vendredi 5 mars 2021

Sangsues, pigeon et cri souspireux : comment se refaire une virginité

 

Parmi les souffrances réservées aux femmes durant des siècles, et encore aujourd’hui dans certaines cultures, il y a celle de devoir prouver qu’elles sont vierges, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas eu de relations sexuelles. Nous mesurons aujourd’hui comme cette notion est plus que discutable, d’une part parce qu’elle ne considère comme « relations sexuelles » qu’une pénétration vaginale, d’autre part parce que même dans ce cas une femme peut très bien ne pas saigner lors de la première fois, puisque – on le sait aujourd’hui – ce saignement est plutôt dû à des frottements d’un organe resserré et peut-être crispé qu’à la déchirure d’une supposée membrane (le fameux “hymen”) qui n’existe pas.

Les femmes d’autrefois avaient certainement remarqué que ce saignement n’était pas systématique. Elles pouvaient aussi se trouver dans la situation d’avoir effectivement déjà eu des relations sexuelles avant leur mariage et de devoir néanmoins prouver leur virginité à leur époux lors de leur nuit de noces. Leur ingéniosité fut grande pour contourner cet obstacle et nous ne saurons sans doute jamais toutes les solutions qui furent imaginées. En voici trois, cueillies au gré de mes lectures…



1) Trotula et les sangsues

Le recueil Trotula date du XIe siècle. Produit à Salerne, lieu de la célèbre première école de médecine d’Europe, il a longtemps été attribué à une femme-médecin qui se serait nommée Trotula. On sait aujourd’hui grâce aux recherches récentes, notamment celles de la chercheuse américaine Monica Green, que les trois traités de ce recueil avaient des auteurs différents, plus probablement des hommes que des femmes, mais qu’ils ont été rédigés dans l’entourage et sous l’influence d’une femme médecin de Salerne qui s’appelait Trota.

(Je vous avais déjà un peu parlé de Trotula ici : https://cheminsantiques.blogspot.com/2020/02/berose-et-trotula-ou-comment-des.html)

L’un de ces traités, le De curis mulierum (Le soin des femmes) propose ceci :

Quod ut melius fiat una nocte antequam nubat, ponat sanguissugas in uulua, sed tamen caute ne subintrent, ita ut sanguis exeat et in crustulam conuertatur, et ita uir decipitur propter sanguinis effusionem.

The Trotula. A Medieval Compendium of Women's Medicine. Monica Helen Green (éd.), Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2001, p. 146.

Ce qui est encore mieux, c’est que la nuit avant qu’elle se marie, elle se place des sangsues dans la vulve, mais en faisant bien attention qu’elles ne rentrent pas à l’intérieur, afin que du sang coule et forme une petite croûte, et ainsi l’homme est trompé par l’effusion du sang. 

(Traduction Nadia Pla)

Outre que la technique doit être assez désagréable, je frémis en lisant « caute ne subintrent » (que j’ai traduit par « en faisant bien attention à ce qu’elles ne rentrent pas à l’intérieur ») : je n’ose imaginer ce qui pourrait se passer si l’une de ces bestioles échappait à l’attention de la pauvre jeune fille…



2) Brantôme et le sang de pigeon

Je vous avais déjà parlé de cet homme du XVIe siècle que j’apprécie beaucoup : https://cheminsantiques.blogspot.com/2019/11/la-trepidante-vie-sexuelle-des-nobles.html

Il donne dans son ouvrage une autre technique, moins douloureuse et dangereuse que celle des sangsues :

Et, d’autant que celles qui ont passé premierement par les piques ne peuvent faire cette monstre par leur propre sang, elles se sont advisées (ainsi que j’ay ouy dire, et que plusieurs courtisannes jeunes à Rome me l’ont asseuré elles-mesmes), pour mieux vendre leur virginité, de teindre ledict linge de gouttes de sang de pigeon, qui est le plus propre de tous ; et le lendemain le mary le voit, qui en reçoit un extresme contentement, et croit fermement que ce soit du sang virginal de sa femme ; et luy semble bien que c’est un gallant, mais il est bien trompé.

Brantôme, Vie des dames galantes, p. 103-104 de l’édition Folio.


3) Les Quinze joies et le « cri souspireux »

J’avais également déjà parlé de l’ouvrage anonyme du XVe siècle Les Quinze joies du mariage : https://cheminsantiques.blogspot.com/2019/02/les-quinze-joies-du-mariage.html

La méthode qui y est évoquée est la plus simple de toutes, mais demande une grande habileté. Il ne s’agit pas de produire un faux sang virginal, mais de feindre par son attitude les réactions d’une vierge déflorée :

La nuit vient, et sachez que la mere a bien introduite la fille, et enseignée qu’elle luy donne de grans estorces, et qu’elle guische en maintes manieres, ainsi que une pucelle doit faire ; et lui a bien aprins la dame que quant elle sentira faulser la piece, elle giete ung cry d’alaine souppireux, ainsi comme d’une personne qui se met à coup tout nud en l’eaue froide jusques aux mamelles, et ne l’a pas acoustumé. Ainsi le fait, et joue très bien son personnage, quar il n’est riens si sachant comme est femme en ce qu’elle veult faire touchant la matiere secrette.

Les Quinze joies du mariage, p. 269 de l’édition Folio.

La nuit vient, et sachez que la mère a bien introduit sa fille, et elle lui a enseigné à donner de grands coups de travers et à glisser de maintes manières, comme doit le faire une vierge ; et la dame lui a bien appris que, quand elle sentira qu’il lui a frappé sa monnaie, elle jette un cri d’haleine soupireux, comme le fait une personne qui se met tout à coup nue en l’eau froide jusqu’à la poitrine et qui n’en a pas l’habitude. Elle fait ainsi, et elle joue très bien son personnage, car il n’est rien de plus savant qu’une femme dans ce qu’elle veut faire en rapport avec la matière secrète.

Traduction Nadia Pla


4) Prolongements

Pour conclure sur ce thème, je vous propose la lecture d’un article de Pauline Mortas sur l’hymen, publié en 2020 sur le journal en ligne Dicpolhis :

http://dicopolhis.univ-lemans.fr/fr/dictionnaire/h/hymen.html

Et je vous renvoie aussi à son excellent blog “Sexcursus” (https://sexcursus.hypotheses.org/) dont j’ai déjà parlé ici plusieurs fois.

Pauline Mortas a pour sujet de recherches l’histoire de la défloration à la Belle Époque.


Deuxième prolongement avec cette petite vidéo de Laura Berlingo, gynécologue-obstétricienne, « 4 idées reçues sur la virginité », 15 avril 2020

https://www.brut.media/fr/health/4-idees-recues-sur-la-virginite-9306847a-8eb1-4332-b20d-191ad0944275

*


Pour suivre ce blog sur facebook, être au courant des nouveaux articles et en découvrir d’anciens, c’est ici : https://www.facebook.com/Chemins-antiques-et-sentiers-fleuris-477973405944672/


Les nouveaux articles sont aussi partagés sur twitter : https://twitter.com/CheminsAntiques


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire