dimanche 23 mai 2021

La psychologie révélée par les parties du corps (Aldebrandin de Sienne, 1256)


Je vous propose aujourd’hui une petite promenade dans un ouvrage intitulé Régime du corps, d’Aldebrandin de Sienne, publié en 1256, non pas en latin, comme beaucoup de textes que je cite ici, mais en français. J’en ai toutefois fait une traduction en français moderne pour plus de commodité. Cet ouvrage appartient au genre des « Régimes de santé » très répandus à cette époque. Ils n’étaient pas destinés à des médecins, mais à tout lecteur cultivé, pour lui donner des conseils d’hygiène et de santé en fonction de son âge, de son sexe, de ses activités, de la zone géographique où il vivait, etc.

Je reprends les extraits que j’avais publiés sous forme de feuilleton en juin et juillet 2020 sur la page Facebook associée à ce blog : https://www.facebook.com/Chemins-antiques-et-sentiers-fleuris-477973405944672/


Pour commencer, un petit conseil de puériculture : ça peut toujours servir ! Mais je ne suis pas sûre que le bébé appréciera un tel traitement ! Pas sûr non plus que la nourrice soit ravie d’avoir à l’appliquer !

« Après, on doit le laver, et la nourrice doit déboucher ses oreilles et ses narines, et faire attention à ne pas avoir les ongles rongés pour ne pas risquer de blesser l’enfant, et qu’elle mette dans ses yeux un peu d’huile d’olive ; après, elle doit le laver, et bien lui mettre le petit doigt dans l’anus et ouvrir, pour mieux expurger les superfluités, et bien lui presser la vessie, pour qu’il urine mieux ; et autant que possible le protéger du froid. »


Je poursuis avec quelques amusantes correspondances supposées entre l’aspect physique de telle ou telle partie du corps et le caractère de celui ou celle qui en est doté. Je dis « amusantes », parce que je ne pense pas que cela ait eu de graves conséquences à cette époque. Ce genre de correspondances ne dépassait pas le cadre de la médecine et, si l’on avait besoin de déduire votre caractère de votre physique, c’était simplement pour vous administrer ce que l’on pensait être le remède le plus adapté. En revanche, quand cette idée de faire correspondre traits physiques et caractères va renaître à la fin du XIXe siècle, elle sera beaucoup plus inquiétante, d’abord parce qu’elle se parera du titre de science (physiognomonie et phrénologie), ensuite parce qu’elle s’immiscera dans le domaine de la criminologie et prétendra déduire de telle ou telle particularité physique une propension à certaines pratiques criminelles. De nos jours, sous le nom de « morphopsychologie », cette théorie est redevenue inoffensive, cantonnée aux rubriques légères de magazines populaires, au même titre que l’astrologie. Méfions-nous toutefois toujours et n’oublions pas qu’aucun être humain ne peut avoir une « sale tête » ni une « bonne tête » !

Et rien de mieux pour consolider cette saine méfiance que de lire en souriant les correspondances ridicules proposées par Aldebrandin de Sienne.

Je n’ai fait qu’un choix. La totalité de ces textes, dans leur version originale en ancien français, sont lisibles en ligne dans son ouvrage numérisé ici : https://archive.org/stream/b24866854/b24866854#page/n6/mode/1up, aux pages 75 pour les conseils à la nourrice, et 193 à 202 pour « connaître la nature de chaque homme par dehors ».

La psychologie révélée par les narines

« Qui a les narines minces se courrouce volontiers et se dispute ; qui les a larges et grosses est luxurieux ; qui les a grosses et étroites a peu de savoir ; et qui les a larges et grosses, c’est signe qu’il se courrouce volontiers. »

La psychologie révélée par les sourcils

« Qui a dans les sourcils grande abondance de poils, c’est signe de grandes pensées, et de tristesse, et de paroles longues et ennuyeuses. Qui les a longs, est outrageux et sans honte. Et qui a les sourcils qui pendent vers le nez et se haussent vers les tempes, est lent et sans honte. »

La psychologie révélée par le front

« Qui a le front large et étendu est combatif et aime les mêlées ; qui l’a froncé, si les fronces viennent vers le bas, se courrouce volontiers ; qui l’a petit est sot ; et qui l’a grand est lent. »

La psychologie révélée par la bouche et les dents

« Qui a une grande bouche est un grand mangeur, et hardi ; qui a grandes lèvres est sot et lent, et si elles sont mal colorées c’est signe de maladie. Qui a les dents petites et fragiles et qui ne sont pas épaisses, c’est signe de faiblesse du corps et de vie courte ; qui les a longues et fortes doit être grand mangeur et d’une mauvaise nature. »

La psychologie révélée par le cou

« Qui a le cou court et gros, c’est signe qu’il est fort et sage ; et qui l’a long et grêle, c’est signe qu’il est sot, peureux, et querelleur. Qui a le cou gros, fort et bien nerveux, se courrouce volontiers et est léger en toutes ses besognes. »

La psychologie révélée par les mains

« Qui a les mains molles et déliées, et les doigts fins et longs, et les ongles fins et colorés, c’est signe de savoir et de bon entendement. Qui les a courtes, doit être sot ; et qui les a très longues et grêles, doit être sot et orgueilleux. »

La psychologie révélée par les pieds

« Qui a les pieds gros et charnus et plats doit être lent et sot et de mauvais entendement. Qui a les pieds petits et beaux doit être aimé des femmes, de bonne humeur et joyeux. Qui a les talons grêles et petits est faible et peureux ; qui les a gros doit être fort et hardi. »

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vendredi 7 mai 2021

Les menstrues sous l’œil du folkloriste


Je viens d’achever la lecture d’un article passionnant du grand folkloriste Claude Gaignebet : Gaignebet Claude, « Véronique ou l’image vraie », in Bulletin de la Société de Mythologie Française, n°139, 1985, p. 3-28.

C’est la référence sous laquelle on le trouve actuellement, mais il est précisé à la fin que cet article avait été publié pour la première fois en 1976. Ce n’est donc pas un article à la pointe des dernières recherches. D’autre part, un folkloriste n’a pas la même démarche qu’un historien : essayant de faire des rapprochements entre des motifs culturels de régions et d’époques différentes, travaillant autant sur des traditions orales qu’écrites, il fait plus usage de l’hypothèse et de la déduction, tandis que l’historien doit surtout travailler à partir de sources avérées. Malgré tout, l’interdisciplinarité est évidemment toujours fructueuse, et les rapprochements des folkloristes peuvent susciter des hypothèses chez les historiens, dont ils chercheront ensuite la confirmation. Quant à Claude Gaignebet, c’est une grande figure qui a dominé le monde universitaire français du folklore pendant des décennies, et ses propositions sont à prendre au sérieux.

J’avoue toutefois que je ne suis pas toujours convaincue par les raccourcis qu’il effectue, surtout que le style de cet article est très dense, suivant visiblement le foisonnement de sa pensée et de son immense culture, et j’ai parfois eu du mal à le suivre. Pas toujours convaincue, mais terriblement séduite par tous ces rapprochements. En effet, l’article, même si cela n’apparaît pas dans le titre, est presque exclusivement consacré aux menstrues dans le folklore, et si on le suit, on a l’impression que les menstrues sont absolument partout, ce qu’il me plaît de croire, évidemment !

Aussi, sans vraiment essayer de faire la part entre ce qui est plus ou moins pertinent dans cet article, je vous en propose un petit compte-rendu. Ce sera à vous d’en juger…

Je reprends les petits sous-titres qu’il propose lui-même comme jalons de son article.

L’Hémorroïsse : Il aborde le cas de la femme « hémorroïsse » qui apparaît dans plusieurs évangiles (récits de la vie de Jésus dans le Nouveau Testament). Cette femme était affectée d’un flux sanguin continu depuis douze ans. Elle a touché la frange du vêtement de Jésus et a été immédiatement guérie. [Je l’avais effectivement déjà intégrée à mon corpus, car les auteurs médiévaux qui citent ce cas l’assimilent à un phénomène de menstruation].

Le portrait de Jésus : Il évoque ensuite une autre tradition, apparemment sans lien, selon laquelle un portrait de Jésus imprimé sur un tissu aurait été conservé. Ce portrait serait l’impression de la sueur ou du sang du Christ. C’est une certaine Véronique qui en serait à l’origine, qui aurait essuyé le visage du Christ avec le tissu, et qui aurait ensuite conservé ce tissu.

Menstrues et image-vraie : Il fait ensuite le lien entre la femme hémorroïsse et Véronique, qui sont effectivement assimilées dans plusieurs traditions. Il y a un lien avec la lèpre : ce portrait sur tissu peut guérir de la lèpre ; or la lèpre est lié aux menstrues [on disait qu’avoir des relations sexuelles avec une femme menstruée pouvait donner la lèpre à l’homme ou à l’enfant à naître]. Gaignebet fait aussi un lien avec le miroir, rappelant le fameux passage d’Aristote qui explique que le regard d’une femme menstruée ternit un miroir. Mais je ne saisis pas bien comment il passe de l’hémorroïsse à Aristote. Et il revient au miroir, qui serait donc purifié par le contact avec le Christ, et qui permettrait de voir une « image vraie », celle du visage du Christ. [Beaucoup d’auteurs expliquent le nom de « Veronica » comme venant du latin « Ver(a) icona » = « vraie image »]

Voile ou miroir : Il admet que le miroir n’apparaît pas dans la tradition orientale et émet l’hypothèse que le miroir joue un rôle équivalent au voile ou linge, celui sur lequel est le visage du Christ ; vous suivez toujours ? Il suppose ensuite un lien entre ce linge portant l’image du Christ et le linge menstruel, le deuxième symbolisant le linge purifié par rapport au premier, tout cela en lien avec la loi juive et la loi chrétienne, et avec la malédiction d’Eve.

Face au miroir : « L’image, au même titre que l’âme, est une exhalaison de sang ». En une phrase, il regroupe tous les thèmes précédents, et y ajoute celui de l’âme, complexifiant encore le propos. Il évoque la mort, l’âme qui s’exhale du mourant à l’instant de la mort, et qui se voit dans le miroir, le fait que les vampires – êtres sans âme – n’ont pas de reflet dans un miroir [il n’évoque pas le lien des vampires avec le sang, mais il est évident que cela s’ajoute encore à la toile de significations qu’il tisse !]. Il revient ensuite à l’âme de Jésus, visible dans l’image de Véronique, puis fait diverses citations du Nouveau et de l’Ancien Testament dans lesquelles on retrouve l’idée de l’âme, du visage vu, du miroir et du voile.

Se retourner : Il revient à la femme hémorroïsse et rappelle qu’elle touche Jésus par-derrière et en touchant le bas de son vêtement. Il aborde alors le thème des retournements, devant et derrière, haut et bas. D’après un passage de Pline, les fameux miroirs ternis par le regard d’une femme menstruée retrouvent leur éclat si une de ces femmes menstruées les regarde par l’arrière ! Et les menstrues poison peuvent aussi être contre-poison [Je confirme avoir trouvé cela chez Hildegarde de Bingen, qui préconise pour guérir de la lèpre (dont j’ai dit qu’elle s’attrapait, pensait-on, par une relation avec une femme menstruée) de se plonger dans un bain qui contiendra entre autres ingrédients du sang menstruel].

Edith ou l’anti Véronique : Il aborde alors le cas d’Edith, la femme de Loth, dont l’Ancien Testament nous raconte qu’elle s’est transformée en statue de sel parce qu’elle s’était retournée. Il ajoute que selon certaines traditions [J’ai fait des recherches et trouvé cela effectivement chez des auteurs de la fin de l’Antiquité et du début du Moyen Âge], elle avait toujours ses écoulements menstruels, même statufiée !!! Il explique ensuite d’où vient cette transformation en statue : on ne peut pas voir la gloire de Dieu face à face, et c’est ce qu’a fait la femme de Loth en se retournant [Oui, on retrouve ce thème avec Sémélé foudroyée en voyant Zeus].

Mythes gnostiques : Il ne cite pas des sources de première main, mais l’ouvrage d’un érudit du XIXe siècle qui cite des textes gnostiques où il est question de la femme hémorroïsse sous d’autres noms, et notamment de femmes liées à l’idée de serpent. Ensuite il part dans un rapprochement d’un de ces noms « Prounice », d’une part avec « Phéronikê » (« celle qui apporte la victoire » en grec) qui ressemble étrangement à « Véronique », d’autre part avec « Phoinikê », mot qui désigne la Phénicie, et qui pourrait être en lien avec une racine signifiant « rouge, pourpre » : vous voyez le sang menstruel qui revient ! Et avec lui la déesse phénicienne Astarté. Il s’embarque ensuite dans un développement sur le fait que les divinités féminines en lien avec le flux menstruel ont toujours comme attribut un miroir et un serpent. À commencer par Eve, toujours associée au serpent, et dont la « malédiction » se manifeste par la menstruation [J’ai en effet vu cela dans de nombreux textes médiévaux]. Il en déduit que l’image d’une femme ayant ses règles est symbolisée par l’image d’un être hybride au buste de femme et au bas du corps serpentiforme [Là, j’avoue que j’étais parvenue au même « délire » (ou pas?) en analysant les images médiévales de sainte Marguerite dont le haut du corps émerge du corps sanglant du dragon !!! Et je pense aussi évidemment à Mélusine, mais Gaignebet va en parler plus tard].

Héraklès et la nyphe scythique : Il évoque une anecdote racontée par Hérodote selon laquelle Héraklès s’est uni avec une nymphe de Scythie ayant un bas du corps de vipère, puis une interprétation chrétienne de ce récit.

Célébration des andouilles : Gaignebet se réfère ici à Rabelais qui évoque des êtres ayant une forme d’andouille ou de serpent pour la moitié du corps. Et de Gargamelle, femme de Gargantua, il passe à Mélusine [Je l’attendais!]. Avec Mélusine, tout ce qui précède s’imbrique parfaitement : la femme au bas du corps de serpent, qui ne doit pas être vue à certains moments réguliers, et le lien avec les pertes menstruelles. Quand son mari la voit (alors que cela lui était interdit, encore une histoire de regard interdit), elle baigne le bas de son corps, peigne ses longs cheveux, et elle tient un miroir à la main. Tous les motifs sont réunis ! Avec le bain, on est dans un moment de purification. Les cheveux sont l’un des organes les plus venimeux pendant les menstrues [Il cite un texte médiéval que j’ai effectivement rencontré]. Et [d’après Gaignebet] le miroir lui sert à vérifier le moment où elle ne sera plus impure, quand il ne sera plus terni par son regard de femme menstruée !

[Je ne crois pas qu’il en parle, mais dans toute l’iconographie du Moyen Âge, la sirène est représentée avec un miroir et un peigne : j’en avais un peu parlé ici : https://cheminsantiques.blogspot.com/2018/01/la-mysterieuse-petite-sirene_7.html (je découvrais, à l’époque, ce motif)]

La Pédauque : Il rapproche ici le thème de Mélusine la femme serpent du thème des femmes oiseaux, qui se baignent et déposent leur peau sur le rivage : souvent, dans l’histoire, un jeune homme s’empare de cette peau et épouse cette femme-oiseau [Ah oui, je me souviens d’une histoire semblable dans les Mille et une nuits, tiens!] Elles ont souvent un pied difforme qui marque leur origine comme la « reine Pédauque » de Rabelais (« pédauque » = « pied d’oie »), ou la reine de Saba, dont l’impureté représentée par son pied animal est dévoilée… par un sol miroir ! Encore le lien avec le miroir...

Et puis là, eh bien, il parle des vouivres ! Sans même mentionner le nom « vouivres », d’ailleurs [c’est cela qui rend difficile à lire cet article, car il est souvent très allusif] ; mais c’est bien d’elles qu’il est question, puisqu’il dit : « Elles déposent leurs bijoux, l’escarboucle de leur front le plus souvent, car elles ne sauraient l’immerger dans un bain menstruel ». [Alors là… Comment vous dire ? Tout le roman que je suis en train d’écrire depuis dix ans est centré sur une légende autour des vouivres qui déposent leur escarboucle sur le rivage pendant leur bain, et des hommes qui leur dérobent l’escarboucle ; et je fais une thèse sur les menstrues ; et Claude Gaignebet est en train de me dire que les deux sont étroitement liés ! Cela me semble évident, en fait, mais j’ai l’impression que cet article me révèle des choses profondes de ma personnalité ! Article écrit en 1976, année de ma naissance!]

Donc, un homme finit par partager le lit de cette femme-oiseau / femme-serpent / vouivre / Mélusine, et s’unit à elle : mais c’est une femme menstruée, et l’union avec les femmes menstruées engendrent des enfants difformes ou monstrueux [ça, oui, on le lit des dizaines et des dizaines de fois dans les textes médiévaux]. Et donc, c’est pour cela que dans toutes ces légendes, les enfants d’un tel couple sont affectés d’une tare : les enfants de Mélusine et de son époux humain ont tous un handicap physique, dans d’autres légendes, c’est un pied palmé, rappelant l’ascendance animale.

Il évoque ensuite des saintes vierges qui fuient des prétendants et se retrouvent transformées, soit avec un pied d’oie, soit lépreuses, et l’on comprend à présent le lien entre ces motifs. Mais Gaignebet explicite encore ce lien en rappelant qu’au Moyen Âge, les lépreux devaient porter un insigne en forme de patte d’oie. Il fait aussi le lien entre la lèpre, maladie de la peau, et la faculté de muer, liée à la quête de l’immortalité, et liée aussi à cette « peau d’animal » que les femmes oiseau déposent sur le rivage.

Masque ! : Il fait de nouveaux liens entre masque, peau, lèpre, visage de Jésus, Véronique… Tout semble se tenir. Puis il évoque les saint et sainte patronnes des lavandières, qui protègent aussi des écoulements menstruels absents ou trop abondants. Puis il part sur les dates de fête de ces saints, en lien avec mardi gras (on retrouve les masques) et avec la fête de la purification de la Vierge, tout cela en février, considéré comme le mois des purifications dans l’Antiquité [J’ajoute, car il ne le dit pas, que le mot même de « février », vient d’un verbe latin « februare » qui signifie « purifier »].

« Purgationes » : Il fait le lien entre les pertes menstruelles elles-mêmes considérées comme une purgation des éléments viciés du corps, le bain menstruel qui purifie des écoulements de ce sang, et tout ce qui concerne la purification de l’impureté et de la souillure. Il revient à l’une des saintes évoquées plus haut, patronne des lavandières et protectrice des écoulements menstruels, sainte Venisse : elle est représentée à mi-corps dans un bain.

La dame de la rivière : Gaignebet part à nouveau un peu dans tous les sens. Les vierges qui pour échapper à un prétendant se retrouve affublées d’une difformité sont mises en lien avec toutes les jeunes filles dans ce cas dans les Métamorphoses d’Ovide, qui, selon lui, mériteraient d’être relues en ce sens : se métamorphoser s’oppose à se reproduire [Il ne développe pas, mais si je vais au bout de sa pensée, je comprends que toutes les filles qui se métamorphosent en quelque chose pour échapper à un être masculin se retrouvent métamorphosées = monstrueuses = impures = menstruées!] Il glisse aussitôt vers Peau d’âne (on retrouve le monstrueux, la peau, le refus des relations sexuelles) et vers Cendrillon (où on retrouve le pied qui doit être montré). Il s’embarque ensuite dans une interprétation des légendes arthuriennes et liées au Graal tout à fait passionnante, où l’on retrouve tous les thèmes : le Roi Pêcheur, victime d’un écoulement régulier à la cuisse (une sorte de menstruation masculine), sa terre stérile (comme la terre où la femme de Loth s’était retournée, comme la terre sur laquelle on met du sang menstruel [d’après Pline et tous les auteurs médiévaux]), sa fille lépreuse et impure, qui engendrera Galaad, le chevalier pur [et évidemment, même s’il ne le reprend pas explicitement, le sang du Graal, et le lien avec le Christ, son âme, son sang, son image…]

La pucelle venimeuse : Il rappelle l’histoire, racontée dans les récits médiévaux sur Alexandre, de cette pucelle (jeune fille) à qui on aurait fait absorber depuis son plus jeune âge du poison pour qu’elle-même soit immunisée, et qui devait coucher avec Alexandre pour le tuer. [Cette histoire est effectivement dans mon corpus, car elle est évidemment en lien avec le motif de l’homme qui couche avec une femme menstruée (menstrue = poison) et qui risque d’attraper la lèpre (alors qu’elle-même est « porteur sain »)] Il fait le lien avec la conception même d’Alexandre, dont la mère Olympias aurait couché avec un serpent [version très reprise par les récits médiévaux], et aussi avec les interdits de l’Ancien Testament sur l’alimentation, la lèpre, les menstrues, qui d’après lui sont liés.

Les deux chairs : Il termine son article en constatant que les fêtes de Carnaval en Occident sont surtout dédiées aux hommes. Les femmes sont alors à l’écart, en train de se purifier (février). Il fait le lien avec les interdits pour les femmes menstruées sur la préparation de la viande, les salaisons, et sur le vin, équivalent d’un sang chaud et mâle.

Il conclut avec deux types de héros engendrés dans un cas particulier, soit pendant les règles de sa mère, et cela donne ces héros affectés d’une tare comme on l’a vu plus haut, soit avec une femme qui n’est pas du tout menstruée, une vieille (ex : Jean Baptiste, ou de nombreux héros de contes) ou une vierge (ex : Jésus) : il échappe alors dès le ventre maternel à la souillure du sang menstruel.

Et Gaignebet de finir très lyriquement : « Il pourra la [la vérité] contempler nue, sortie du puits, dans le miroir immaculé d’une lune claire, Hélène, Prounicé, Berthe, Mélusine, Véronique. L’Image vraie. »


Comme vous le voyez, c’est un article passionnant. À première lecture, on est sidéré, on se dit : « Mais oui ! Tout est lié ! » Après, je pense qu’il faut prendre un peu de distance et que Gaignebet se laisse parfois emporter par son enthousiasme. Il n’en reste pas moins évident qu’il y a des liens très forts dans de nombreuses civilisations entre menstruation, serpent, miroir, bain, maladie de peau, et tout ce qui tourne autour de ces thèmes.


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