mercredi 1 avril 2020

Hercule et l'embryologie médiévale



Aujourd'hui, j'ai cueilli pour vous un ouvrage tout à fait singulier. Il s'agit de De Laboribus Herculis de Coluccio Salutati, dont les manuscrits datent de 1383 et 1391. Coluccio Salutati était un humaniste de Florence. La page Wikipédia qui lui est consacrée nous apprend sur lui trois choses qui me réjouissent :
- Un de ses ennemis politiques affirmait qu'une lettre de lui pourrait « causer plus de dégâts qu'un millier de cavaliers florentins ».
- C'est à lui que l'on doit la redécouverte des lettres de Cicéron à ses amis.
- C'est à lui que l'on doit l'invention du point d'exclamation et des parenthèses.

Le De laboribus Herculis est censé être un ouvrage consacré à Hercule. Le titre se traduit par « Les travaux d'Hercule ». Cependant, le lecteur impatient de découvrir les travaux d'Hercule risque d'être déçu ! En effet, le livre I est une sorte d'introduction consacrée à la poésie en général. Le livre II semble lui aussi totalement hors sujet puisqu'il traite de la conception et de la naissance en général, d'un point de vue médical ; ce n'est qu'à la fin qu'il se concentre plus en particulier sur la conception et la naissance d'Hercule. Le livre III continue encore un peu sur la conception et la naissance d'Hercule, puis aborde enfin ses travaux, non pas les douze canoniques, mais tous ceux que Coluccio Salutati a pu répertorier, qui se montent à trente et un travaux ! Le livre IV, lui, est consacré exclusivement à la descente aux Enfers d'Hercule.
Le passage qui m'intéresse se trouve à la fin du livre II. Après avoir rappelé dans les chapitres 8 et 9 les principes médicaux de la conception et notamment le rôle qu'y joue le sang menstruel pris comme une semence féminine (rôle que j'ai déjà abordé dans de précédents articles, notamment : https://cheminsantiques.blogspot.com/2019/03/le-corps-feminin-et-le-fromage-une.html), Coluccio Salutati se lance dans une entreprise totalement originale, dont je n'ai jamais vu d'autres exemples.
En effet, il explique le mythe de la conception et de la naissance d'Hercule comme une sorte de « mythe médical » (je ne vois pas comment appeler cela autrement!), donnant à chaque élément de la légende une explication biologique tirée d'une étymologie totalement fantaisiste des noms propres de personnes et de lieux ! La légende d'Hercule est donc interprétée par Coluccio Salutati comme une sorte de code qui donne les clés des connaissances en embryologie !
Il commence par le nom d'Amphitryon, le père d'Hercule (si l'on ne considère pas qu'Hercule est le fils de Jupiter, et je ne crois pas que Coluccio propose cette version ; j'avoue qu'il écrit dans un latin difficile et qu'une lecture rapide ne m'a pas permis de tout comprendre). Coluccio traduit le grec « amphi » (qu'il écrit d'ailleurs « amphy ») par « circum » (« autour de »). On le suit moins pour la deuxième partie du nom, selon lui « etheron », qu'il traduit par « diversum » (« divers »). Il en déduit donc que le nom d' « Amphitryon » signifie « in circuitu varium et diversum » (« dans un circuit varié et divers ») et que cela désigne le corps humain !
On passe ensuite au nom d'Alcmène, et là, pour ma plus grande joie de chercheuse, il est question des menstrues ! Il traduit avec justesse « alce » par « virtus » (« vaillance » ou « force ») ; pour « mene » (qui peut signifier « mois » en grec), il propose « defectus », que l'on pourrait traduire par « déclin mensuel » (le mot est notamment utilisé pour la lune décroissante). Et qu'est-ce que cette « force du déclin mensuel », si ce n'est le sang menstruel qui est en même temps la semence féminine ? Donc « Alcmène » signifie « sang menstruel et semence féminine » !!! Coluccio le dit explicitement en tirant brillamment la conclusion que « Amphitryon a fait Hercule avec Alcmène » signifie « Le corps humain a fait Hercule avec du sang menstruel et de la semence féminine »
Hic igitur Amphytrion coniungitur cum Alchmena, que ab “alce”, quod est “virtus”, et “mene”, quod est “defectus”, dicta est, hoc est cum sanguine menstruo atque semine muliebri.
Comme si cela ne suffisait pas, il en rajoute. Plaute (auteur latin du IIe siècle av. JC) dit dans sa pièce Amphitryon que ce roi était allé combattre les Teleboens. Coluccio prétend que ce nom (qu'il écrit avec un « h » : « Theleboes ») est apparenté au grec « thelete » qui signifie « purgationes », (« purgations » ; je n'ai trouvé aucune racine grecque, ni thelete, ni telethe, ni telete, qui évoque l'idée de purgation). Il poursuit donc sa démonstration : « Amphitryon est allé combattre les Teleboens » signifie que le corps humain a lutté contre la purgation des semences et des sangs menstruels (il met tout au pluriel) :
Que quoniam suam faciunt resistentiam, finxit Plautus Amphytrionem, Alchmene maritum, ad pugnam cum Thelobois iussu Creontis, Thebarum principis, accessisse. “Thelete” quidem Grece, “purgationes” dicte sunt Latine. Constat autem tam spermata quam sanguines menstruos ad purgationem sine dubio pertinere.
Et il continue :
Premittuntur autem oratores ad Theloboos qui repetant ablata, hoc est inquirant an premissum et captivum semen orificio matricis assumptum remittere sint parati.
« Des ambassadeurs sont envoyés aux Teleboens qui vont rechercher les choses qu'on leur a prises, cela signifie qu'ils ont demandé s'ils étaient prêts à rendre la semence envoyée et fait prisonnière, que s'était approprié l'orifice de la matrice. »
C'est un peu confus, mais je comprends que les purgations menstruelles se plaignent que le corps a gardé pour lui ce mois-ci la semence (qui est en même temps le sang menstruel) prisonnière dans la matrice, et qu'elles ne pourront donc pas faire leur office et couler comme chaque mois.

Je ne crois pas qu'il existe d'autre cas où la conception est expliquée ainsi comme des mouvements militaires de troupes adverses ! À part, bien sûr, dans des documentaires pour enfants des XXe et XXIe siècles, comme les dessins animés de « Il était une fois l'homme » !


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Références : le texte latin du De laboribus Herculis est entièrement publié ici : https://www.mlat.uzh.ch/browser?text=13031
d'après les éditions suivantes :
Salutati Coluccio, De laboribus Herculis, éd. B. L. Ullman, Zürich, Artemis-Verlag, 1951.
et
Salutati Coluccio, De laboribus Herculis, Roma, Biblioteca Italiana, 2003.


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