samedi 20 mars 2021

La virginité qui s’échappe en un pet

Dans mon dernier article (https://cheminsantiques.blogspot.com/2021/03/sangsues-pigeon-et-cri-souspireux.html), je vous offrais un petit bouquet de trois techniques de simulation de la virginité cueillies entre le XIe et le XVIe siècle. Le hasard a fait que la semaine dernière, à l’occasion d’un colloque sur l’histoire du ventre et d’une communication sur les pets (dont je ne soupçonnais pas toute la richesse symbolique au Moyen Âge, lien avec le souffle vital, avec le souffle divin…), je suis tombée sur un petit fabliau du XIIIe s, dans lequel Marion, la jeune mariée, s’en tire avec humour pour persuader son naïf époux de sa virginité.


Je n’ai pas trouvé d’édition moderne de ce texte. On le trouve dans un ouvrage imprimé en 1756, aux pages 126-127 :

https://books.google.fr/books?id=IV7Dmr2BUDMC&pg=PA126&hl=fr&source=gbs_toc_r&cad=4#v=onepage&q&f=false

On peut également consulter directement le manuscrit où il est conservé : Paris, BNF, Fr 1593, f. 208r (ou 211r, ce manuscrit ayant une double numérotation) :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6000803p/f431.image

Le recours au manuscrit original est bien utile pour vérifier les mots chastement censurés par l’éditeur de 1756, qui écrit au vers 5 : « Son … au … li aproucha » !


La traduction en français moderne est une traduction personnelle.


DE GAUTERON ET DE MARION

 

Quant Gauteron se maria,

Marion prist qui dit li a

Que l’aime moult & est pucelle.

La nuit jurent & cil et cele.

Son vit au con li aproucha,

Et Marion un peu guincha,

Et si roidement l’assailli,

Qu’un grand pet du cul li failli.

Quant il oï le pet qui faut,

Dame, dist-il, se Diex me faut,

Je sai bien, & si ai senti,

Que de covent m’avez menti ;

Car pucelle n’i estiez pas.


Quand Gauteron se maria

Il prit Marion qui lui a dit

Qu’elle l’aime beaucoup et qu’elle est pucelle.

La nuit ils couchèrent et lui et elle.

Son vit au con lui approcha,

Et inclina un peu Marion,

Et si rudement l’assaillit,

Qu’un grand pet du cul lui échappa.

Quand il entendit le pet qui échappe,

« Dame, dit-il, si Dieu me manque,

Je sais bien, et j’ai senti,

Qu’en votre promesse vous m’avez menti,

Car vous n’étiez pas pucelle. »


Je ne sais pas pourquoi Gauteron ne croit plus au pucelage de Marion dès lors qu’elle lâche un pet ; sans doute estime-t-il que seuls les mouvements d’une experte en matière sexuelle agitent suffisamment le corps pour déclencher un pet. Le texte ne dit pas explicitement si Marion était pucelle ou non. Et finalement peu importe, car à partir du moment où son mari croit qu’elle ne l’est plus, elle est en danger, et il faut le détromper coûte que coûte.

Marion a de la ressource et improvise aussitôt une explication basée précisément sur le pet qui lui a échappé en prétendant qu’il s’agit de son pucelage qui est sorti du corps.


Et li respont inele le pas

Jel fui, més je nel fui or mie,

Et vous fetes grant vilenie,

Et si me dites grant ontage.

N’oïtes vos le pucelage

Qui s’enfoï quant vos botastes

Moult vilainement l’enchasastes.


Et elle lui répond agilement :

« Je le fus, mais je ne le suis plus,

Et vous faites une grande vilenie,

Et vous me dites une grande honte.

N’entendîtes-vous pas le pucelage

Qui s’est enfui, quand vous boutâtes ?

Vous l’avez très vilainement chassé. »


Gauteron ne s’étonne pas des propriétés physiques et auditives d’une notion abstraite. Au contraire il en ajoute une couche avec les sensations olfactives, imaginant que le pucelage, tel un fromage périmé, acquiert une mauvaise odeur en restant trop longtemps dans le corps !!! Et il en vient à regretter que son épouse soit restée vierge trop longtemps !


Quant Gauteron l’a entendu,

Par le cuerdeu, fet-il, il put,

Ce poise moi, que il se mut,

Miex fust el com à une part ;

Car j’en eusse assés du cart.

Pour ce maudige, que de Deu

Soit la pucele confondue,

Qui tant le garde que il pue.


Quand Gauteron l’a entendu,

« Par le cœur de Dieu, fait-il, il se peut,

Cela me chagrine, qu’il ait bougé.

Il aurait été mieux qu’il n’y en eût qu’une partie,

Car j’en aurais eu assez du quart.

Pour cela, je maudis le fait que la pucelle

Soit à ce point soumise à Dieu,

Elle qui l’a tant gardé qu’il pue.


*


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