mardi 15 mai 2012

Quand Félix prend parti


Les Gaulois sont à la mode cette année, notamment à travers une excellente exposition à la Cité des Sciences et de l'Industrie, à la fois extrêmement ludique (donc accessible aux jeunes enfants) et énormément documentée (donc pleinement satisfaisante pour des adultes cultivés et curieux). L'un de ses principaux intérêts est de montrer que l'image que nous avons du Gaulois est une construction subjective dont les sources sont multiples, des écrivains romains contemporains des Gaulois dont l'intérêt politique était de valoriser leurs qualités guerrières, mais de rabaisser leur aspect civilisé, à la caricature bon enfant d'Astérix, en passant par les Gaulois symbole de la lutte française contre l'empire germanique au XIXe s., ou encore par Vercingétorix flambeau aussi bien de la Résistance que du régime de Vichy lors de la deuxième guerre mondiale.

C'est avec toutes ces idées fort intéressantes en tête que je préparais il y a quelques mois un cours pour mes élèves de 4e, voulant les faire travailler sur une longue et relativement célèbre phrase d'un général romain du IIe s. av. JC cité par Tite-Live (historien romain du Ier s. av. JC), dans laquelle il décrit l'aspect physique des guerriers gaulois. Comme je le fais souvent en ce cas, surtout que le texte comportait des mots assez rares, j'ai comparé plusieurs traductions françaises.

Or, j'ai été assez surprise de constater que les chevelures « rutilatae » des guerriers gaulois étaient parfois traduites comme « rousses », parfois comme « teintes en rouge », ce qui est loin d'être pareil. Quand aux « tripudia », tandis que les uns en font des « bonds » ou des « trépignements », d'autre en font des « danses ». Naturellement, pour vérifier tout ça, je me tourne vers le Gaffiot, le plus célèbre et le plus utilisé des dictionnaires latin-français, publié par Félix Gaffiot en 1934. Et là, j'ai été plongée dans des abîmes de perplexité!

En effet, l'adjectif « rutilatus » évoque bien l'idée de « teint en rouge » (ou en roux), d'autant plus qu'il est tout simplement le participe passé du verbe « rutilo », « teindre en rouge ou en roux », et qu'il existe un autre adjectif (« rutilus ») pour dire « roux » ; mais... le Gaffiot donne aussi le sens de « roux » (c'est-à-dire roux naturellement, et pas à la suite d'une teinture) avec une seule référence : celle précisément du texte de Tite-Live dont je vous parle!

Quant à « tripudia », le mot désigne exactement une danse comportant des bonds, et il s'est spécialisé dans la désignation d'une danse religieuse exécutée par les Saliens, une catégorie particulière de prêtres romains. Dans le cas des Gaulois., ils s'agit sans doute d'une danse guerrière ritualisée (du genre des « hakas » des guerriers (puis rugbymen) de Nouvelle Zélande!). Or là aussi, Gaffiot nous propose une seule traduction par « bonds » avec une seule référence : encore celle de notre texte de Tite-Live!

Voilà donc que le Gaffiot, que je prenais pour une autorité objective, se permet de prendre parti. Et les conséquences sur le sens du texte n'en sont pas anodines!!! Dans tous les cas, les guerriers gaulois paraissent effrayants, mais dans le cas (vers lequel voudrait nous pousser Gaffiot) de guerriers naturellement roux exécutant des bonds (voire des trépignements, comme des enfants capricieux), ce sont juste des sauvages effrayants par leur nature ; tandis que dans le cas de guerriers aux cheveux teints d'une couleur vive et exécutant une danse ritualisée, ce sont les représentants d'une civilisation, d'une culture.

Comme souvent dans ce blog, la conclusion sera qu'il faut se méfier des idées reçues, et toujours se poser des questions, enquêter et tâcher d'aller aux sources.

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Pour finir, voici le texte en question de Tite-Live, et la traduction (adaptée de trois traductions1) qui me semble la meilleure :


Procera corpora, promissae et rutilatae comae, vasta scuta, praelongi gladii; ad hoc cantus ineuntium proelium et ululatus et tripudia, et quatientium scuta in patrium quendam modum horrendus armorum crepitus, omnia de industria composita ad terrorem.
Leur forte taille, leur chevelure flottante et teinte en rouge, leurs boucliers immenses, leurs épées démesurées, leurs chants de circonstance au moment d'engager le combat, leurs hurlements, leurs danses guerrières, le fracas horrible des armes heurtant les boucliers d'après un usage ancestral, tout est organisé à dessein pour inspirer la terreur.

Tite-Live (Ier s. av. JC), Histoire romaine, XXXVIII, 17 (2-6)
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1 La traduction de Nisard de 1864 (donc antérieure au Gaffiot), disponible sur le site Itinera Electronica, la traduction du manuel de latin de 4e de 2011 (Marie Berthelier et Annie Collognat-Barès) et une troisième trouvée sur une photocopie dans mes archives pour laquelle je n'ai malheureusement pas de référence de traduction.


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mardi 1 mai 2012

Google et l'oracle d'Apollon


       La manière dont on effectue une recherche sur un moteur de recherche peut être révélatrice de notre manière de raisonner. J'ai l'habitude – comme, je pense, beaucoup de gens formés à la vieille école des livres, des index et des tables des matières, avant l'ordinateur – de procéder par mots clés. Par exemple, pour une recherche sur les esclaves à Rome, je taperais « esclave Rome Antique ». Or j'ai remarqué que beaucoup d'élèves (et sans doute d'utilisateurs plus âgés) procèdent en posant directement une question à Google, par exemple : « Comment devient-on esclave à Rome? ». Je trouve qu'il y a dans cette attitude quelque chose de très proche de l'homme de l'Antiquité qui interrogeait un oracle!
       Alors, me direz-vous, je devrais me réjouir de ce que mes élèves procèdent comme les hommes de l'Antiquité!
       Hem! Pas tout à fait... D'abord, il est plutôt inquiétant de se positionner face à Google comme face à un dieu.
       D'autre part, tant qu'à imiter les Anciens, il serait bon que l'on tire parti de leurs erreurs aussi, et parmi celles-ci, les erreurs d'interprétation des oracles sont un motif récurrent de la littérature grecque et romaine. Je n'évoquerai que deux des plus célèbres erreurs d'interprétation de l'oracle d'Apollon : Œdipe qui n'avait pas compris de quel père et de quelle mère il s'agissait dans « Tu tueras ton père et tu épouseras ta mère », et Crésus qui n'avait pas compris de quel empire il s'agissait dans « Si tu attaques Cyrus, tu détruiras un grand empire. » (c'était son propre empire!).
       Or les élèves font exactement les mêmes erreurs d'interprétation face aux « oracles » de Google. Je me souviens d'une élève qui devait chercher un tableau du Parmesan représentant un épisode de la mythologie grecque et qui errait consciencieusement dans un site sur les fromages. Et je vous laisse imaginer où sont aller se fourvoyer ceux à qui j'ai eu la mauvaise idée de demander quel poète latin avait célébré la belle « Lesbie »!...

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       Et pourtant, moi aussi, je l'avoue, je suis allée consulter l'oracle! En fait, je me suis rendu compte que taper une question dans un moteur de recherche n'était pas si absurde, dans la mesure où l'on tombe souvent sur des forums de discussion où la question est abordée (avec des réponses d'une qualité variable, certes!). Mais surtout, j'ai compris que cela pouvait se révéler utile pour chercher la définition d'un mot : en effet, taper le mot seul va nous conduire vers des pages qui abordent la notion, mais qui ne la définissent pas, or en tapant « qu'est-ce que... » on a plus de chance de tomber sur une définition.
       Donc, ce jour-là, je me rends au temple oraculaire et je commence à poser ma question : « Qu'est-ce qu'un... » Mais voilà que la Pythie de Google prend les devants et me propose d'emblée les quatre questions les plus posées par les consultants qui m'ont précédée.
       Et là, stupeur! Car ces quatre questions sont (où étaient du moins, le jour où j'ai consulté Google) : « Qu'est-ce qu'un mythe? », « Qu'est-ce qu'un smartphone? », « Qu'est-ce qu'un blog? », « Qu'est-ce qu'un podcast? »
       Étrange et fascinant de trouver le mythe, l'éternel mythe, mêlé aux dernières inventions technologiques du monde moderne... Et encore une fois (et ce n'est pas moi qui le dit, c'est Google!), l'Antiquité, qui a inventé tous les mythes, est plus que présente dans notre monde d'aujourd'hui!...

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mardi 14 février 2012

Monstrueuse monnaie

Un petit peu d'étymologie aujourd'hui, pour rappeler que le monstre et la monnaie ont la même origine en français. Tous deux viennent en effet du verbe latin "moneo" qui signifie "avertir".

Le "monstre", c'est un avertissement des dieux. Pour les Romains, tout phénomène surnaturel était interprété ainsi, que ce soit un phénomène atmosphérique (éclipse ou encore pluie "de sang" (en réalité vraisemblablement chargée de sable rouge du Sahara)) ou la naissance d'un être vivant considéré comme anormal (nain, géant, frères siamois, personnes dotées de six doigts, et autres moutons à cinq pattes) : le sens de "monstre" va ensuite se restreindre à ce type d'êtres, pour dévier ensuite vers l'idée de créature effrayante, voire méchante. On revient beaucoup là-dessus, d'ailleurs, et les "gentils monstres" fleurissent dans la littérature et le cinéma enfantins de ces dernières années. Mais pour les Romains, le monstre n'était ni bon ni méchant, juste un signe des dieux.

Certains dieux étaient plus doués que les autres pour envoyer des messages (ou peut-être plus désireux d'aider les hommes) : je passe sur Apollon, prolifique en oracles, mais qui ont tous été compris de travers par les hommes! Il y a aussi Junon, que les Romains surnommaient précisément "Moneta", "l'avertisseuse". C'est sous cet épithète qu'ils lui ont consacré un temple à Rome. Or, c'est dans ce temple qu'on a pour la première fois battu monnaie. La monnaie fut donc appelée "moneta", d'où notre "monnaie" et le "money" des Anglais.

Le rapprochement des deux termes n'est pas sans susciter de riches réflexions...

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mardi 24 janvier 2012

... ou sa renaissance!

Cet article fait suite au précédent.
J'avais en effet parlé des noms scientifiques en latin dans les domaines de la botanique et de la zoologie. Or il semble qu'il y ait encore du nouveau dans ce dernier domaine, tout particulièrement en ce qui concerne les poissons.
Je suis tombée sur un article dans L'Ardennais :
http://www.lunion.presse.fr/article/autres-actus/nom-scientifique-des-poissons-sur-les-etiquettes-le-poissonnier-en-perd-son-lat
On nous y explique que la Commission Européenne réfléchit sérieusement à faire procéder à l'étiquetage des poissons avec le nom scientifique latin, afin qu'il n'y ait pas de méprises lors des exportations et importations internationales.

Le choc entre cette dernière nouvelle et celle que j'exposais dans l'article précédent est surprenant : au même moment, le latin scientifique perd du terrain dans un domaine et en regagne dans un autre!

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mardi 10 janvier 2012

La fin du latin scientifique?

Vous savez que tous les végétaux portent un nom scientifique international exprimé en latin ou avec des termes latinisés.

J'ai d'abord cru à un changement capital en lisant un article qui expliquait que depuis le 1er janvier 2012, il ne serait plus obligatoire d'utiliser le latin pour les nouveaux noms de plantes :
http://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2012/01/04/plantes-ne-parleront-plus-latin

Mais en essayant de remonter à la source, par exemple sur ce site :
http://knowledge.cta.int/fr/content/view/full/14529
ou encore dans le texte officiel (congrès de Melbourne de juillet 2011) :
http://www.ibc2011.com/downloads/Resolutions%20final%2030%20Jul.pdf (résolution 5),
et en consultant quelques forums, j'ai compris que ce n'est pas du nom qu'il s'agit, mais de la courte description officielle qui accompagne ce nom.

Donc, première bonne nouvelle : le latin (ou du moins une forme latine) est bien toujours d'actualité.
Quant au fait que la description ne soit plus nécessairement en latin, c'est peut-être une nouvelle décevante pour le latin, mais je dois avouer que pour moi, la nouvelle sidérante a plutôt été d'apprendre que jusqu'au 31 décembre 2011, il était encore obligatoire de rédiger cette présentation en latin!!! Le latin était donc bien encore, il y a moins de deux semaines, une langue internationale officielle!

Du coup, je me suis posé la question pour la zoologie... Difficile de trouver, car ce ne sont pas du tout les mêmes instances et rien n'est organisé pareil. Apparemment, pour la zoologie, il n'y a rien de plus récent que le code de nomenclature de 1999, que l'on peut trouver en français en format pdf.
En ce qui concerne les noms, il n'y a pas d'obligation de forme latine, il suffit que le nom soit une suite de mots facilement prononçable. Toutefois, une forme latine ou grecque est recommandée, et des dizaines et des dizaines de pages sont consacrées à des précisions sur les terminaisons du nom, précisions qui sont tout bonnement des règles de grammaire latine!
Quant à la description, il n'en est pas fait mention dans les 150 pages de ce code international de nomenclature zoologique. Sans doute n'était-il plus obligatoire depuis longtemps de la rédiger en latin...

Quoi qu'il en soit, il semble bien que, pour la botanique comme pour la zoologie, le latin ait encore de beaux jours devant lui!

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Toujours la musique grecque

Pour compléter mon message précédent, voici un nouveau lien:
http://www.francetv.fr/culturebox/ensemble-kerylos-la-musique-a-remonter-le-temps-72709

très intéressant, surtout le petit film en bas de la page (un reportage du 20h de France 2), où l'on peut, en un peu plus de deux minutes seulement, entendre le témoignage du papyrologue qui a trouvé le manuscrit dans le grenier du Louvre, découvrir comment on passe d'un manuscrit obscur à une partition moderne, faire connaissance avec la fameuse Anne Bélis, qui est décidément une grande dame, et écouter un peu de musique grecque avec des instruments d'époque reconstitués!...


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mercredi 23 novembre 2011

Alexandre et ses musiciens

Je suis allée voir il y a quelques semaines l'exposition du Louvre sur la Macédoine. J'ai d'ailleurs été un peu déçue, car j'avais compris au départ que c'était une exposition sur Alexandre le Grand (dont l'histoire me passionne, vu qu'elle a donné lieu à de formidables échanges entre Grèce et Mésopotamie). Les objets présentés m'ont toutefois intéressée, mais je n'ai pas pris garde à un petit papyrus minable sur lequel vient de paraître un article passionnant de Thomas Schlesser sur le site de "Rue89" : "Quelle musique écoutait-on sous Alexandre le Grand?" :

http://www.rue89.com/2011/11/22/quelle-musique-ecoutait-sous-alexandre-le-grand-226768

L'article raconte la découverte improbable d'un antique manuscrit trouvé roulé en boule au fond d'une boîte à biscuits dans un grenier du Louvre, or ce manuscrit est une partition musicale que la savante et passionnée Anne Bélis a réussi à reconstituer.

L'article présente aussi l'intérêt d'expliquer de façon simple et claire les rapports entre musique et politique à la cour d'Alexandre.

Enfin, on pourra, toujours sur cette page, écouter la reconstitution musicale de cette partition qui surgit du fond des temps!

Pour ceux qui veulent en savoir plus, un article plus complet, mais abordable d'Anne Bélis elle-même qui rend compte de sa découverte et de sa transcription en 2002 :

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_2004_num_148_3_22786

Je pense même que cet article d'Anne Bélis pourrait être utilisé avec des élèves pour leur montrer le cheminement d'un papyrus (photo) à son relevé (dessin noir et blanc), puis à sa transcription (texte et partition) pour aboutir à son interprétation.

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mardi 15 novembre 2011

Le collimateur

Alors que je feuilletais un très vieux dictionnaire encyclopédique qui me vient de mon grand-père (d'un certain B. Dupiney de Vorepierre, 1873), en cherchant le mot collège (je cherchais d'éventuelles précisions sur les « collèges » qui apparaissent dans la série télévisée « Rome », sortes de regroupements mafieux), je suis tombée... sur le collimateur! J'avoue que je ne m'étais jamais posé la question de l'origine de l'expression « être dans le collimateur » (de la justice, par exemple). En lisant l'article, j'ai d'abord été émerveillée par la beauté du langage technique, la précision du vocabulaire et des phrases, puis, au fur et à mesure que l'explication gagnait en complexité, amusée de n'y plus rien comprendre, mais ayant toujours envie de poursuivre ma lecture pour goûter la beauté d'un texte presque poétique!
Lisez-le, savourez-le, et vous repenserez avec émotion à ce beau langage technique la prochaine fois que vous lirez un mode d'emploi traduit par un traducteur automatique!



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vendredi 28 octobre 2011

Encore un passeur de savoir : Sosigène d'Alexandrie.


Vous savez comme j'aime ces « passeurs de savoirs », ces hommes (et parfois femmes) qui se sont trouvés à un moment de l'Histoire au carrefour entre deux (voire plus) civilisations, et qui sont malheureusement souvent assez peu connus, précisément parce qu'ils n'ont été « que » des passeurs, pas des inventeurs.
Je vous ai déjà parlé ici

Aujourd'hui, voici un homme au nom obscur, Sosigène d'Alexandrie. Et pourtant, c'est à cet homme que nous devons le calendrier julien. On peut se douter, en effet, que Jules César, en dépit de sa large culture, ne possédait pas un savoir en astronomie poussé au point de concevoir tout de suite la réforme capitale (et bientôt mondiale) qui porte son nom. On sait, donc, qu'il a été aidé et conseillé par un astronome d'Alexandrie du nom de Sosigène. Mais sur ce dernier, on sait peu de choses. Ce n'était probablement pas lui-même un grand inventeur, mais du moins un très bon vulgarisateur qui a su expliquer les dernières découvertes grecques à Jules César.

Cependant (de même que je l'ai fait pour Bérose et Callisthène), on peut beaucoup imaginer :
  • Peut-être Sosigène a-t-il aussi vulgarisé la science grecque pour Lucrèce, qui est contemporain de César, et dont le De Natura Rerum, outre un splendide poème et un grand traité philosophique, est aussi un livre de physique très technique...
  • Peut-être Sosigène était-il le directeur de la fameuse bibliothèque d'Alexandrie...
  • Peut-être est-ce Cléopâtre (qui était aussi une souveraine éclairée et savante) qui l'a présenté à César...
  • Peut-être Sosigène a-t-il suivi César à Rome, comme Cléopâtre et leur fils Césarion...
Je vous laisse poursuivre ces hypothèses et continuer à rêver sur la vie de cet homme inconnu, mais dont la vie ne fut certainement pas banale...

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mercredi 5 octobre 2011

Pourquoi apprendre le latin ou le grec?

J'avais amorcé quelques pistes sur l'intérêt des apprentissages quels qu'ils soient dans un précédent article :
http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/10/quoi-sert-il-dapprendre.html

Ma dernière piste concernait le fait de devenir un citoyen responsable et un être humain tolérant. Je suis récemment retombée sur un texte que j'avais pieusement recopié lorsque j'étais étudiante, un extrait d'un ouvrage de Fernand Robert sur l'humanisme. Or ce texte, que j'avais complètement oublié, part de cette même idée et développe les mêmes arguments que ceux que je donne quand on me demande l'intérêt d'étudier les langues anciennes. Bien qu'écrit il y a plus de soixante ans, il est d'une actualité brûlante et, ce qui ne gâche rien, d'un style délicieux.

« Ce qui est excellent, et que les études classiques seules produisent, c’est l’habitude, acquise dès les plus jeunes années, et pour la vie entière, de penser, non seulement que tout est dit, mais que tout a été déjà senti, éprouvé, que rien ne se passe dans notre âme qui ne se soit déjà passé dans d’autres âmes, et depuis qu’il y a des hommes, et qui pensent, et qui sentent.
Ce dont nous avons besoin par-dessus tout dans notre vie morale, c'est de ne jamais nous croire singuliers, et c'est de ne jamais nous sentir seuls. Il n'est pas humaniste, celui qui dit : « Je suis ainsi, et il faut me prendre comme je suis. » Notre premier mouvement est de nous complaire en nous-mêmes, et toute la morale, tout l'apprentissage de la vie en société, c'est de nous guérir de ce mouvement-là.
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Vous dites que depuis vingt ans que vous avez quitté le collège, vous n’avez pas ouvert un livre latin ni grec, et que, soudain, aujourd’hui, dans un moment de loisir, la fantaisie vous ayant pris (peut-être pour aider votre fils à faire sa version) de vérifier si vous étiez encore capable de traduire une phrase de Tite-Live, vous avez piteusement échoué. Et vous vous demandez si vraiment il valait la peine de passer six ans de votre jeunesse à un travail si dur, pour un résultat aussi précaire.
Mais jamais, dans vos études, le latin n’a été une fin en soi. Même si, n’ayant pas entretenu votre connaissance des langues mortes, vous êtes complètement incapable aujourd’hui de traduire un texte, et, disons plus, même si vous avez été un cancre pendant vos années de collège et si votre incapacité de traduire date de ce temps-là, du moins avez-vous pris, pendant les six années les plus formatrices, l’habitude de penser qu’aucune situation psychologique n’est nouvelle dans l’histoire de l’humanité. S’il vous est resté, fût-ce très confusément, cette idée que vos états psychologiques, vos émotions, vos sentiments, vos désirs, vos pensées, ne sont point particulièrement, singulièrement vous-même, mais vous apparentent à d’autres hommes, et non point seulement aux hommes de votre temps (ce qui serait encore un genre de singularité), mais à des hommes qui vivaient il y a deux mille ans et plus, alors vos études n’ont pas manqué complètement leur but, car ce qu’elles cherchaient par-dessus tout à produire, c’est cette habitude de votre esprit, qui reste intacte, maintenant que vous ne savez plus traduire.
Là vraiment, il y a quelque chose qui reste quand on a tout oublié, et même quand on n’a pas très bien appris. »

Fernand Robert, L’humanisme, essai de définition (Les Belles Lettres, 1946), pp. 137-141.


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jeudi 1 septembre 2011

… Mais il nous a fait savourer un beau texte

Cet article fait suite au précédent, d'où son titre.
En effet, je ne voulais pas vraiment quitter Victor Hugo sur cette note tragique. Victor Hugo est avant tout un écrivain, et si son texte nous a fait réfléchir, il nous enchante aussi par sa beauté littéraire.
J'avais cité dans mon dernier article quelques passages lyriques et je vous rappelle l'adresse où vous pouvez lire la lettre dans son intégralité :

Je voulais juste aujourd'hui faire un gros plan sur deux tous petits passages qui m'ont charmée :

Évoquant la situation de l'Humanité avant l'invention de la navigation aérienne, Hugo s'exclame :
« Le moindre hochequeue raillait Newton pensif. »
Vous aurez reconnu un alexandrin blanc, comme le grand homme en semait parfois inconsciemment dans ses écrits, si accoutumé qu'il était à s'exprimer en vers! Et celui-là est plein de charme. En le lisant, je ne peux que penser aux planches de la « Rubrique à brac » de Gotlib, dans laquelle il a fait de Newton un personnage si attachant et haut en couleur et dans laquelle il raconte parfois des histoires de petits oiseaux, comme le pluvier qui nettoie les dents du crocodile. Monsieur Gotlib, si jamais un jour vous lisez ces lignes et que vous envisagiez de refaire une planche de la Rubrique à brac, je suis sûre que ce vers de Victor Hugo vous inspirera!

Une autre phrase a retenu mon attention, je l'avais citée dans l'article précédent. Il s'agit de :
« Qui n'a pas avec soi et en soi son moteur, est mû, mais ne se meut pas. »
Mon instinct de professeur de français s'est aussitôt emballé en voyant dans la même phrase trois mots de la même famille : un nom exprimant le sujet de l'action (« moteur »), un verbe au passif (« être mû ») et le même verbe à la forme pronominale (« se mouvoir »), et je n'ai pas pu m'empêcher de me dire : « Ah! Cela ferait un formidable exercice : écrire des phrases sur le même modèle! » En fait, je me suis très vite rendu compte que ce n'est pas du tout évident. Alors, c'est mon instinct d'amatrice de jeux d'écriture qui s'est éveillé, et je me suis amusée à trouver le maximum de familles de mots avec lesquelles ce modèle marche. Quelques exemples parmi les plus réussis :
« Qui n'a pas avec soi et en soi son tracteur, est tracté, mais ne se tracte pas. »
« Qui n'a pas avec soi et en soi son arrosoir, est arrosé, mais ne s'arrose pas. »
« Qui n'a pas avec soi et en soi sa nourriture, est nourri, mais ne se nourrit pas. »
« Qui n'a pas avec soi et en soi sa culture, est cultivé, mais ne se cultive pas. »
« Qui n'a pas avec soi et en soi son divertissement, est diverti, mais ne se divertit pas. »
« Qui n'a pas avec soi et en soi sa liberté, est libéré, mais ne se libère pas. »

A vous de continuer à vous amuser avec Victor Hugo!

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mardi 16 août 2011

L'avion de Victor Hugo n'a pas sauvé le monde.

J'ai récemment découvert sur un des « sentiers fleuris » d'internet un texte surprenant à plus d'un titre. L'auteur n'en est personne d'autre que le grand Victor Hugo lui-même, mais le sujet en est fort inattendu puisque – sans prononcer ce mot qui n'existait pas encore – il parle de l'aviation!
Il s'agit d'une lettre envoyée en 1863 à Félix Nadar, le célèbre photographe, dont on sait moins qu'il a aussi été un pionnier de la navigation aérienne en ballon. Après quelques lignes de félicitations, Hugo en vient vite au fait qui lui tient à cœur : le ballon n'est qu'une étape, car il dépend du vent, le pilote ne peut le mouvoir à sa guise : « Qui n'a pas en soi son moteur, est mû, mais ne se meut pas. » Hugo imagine donc judicieusement l'étape suivante : un véhicule aérien capable de se mouvoir de lui-même. Mais il ne donne pas la moindre indication sur ce que serait le fonctionnement de cet appareil rêvé, car ce n'est pas cela qui l'intéresse, mais bien les conséquences de cette navigation aérienne sur l'Humanité.

Et là, après le premier sujet d'étonnement (Victor Hugo a imaginé l'aviation un demi-siècle avant son invention, Jules Verne n'était pas le seul écrivain à avoir anticipé les inventions modernes du XXe s.), vient un sujet, là, de stupéfaction : le grand homme était un doux rêveur, un naïf idéaliste.
Vous vous souvenez sans doute d'un article que j'ai écrit il y a quelques mois et qui avait un titre semblable à celui d'aujourd'hui (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2011/02/larchitecte-qui-voulait-sauver-le-monde.html). J'y racontais comment Claude-Nicolas Ledoux croyait sincèrement (et – de notre point de vue actuel – naïvement) qu'une architecture intelligemment pensée pourrait amener la paix et l'harmonie entre les hommes. Victor Hugo pense la même chose de l'aviation. En effet, selon lui, elle abolira les frontières, donc il n'y aura plus de guerres, plus de douanes, plus d'exils ; et du coup, plus de tyrannies, la paix universelle, etc. Voici quelques passages parmi les plus lyriques :
« Depuis six mille ans, en effet, l'homme est noué. La vieille coupure violente du nœud gordien, c'est-à-dire la civilisation par la guerre, a été jusqu'ici l'expédient. Expédient bête et misérable. Mettez l'homme en possession de l'atmosphère, le lien des ténèbres se défera de lui-même.
Arminius a délivré la Germanie, Pélage l'Espagne, Wasa la Suède, Washington l'Amérique du Nord, Bolivar l'Amérique du Sud, Botzaris la Grèce, Garibaldi l'Italie. La Pologne en ce moment délivre la Pologne. Cela est grand et beau. Faisons plus, délivrons l'homme. »
« C'est toute la borne abolie. C'est toute la séparation détruite. C'est le vieux nœud gordien lâchant prise. C'est toute la tyrannie sans raison d'être. C'est l'évanouissement des armées, des chocs, des guerres, des exploitations, des asservissements, des haines. C'est la colossale révolution pacifique. C'est brusquement, soudain, et comme par un coup d'aurore, l'ouverture de la vieille cage des siècles. C'est l'immense mise en liberté du genre humain. »
Je ne peux pas tout citer. Allez donc lire l'intégralité de la lettre (elle n'est pas longue) ici : http://membres.multimania.fr/almasty/hugonad.htm

Une lecture très attentive décèle toutefois sous ce bel idéalisme un européanocentrisme qui préfigure les méfaits de la colonisation, puis ceux de la mondialisation :
« C'est l'Europe délivrant les autres continents dans l'éblouissement du monde assistant à cette vision : le progrès planant. » et « Ensemencement de fraternité sous toutes les latitudes, ébauche immédiate d'amélioration sous toutes les zones, imposition à tous les bégaiements et à tous les patois de l'idiome le plus voisin du verbe. »
Je n'aime pas du tout cette dernière expression, qui me rappelle ce que les Grecs appelaient « barbares », à savoir tous ceux qui, ne parlant pas grec, s'exprimaient selon eux par borborygmes.
Mais Victor Hugo croyait certainement sincèrement, comme beaucoup d'intellectuels de son temps, que l'Europe détenait une civilisation supérieure et que c'était faire preuve de générosité que de la répandre de par le monde. Et, à l'exception de cette réserve, on ne peut que souscrire au programme qu'il projette : la paix, la fraternité entre les hommes, la liberté de circuler, la démocratie, etc.

Or, ce rêve, comme celui de Claude-Nicolas Ledoux, comme ceux de tous les utopistes des XVIIIe et XIXe s., a échoué, et ce du fait de quelques simples lois (douanes dans les aéroports, police des frontières).
Mais ce qui est bien pire, et qui ferait presque rire si cela ne faisait pas pleurer, c'est que non seulement l'aviation n'a pas apporté la paix universelle, mais elle est au contraire responsable des pires atrocités des XXe et XXIe s., celles qui font que plus aucun intellectuel d'aujourd'hui n'oserait exprimer de tels espoirs de paix universelle. Dès l'invention de l'aviation, pendant la première guerre mondiale, qui a traumatisé à vie tous ceux qui l'ont vécue, qu'est-ce qui a fait de cette guerre une « guerre moderne »? Les avions. Les bombes atomiques lâchées en 1945 sur Hiroshima et Nagasaki? Et l'écroulement des tours du World Trade Center à New York en 2001? Toujours des avions...

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vendredi 15 juillet 2011

Parlez-moi babylonien!

J'ai récemment entendu parler d'un chercheur de l'université de Cambridge, Martin Worthington, qui est parvenu à retrouver la probable prononciation de la langue babylonienne. Passionnée comme vous le savez par les Babyloniens, j'ai tenté d'en savoir plus. J'ai trouvé une interview de lui, dans laquelle il explique qu'il a pu recréer cette prononciation en recoupant plusieurs sources, comme la comparaison avec des langues sémitiques actuelles ou la transcription de mots babyloniens dans des textes écrits dans d'autres langues dont nous connaissons mieux la prononciation, comme le grec ancien ou l'araméen. L'interview est à écouter ici (en anglais) :

On trouve aussi l'article annonçant la nouvelle (qui date de septembre dernier) sur le site d'actualités de l'Université de Cambridge :

Cet article renvoie à une page où nous pouvons écouter les textes, accompagnés de leur transcription en caractères latins et de leur traduction en anglais : un vrai régal!

Brusquement, le babylonien devient une langue vivante et je peux m'imaginer bercée par la voix de mon cher Bérose (dont je vous parlais il y a bientôt quatre ans : cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/11/brose-et-callisthne-des-passeurs-de.html)

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En revanche, cette recherche m'a aussi causé une sacrée surprise, et plutôt amère! En effet, la curiosité m'a prise d'aller voir s'il n'y aurait pas une vidéo montrant Mister Martin Worthington himself déclamant du babylonien. Or, en tapant sur un moteur de recherche son nom complet, le nom de cette langue et le mot « vidéo », on tombe hélas sur quelque chose qui n'a rien à voir! Il s'agit de pseudo documentaires de ces illuminés qui prennent les Sumériens pour des extra-terrestres et que j'avais déjà évoqués ici (cf.http://cheminsantiques.blogspot.com/2009/09/homme-poisson-ou-petit-homme-vert.html)! Je trouve ces théories plus risibles que graves, mais je suis tout de même choquée et attristée de constater qu'en cherchant des informations sur le travail d'un vrai scientifique, on tombe en premier sur des élucubrations bien éloignées de la vraie science.
Et cela nous prouve une fois de plus, si on ne le savait pas encore, qu'internet n'est pas du tout fiable pour qui ne l'aborde pas muni d'un solide esprit critique!


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lundi 20 juin 2011

« L'enfant gras », ou comment le latin permet de dévoiler les vices cachés des produits de grande consommation

Une élève s'étant plongée dans le dictionnaire de latin s'exclama soudain :
- Ça alors, « pinguis », ça veut dire « gras »!
- Oui, en effet. (Je ne voyais pas l'objet de sa stupéfaction)
- Mais alors, les « Kinder Pingui », c'est gras!

Trop heureuse de saisir l'occasion, je rebondis aussitôt par une tirade moralisatrice contre les friandises dont la société de consommation abreuvent nos enfants, quand un autre élève, germaniste, me stoppe net dans mon enthousiasme :
- Mais pas du tout! « Kinder » veut dire « enfant » en allemand et « pingui » veut dire « pingouin », d'ailleurs il y a un pingouin sur le logo! « Kinder Pingui », ça veut dire « Enfant Pingouin ».

Je reconnais qu'il a raison et qu'il aurait été absurde de la part d'un industriel d'afficher ouvertement un défaut de son produit. J'explique ensuite aux élèves que le mot « pingouin », que ce soit dans sa version française ou allemande, vient bien du latin « pinguis » : en effet, le pingouin est doté d'une épaisse couche de graisse sous sa peau pour le protéger du froid.

Ma première élève tenait à sa découverte :
- N'empêche que « Pingui » vient bien de « pinguis », et que « Kinder Pingui » c'est un « enfant gras »! Je n'en mangerai plus!

Et voilà comment le latin a permis à une jeune consommatrice de déjouer les pièges tendus par les industriels! Vous voyez bien que ça sert, le latin!

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samedi 21 mai 2011

Les premiers mots de l'humanité

Hérodote, un de mes auteurs grecs préférés, raconte une anecdote savoureuse à propos du roi égyptien Psammétique. Ce dernier ayant voulu savoir quelle langue était la première de l'humanité, fit élever deux nouveaux-nés sans la moindre communication, et un beau jour, ils s'exclamèrent « bécos », qui veut dire « pain » en phrygien!
Le texte complet est ici :
Les Égyptiens se croyaient, avant le règne de Psammitichus, le plus ancien peuple de la terre. Ce prince ayant voulu savoir, à son avènement à la couronne, quelle nation avait le plus de droit à ce titre, ils ont pensé, depuis ce temps-là, que les Phrygiens étaient non seulement plus anciens qu'eux, mais qu'ils l'étaient plus que toutes les autres nations. Les recherches de ce prince ayant été jusqu'alors infructueuses, voici les moyens qu'il imagina : il prit deux enfants de basse extraction nouveau-nés , les remit à un berger pour les élever parmi ses troupeaux, lui ordonna d'empêcher qui que ce fût de prononcer un seul mot en leur présence, de les tenir enfermés dans une cabane dont l'entrée fût interdite à tout le monde, de leur amener, à des temps fixes, des chèvres pour les nourrir, et, lorsqu'ils auraient pris leur repas, de vaquer à ses autres occupations. En donnant ces ordres, ce prince voulait savoir quel serait le premier mot que prononceraient ces enfants quand ils auraient cessé de rendre des sons inarticulés. Ce moyen lui réussit. Deux ans après que le berger eut commencé à en prendre soin, comme il ouvrait la porte et qu'il entrait dans la cabane, ces deux enfants, se traînant vers lui, se mirent à crier : Bécos, en lui tendant les mains. La première fois que le berger les entendit prononcer cette parole, il resta tranquille ; mais ayant remarqué que, lorsqu'il entrait pour en prendre soin, ils répétaient souvent le même mot, il en avertit le roi, qui lui ordonna de les lui amener. Psammitichus les ayant entendu parler lui-même, et s'étant informé chez quels peuples on se servait du mot bécos, et ce qu'il signifiait, il apprit que les Phrygiens appelaient ainsi le pain. Les Égyptiens, ayant pesé ces choses, cédèrent aux Phrygiens l'antériorité, et les reconnurent pour plus anciens qu'eux.
Hérodote, L'Enquête, II 2, traduction Larcher

Évidemment, aujourd'hui, cette expérience nous paraît complètement idiote, et nous savons hélas que les enfants privés de communication humaine deviennent des enfants sauvages, comme le célèbre Victor de l'Aveyron.
Cependant, le questionnement sur l'origine du langage est toujours là. A la fois, comme dans l'expérience de Psammétique, de l'origine du langage dans l'histoire de l'humanité, et de l'origine du langage chez chaque individu humain. J'imagine qu'il doit y avoir des recherches activement menées dans ce domaine par les spécialistes des neurosciences, dans le genre de celle, édifiante, menée sur l'origine de la lecture et dont je vous avais parlé il y a deux ans :
et

A ma modeste échelle, j'ai observé mes propres enfants. Non, c'est promis, je ne les ai pas enfermés dans une cabane seuls avec du lait de chèvre, mais j'ai simplement notés leurs premiers mots, dans l'ordre d'apparition.

Dans les dix ou douze premiers mots, on trouve beaucoup de points communs : « Papa », « Maman », + le nom de la grande sœur pour le cadet, « Non », « Caca », « Coucou », « Au revoir » et « Ham » (= « manger »). Ces mots semblent donc d'une importance capitale! Et de même pour quelques autres arrivés peu après, comme « Encore », « Doudou » ou « Pain ».
Leur propre nom (prononcé à leur façon, mais reconnaissable) est arrivé au même stade pour chacun d'entre eux, autour du vingtième mot.

Mais il est intéressant (même si je suis consciente que cela a peu de signification en ne comparant que deux enfants) et amusant de repérer les différences.
Rien d'étonnant à ce que le garçon compte « Zizi » parmi ses premiers mots et pas la fille! Rien d'étonnant non plus à ce que l'un ait très tôt parlé du « Feu » (de cheminée) et l'autre des « Myrtilles » (tout dépend de la saison à laquelle a eu lieu l'explosion du langage!), que celle qui a eu la chance d'aller à la campagne en été à cette époque ait désigné comme premiers animaux « Poule » et « Escargot », tandis que celui qui a passé son hiver en appartement parle plus de « Crabe » et de « Girafe »... en plastique, bien sûr! Ou encore que celle pour qui la sortie du dimanche consistait souvent à aller voir passer les RER dans le Parc Montsouris ait parlé de « Train », tandis que celui qui voit avec envie sa grande sœur jouer aux sept familles avec les grands préfère « Carte »...
Mais pourquoi la grande compte-t-elle « Là » et « Voilà » comme troisième et septième mots alors que le petit ne les disait pas encore à un stade bien plus avancé? On pourra dire que la première est plus active et le second plus contemplatif, mais cette explication est sans doute tirée par les cheveux... Et pourquoi le cinquième mot du petit est-il « Nez » et qu'il adore montrer son nez et celui de tous ceux qui l'entourent? Pour le coup, voilà qui est plus actif que contemplatif!

Vous l'aurez compris, je l'espère, loin de moi l'idée de partir dans un délire interprétatif. Je suis juste émerveillée de voir à quel point les êtres humains sont à la fois semblables et différents, et, cette vérité que je retrouve tous les jours en côtoyant les Grecs et les Romains d'autrefois – si semblables et si différents de nous – , de la retrouver chez mes propres enfants.

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mercredi 16 mars 2011

L'Antique Parade


En prélude au Festival Européen Latin Grec qui commence demain à Paris et dont je vous parle chaque année, avait lieu dimanche dernier la première Antique Parade à travers les rues de Paris. Encore modeste pour la première année, elle n'en fut pas moins très réussie.

Après un parcours du Jardin du Luxembourg aux Arènes de Lutèce sous les yeux médusés des promeneurs du dimanche et des habitants à leurs fenêtres, elle s'est terminée par une heure de spectacles dans les dites Arènes sous les yeux encore plus médusés des footballeurs du dimanche, qui ont parfois cessé leurs passes pour écouter les accents énergiques de la troisième Pythique de Pindare déclamée dans le texte au son d'une mélodie grecque antique exécutée à la guitare électrique...



Des hoplites rue Soufflot.

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vendredi 18 février 2011

L'architecte qui voulait sauver le monde

Je suis allée visiter dans ses derniers jours l'exposition du Louvre « L'Antiquité rêvée », qui présente l'inspiration de l'Antiquité chez les artistes (essentiellement peintres, sculpteurs, architectes et décorateurs) du XVIIIe s.  (vous pouvez en avoir un aperçu sur ce site : http://mini-site.louvre.fr/saison18e/index_f.php?expo=antiquite_revee#/antiquite_revee)(note en 2019 : le site n'existe plus et c'est dommage, mais je laisse le lien pour mémoire).
J'ai été un peu déçue : non pas que l'exposition fût mal faite ; elle était excellente et très intéressante comme le sont habituellement les expositions du Louvre ; mais, décidément, l'art du XVIIIe s. européen est souvent bien froid.
Il y a des exceptions, heureusement, et quelques œuvres m'ont ravie. J'ai aussi découvert des artistes que j'ignorais, comme l'architecte Etienne Boullée : son projet de cénotaphe pour Newton (une gigantesque sphère) m'a beaucoup surprise : d'abord naturellement parce que c'est une forme tout à fait inhabituelle et frappante en architecture (même dans notre moderne XXIe s.), mais aussi et surtout parce qu'avant d'aller lire la légende, j'étais persuadée que ce dessin était l'œuvre d'un autre grand architecte du XVIIIe s., Claude Nicolas Ledoux, Claude Nicolas Ledoux dont le nom était d'ailleurs cité sur le panneau de présentation de la salle où figurait le dessin de Boullée, mais pas la moindre œuvre de lui! Pour le coup, cette absence fut un vrai regret, car c'est un artiste auquel je suis profondément attachée, et j'ai donc décidé d'en profiter pour mener mes sentiers fleuris du côté de sa ville idéale.

CN Ledoux était un inventeur et artiste de génie, mais arrivé au mauvais moment, c'est pourquoi sa notoriété est moyenne. On connaît surtout les bâtiments qu'il a fait édifier pour la Saline Royale d'Arc-et-Senans dans le Doubs, mais ce superbe demi-cercle qui suscite déjà l'admiration des touristes devait dans le projet initial former un cercle complet, et ce cercle ne devait être que l'élément central d'une ville idéale construite autour de la saline ; mais il dut s'arrêter là, faute de moyens dans le budget royal. Il est aussi l'auteur de charmants petits pavillons dressés à toutes les portes de Paris (destinés aux fonctionnaires percevant l'octroi de ceux qui entraient dans la ville), lesquels, à peine quelques années après leur construction, ont été détruits par la Révolution qui y voyait le symbole de l'oppression fiscale : il n'en reste qu'un sur la place Denfert-Rochereau, un sur la place Stalingrad, au bord du canal, et deux ou trois autres. Enfin le livre qu'il avait projeté d'écrire pour expliquer sa vision du monde, de l'humanité et de l'art, fut interrompu par son arrestation pendant la Terreur et resta à l'état de brouillon.

Ce qui m'a d'abord fascinée chez CN Ledoux, c'est le style absolument stupéfiant et qui ne ressemble à aucun autre (sauf celui de Boullée, puis-je ajouter maintenant!) des bâtiments qu'il a imaginés. A une époque de mon adolescence où je cherchais de l'inspiration pour imaginer la maison de mes rêves, ses planches (photocopiées dans un ouvrage trouvé à la bibliothèque) m'ont longuement fait rêver.
Ce n'est que plus tard que j'ai découvert son œuvre littéraire, qui a été éditée en 1804 deux ans avant sa mort ; les éditions Hermann en ont édité en 1997 un fac-simile que j'ai dans mes rayonnages. Si j'ai parlé plus haut d'un texte à l'état de brouillon, c'est qu'on a du mal à le suivre. Il n'y a pas de chapitres, si ce n'est des titres de planches, mais le texte qui suit ne correspond pas toujours exactement à la planche. Le texte semble être construit selon le fil de sa pensée et sans ordre clair. Il saute sans cesse de descriptions précises de bâtiments qu'il a conçus à des tirades poétiques ou morales évoquant la vie dans sa ville idéale. Face à une telle écriture et à une telle personnalité, il ne faut pas essayer de comprendre à tout prix, mais se laisser emporter par ses élans. Alors, derrière le fouillis des mots, on voit se dresser un homme qui croyait vraiment au progrès de l'Humanité – beaucoup d'Européens y croyaient sincèrement en cette fin de XVIIIe s. : qu'avons-nous fait en deux petits siècles pour qu'aujourd'hui l'Humanité soit redevenue aussi, voire encore plus désabusée qu'aux temps antiques et médiévaux? – , et qui croyait, avec un orgueil naïf, que l'architecture et en particulier la sienne pouvait apporter aux hommes le bien-être, la morale, la concorde, le bonheur...

Mais ne terminons pas cet article sans découvrir l'art de Ledoux, car je pense que je vous ai mis l'eau à la bouche! Pour son œuvre architecturale (réalisée ou projetée), un simple « Claude Nicolas Ledoux » tapé dans un moteur de recherche d'images vous donnera une idée de l'audace et de la beauté de ses conceptions. Quant à son œuvre littéraire, il est dur de choisir! J'ai finalement opté pour un passage où l'on trouve à la fois son style lyrique, ses considérations morales et sa description d'un bâtiment :
« Maison des commis employés à la surveillance.
Déjà le roi des saisons réjouissait l'univers ; son trône décorait majestueusement le cercle écliptique ; les Heures sortaient de leur retraite, et se tenant par la main, provoquaient, au son des instruments, la gaieté du matin. Les fleurs, les plantes aromatiques distribuaient leurs parfums, et le dieu bienfaiteur régénérait la terre. L'aurore vacillante déployait un jour incertain sur le fond du tableau, lorsque j'aperçus un édifice qui, par son étendue, ne pouvait prétendre à de grands effets ; le point de vue était un peu éloigné ; cependant on avait invité les ombres à noircir les surfaces qui en étaient susceptibles. On avait approfondi un porche pour protéger les murs du second plan contre les souffles pénétrants du nord. On voyait des bossages rustiques et additionnels aux forces ordinaires ; des colonnes d'une proportion courtes faisaient oublier les pertes de l'écartement, et l'art s'enorgueillissait de ces contours outrés (c'est toujours le voyageur qui parle). J'ignore le prestige qui fascinait ma vue, mais ce genre de construction me plaisait. La pierre, la brique, m'offraient des tons variés, et la masse entière était en opposition avec des arbres verts, des arbres à fruits ; alors les plaisirs étaient purs, les peines légères ; l'âme encore dans le sommeil de la candeur méprisait les vanités ; l'amour ignorait les maux qui le suivent ; l'hymen, les dégoûts qui le fatiguent. O! délires impuissants qui applaudissez de tout, parce que vous ignorez tout, prolongez les chimères consolatrices de l'école, ce n'est que là où l'imagination n'est point enchaînée.
La coupe indique la hauteur des planchers. »
Claude Nicolas Ledoux, L'architecture
considérée sous le rapport de l'art, des meurs et de la législation, p. 204-206


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dimanche 30 janvier 2011

Le printemps des Romains

Si vous avez, comme moi, un balcon, voire un jardin, vous aurez sans doute remarqué cette semaine, alors que le temps ne s'est pas radouci (au contraire!), une multitude de fraîches petites pousses vertes qui pointent leur nez droit vers le ciel.
Je n'ai pas manqué d'être frappée, quand j'ai fait cette observation, par une coïncidence singulière, mais loin d'être fortuite. Vous savez que je vis avec mes élèves au rythme du calendrier romain (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/11/halloween-chez-les-romains.html). Or, précisément, cette semaine, du 24 au 31 janvier, les Romains fêtaient les Paganalia, une fête des semailles pour protéger les tendres pousses qui pointent en janvier, avec sacrifices à Tellus, la divinité de la Terre et à Cérès, la déesse de l'agriculture. Et le 7 février, une semaine plus tard, était considéré par eux comme le premier jour du printemps, pour les mêmes raisons.
Vous aurez donc une pensée pour les Romains, ce week-end, en faisant l'inspection de vos jardinières...


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jeudi 23 décembre 2010

La banane de Pline

Encore une question d'élève :
- Comment dit-on « banane » en latin?
- Mais voyons, les Romains ne connaissaient pas les bananes!

Cela dit, je ne laisse pas complètement en plan mon élève, car je me souviens avoir justement vu avec une certaine stupeur ce mot dans un des manuels de latin américains que je commande parfois sur le site « Amazon ». Les Américains enseignent le latin comme une langue vivante. Ils sont donc moins calés que nous sur le contexte culturel nécessaire à une bonne compréhension des textes d'auteurs ; en revanche, ils manient la langue avec beaucoup plus d'aisance que nous et rentrent donc beaucoup plus facilement dans ces textes d'auteurs ; rien n'est parfait! Si je fais parfois mon marché parmi les manuels d'outre Atlantique, ce n'est pas pour contrevenir aux instructions officielles du programme de l'Education Nationale française, c'est juste pour piocher ponctuellement des idées de petits dialogues faciles qui soulagent les élèves en leur donnant le sentiment d'avoir compris un texte entier sans peiner.

Bref! De retour chez moi, je me plonge dans le manuel en question et retrouve facilement ma banane : « ariena »! Voilà qui est surprenant, car on aurait pu s'attendre à « banana », mais d'où sort ce « ariena » bien précis, qui ne veut dire « banane » dans aucune langue moderne, pour désigner une réalité inconnue des Romains?

Je saute sur le Gaffiot qui, de « ariena », me renvoie à « ariera » et j'apprends que c'est le fruit du jaquier, un arbre que je n'avais pas l'heur de connaître. Il y a une référence : Pline, XII 24. C'est le chapitre consacré aux arbres exotiques dans l'Histoire Naturelle de Pline l'Ancien. Je commence à comprendre : il se peut que les Romains n'aient pas connu la banane, mais qu'un auteur l'ait décrite d'après des récits de voyageurs.

Bon. Je tente de trouver le texte de Pline en question, en latin et si possible en traduction française, ce qui, malgré la magie d'internet, n'est pas si facile, car Pline a écrit une telle somme que rares sont les traducteurs qui ont osé le traduire entièrement (apparemment, il n'existe que des traductions du XIXe s. (inutile de dire qu'on ne les trouve plus à la Fnac!)) et que rares sont les internautes d'aujourd'hui qui ont fini de le numériser entièrement en latin! D'autre part, il s'avère que « XII 24 » est parfois référencé « XII 12 », il doit y avoir des chapitres et des paragraphes qui se superposent...
Bref, j'ai fini par trouver, et je vous soumets le texte dans la traduction de Littré légèrement modifiée :
« Un autre arbre fruitier, plus grand, l'emporte par la grosseur et la saveur de son fruit, dont les sages de l'Inde se nourrissent. La feuille a la forme d'une aile d'oiseau ; elle est longue de trois coudées, et large de deux. Le fruit sort de l'écorce ; il est admirable par la douceur de son suc ; un seul suffit pour rassasier quatre personnes. L'arbre se nomme pala ; le fruit ariena. Il abonde surtout dans le pays des Sydraques, terme de l'expédition d'Alexandre. »

D'autre part, en cherchant un peu, là encore sur internet, j'ai compris que l'on avait parfois pensé que Pline décrivait dans ce texte la banane, avant de découvrir qu'il s'agissait plutôt du fruit du jaquier.
Du coup, même si cette interprétation a été démentie, il était tentant de proposer ce mot latin existant pour traduire notre si commune banane ; et je ne pense pas que le bon Pline s'en serait offusqué...

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Un commentaire à cet article m'a été fait deux ans plus tard, le 10 septembre 2012 :

Une recherche + approfondie mais rapide sur Internet nous dit que lorsque Alexandre parvint aux Indes, il défendit à tous ses soldats de consommer ce fruit jaune, trop lourd, disait-il, et capable de réduire les forces de son armée. Ainsi l'armée d'Alexandre le Grand a-elle certainement apporté des bananiers en Europe, et grecs et romains ont-ils probablement cultivé et mangé ces fruits. MUSA est le terme latin botanique et l'Académie de Latin, même de France, devrait accepter MUSA, faute de trouver d'autres traductions certaines chez les auteurs latins et grecs classiques. Et il est prudent de ne pas avoir trop d'a priori en matière d'histoire. Les migrations humaines et naturelles des plantes à travers le monde sont bien plus anciennes que les romains, qui ne sont pas les inventeurs exclusifs de "la civilisation".

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Ma réponse à ce commentaire :

Merci pour ces compléments d'informations, mais ils ne font que poser de nouvelles questions, qui me passionnent, mais auxquelles je n'ai à mon grand regret pas trouvé de réponse.

D'abord, l'histoire d'Alexandre. Vous avez raison, il suffit d'une recherche très rapide sur internet (Alexandre + banane!) pour voir apparaître l'anecdote que vous citez, en plusieurs centaines d'exemplaires, le même texte mot pour mot, comme toujours sur internet! Mais quant à trouver la source, bon courage! Pour m'être intéressée il y a quelques années à l'expédition d'Alexandre (à propos de ma chère Mésopotamie), je sais que son histoire est principalement relatée par quatre auteurs antiques : Diodore de Sicile, Arrien, Plutarque et Quinte-Curce. Bien que cette question m'intrigue, j'avoue n'avoir pas le courage de me plonger dans la relecture de ces quatre œuvres, d'autant plus qu'un grand nombre d'autres auteurs anciens parlent aussi d'Alexandre, ce qui est le cas d'ailleurs de Pline dans le texte que je citais dans mon billet.

Deuxième problème : même sans avoir le texte sous les yeux, je pense qu'il est difficile d'affirmer avec certitude que le fruit jaune et lourd cité était bien une banane. On voit bien pour le texte de Pline que les uns penchent pour la banane, les autres pour le fruit du jaquier ; et je crains qu'on ne puisse jamais savoir la vérité exacte.

Une dernière question m'est évoquée par la deuxième partie de votre commentaire, concernant le mot "musa". De même que je m'étais interrogée sur l'origine du mot "arena", je m'interroge sur celle de "musa", mais je n'ai pas trouvé de réponse, ce mot n'existant pas en latin classique.

Finalement, après toutes ces questions sans réponses, je laisse le dernier mot à l'imagination. Dans le manga Thermae Romae, l'auteure Mari Yamazaki imagine que son héros, un Romain de l'Antiquité, qui fait des allers et retours avec le Japon contemporain, en aurait rapporté une banane, dont il aurait planté une graine dans le jardin de l'empereur Hadrien : une petite pousse sort de terre, mais finit, hélas, écrasée sous les ébats amoureux du fils adoptif de l'empereur et de sa belle! Qui sait? Voilà peut-être comment les Romains connurent ou ne connurent jamais la banane!...

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Ajouts en 2022 :

- Je trouve qu'il y a 12 ans (je n'étais pourtant pas si jeune !), j'avais un style un peu ampoulé que je n'ai plus. Il semblerait qu'en vieillissant j'aie mûri comme une bonne banane ! 

- Il existe désormais une traduction française récente dans une édition commode à consulter et en un seul volume des Histoires Naturelles de Pline l'Ancien. C'est l'œuvre de Stéphane Schmitt publiée en 2013 dans la collection La Pléiade.

- En ce qui concerne le mot "musa", l'explication en était à portée de souris (d'ordinateur). Une courte recherche m'a appris qu'il vient du nom d'Antonius Musa, médecin de l'empereur Auguste, dont j'apprends qu'il a soigné entre autres le grand poète Horace et le beau Marcellus (neveu d'Auguste hélas mort jeune, dont nous avons conservé une sublime statue en pied visible au Louvre et deux sublimes vers de Virgile dans l'Énéide). "Le naturaliste Carl von Linné donna en son honneur le nom de Musa au genre Musa, qui regroupe les bananiers" (d'après https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Antonius_Musa).

- D'autre part, c'est probablement ce nom latin scientifique qui est à l'origine du nom courant de la banane en arabe, موز , "mouz", transcription de "musa".

- Quelques points encore irrésolus :
--> "ariena"/ "ariera" désignait-il un fruit correspondant à la banane ou non ?
--> pourquoi Linné a-t-il choisi le nom d'Antonius Musa pour désigner la banane ? Était-ce un simple hommage sans raison précise ou y a-t-il un lien entre ce médecin et ce fruit ?

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