Je suis allée mercredi dernier au théâtre des Champs Élysées
écouter La Passion selon saint Matthieu de Bach. C'est un
morceau qui me bouleverse depuis mon adolescence, et c'était une
expérience merveilleuse de pouvoir l'entendre en entier, en voyant
les musiciens et les chanteurs. D'autre part, le théâtre nous a
offert en même temps le texte, qui défilait sur un écran, ce qui
m'a permis de comprendre beaucoup mieux le sens des chants qui
m'émouvaient tant. Je savais évidemment qu'il s'agissait de la
Passion de Jésus, mais sans avoir la moindre idée du détail de
chaque chant.
C'est
ainsi que j'ai découvert à quoi correspondait mon passage préféré,
un chant déchirant d'une voix féminine alto accompagnée d'un
violon solo. J'avais toujours pensé naïvement que c'était une
femme qui s'y exprimait, Marie-Madeleine (en effet très présente
dans cette œuvre) ou la Vierge Marie. Or, il s'agit en réalité
d'une plainte de Pierre (j'ai trouvé depuis que ce passage est
parfois connu sous le nom de « Larmes de Pierre » ou
« Larmes de saint Pierre », et que ce thème a par
ailleurs inspiré des peintres célèbres, comme Velázquez ou
Georges de La Tour...). Notons
qu'après avoir un peu fureté sur internet, je me suis rendu compte
que ce passage pouvait être chanté par un alto femme ou homme et
que la simple audition (du moins pour une non avertie comme moi!) ne
permettait pas du tout d'identifier le sexe du chanteur. Du coup, je
pense que Bach l'avait écrit au départ pour un homme, ce qui
explique mieux l'attribution des paroles à Pierre. Cela se situe juste après le moment où
saint Pierre a renié trois fois Jésus, déclarant « Je ne
connais pas cet homme », puis le coq a chanté, et il a compris
que la prophétie de Jésus (qui lui avait prédit qu'il le renierait
trois fois avant le chant du coq) était juste. Il est désespéré,
il a honte de l'avoir trahi, honte de sa lâcheté, et il lance ce
chant déchirant, qui commence par « Erbarme dich »
(« Aie pitié »).
Cela
m'a beaucoup impressionnée et beaucoup plu que ce passage, pour moi
le plus beau de l'ensemble, sublime la plainte de quelqu'un qui a
failli, qui a été lâche, et qui en a honte. C'est tellement
humain ! Qui d'entre nous n'a jamais été lâche et n'en a
jamais eu honte ? Si seulement les religions pouvaient toujours
être ainsi au plus près de l'humain !
La
découverte du sens de ce chant m'a émue également pour une toute
autre raison. Dans le roman que je suis en train d'écrire (cf. http://cheminsantiques.blogspot.fr/2015/01/chemins-antiques-sentiers-fleuris-et.html),
à un moment, l'un de mes héros trahit la femme qu'il aime, fait
semblant de ne pas la connaître (pour des raisons que vous saurez
quand le roman sera publié!!!) et il est ensuite torturé par la
honte de cet acte lâche. Aussi, en entendant ce chant et en enlevant
juste le « Mein Gott » (« mon Dieu »), je
croyais entendre les déchirements de l'âme de mon cher héros...
*
* *
Le texte :
Erbarme
dich, mein Gott,
Um meiner Zähren Willen !
Shaue hier, Herz und Auge
Weint vor dir bitterlich.
Erbarme dich, mein Gott !
Um meiner Zähren Willen !
Shaue hier, Herz und Auge
Weint vor dir bitterlich.
Erbarme dich, mein Gott !
Aie
pitié, mon Dieu,
à la vue de mes larmes !
Vois, mon cœur et mes yeux
pleurent devant toi amèrement.
Aie pitié, mon Dieu !
à la vue de mes larmes !
Vois, mon cœur et mes yeux
pleurent devant toi amèrement.
Aie pitié, mon Dieu !
Le
texte entier de La Passion selon saint Matthieu en allemand avec la
traduction française :
Et pour écouter « Erbarme dich », il existe de nombreuses vidéos sur Youtube, dont plusieurs avec un alto homme (mais pas le célèbre Philippe Jaroussky tant apprécié de plusieurs des lecteurs de ce blog!!!) qui sont très impressionnantes. Toutefois, la version que j'ai préférée est interprétée par une femme : l'expression de son visage est aussi sublime que son chant ! Pour ces six minutes d'extase, allez voir ici :
Bonnes larmes !
*
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