jeudi 12 mars 2009

Le cerveau d'un lecteur (suite et fin)

Voici comme promis quelques grandes lignes des découvertes qui m'ont le plus fascinée dans Les neurones de la lecture de Stanislas Dehaene.

  • « Comment lisons-nous? » est la première question que se pose l'auteur. Nous découvrons petit à petit une zone du cerveau spécifiquement vouée à la reconnaissance de la forme visuelle des lettres (et active ausssi bien dans le cerveau d'un lecteur français que chinois ou de toute autre langue et écriture du monde), située entre la zone de reconnaissance des objets et la zone de reconnaissance des visages.
  • D'où une nouvelle question: l'écriture n'a été inventée qu'il y a cinq mille ans, une goutte d'eau par rapport aux dernières étapes de l'évolution de l'espèce humaine. Nos ancêtres préhistoriques avaient donc le même cerveau que nous alors qu'ils n'avaient pas encore inventé l'écriture. Or nous venons de découvrir une zone vouée à la lecture dans notre cerveau! Comment ce paradoxe est-il possible?
  • La réponse finit par nous arriver des singes, chez qui cette fameuse zone du cerveau s'active à la vue de certaines formes géométriques élémentaires (des ronds, des lignes parallèles ou perpendiculaires, etc.) qui dans la nature nous permettent de repérer et d'identifier facilement les objets, les animaux, les plantes, etc., dans lesquels on retrouve ces formes géométriques élémentaires.
  • D'où une nouvelle question : comment avons-nous tiré parti de cette zone particulière de notre cerveau pour inventer l'écriture?
  • La réponse est inattendue et montre bien que le grand génie de l'humanité n'est malgré tout qu'un esprit animal tentant péniblement de s'adapter! En effet, c'est l'inverse qui s'est produit : c'est l'écriture qui s'est adaptée à notre cerveau, se rapprochant de plus en plus d'un système que celui-ci pourrait traiter rapidement, d'abord par la simplification du tracé des idéogrammes, dans toutes les cultures où l'écriture est née, puis par l'invention d'un système phonétique, syllabaire d'abord puis alphabétique. Quand nous apprenons l'histoire de l'écriture, ils nous semble évident que celle-ci a évolué vers des solutions de plus en plus simples. Or Stanislas Dehaene nous démontre que la solution de l'alphabet n'est pas forcément plus « simple »: elle est seulement plus adaptée à notre cerveau d'homo sapiens!
  • Stanislas Dehaene montre enfin que ce qui s'est passé pour la lecture est valable pour bien d'autres activités humaines et il appelle cela le « recyclage neuronal ». En gros, le recyclage neuronal consiste à tirer parti d'une zone du cerveau dédiée à une certaine fonction et à la détourner pour lui assigner une autre fonction proche. A l'échelle individuelle, cela permet parfois à certaines personnes ayant subi certaines lésions du cerveau (malheureusement, tout n'est pas possible) d'utiliser une autre zone du cerveau pour la fonction que pratiquait la zone lésée : cela fonctionne moins bien et moins vite, c'est du bricolage au sens propre, mais cela marche parfois. A l'échelle collective, cette possibilité de recyclage neuronal est probablement à l'origine de toutes les grandes inventions culturelles de l'humanité, comme l'art ou la religion!
  • Je terminerai par un détail un peu en marge des grandes lignes de l' « enquête policière » du livre, mais auquel Stanislas Dehaene consacre tout de même un chapitre entier : c'est la question de la symétrie. Cela va rassurer les jeunes parents qui sont parfois un peu estomaqués de voir les petits enfants écrire des lettres, voire leur prénom entier indifféremment à l'endroit ou à l'envers (selon une symétrie gauche/droite, « en miroir »). Pour ma part, je ne m'inquiétais pas quand je voyais ma fille faire ainsi, car je savais que c'était normal ; mais j'en ignorais la raison. L'explication de Stanislas Dehaene est sidérante, et même assez amusante! En réalité, quand nos enfants agissent ainsi, ils ne souffrent pas d'un déficit ; au contraire, ils bénéficient d'un avantage de l'évolution, qui a permis à l'homo sapiens que nous sommes de prendre la poudre d'escampette à la vue d'un tigre vu sous son profil droit, même si nous ne l'avions jusque là vu que sous son profil gauche! Ce qui fait que quand nous apprenons à nos enfants à écrire à l'endroit, en fait, nous leur « désapprenons » un acquis de l'évolution!

Conclusion: Certainement qu'après avoir lu cet article, vous avez trouvé cela passionnant, mais parfois un peu confus et qu'une quantité de questions et d'objections ont surgi en votre esprit. C'est normal. Ce n'est pas pour rien que Stanislas Dehaene a consacré un livre entier au sujet, que je ne saurais résumer en un article. Je vous conseille de vous précipiter dans la première librairie venue et d'y acheter Les neurones de la lecture de Stanislas Dehaene, chez Odile Jacob (2007).
Bonne lecture!


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