lundi 6 avril 2015

Les larmes de Pierre


Je suis allée mercredi dernier au théâtre des Champs Élysées écouter La Passion selon saint Matthieu de Bach. C'est un morceau qui me bouleverse depuis mon adolescence, et c'était une expérience merveilleuse de pouvoir l'entendre en entier, en voyant les musiciens et les chanteurs. D'autre part, le théâtre nous a offert en même temps le texte, qui défilait sur un écran, ce qui m'a permis de comprendre beaucoup mieux le sens des chants qui m'émouvaient tant. Je savais évidemment qu'il s'agissait de la Passion de Jésus, mais sans avoir la moindre idée du détail de chaque chant.
C'est ainsi que j'ai découvert à quoi correspondait mon passage préféré, un chant déchirant d'une voix féminine alto accompagnée d'un violon solo. J'avais toujours pensé naïvement que c'était une femme qui s'y exprimait, Marie-Madeleine (en effet très présente dans cette œuvre) ou la Vierge Marie. Or, il s'agit en réalité d'une plainte de Pierre (j'ai trouvé depuis que ce passage est parfois connu sous le nom de « Larmes de Pierre » ou « Larmes de saint Pierre », et que ce thème a par ailleurs inspiré des peintres célèbres, comme Velázquez ou Georges de La Tour...). Notons qu'après avoir un peu fureté sur internet, je me suis rendu compte que ce passage pouvait être chanté par un alto femme ou homme et que la simple audition (du moins pour une non avertie comme moi!) ne permettait pas du tout d'identifier le sexe du chanteur. Du coup, je pense que Bach l'avait écrit au départ pour un homme, ce qui explique mieux l'attribution des paroles à Pierre. Cela se situe juste après le moment où saint Pierre a renié trois fois Jésus, déclarant « Je ne connais pas cet homme », puis le coq a chanté, et il a compris que la prophétie de Jésus (qui lui avait prédit qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq) était juste. Il est désespéré, il a honte de l'avoir trahi, honte de sa lâcheté, et il lance ce chant déchirant, qui commence par « Erbarme dich » (« Aie pitié »).
Cela m'a beaucoup impressionnée et beaucoup plu que ce passage, pour moi le plus beau de l'ensemble, sublime la plainte de quelqu'un qui a failli, qui a été lâche, et qui en a honte. C'est tellement humain ! Qui d'entre nous n'a jamais été lâche et n'en a jamais eu honte ? Si seulement les religions pouvaient toujours être ainsi au plus près de l'humain !
La découverte du sens de ce chant m'a émue également pour une toute autre raison. Dans le roman que je suis en train d'écrire (cf. http://cheminsantiques.blogspot.fr/2015/01/chemins-antiques-sentiers-fleuris-et.html), à un moment, l'un de mes héros trahit la femme qu'il aime, fait semblant de ne pas la connaître (pour des raisons que vous saurez quand le roman sera publié!!!) et il est ensuite torturé par la honte de cet acte lâche. Aussi, en entendant ce chant et en enlevant juste le « Mein Gott » (« mon Dieu »), je croyais entendre les déchirements de l'âme de mon cher héros...

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Le texte :
Erbarme dich, mein Gott,
Um meiner Zähren Willen !
Shaue hier, Herz und Auge
Weint vor dir bitterlich.
Erbarme dich, mein Gott !
 
Aie pitié, mon Dieu,
à la vue de mes larmes !
Vois, mon cœur et mes yeux
pleurent devant toi amèrement.
Aie pitié, mon Dieu !
 
Le texte entier de La Passion selon saint Matthieu en allemand avec la traduction française :

Et pour écouter « Erbarme dich », il existe de nombreuses vidéos sur Youtube, dont plusieurs avec un alto homme (mais pas le célèbre Philippe Jaroussky tant apprécié de plusieurs des lecteurs de ce blog!!!) qui sont très impressionnantes. Toutefois, la version que j'ai préférée est interprétée par une femme : l'expression de son visage est aussi sublime que son chant ! Pour ces six minutes d'extase, allez voir ici :

Bonnes larmes !

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lundi 30 mars 2015

Mon dragon d'amour


Je poursuis encore avec un article sur sainte Marguerite. Vous aurez remarqué lors des précédents articles le lien très fort qui unit sainte Marguerite et le dragon. Pourrait-on aller jusqu'à parler d'amour ou de sexualité dans cette histoire ? C'est indéniable.
D'abord, parce que ce couple représente la confrontation du principe masculin et du principe féminin. L'on touche déjà là au premier point intéressant de la question : car, de Marguerite et du dragon, qui représente le principe féminin et qui représente le principe masculin ? Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas si évident.
Bien sûr, on pense tout de suite au masculin pour le dragon, le monstre qui s'attaque à une jeune vierge, qui la « mange » (un récit de Wace (XIIe s.) sur sainte Marguerite raconte même explicitement que – sous sa forme non de dragon, mais de démon – il a tenté de la violer). Mais le dragon représente aussi par d'autres aspects le principe féminin, car c'est lui qui, comme la femme, saigne (voir l'avant-dernier article), lui qui, comme la femme, porte dans son ventre (voir le dernier article). D'autre part, si la dévoration représente l'acte sexuel, il faudrait regarder de plus près certaines enluminures où, loin d'être une victime attaquée violemment, Marguerite semble se jeter volontairement, « pénétrer » dans la gueule ouverte du dragon.
 
Oxford, Bodleian Library, Ms Douce 41, f.21r
 Pages illustrées du manuscrit consultables en ligne : http://bodley30.bodley.ox.ac.uk:8180/luna/servlet/view/all/what/MS.+Douce+41
Livre de la passion de sainte Marguerite la Vierge, avec la vie de sainte Agnès, et des prières à Jésus-Christ et la Vierge Marie.
Florence, Bibliothèque Riccardiana, Ms Ricc. 453, f.13v
 Entièrement consultable en ligne : http://www.wdl.org/fr/item/10648/

Cette remarque nous amène au deuxième point : l'amour suggéré par certains artistes entre Marguerite et le dragon. Nous venons de voir que Marguerite pouvait être représentée comme une « victime consentante ». Si l'on observe à présent les enluminures, beaucoup plus nombreuses, qui représentent Marguerite au moment où elle sort du corps du dragon, on est frappé de constater que dans un grand nombre d'entre elles, la jeune fille et le dragon se regardent doucement, la tête légèrement penchée l'un vers l'autre, avec tendresse, avec la complicité d'une aventure intime vécue ensemble.
Livre d'Heures, « Heures de Llangattock », Flandres, vers 1450 (Willem Vrelant)
Los Angeles, Paul Getty Museum, Ms Ludwig IX 7, f. 23v

Livre de prières de Charles le Téméraire, 1469 (Lieven van Lathem)
Los Angeles, Paul Getty Museum, Ms 37, f.49v

 Livre d'Heures, XVe s.
Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Codex Vindobonensis Palatinus 1926, f. 26v

 Livre d'Heures à l'usage d'Amiens, 1er quart du XVIe s.
Abbeville, BM, Impr FA 16 in 8 281, f.105v

Cette richesse de suggestion des enluminures disparaît dans les peintures sur tableaux. Le thème de Marguerite ne fait alors plus l'objet en soi d'une représentation picturale : sainte Marguerite voisine avec d'autres saintes (notamment Catherine) et saints dans une représentation plus large, par exemple une Vierge à l'Enfant. Les saints ne sont alors là que pour le décor et un gros dragon ferait tache ! C'est pourquoi Marguerite est alors fréquemment représentée avec un tout petit dragon en laisse, semblable à ces petits chiens de compagnie avec lequel les dames de la fin du Moyen Age aimaient déjà s'afficher. Notre parallélisme avec une histoire de couple ne trouve alors plus guère d'écho... à moins qu'il faille y voir le principe masculin et agressif du dragon réduit à n'être plus qu'un « homme objet » entre les mains de la femme puissante et sage qu'est Marguerite ?

Bartholomaüs Zeitblom, Sainte Barbe, sainte Marguerite, sainte Anne, sainte Dorothée et sainte Marie Madeleine, vers 1511 (Allemagne, Augsbourg, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Staatsgalerie in der Katharinenkirche)
 Détail


 Artiste inconnu, Mariage de sainte Catherine, vers 1500, Magyar Nemzeti Galéria, Budapest
 Détail

Sainte Catherine d'Alexandrie, sainte Marie Madeleine et sainte Marguerite d'Antioche. autel de  Trebon, Tchéquie,1380

Détail


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samedi 7 mars 2015

Perle, dragon et accouchement


Cet article sera un compte-rendu de l'un des articles qui m'a le plus étonnée et intéressée dans mes lectures sur sainte Marguerite et le dragon, car il relie tous les éléments de cette légende (l'héroïne ressortant du dragon, la signification de son nom « Margarita » = « perle » en latin, sa protection des accouchements) et leur donne du sens.
Albert Jean-Pierre, « La légende de sainte Marguerite : un mythe maïeutique ? », in Razo, Cahiers du Centre d’Études Médiévales de l'Université de Nice, 8, 1988, p.19-31.
L'auteur part de plusieurs textes chrétiens anciens qui prennent la perle comme symbole de Jésus Christ. De même que la perle se cache tout au fond de la mer, à l'intérieur de l'huître laide et grossière, de même Jésus cache sa splendeur divine sous des apparences humbles, il naît dans une étable et se laisse crucifier. Or on retrouve ces éléments dans la légende de Marguerite, d'une beauté parfaite aux sens propre et figuré et qui subit sans protester les pires tortures. Et parmi ces tortures, l'une retient l'attention de l'auteur : Marguerite est d'abord brûlée par des torches, puis jetée dans un bassin d'eau. L'eau et le feu. On les retrouve à propos de la perle qui naissait, pensaient les Anciens, de la fécondation de la rosée ou de l'écume de la mer, par le soleil (vous voyez au passage le rapprochement avec Aphrodite, née aussi de l'écume de la mer et apparue dans un coquillage, mais cela fera l'objet d'un autre article!). On retrouve aussi l'eau et le feu dans la figure du dragon qui, comme vous le savez, crache du feu, et qui, dans de nombreuses cultures, naît de l'eau ou vit dans des eaux souterraines... Enfin, Marguerite est jetée dans un affreux cachot, puis dévorée par un affreux dragon, deux éléments à mettre en relation avec la perle enfermée dans l'affreuse huître.
L'auteur poursuit en évoquant des bestiaires du Moyen Age qui racontent comment l'hydre, un animal imaginaire, fait exprès de se faire dévorer par le crocodile pour ensuite le déchiqueter de l'intérieur et en ressortir indemne. Ces bestiaires font de l'hydre le symbole de Jésus Christ, et comparent son incarnation dans le ventre de la Vierge et son supplice sur la Croix au ventre du crocodile. Or, cette histoire d'hydre et de crocodile fait évidemment penser à Marguerite se laissant dévorer par le dragon puis en ressortant indemne après l'avoir déchiqueté de l'intérieur.
Partant de ces rapprochements, l'auteur pense pouvoir expliquer ainsi le fait que sainte Marguerite était la protectrice des accouchements. Puisque le ventre de la Vierge est comparé par des auteurs anciens au ventre du « crocodile » et même à l'enfer, ce sera a fortiori le cas du ventre d'une simple femme, et le parcours de l'enfant qui vient au monde sera celui d'un être qui, comme la perle, comme Jésus, comme Marguerite, a été enfermé dans un lieu laid et terrifiant, et en ressort indemne, dans toute son intégrité et sa perfection.
Si je synthétise, l'auteur se livre à plusieurs parallélismes que l'on pourrait résumer par la phrase : « D'un lieu affreux, effrayant et sombre, où il était enfermé et caché, sort à la lumière un être (une chose) indemne, pur et parfait. » Ce qui se décline en :
  • De l'huître, sort la perle.
  • Du ventre de la Vierge / De l'humble condition terrestre / Du monde de souffrances des mortels, sort Jésus Christ.
  • Des enfers, sort le héros qui y a effectué une descente (j'en ai moins parlé, mais cet aspect est rapidement évoqué par l'auteur).
  • Du ventre du dragon, sort Marguerite / Margarita.
  • Du ventre de la femme, sort le nouveau-né.
L'auteur termine en évoquant la déclaration de Marguerite avant sa mort (d'après La Légende dorée de Jacques de Voragine) assurant que tout accouchement se déroulerait bien si on lisait l'histoire de sa vie pendant l'accouchement ou si on en déposait une version écrite sur le ventre de la parturiente. Cette déclaration témoigne en fait a posteriori d'une pratique déjà bien ancrée quand Jacques de Voragine écrit, au XIIIe s. On en a un autre témoignage par l'archéologie, grâce aux sachets accoucheurs de sainte Marguerite. Je ne m'y étends pas (mais je consacrerai peut-être un autre article à ce sujet passionnant) : en quelques mots, il s'agit de sachets utilisés comme talismans et contenant entre autres un parchemin plié en petit et contenant d'une écriture minuscule des épisodes de la vie de sainte Marguerite ainsi que diverses formules magiques. On en a retrouvé quatre aux XIXe et XXe s. Le plus frappant est que certains de ces sachets, dont des éléments remontaient au XIIIe s., étant encore en usage dans les familles (à qui ils ont ensuite été rendus) !

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dimanche 22 février 2015

Sang de dragon


Vous vous souvenez sans doute d'un article que j'avais écrit sur ce blog il y a plus de deux ans :
J'y expliquais le lien linguistique entre deux plantes aromatiques, basilic et estragon, et deux monstres, basilic et dragon. La seule chose que je n'avais pas élucidée était la raison qui avait fait donner à la plante « estragon » un nom de dragon. J'avais émis une hypothèse concernant l'aspect serpentant de la plante.

Or, au cours de mes recherches actuelles, j'ai trouvé quelque chose de bien plus intéressant, dans un article de Marcello Castellana (sémioticien à l'Université Paul Verlaine-Metz), « La cuisine à l'estragon », publié dans Dragons, entre sciences et fictions (ouvrage collectif dirigé par Jean-Marie Privat, Paris, CNRS Editions, 2006, p. 85-92). Il commence par dresser un catalogue de nombreuses langues où le mot désignant l'estragon est apparenté au mot désignant le dragon, soulignant ainsi que cette parenté à été perçue dans de nombreuses et différentes cultures. Il explique ensuite que l'estragon est reconnu comme efficace contre trois affections qui ont un lien avec le dragon : les morsures de serpent, les brûlures d'estomac (en lien avec le feu brûlant craché par le dragon), et la dysménorrhée ou les accouchements difficiles (en lien avec le sang souvent associé au dragon). Voilà donc pour l'estragon. Mais ce n'est pas fini.
Marcello Castellana s'attarde en effet ensuite sur ce thème du sang du dragon : censé donner l'immortalité à Sigurd qui s'y baigne dans le mythologie celtique, il est aussi dans de nombreuses cultures considéré comme un remède à la stérilité de la femme ou à la stérilité de la terre, ce qui est finalement assez proche symboliquement ! Marcello Castellana oppose ainsi l'homme (le héros « sauroctone », c'est-à-dire «  tueur de dragon » comme on en retrouve dans toutes les cultures, de Persée à saint Georges, pour les plus connus) qui doit tuer le dragon pour en arroser la terre et assurer la fertilité de cette terre (voir par exemple le mythe de Cadmos, le fondateur de Thèbes), et la femme, qui au contraire doit « limiter les excès de perte de sang » pour « sauvegarder sa puissance génératrice ».
Ce qui m'a frappée, c'est que dans cet article où le nom de sainte Marguerite n'est pas cité une seule fois, sa présence est pourtant omniprésente entre les lignes ! Son histoire est en effet fortement liée au sang du dragon, qu'elle répand quand elle le transperce pour en sortir, ainsi qu'à la protection des accouchements, qu'elle est réputée assurer. Je me dis d'ailleurs que cette vertu attribuée à sainte Marguerite ne lui vient peut-être pas seulement du fait qu'elle est un personnage sorti indemne du ventre d'un être vivant (comme le nouveau-né du ventre de sa mère), mais aussi de cette notion de fécondité fréquemment associée au sang de dragon.
Toutefois, on a là une inversion par rapport au motif explicité Marcello Castellana et évoqué plus haut, puisque dans l'histoire de sainte Marguerite, c'est une femme qui répand le sang du dragon. Si cet aspect du sang n'est absolument pas présent dans les textes médiévaux rapportant sa légende ni dans les peintures, vitraux ou sculptures, où le dragon est plutôt à ses pieds comme un chien fidèle, en revanche, certains auteurs d'enluminures ont mis tout leur soin à représenter le sang répandu, 

parfois en fines gouttelettes, 
Livre d'heures d'Amherst, XVe s., 
Baltimore, Walters Art Museum, Ms W.167, f.101v
(descendre au folio 101 v)

parfois en longues coulures.
Livre d’heures, 1405-1409, Ms « Belles heures du Duc de Berry », 
New York, The Metropolitan Museum of Art, Ms The
Cloisters Collection 1954, f. 177r

Mais l'enluminure la plus spectaculaire reste celle où Marguerite est représentée hors du dragon, qui montre à l'air libre son affreuse blessure béante jusqu'au côtes !
 « Prayer book », « Livre de prières d'Anne de Bretagne », 1492-95,  
New York, The Pierpont Morgan Library, Ms M50, f. 20v
(aller au folio 20v)

Ce sang répandu est aussi à mettre en relation avec le sang d'une vierge déflorée, dans la mesure, j'en parlerai dans un prochain article, où la dévoration de Marguerite par le dragon peut être vue symboliquement comme un acte sexuel, mais c'est ici le dragon qui saigne, tandis que la vierge sort « indemne » (tous les textes qui racontent sa vie insistent sur ce terme, qui n'est pas sans rappeler l'intégrité physique des vierges si chère aux auteurs chrétiens du Moyen Age : cf. Laurence Moulinier, « Le corps des jeunes filles dans les traités médicaux du Moyen Age », p. 103-107, dans Les corps des jeunes filles, de l'Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 2001). Cette espèce de virginité miraculeuse fait évidemment écho à celle de la Vierge.
C'est un des symboles chrétiens de cette histoire. Nous en verrons d'autres.

Ajout en décembre 2016
Cet article est désormais complété par celui-ci : http://cheminsantiques.blogspot.fr/2016/12/du-sang-du-dragon-au-sang-de-marguerite.html

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jeudi 12 février 2015

Néron et Agrippine au bord du Rhin (2/2)


Oui, j'en ai fini avec Agrippine, née au centre de la future Cologne et morte sur ordre de son fils, frappée au ventre qui l'avait porté, mais je n'en ai pas fini avec sa famille.
Non loin de Cologne se trouve la ville d'Aix-la-Chapelle (« Aachen ») en allemand, capitale de Charlemagne. La ville se nomme en latin « Aquae Grani », « les eaux de Granus », Granus étant en général présenté comme une divinité locale. Or une légende (dont je n'ai pas réussi à trouver la source) fait de ce Granus... un frère de Néron, qui aurait fondé la ville ! N'ayant pas d'autres éléments, on peut se livrer à toutes les suppositions : frère ou demi-frère ? Et en ce cas, du même père ou de la même mère ? Personnellement, je vois bien un autre fils d'Agrippine qui serait resté ou revenu dans la région natale de sa mère. Un sage, qui aurait préféré rester à l'écart du pouvoir et de Rome, ayant bien compris que la probabilité d'y mourir jeune et de mort violente était presque absolue ! Et le père de ce Granus ? Je verrais bien un bel Ubien, blond Germain qu'Agrippine aurait fréquenté dans son enfance et secrètement aimé, bien plus sincèrement que sa collection de maris romains empoisonnés...

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jeudi 29 janvier 2015

Néron et Agrippine au bord du Rhin (1/2)


Je vous disais dans l'article précédent que je m'engageais désormais sur des chemins médiévaux. Toutefois ces chemins finissent toujours par me ramener aux chemins antiques. C'est aussi le cas avec la ville de Cologne. Je vous ai parlé de mon roman en gestation qui se déroule à Cologne dans la première moitié du XVIe s. Je n'ai pas vraiment choisi ce lieu, qui m'a été imposé par l'étincelle qui a donné naissance à mon roman, un tableau (suivi de plusieurs autres) du peintre Barthel Bruyn, actif précisément à Cologne à cette époque. Or, au fur et à mesure que je me renseignais sur cette ville, elle est devenu bien plus que le simple décor du roman, presque un personnage à part entière !
Et ce dès sa fondation, qui nous plonge d'emblée dans les débuts sanglants de l'empire romain. Sa création proprement dite remonte à 38 ou à 20 (selon les sources) av. JC, lorsqu'Agrippa, le meilleur ami d'Octave-Auguste (1er empereur romain) et son futur gendre, installe sur le bord romain du Rhin une colonie de peuplement pour les Ubiens, tribu germanique venu de l'autre côté du Rhin, mais malmenés par les autres tribus germaniques en raison de leur alliance avec les Romains. Ce n'est donc d'abord qu'une sorte de camp militaire amélioré qui s'appelle «Oppidum des Ubiens » (« Oppidum Ubiorum »). En 8 ou 5 av. JC, elle accueille un autel du culte d'Auguste (en faisant donc ainsi une sorte de « capitale » de la Germanie (en Gaule, un semblable autel était installé à Lyon, ce qui en faisait la « capitale » des trois provinces gauloises)), et elle prend le nom d' « Autel des Ubiens » (« Ara Ubiorum »).
Or, en 15 ap. JC, un an après la mort d'Auguste, son petit-neveu Germanicus, un jeune homme brillant et apprécié de nombreux Romains, dirige les légions romaines stationnées sur les bords du Rhin. Les hommes de pouvoir n'ont pas attendu notre siècle pour comprendre l'effet positif sur le peuple de s'afficher dans leur vie familiale. Germanicus a donc emmené avec lui sur le front sa femme Agrippine enceinte et ses trois premiers enfants, dont le plus petit a droit à un petit costume de légionnaire romain ajusté à sa taille, qui le fait surnommer affectueusement par les soldats « Caligula » (c'est-à-dire « Petite caliga », la « caliga » étant la sandale du légionnaire), surnom qui restera dans l'histoire quand des années plus tard il deviendra empereur. Agrippine accouche dans l'oppidum même : le quatrième enfant du couple est une fille, elle est nommée « Agrippine », comme sa mère. Oui, c'est celle que vous connaissez, c'est la mère de Néron.
En 50 ap. JC, cette petite Agrippine, après les morts (suspectes?) de ses deux premiers maris, est mariée depuis un an à son oncle Claude, empereur. Ce dernier décide d'honorer le lieu de naissance de sa femme en lui donnant le statut officiel de colonie romaine. La ville s'appellera désormais « Colonia Claudia Ara Agrippinensis » (« Colonie claudienne, autel d'Agrippine ») ou selon une variante « Colonia Claudia Ara Agrippinensium » (« Colonie claudienne, autel des Agrippiniens »).
Je ne crois pas qu'il existe beaucoup d'autres villes dans le monde qui tirent leur nom (« Cologne » ou « Köln » est le « Colonia » de « Colonia Claudia Ara Agrippinensis ») et leur fondation d'une personne née à cet endroit ! Et pas n'importe quelle personne : peut-être la femme à la réputation la plus sulfureuse de toute l'histoire romaine, accusée d'avoir été l'amante de son frère Caligula, du philosophe Sénèque, et de bien d'autres, accusée d'avoir empoisonné ses trois maris successifs et bien d'autres personnes ; mais qui sait combien de ces accusations étaient fondées ? C'est aussi une tragique figure de mère, qui doit sa mort à son propre fils et qui, quand arrive le soldat envoyé par Néron chargé de l'exécuter, lui demande de « frapper au ventre »...

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vendredi 23 janvier 2015

Chemins antiques, sentiers fleuris, et sang de dragon


Chers lecteurs fidèles et occasionnels,

Après presque un an d'interruption, je reprends le fil de ce blog. Dans l'article d'aujourd'hui, je vais vous conter vers quelles contrées inconnues m'ont menée mes sentiers fleuris au cours de cette année, au point de vous abandonner momentanément...
J'avais déjà quelque peu ralenti mon rythme depuis septembre 2011, date à laquelle j'avais repris des études, études d'histoire. D'autre part, depuis un peu plus d'un an, j'ai entamé le vaste projet de l'écriture d'un roman. Ces deux activités, jointes à ma vie professionnelle et à ma vie privée, ne m'ont au bout d'un moment plus laissé un instant pour concevoir et rédiger de nouveaux articles de mon blog. A présent, je reprends un peu mon souffle et je vais essayer de me ménager à nouveau du temps pour reprendre le rythme d'écriture de ce blog qui était d'environ deux fois par mois.
Si j'ai parlé de contrées inconnues, c'est que mes chemins, d'antiques, sont surtout devenus médiévaux.
Le roman que je porte se passe à Cologne dans la première moitié du XVIe s. : c'est le Moyen Age finissant, la rupture de la Réforme ne se dessinant que petit à petit. Ne connaissant rien de l'histoire du Saint Empire Romain Germanique, qui malheureusement ne s'enseigne pas en France (ce qui est aberrant quand on se rend compte que c'est un empire dont le territoire couvrait la moitié de l'Europe et qui s'est étendu du IXe au XIXe s.! Ce n'est pas anecdotique!), j'ai beaucoup lu ces derniers temps à ce sujet, et de manière plus générale sur l'Europe et sur le Moyen Age. J'en profite au passage pour signaler un livre incontournable (et très agréable à lire) sur l'ensemble de ces sujets : L'Europe est-elle née au Moyen Age ?, de Jacques Le Goff. Mon roman tournant également autour d'éléments symboliques (pierres précieuses, objets sacrés, animaux fétiches, blasons, etc.), je me suis plongée aussi dans la lecture des ouvrages de Michel Pastoureau, que je connaissais déjà un peu (là, l'incontournable est : Une histoire symbolique du Moyen Age occidental).
Bref, quand je me suis retrouvée à cette rentrée universitaire à devoir choisir un sujet de recherche de master, alors que je pensais me replonger dans mon sujet de prédilection, les contacts entre Grecs et Mésopotamiens dans l'Antiquité, j'ai finalement laissé tomber mon ancienne passion pour me jeter à corps perdu dans le Moyen Age. J'ai entrepris une recherche sur la symbolique du dragon dans la légende de sainte Marguerite au Moyen Age. Il s'agit d'une sainte martyre de l'Antiquité tardive qui, alors qu'elle est en prison (où l'a jetée un persécuteur romain païen), voit apparaître le diable sous la forme d'un dragon : le dragon la dévore, mais elle en ressort indemne en déchirant son corps d'une croix. Cette histoire est reliée aux nombreuses autres histoires de héros tueurs de dragon dans de nombreuses civilisations, mais aussi aux nombreuses légendes associant femme et dragon (ou serpent, qui est le même animal dans la plupart des cultures), parmi lesquelles on trouve des choses aussi différentes qu'Eve, Mélusine, ou les Vouivres de Franche-Comté... Si j'ajoute encore la symbolique extrêmement riche de la perle (« margarita » en latin), vous comprendrez que le sujet est une mine inépuisable !
Je m'arrête donc là pour aujourd'hui, mais vous promets que je vais développer plusieurs de ces sujets dans des articles à venir.

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jeudi 6 février 2014

Ovide et al Mu'tamid : exil dans les boues et les glaces


Je vais vous parler aujourd'hui de deux poètes que je connaissais tous deux depuis longtemps, mais dont je n'avais jamais réalisé à quel point leur destin était semblable. Il s'agit d'Ovide (Publius Ovidius Naso), poète latin né en 43 av. JC et mort en 17 ou 18 ap. JC, et d'al Mu'tamid (Abu al Qasim Muhammad al Mu'tamid ibn Abbad), poète arabe andalou né en 1040 et mort en 1095.

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Tous deux ont commencé avec une carrière brillante de poète à succès, qu'avantageait leur position sociale : Ovide, protégé du cercle des poètes d'Auguste, le premier empereur de Rome ; al Mu'tamid, souverain de la riche et (encore) puissante principauté de Séville, lui-même à la tête d'un cercle de poètes. Tous deux se sont signalés par des poèmes d'amour, des poèmes brillants, mais où la recherche de la préciosité l'emportait sur la sincérité de la passion.

Et puis, le choc, la chute, et pour tous deux un douloureux exil.

Pour Ovide, une raison encore mystérieuse, apparemment, d'après ce qu'il livre à demi-mots, liée à quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir (quand on sait la vie dissolue que menait Julie, la fille de l'empereur, d'après les auteurs contemporains, on peut avoir une petite idée de ce qu'il a eu le malheur de surprendre...). Cette faute lui valut d'être exilé à Tomes, sur les bords de la Mer Noire, en Roumanie actuelle, loin de toute civilisation.

Pour al Mu'tamid, c'est sa principauté qui se trouva prise en tenaille entre au sud les Berbères Almoravides, et au nord les Francs de Castille. Qu'il s'allie avec les uns ou avec les autres, il savait qu'il finirait victime du vainqueur, mais préférant, comme il le dit, finir « gardien de chameaux plutôt que gardien de cochons », il choisit l’alliance avec les Almoravides, ce qui le conduisit en effet quelques années plus tard à l'exil au Maroc, dans un dénuement proche de celui d'un gardien de chameaux...

Et pour les deux, la métamorphose : cette douleur de l'exil a transformé leur poésie jusque là brillante et précieuse en une poésie sincère, passionnée, déchirante, pour exprimer leur souffrance d'être exilé loin de Rome, loin de Séville, loin des lieux où ils avaient connu le bonheur, loin des gens qu'ils avaient aimés...

Je retiendrai pour chacun deux anecdotes. 

Lorsqu'al Mu'tamid était encore prince, sa bien-aimée avait émis le désir capricieux de marcher pieds nus dans la boue comme les femmes du peuple, curieuse de cette sensation inconnue ; al Mu'tamid avait fait étendre pour elle une boue de crème parfumée et d'eau de rose ; une fois en exil, les propres filles du prince se virent réduites à marcher elles-mêmes pieds nus dans la boue, comme les femmes du peuple.

Ovide, frappé entre autres par le climat si différent de Rome, décrit dans un poème un froid tel que le vin gelé se débite en morceaux et que les barbes des indigènes, couvertes de glaçons, cliquettent quand ils bougent !
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Pour lire des traductions françaises des poèmes d'exil d'Ovide, suivez le lien ci-dessous :
Ce lien vous donne accès au premier livre des Tristes ; le sommaire en haut de la page vous permet de lire les quatre livres suivants de ce recueil, puis d'enchaîner sur le recueil des Pontiques (quatre livres). 
Il existe aussi une très belle traduction de ces deux recueils sous le titre Tristes Pontiques, effectuée par Marie Darrieussecq en 2008, publiée chez P.O.L.

Pour al Mu'tamid, je n'ai pas trouvé de traductions françaises sur internet ; faute de mieux, vous pouvez trouver quelques traductions en anglais à cette page :


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vendredi 25 octobre 2013

De Delphes à l'Afghanistan : le long chemin de Cléarque pour diffuser la sagesse


Cet article fait suite à celui publié il y a longtemps déjà sur Bérose et Callisthène :
L'homme dont je vais vous parler aujourd'hui est aussi un « passeur de savoir » ; il a sans doute bien connu Callisthène le neveu d'Aristote, puisqu'il était lui-même disciple de ce philosophe. Mais tandis que Callisthène a fait un long voyage pour récupérer des savoirs babyloniens, à la demande de son oncle, Cléarque de Soles, lui, voyageait pour répandre les savoirs grecs. En fait non, pas les savoirs, mais plutôt la sagesse, celle du temple de Delphes.

Au IVe s. av. JC, dans la foulée des conquêtes d'Alexandre le Grand en Asie Centrale, le Grec Kinéas fonde une ville dont le nom antique est perdu. Longtemps oubliée, elle a été redécouverte sur le site d'Aï Khanoum en Afghanistan en 1964, et fouillée depuis, avec tous les aléas que vous pouvez imaginer vu la situation politique de ce pays...

Parmi les découvertes, on a retrouvé une stèle portant une inscription en grec :


A gauche : « Ces sentences des anciens se trouvent dans le sanctuaire pythique sacro-saint. C'est Kléarque qui les y copia minutieusement et les mit ici, dans le sanctuaire resplendissant de Kinéas. » Suivent, à droite, des maximes delphiques à moitié effacées : « Dans l'enfance, sois modeste. Dans la jeunesse, sois robuste. A l'âge mûr, sois juste. Dans la vieillesse, sois judicieux. A l'heure de la mort, sois sans affliction. »

Il semble que Cléarque aurait copié aussi la totalité des 150 (environ) maximes du temple de Delphes. Quand je dis « copié », j'imagine que ce n'est pas lui qui est grimpé sur les échafaudages et qui a manié son burin pour couvrir les murs et colonnes du temple d'Aï Khanoum! N'empêche que c'est bien lui qui a parcouru (dans le sillage de l'armée d'Alexandre ou plus tard?) la longue route menant de Delphes à Aï Khanoum, tout ça pour quoi? Pour transmettre le miel de la sagesse grecque! Pour le transmettre aux colons grecs de ces lointaines contrées bien sûr, mais aussi aux Indiens, à des inconnus, des « barbares » au sens étymologique du terme (personnes qui ne parlent pas grec)... Une telle persévérance au profit de la transmission de la sagesse m'émeut. 

Mais ce n'est pas tout : il semble qu'effectivement ces maximes aient eu un écho en Inde, car Asoka, un grand roi indien du IIIe s. av. JC, a fait publier dans son royaume des édits en sanskrit, mais aussi en grec et en araméen (on en a retrouvé des inscriptions aussi). Asoka était très influencé par le bouddhisme naissant, mais ses édits rappellent aussi beaucoup les maximes delphiques. Vous voyez qu'on nage en plein multi-culturalisme à une époque où les communications n'avaient pourtant rien à voir avec aujourd'hui...

Une dernière chose me plaît. Pour que les historiens puissent aujourd'hui nous raconter cette histoire, ils se sont appuyés sur des inscriptions retrouvées en Grèce, des inscriptions retrouvées en Afghanistan, la transmission des textes grecs et la transmission des textes indiens : or tous ces éléments se complètent et se confirment les uns les autres. Mes élèves me demandent souvent comment on peut être sûr de telle ou telle chose concernant l'Antiquité, et je leur réponds toujours que l'on n'est pas sûr de tout, mais que la connaissance se fait surtout par croisement d'informations de sources variées : on en a ici un magistral exemple.

Pour terminer, deux articles sur lesquels je me suis appuyée :

- l'article de Wikipédia sur Cléarque de Soles, court, mais qui dit l'essentiel :

- « Les maximes delphiques d'Aï Khanoum et la formation de la doctrine du dhamma d'Asoka »
de V. P. Yailenko (1990) :
(j'ai aussi puisé dans cet article la traduction de la stèle)

- toutes les informations muséographiques sur la stèle :

- l'intégralité des maximes de Delphes transcrites par des écrivains grecs (car pour le coup, l'archéologie ne nous les a pas toutes livrées à Delphes pas plus qu'à Aï Khanoum), en grec et en français :
http://chaerephon.e-monsite.com/medias/files/septsages.html

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mercredi 2 octobre 2013

Le chameau d'Eratosthène


Je connaissais l'histoire d’Ératosthène, le savant grec d'Alexandrie qui, au IIIe s. av. JC, a mesuré la circonférence de la Terre en comparant l'ombre d'un bâton à Alexandrie et à Assouan, à la même heure.
Ce que j'ignorais et que j'ai appris récemment, c'est la manière dont il a mesuré la distance entre Alexandrie et Assouan : il s'est tout simplement servi d'un chameau, dont on a compté les pas, cet animal étant réputé pour avoir un pas particulièrement régulier. Le chameau n'a décidément pas cessé de nous étonner!...
NB : Je n'ai pas réussi à trouver les textes grecs ou latins à la source de cette précision. Si vous avez une idée...

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vendredi 5 juillet 2013

L'anti-facebook des Romains



C'est le lapsus d'une élève, me parlant de « liste d'amis » au lieu de « liste d'ennemis » qui m'a fait prendre conscience du rapport lointain que l'on pourrait établir entre les « amicales » listes de Facebook et les beaucoup moins amicales listes des proscriptions chez les Romains.
Il s'agit d'une horrible pratique qui eut lieu dans les années troublées des guerres civiles du Ier s. av. JC. Un homme prenait le pouvoir par la force, et il faisait afficher dans tous les lieux publics des listes de noms. Toute personne dont le nom figurait sur la liste pouvait être tué par n'importe qui sans que ce dernier soit accusé de crime. Un moyen simple, rapide et efficace pour éliminer ses ennemis.
Mais de même que les listes de Facebook sont loin de ne contenir que de véritables amis, de même les proscriptions ne contenaient pas que de véritables ennemis. On pouvait avoir un intérêt financier ou politique pour y faire figurer un nom. Ainsi, l'un des premiers plaidoyers de Cicéron, le Pro Roscio, magistralement mis en images par le docu-fiction de la BBC L'Affaire Sextus, montre comment un homme a été rajouté sur les listes de proscriptions du dictateur Sylla uniquement parce qu'un proche de ce dernier espérait récupérer ainsi son héritage! Quand à Cicéron lui-même, il fut sacrifié à l'autel d'une alliance politique, celle d'Octave et d'Antoine : pour sceller cette alliance, chacun d'eux exigea de l'autre qu'il fasse figurer sur leur liste de proscription commune un de ses anciens alliés. Octave sacrifia Cicéron à Antoine, qui n'avait notamment pas apprécié que Cicéron, dans un de ses violents discours contre lui, lui enjoigne en public d'aller cuver son vin (« Edormi crapulam! », Philippiques, "discours II", XII 30)!

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jeudi 23 mai 2013

Louise Vernet



Aujourd'hui, je vais vous parler d'une petite jeune fille apparemment effacée et qui pourtant se révèle presque un pivot de l'histoire de l'art en France au début du XIXe s.
Au commencement, il y a deux tableaux, situés à une dizaine de mètres de distance au Musée du Louvre. Le premier représente une petite sauvageonne de 4 ou 5 ans, les chaussettes en accordéon et les joues roses d'avoir couru dans le jardin, qui serre contre elle un chat qui semble son tigre apprivoisé et qui lance au peintre un regard de défi. Le deuxième, une quinzaine d'années plus tard, représente une jeune cruche au regard totalement inexpressif, vêtue et coiffée comme si elle était un objet d'art.




Puis un troisième tableau, habituellement à Nantes, mais qui pour quelques mois s'est rapproché des deux autres, puisqu'il figure dans l'exposition « L'ange du bizarre : le Romantisme noir au XIXe s. » (que je vous recommande vivement par ailleurs!!!) au Musée d'Orsay. Très dérangeant, il représente une jeune femme sur son lit de mort, sa beauté lumineuse rendue malsaine par la couleur blanche de sa peau et par l'aspect ridicule que la mort donne à sa bouche ouverte et à son œil clos, étrangement surmontée d'une auréole.



Or il s'agit bien de la même personne, Louise Vernet, éternisée à trois moments clés de sa vie : l'enfance, la jeunesse et la mort (il n'y aura pas de vieillesse, la pauvre est morte à 31 ans). Ce fait est déjà assez remarquable en soi. Mais ce n'est pas tout.
Les trois tableaux sont l'œuvre de trois peintres différents, tous célèbres (même si le premier l'est un peu plus que les deux autres). Or, chaque peintre a peint une Louise qui ressemble à son style de peinture :
  • Théodore Géricault, le peintre de la beauté animale, des chevaux, des tigres et des hommes aux muscles tendus, a peint une petite bien en chair, pleine de sève et d'énergie, prête à bondir griffes tendues comme son petit fauve.
  • Horace Vernet a peint sa fille avec autant de minutie, mais aussi de froideur, que ses scènes de batailles, dont Baudelaire, qui détestait ce peintre, disait : « M. Horace Vernet est doué de deux qualités éminentes, l'une en moins, l'autre en plus : nulle passion et une mémoire d'almanach ! Qui sait mieux que lui combien il y a de boutons dans chaque uniforme, quelle tournure prend une guêtre ou une chaussure avachie par des étapes nombreuses! » (Salon de 1846)
  • Paul Delaroche, le peintre romantique, qui fait pleurer la ménagère de moins de 50 ans avec sa manière pathétique de représenter des scènes historiques ou mythologiques, a peint son épouse neuf ans après sa mort comme une sainte dont la mort édifiera les foules (exactement comme il peindra l'année suivante, son tableau le plus célèbre, La Jeune martyre, aux airs d'Ophélie, mais surmontée aussi d'une auréole – et qui est, paraît-il, une représentation de sa fille, morte encore plus prématurément que sa mère).
Face à ces tableaux, je me demande où est la véritable Louise. Elle est si différente dans ces trois tableaux! Est-ce dû à son évolution personnelle, à ses propres changements, ou à l'œil de chacun des peintres? La question est d'autant plus compliquée que chacun des peintres a une relation très forte avec Louise : Horace Vernet est son père ; Paul Delaroche son mari et amoureux ; quant à Géricault, c'est un ami de la famille avec qui, malgré les 23 ans de différence, un rapport de séduction n'est pas exclu, comme souvent entre une petite fille et un ami de la famille célibataire. Il était d'ailleurs encore fort bel homme dans les années 1820 ; il se tuera d'une chute de cheval en 1824, quelques années après le portrait de Louise, alors qu'elle a dix ans : nul doute que cela ait marqué la petite fille...

On peut rêver des heures sur ces trois tableaux. 

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*   *

On peut aussi creuser encore l'histoire de Louise. En effet, il existe encore d'autres représentations d'elles :
  • une statuette d'elle portant dans ses bras son fils Horace bébé, par Jean Auguste Barre, conservée également au Louvre : là encore, elle est dans un rôle, celui de la Madone à l'enfant.



  • un autre portrait (mais présumé) par Paul Delaroche, assez charmant : vue de dos, le visage de profil, elle hume une rose ; si c'est bien elle, c'est sans doute le portrait qui semble le plus naturel. Ce tableau apparaît sur des sites de ventes aux enchères ; il n'est donc pas visible dans un musée.



  • un dessin d'un autre peintre célèbre, Ingres. Visiblement très contemporain de celui de Vernet ; Louise porte la même robe (avec un foulard en plus et une coiffure moins compliquée) et le même air cruche. Ce dessin est conservé dans la collection privée Ian Woodner aux États-Unis.



  • un affreux portrait d'un certain Adolphe Yvon, apparemment plus porté sur la peinture militaire, où elle apparaît comme une bourgeoise stupide.

     
    *
    *   *


Vous trouverez tout cela en tapant simplement « Louise Vernet » dans un moteur de recherche d'images.
Vous trouverez aussi que ce n'est pas que des peintres qu'elle a été la muse. Alors qu'elle avait accompagné à Rome son père, nommé directeur de la Villa Médicis entre 1828 et 1833, elle y rencontra un de ses pensionnaires célèbres, Hector Berlioz, dont elle chantait volontiers les airs au piano et qui lui a dédié la mélodie qu'il a composé sur « La Captive », un poème de Victor Hugo, dont j'aime imaginer Louise chanter le dernier couplet :
« Mais surtout quand la brise
Me touche en voltigeant,
La nuit, j’aime être assise,
Être assise en songeant,
L’œil sur la mer profonde,
Tandis que, pâle et blonde,
La lune ouvre dans l’onde
Son éventail d’argent. »


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samedi 4 mai 2013

Hermès et Kirikou

Je suis retombée l'autre jour sur L'Hymne homérique à Hermès. C'est un poème grec anonyme très ancien, qui fut un temps attribué à Homère (de même que d'autres « Hymnes homériques »), d'où son nom. Il s'agit d'un petit conte mythologique court et drôle (qui a d'ailleurs servi de point de départ à l'excellent Feuilleton d'Hermès de Mireille Szac, que je ne saurais trop recommander à tous les parents de jeunes enfants).
Or, en le relisant, j'ai été frappée par la similitude entre le personnage d'Hermès tel qu'il apparaît dans cette œuvre et le personnage de Kirikou tel que l'a conçu Michel Ocelot dans son dessin animé Kirikou et la sorcière. Les deux garçonnets en effet, à peine sortis du ventre de leur mère, parlent et marchent comme de grands enfants, mais gardent une petite taille. Les deux ont des idées ingénieuses à revendre. Et, de l'un comme de l'autre, on se méfie peu au début puisqu'on ne les considère que comme des bébés. Enfin, chacun a un père absent et une mère tendre et aimante. En revanche, en fait de sorcière Karaba, c'est à son grand frère le dieu Apollon que le petit Hermès est confronté ; mais, comme Kirikou, il finit par se réconcilier avec son ennemi grâce à sa générosité.
Je ne sais pas si Michel Ocelot s'est vraiment inspiré de ce texte. Si un jour lui ou une de ses connaissances tombe sur ce blog, il nous le dira peut-être...
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*   *
Références :
- Traduction française de l'Hymne homérique à Hermès (il s'agit de la traduction de Lecomte de Lisle, très littéraire, mais qui sonne parfois un peu étrangement) :
- Article sur Le feuilleton d'Hermès de Murielle Szac, où vous trouverez les références complètes et un commentaire de cet ouvrage.


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jeudi 18 avril 2013

De l'Akkadie à l'Acadie en passant par l'Arcadie


Je sursaute toujours en entendant parler des « Acadiens », je crois qu'il s'agit des « Akkadiens » de ma chère Mésopotamie, puis je suis déçue : il n'est question que d'Américains! Toutefois, je me suis toujours demandé s'il n'y avait pas un rapport.
J'ai enfin eu la réponse. Non, mais c'est quand même intéressant! L'origine des « Acadiens » a bien trait à l'Antiquité, mais pas mésopotamienne.

En 1524, Giovanni Verrazano, navigateur florentin au service de François Ier et soutenu financièrement par des banquiers italiens de Lyon et d'autres villes de France, atteint une région à laquelle il donne le nom d' « Arcadie », nom qui se transforme vite en « Acadie ».

Alors, pourquoi « Arcadie »? Il s'agit d'une région montagneuse de la Grèce centrale. Cette région a surtout été idéalisée par des poètes grecs comme Théocrite, poète grec du IIIe s. av. JC, qui écrit un recueil de Bucoliques, c'est-à-dire « Bouviers », les bouviers étant considérés comme les plus nobles des bergers. Dans ces poèmes, il est certes question de vaches (et aussi de chèvres et de moutons), mais surtout de jeunes bergers et bergères pleins de grâce, de leurs chants et de leurs amours. De nombreux auteurs antiques reprendront ce thème de la vie idéalisée et de l'amour simple et naïf des bergers (parmi les plus célèbres, le roman de Longus, Daphnis et Chloé, ou encore le recueil de poèmes Les Bucoliques (aussi!) du poète latin Virgile). Puis les XVIe, XVIIe et XVIIIe s. européens verront exploser le thème dans la peinture, la poésie, les romans (L'Astrée d'Honoré d'Urfé), les opéras, les chansons (« Il pleut bergère »), etc. Or, dans la plupart de ces oeuvres, les bergers en question sont situés en Arcadie, non pas la vraie Arcadie, mais une région tout aussi idéalisée que le sont les bergers qui la peuplent. C'est le cas par exemple dans ce tableau de Poussin que j'aime énormément et précisément intitulé Les Bergers d'Arcadie! Des bergers y déchiffrent une inscription latine sur un tombeau : « Et in Arcadia ego » (mot à mot « Même en Arcadie moi », c'est-à-dire, « Même en Arcadie, je suis là »), variation des tableaux de Vanités, introduisant la présence de la mort même au milieu du cadre le plus idyllique.
Pour le Florentin du début du XVIe s. qu'était Verrazano, on est en pleine redécouverte de l'Antiquité, le thème de l'Arcadie heureuse n'est pas encore un cliché éculé, mais une image pleine d'espoir!
L'histoire de l'Acadie par la suite a été mouvementée, comme vous le savez ou comme vous le découvrirez en lisant d'autres articles sur la toile ou ailleurs (car je suis peu compétente en histoire de l'Amérique). Aussi, si les Cajuns de Louisiane savent qu'ils se rattachent aux Acadiens d'Acadie et que ceux-ci puisaient leurs origines en France, ils se souviendront aussi que, par leur nom, ils se rattachent au Arcadiens de l'Antiquité grecque (mais pas aux Akkadiens de la Mésopotamie!) et que leur harmonica n'est peut-être pas si éloigné de la flûte de Pan des bergers d'Arcadie...

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