sans doute est-il encore chez les descendants d’Alexandre Colson… Il faudrait donc que j’en sache plus sur Alexandre Colson.


Là encore, j’interroge Google… qui m’apprend qu’Alexandre Colson est le nom d’un jeune vigneron et négociant en Champagne, et évidemment il monopolise toute recherche sur Google à son nom ! Croiriez-vous que je me suis mise à traquer Alexandre Colson sur des sites de généalogie ? Mais c’est qu’il y en a des centaines, des Alexandre Colson ! Et même en réduisant la fourchette temporelle aux années 1850 à 1950 et la localisation à Paris (bien que je n’aie aucune certitude qu’il soit né et mort à Paris), j’ai une cinquantaine de personnes.

J’ai cherché aussi sur le formidable site d’archivage de la presse française « Retronews » : https://www.retronews.fr/search#allTerms=%22alexandre%20colson%22&sort=score&publishedBounds=from&indexedBounds=from&page=1&searchIn=all. J’y ai trouvé plusieurs Alexandre Colson à Troyes, dont un jeune homme tragiquement décédé à 33 ans en 1885 ; un Alexandre Colson pris dans un cambriolage à Noisy en 1895, que l’on retrouve (si c’est bien le même) dans un nouveau cambriolage en 1902, alors qu’il s’était évadé du bagne de Cayenne ; et quelques autres Alexandre Colson, un acteur, un chaudronnier. Mais pas de professeur émérite ou de bibliophile, de collectionneur… Donc non seulement, on ne sait pas où est ce manuscrit, mais on ne sait même pas vraiment qui était son propriétaire et co-auteur de notre édition…

J’en étais là de mes recherches, pensant être arrivée au bout du chemin, quand il m’a pris l’envie de rouvrir la fameuse édition du Secrets des dames, et d’en relire les premières pages de l’introduction. Et là, qu’est-ce que je lis ? « Le petit traité de gynécologie que nous reproduisons est extrait d’un manuscrit du XVe siècle, qui fait partie de la riche bibliothèque du docteur Al. Colson, de Noyon. » ! Eh bien oui ! J’avais oublié cela ! Pas question de Paris, donc. Je ré-interroge Google « Alexandre Colson Noyon ». Bingo ! Je tombe sur une fiche biographique complète !

https://cths.fr/an/savant.php?id=3264

J’y apprends qu’Alexandre Colson est né le 22 septembre 1802 à Bouzancourt (Haute-Marne) et décédé le 20 décembre 1884 à Noyon (Oise), qu’il était chirurgien de l’Hôtel-Dieu de Noyon. Il a été membre de diverses sociétés savantes : correspondant national de l’Académie de médecine pour la division de chirurgie, associé correspondant de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, membre de la société de chirurgie de Paris, membre de la Société nationale des antiquaires de France, président du Comité archéologique de Noyon. À part l’édition de notre Secrets des dames, nous avons 

 

- un unique ouvrage de chirurgie, sans doute sa thèse :

Mémoire sur le traitement des plaies succédant à l’extirpation des tumeurs du sein et de l’aisselle, au moyen de la suture entortillée

 

- Plusieurs ouvrages de numismatique :

Les Médailles ordinairement attribuées à Livie,

Notice sur quelques monnaies impériales romaines en or de la collection du Dr Colson,

Notice sur les monnaies de Noyon,

Notice sur une médaille romaine de grand bronze au revers de Junon Phallophore, cette dernière consultable ici : https://books.google.fr/books?id=Bc2SKWtf0_YC&pg=PA5&lpg=PA5&dq=junon+phallophore&source=bl&ots=CvKML0batC&sig=ACfU3U1cpzYvs8oohkmPS-VDMcE2WPqXPA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiAntWihpz5AhUtzYUKHZG4BtIQ6AF6BAgUEAM#v=onepage&q=junon%20phallophore&f=false

 

- Sa dernière publication, une courte notice de musée, concernait aussi la Rome antique puisqu’il était consacré à Hercule Phallophore, dieu de la génération. On peut le consulter ici : https://archive.org/details/herculephallopho00cols/page/n13/mode/2up?view=theater

 

Vous aurez remarqué qu’il a deux fois écrit sur des divinités « phallophores », c’est-à-dire « porteuses de phallus ». À chaque fois, il part dans une grande démonstration pour prouver que tous les savants qui l’ont précédé ont eu tort et que lui, révolutionne l’archéologie en reconnaissant des phallus ! Bon, je vous laisse juger sur pièce. La monnaie de Junon est reproduite à la dernière page de la notice, il est vrai que ce qu’elle tient dans le bras gauche ressemble plus à un phallus géant qu’à un bébé emmailloté, cependant on n’a que le dessin d’Alexandre, et pas la photo de la monnaie… Quant à Hercule, qui apparemment serait Apollon, c’est une statuette dont une gravure très nette est représentée au début de la notice. D’après Alexandre Colson, la corne d’abondance qu’il tient dans la main gauche serait remplie et même déborderait de phallus ! Moi, personnellement, je vois des croissants, mais bon…

 



 

À ce stade, j’ai légèrement l’impression de m’être égarée par rapport à ma recherche initiale… Quoique…, pas si sûr. Je crois que le respectable érudit avait des centres d’intérêts qui tournaient volontiers autour des organes génitaux. L’une des notes au texte du Secrets des dames, démesurément longue par rapport au reste, cite un passage du texte latin à l’origine de celui-ci, le De secretis mulierum, qu’il donne en latin sans le traduire (desfois que cela tomberait sous de chastes yeux !) ; je le connais bien, puisque ce texte fait aussi partie de mon corpus, or c’est le passage qui mentionne le fait que certaines femmes s’introduisent une lame de fer dans le vagin pour blesser la verge de l’homme (et lui transfuser carrément du sang menstruel empoisonné, renchérissait un commentaire latin, dont je parle dans cet article : https://cheminsantiques.blogspot.com/2022/02/les-transfusions-dangereuses-secrets.html, et que heureusement notre brave docteur Colson n’a pas lu !) Il a l’air en tout cas tout émoustillé par cette histoire. Il nous raconte également dans une autre note comment il a procédé à une opération chirurgicale sur une jeune fille à l’Hôtel-Dieu de Noyon, pour pratiquer une ouverture dans son hymen trop épais pour laisser passer l’écoulement des règles…

Tout cela est charmant, et j’ai de la matière pour faire une psychanalyse du vénérable professeur, mais je ne suis pas plus avancée sur le manuscrit.

 

Je vois ici : https://www.openarch.nl/abb: acba8ef9-207a-97e5-e2a3-795d40fb3561/fr qu’il a un fils, qui s’est marié en 1871 à Bruxelles. Notre manuscrit aurait-il suivi sa descendance et serait-il à chercher en Belgique ?

 

En continuant à chercher « Alexandre Colson Noyon », je tombe sur un article du Courrier Picard du 30 mai 2022, qui s’inquiète du délabrement de tombes de personnages célèbres de la ville, dont le chirurgien Alexandre Colson. Il n’est donc pas oublié dans sa ville, et peut-être faudrait-il chercher de ce côté. L’article mentionnant la Société Historique de Noyon, j’ai cherché le site internet de celle-ci et y ai trouvé une adresse mail dans la catégorie « contact ». Nous étions alors en septembre 2022. J’ai écrit en exposant (en résumé) mes questionnements. Un membre de la société m’a aimablement répondu peu après. Il me dit qu’il a échangé avec ses collègues et qu’ils n’ont pas d’information concernant ce manuscrit. Il ajoute qu’un article historique avait été écrit dans les années 1990, mais qu’ils n’en ont pas de fichier numérique et qu’il va essayer de retrouver un exemplaire papier. Je n’ai ensuite plus eu de nouvelles.

Voilà où j’en suis de mon enquête. J’adorerais que cet article de blog tombe sous les yeux de quelqu’un qui aurait plus de compétences que moi pour ce genre de recherche, et que l’on puisse en savoir plus.

Mais il est tout à fait possible, bien sûr, que le manuscrit ait tout aussi irrémédiablement disparu que celui de Turin, jeté ou brûlé ou recyclé par des descendants ou autres héritiers qui en auraient ignoré la valeur…

 

 

*

 

Ajout une semaine plus tard, le 19 mars 2023


Jamais je n’aurais imaginé en lançant il y a une semaine cette bouteille à la mer que la solution de l’énigme viendrait si vite, de manière si détaillée, et dès le lendemain ! Et, vous allez le voir, c’est encore une aventure pleine de rebondissements et d’émotions.

Dès le lendemain du jour où j’avais publié l’article ci-dessus, j’ai reçu des messages de deux personnes qui l’avaient lu et dont la curiosité avait été piquée à tel point qu’elles ont entrepris d’enquêter à leur tour ! Je pensais pourtant avoir épuisé toutes les pistes de recherche, mais j’avais fait une erreur : obnubilée par mon intérêt pour le texte du Secrets des dames, j’avais oublié (Colson et Cazin le précisent pourtant dans leur édition) que ce texte n’occupe que quelques pages du manuscrit, qui est presque exclusivement consacré à une copie de la Chirurgie de Guy de Chauliac. On pouvait donc avoir plus de chance de trouver trace du manuscrit en cherchant avec le nom de ce texte ou de cet auteur. D’autre part, les pages consacrées au calendrier au début du manuscrit (pages que j’évoquais ici : https://cheminsantiques.blogspot.com/2021/01/un-poeme-mnemotechnique-latin-medieval.html) comportent un diagramme représentant un cycle temporel sur lequel figure clairement l’année 1468. On a donc la date exacte de la copie du manuscrit, ce qui est suffisamment rare pour être signalé, et c’était donc encore une piste à exploiter…


Notons d’abord un point non négligeable que j’ai découvert en suivant les pistes de ces deux lecteurs de mon blog : je ne suis pas la seule à m’être interrogée sur la disparition de ce manuscrit.

Voyez ici : De Tovar Claude, « Les versions françaises de la Chirurgia Parva de Lanfranc de Milan. Étude de la tradition manuscrite », Revue d'histoire des textes, bulletin n°12-13 (1982-1983), 1985. p. 195-262 [https://www.persee.fr/doc/rht_0373-6075_1985_num_12_1982_1254] (note 1, p. 223) :

« Le Secret des Dames a été publié par Alexandre Colson, d'après un manuscrit qui lui appartenait, dont on a actuellement perdu la trace. »

Ce constat fait en 1985 est toujours le même en 2017, ici : Bazin-Tacchella Sylvie, « De la Chirurgia magna (1363) aux Fleurs de Guidon », Romance Philology, Fall 2017, Vol. 71, No. 2, Romania Mediterranea IV: Medieval Medical Treatises: Transmission of Language and Practice (Fall 2017), p. 407-436 [https://www.jstor.org/stable/26455263] (note 38, p. 417) :

« A. Colson s’est appuyé pour son édition du Secret des dames sur un manuscrit de la Grande Chirurgie qu’il possédait et dont on a malheureusement perdu la trace ».


L’un de mes lecteurs a trouvé une trace du manuscrit dans une vente aux enchères de la librairie Hoepli à Milan le 18 février 1929. Le manuscrit y est décrit dans le catalogue de la vente : Manoscritti, incunabuli figurati, editionis principes. XVIII febbraio MCMXXIX. Vendita all'asta, Hoepli, Milan, 1929. Cet ouvrage n’est malheureusement pas visible en ligne (si ce n’est de courts extraits sur Google Books, qui ont au moins permis de constater que les ex libris évoqués dans ce manuscrit sont bien les mêmes que ceux que signalait Colson, et qu’il s’agit donc bien du même manuscrit), mais j’ai vu qu’il est en bibliothèque, et il n’est pas impossible que j’aille un jour y jeter un œil.

La revue italienne La Bibliofilla annonce la vente en 1928 et en fait un compte-rendu en 1929 : La Bibliofilia, vol. XXX, 1928, p. 487-488 et vol. XXXI, 1929, p. 171-172 (https://www.jstor.org/stable/26208842). C’est dans ce compte-rendu que notre manuscrit est cité à titre d’exemple parmi les fleurons de cette vente : 

« un magnifico codice membranaceo e miniato dei « segres des Dames defendus à reveler » unito con altro del « Inventaire de Chirurgie » del Cauliaco che andò ad arricchire la biblioteca di un notissimo chirurgo italiano cui fu aggiudicato per Lire 46000. »

(« un magnifique codex de parchemin et enluminé des « Segres des Dames defendus a reveler », relié à un autre exemplaire de l’ « Inventaire de Chirurgie » de Chauliac, qui viendra enrichir la bibliothèque d’un célèbre chirurgien italien, à qui il a été vendu pour 46000 lires. »)

On a donc retrouvé une trace ultérieure de notre manuscrit !

Manquent toutefois deux éléments :

- l’histoire du manuscrit entre le 20 décembre 1884, date de la mort d’Alexandre Colson, et le 18 février 1929, date de la vente du manuscrit à Milan.

- l’histoire du manuscrit après cette vente et notamment l’identité du « célèbre chirurgien italien. »


L’autre de mes lectrices a trouvé un article publié en 1999 qui, non seulement fournit les informations sur la suite de l’histoire, mais en plus le fait de façon émouvante et presque romanesque.

Viganò Anna, Tomba Patrizia & Merlini Luciano, « A manuscript worth a villa : Vittorio Putti's acquisition of the Guy de Chauliac manuscript », Acta Orthopaedica Scandinavica, vol. 70:6, p. 531-535 [https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.3109/17453679908997838].

C’est là la magie d’internet et des moteurs de recherche par mots clés, car sans cela jamais un historien n’aurait eu l’idée d’aller chercher des informations sur un manuscrit médiéval dans une revue consacrée à l’orthopédie. En parlant de la revue, on pourrait s’étonner de ce que ce manuscrit français, acheté dans une vente aux enchères italienne par un chirurgien italien, fasse l’objet d’un article dans une revue… scandinave ! C’est qu’il s’agit en fait de la principale (voire peut-être la seule) revue consacrée à l’orthopédie. Elle s’est d’ailleurs désormais renommée « Acta Orthopaedica » (sans « Scandinavia ») et revendique sur son site internet sa portée internationale :

« Acta Orthopaedica presents articles, from all parts of the world, of basic research interest, as well as clinical studies in the field of orthopedics and related subdisciplines. Ever since the journal was founded in 1930, by a group of Scandinavian orthopedic surgeons, the journal has been published for an international audience. » (https://actaorthop.org/actao/about)

Mais entrons dans le vif du sujet ! Et cela en vaut la peine, car cet article est curieux. Il ne se présente ni comme un article scientifique portant sur l’orthopédie, ce qui est pourtant l’objet de la revue, ni comme un article scientifique portant sur l’histoire ou la philologie. Bien qu’il soit très sérieux, très sourcé, et qu’il comporte une bibliographie impressionnante pour un article aussi court, il se présente plutôt comme un récit racontant la journée qui suit l’acquisition du manuscrit par son nouveau propriétaire et les émotions qui l’étreignent. Il est écrit par trois auteurs, tous trois membres de l’Institut Orthopédique de Bologne, les deux premières membres de la bibliothèque de l’Institut, le troisième membre de son département de neurologie. Ceci explique cela : ces auteurs ont visiblement souhaité rendre hommage à un manuscrit qui constitue probablement l’une des perles de leur collection d’histoire médicale.

Un aperçu de cette collection ici : https://www.ior.it/biblioteche-scientifiche

L’article commence par une forte accroche, nous demandant de lever un moment les yeux de notre clavier d’ordinateur et de nous transporter par la pensée dans les locaux de l’ancien monastère de Bologne transformé en Institut Orthopédique. Une photographie aérienne dudit bâtiment, imposant et élégant, avec ses trois cloîtres, ses murs ocres et ses toits de tuiles, posé au milieu des arbres au sommet d’une colline qui domine la ville, donne immédiatement envie de prendre le premier train pour Bologne pour en visiter les locaux ! L’article nous invite également à nous transporter dans le temps, par une froide soirée, le 20 février 1929. Soit deux jours après la vente du manuscrit et… son acquisition par Vittorio Putti. Car c’est bien de lui qu’il s’agit, c’est bien lui, le « célèbre chirurgien italien ». Je découvre qu’il s’agit du directeur de l’institut, un grand médecin, un humaniste et un collectionneur. Les auteurs de l’article nous présentent une belle photo de lui dans son bureau, dans les locaux de l’Institut Orthopédique.

 

 

J’aime énormément cette photo. On sent qu’il pose, mais dans une attitude qu’on devine être vraiment la sienne : dignité, concentration, attention à ce qu’il fait. Derrière lui, on aperçoit quelques beaux dos de livres reliés de cuir dans le cadre en boiserie d’une somptueuse bibliothèque.

Mais ce n’est pas encore cela le plus émouvant dans l’article. Après nous avoir amené à Bologne en janvier 1929, nous avoir fait asseoir devant Vittorio Putti dans son bureau confortable, les auteurs nous transportent dans ses pensées. D’abord en supposant qu’il se disait alors peut-être qu’avec la somme d’argent énorme dépensée pour le manuscrit, il aurait pu s’acheter une villa, une voiture de luxe, ou quatre kilos d’or (D’où le titre provocateur de l’article, « A manuscript worth a villa », « Un manuscrit qui vaut une villa »). Ensuite, par le biais d’une citation authentique d’une lettre qu’il écrivit ce soir-là à une amie à lui, Fernanda Ojetti (épouse de l’écrivain et journaliste Ugo Ojetti), née Gobba (et dont on peut voir sur internet de beaux portraits en photographie, dessin, sculpture, par divers artistes). Je n’ai pas le texte original italien que les auteurs de l’article ont traduit en anglais, et que je retraduis à mon tour en français :

« J’ai vu le manuscrit et j’en suis tombé sans espoir amoureux il y a environ quinze ans. Plus tard, je l’ai perdu de vue, mais je ne l’ai pas oublié. Quelque étrange destinée m’a mené à lui à Milan et cette fois, malgré mes cheveux gris et ma plus grande expérience, j’ai succombé. À présent, je suis si heureux de le posséder, de le tenir, de poser mes mains sur lui, de sentir son parfum subtil qui est « la senteur des siècles ». À l’intérieur se trouve l’âme d’un ancien Maître de ma profession, avec qui je suis en contact et dont j’espère qu’il m’apprendra et m’inspirera. »

Je trouve tout à fait bouleversants ces mots qui dépeignent l’histoire d’un homme et d’un manuscrit comme une histoire d’amour, avec coup de foudre, séparation, retrouvailles, caresses et odeurs sensuelles, presque érotiques. C’est d’autant plus troublant que cette histoire est racontée par un homme à une femme !

Le mystère des premiers mots du texte (il manque sans doute le début de la lettre, que je n’ai malheureusement pas) ne permettent pas de comprendre où Vittorio Putti a vu le manuscrit pour la première fois, quinze ans plus tôt. Je pense que ce n’était pas à Milan, sinon il n’aurait pas éprouvé le besoin de préciser « à Milan » pour parler de sa deuxième rencontre. Il est après tout possible qu’il l’ait vu en France. Ce n’était pas entre les mains d’Alexandre Colson, car celui-ci était mort en 1884, alors que Vittorio Putti n’avait que 4 ans. Notons d’ailleurs un détail amusant : Vittorio Putti est né en 1880, l’année précise de la publication du Secrets des dames par Alexandre Colson et Charles Cazin, et également année de la création de l’Institut Orthopédique de Bologne. Après la mort d’Alexandre Colson, il est possible que le manuscrit ait été légué à l’Hôtel-Dieu de Noyon où il exerçait en tant que chirurgien. Et il est possible que Vittorio Putti, lui-même chirurgien, ait eu l’occasion de se trouver à l’Hötel-Dieu de Noyon. Quinze ans plus tôt que 1929 nous amène en 1914, juste avant la Première Guerre Mondiale ou à ses débuts. La page Wikipédia consacrée à Vittorio Putti ne mentionne pas de voyage en France à cette époque, mais ce n’est pas non plus une biographie complète (https://it.wikipedia.org/wiki/Vittorio_Putti).

 

Quant à la fin de l’histoire du manuscrit, elle est simple et évidente. Vittorio Putti a légué dans son testament toute sa collection à l’Institut cher à son cœur. Le manuscrit en faisait partie. Et il y est toujours.

 

*

 

Ajout deux semaines plus tard, le 25 mars 2023


Après avoir été à nouveau en contact, suite a la publication de cet article de blog, avec un membre de la Société historique de Noyon, j'ai eu la bonne surprise de recevoir de sa part un portrait du Docteur Colson, qu'il m'a autorisé à publier ici. Voici donc, après la photographie de Vittorio Putti dans son bureau, celle d'Alexandre Colson.


Deux des possesseurs du manuscrit enfin réunis dans une même page !


Attitude beaucoup moins sereine, et plus tourmentée - ou plus passionnée. Le regard n'est pas intériorisé comme celui de Vittorio Putti, mais extériorisé : il regarde en face, sans vraiment croiser le regard du spectateur. La bouche ouverte, un peu mécontente, comme s'il s'apprêtait à protester contre quelque chose qui l'agace...


Nous n'avons pas fini de rêver sur les portraits de ces deux hommes et sur le manuscrit qu'ils ont tous deux aimé avec passion !



Portrait d'Alexandre Colson, fonds de la Société historique, archéologique et scientifique de Noyon

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Ajout en décembre 2023

Le monde de la recherche est petit et solidaire. Une personne de ma connaissance a une personne de sa connaissance qui fait des recherches à Bologne, et qui a pu me mettre en contact avec une conservatrice de la bibliothèque de l'Institut Orthopédique de Bologne. Cette dernière était prête à m'envoyer des photographies des six pages consacrées au Secrets des Dames dans le manuscrit. Mais l'accès au précieux manuscrit est apparemment hautement règlementé en raison de sa fragilité. Elle n'a pu que m'envoyer une photo déjà présente dans leur fonds d'archives : photo de mauvaise qualité de la page où figurent les ex-libris de différents propriétaires du manuscrit, page sur laquelle on peut voir les dernières lignes du texte du Secrets des Dames... C'est sans doute l'ultime étape de ma quête, qui m'a cependant menée plus loin que je ne l'aurais jamais imaginé.


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