mercredi 20 novembre 2019

Du code de César au code de Hugeburc


Le code de Jules César, vous connaissez ?
Jules César n'est pas mon Romain préféré (si vous suivez ce blog depuis sa création, vous devriez savoir qui est mon Romain préféré (indice : il a droit à son propre libellé dans ce blog, avec six articles concernés)), mais je dois reconnaître que c'était un génie : doué en politique, doué en stratégie militaire et sur les champs de bataille, écrivain au style incomparable, peut-être pas scientifique lui-même mais sachant s'entourer des meilleurs (notamment Sosigène d'Alexandrie) pour réformer le calendrier de manière tellement intelligente que c'est encore notre calendrier actuel, etc.
Et pour crypter ses messages importants et secrets, il a inventé son propre code. Oh, un truc tout bête, mais efficace, qui peut encore être employé de nos jours et qui a traversé les siècles sous le nom de « code de César ». Suétone nous l'explique :

« Extant et ad Ciceronem, item ad familiares domesticis de rebus, in quibus, si qua occultius perferenda erant, per notas scripsit, id est sic structo litterarum ordine, ut nullum uerbum effici posset: quae si qui inuestigare et persequi uelit, quartam elementorum litteram, id est D pro A et perinde reliquas commutet. »

« On possède enfin de César des lettres à Cicéron, et sa correspondance avec ses amis sur ses affaires domestiques. Il y employait, pour les choses tout à fait secrètes, une espèce de chiffre qui en rendait le sens inintelligible (les lettres étant disposées de manière à ne pouvoir jamais former un mot), et qui consistait, je le dis pour ceux qui voudront les déchiffrer, à changer le rang des lettres dans l'alphabet, en écrivant la quatrième pour la première, c'est-à-dire le D pour le A, et ainsi de suite. »
(traduction : M. Nisard, Paris, 1855, avec quelques adaptations de J.-M. Hannick et de J. Poucet, Louvain, 2001-2006)

Ainsi « CAESAR » s'écrirait selon ce code « FDHVDU ».
Pas mal, mais une fois qu'on a compris le principe, c'est assez facile à décoder.

Aussi, j'ai été stupéfaite de découvrir l'autre jour le code de… Hugeburc, une religieuse du VIIIe s. (oui, Hugeburc est un prénom féminin (avec sa variante Hygeburg) ; la période mérovingienne offre le plus drôle répertoire de prénoms au monde!). On la connaissait assez bien sous le nom de Hygeburg, par des sources qui la mentionnent, car elle fait partie d'une famille noble, ses deux frères et sa sœur ont été évêque, abbé ou abbesse. On connaissait d'ailleurs un manuscrit racontant la vie de l'un de ses frères, dont on ignorait l'auteur. À la fin de ce manuscrit figure un étrange texte qui se présente ainsi :

« Secdg quar. quin. npri. sprix quar. nter. cpri. nquar. mter. nsecun. hquin. gsecd. bquinrc. qarr. dinando. hsecdc. scrter. bsecd. bprim. »

Étrange, non ? En 1931, un savant réussit à comprendre le principe du code et à le déchiffrer. Vous allez voir que c'est bien plus subtil que le code de César avec ses gros sabots !
Les consonnes du texte initial ont été laissées à leur place. Seules les voyelles ont été changées, mais au lieu qu'une lettre soit remplacée par une lettre, chaque voyelle est remplacée par un nombre (correspondant à son ordre dans la liste des cinq voyelles), puis ce nombre est remplacé par son abréviation en lettres en latin, avec des variantes pour les abréviations, ce qui corse un peu l'affaire ; et un bout de mot « -dinando » visiblement oublié de coder. Quant aux coupures entre les groupes de lettres, elles sont aléatoires et donnent la fausse impression d'unités lexicales…
Donc :
A = 1 = primus = pri ou prim
E = 2 = secundus = secd ou secun
I = 3 = tertius = ter
O = 4 = quartus = quar
U = 5 = quintus = quin

Ce qui donne :
« EGO UNA SAXONICA NOMINE HUGEBURC ORDINANDO HEC SCRIBEBAM »

C'est-à-dire : « Je suis une Saxonne du nom de Hugeburc. J'ai écrit cela après l'avoir composé. »

Autrement dit : c'est une signature, Hugeburc s'y présente clairement par son nom et son origine, elle y revendique explicitement d'être celle qui a à la fois composé et écrit le texte du manuscrit, on découvre que c'est une femme ; et enfin, en même temps que tout cela, on découvre que c'est elle qui a inventé le code par lequel elle écrit cela-même !
Bravo, la petite nonne, bien plus forte que César, non ?

Alors, une question demeure : pourquoi avoir dissimulé son nom ? Yves Bertrand, dans Douze femmes hors du commun durant l'Antiquité et le Moyen Âge (2018) (ouvrage qui m'a séduite par son titre, mais qui m'a beaucoup déçue à la lecture en étant souvent trop superficiel, en mélangeant des sources de différentes époques et natures, et en étant parfois très brouillon dans ses explications) propose comme hypothèse d'une part qu'elle ne voulait pas offenser l'abbesse qui l'hébergeait, sœur de celui dont elle écrivait la vie – mais je trouve cela absurde vu qu'Hugeburc était elle-même la sœur des deux – , d'autre part que sa démarche spirituelle était à contre-courant de l'attitude plutôt « organisationnelle » prônée alors par le pape et par les Bénédictins. Ne connaissant pas grand-chose à ce contexte, je ne me permets pas de juger, mais, ayant été un peu refroidie par d'autres passages du livre sur des femmes que je connaissais mieux, je reste réservée.

Si vous voulez en savoir plus sur Hugeburc, je vous conseille la page Wikipédia, courte, mais bien documentée :


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