Je
me suis récemment divertie à la lecture d'un ouvrage anonyme écrit
entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle, Les quinze joies
du mariage. Difficile à classer comme genre, il se présente
comme un ouvrage didactique, mais s'apparente plus à un recueil de
nouvelles, car il raconte de petites histoires : simplement, les
personnages ne sont pas des individus identifiés, mais des sortes de
modèles universels du mari et de la femme. Ce qui est certain, c'est
que le ton est parodique, et clairement misogyne.
Cependant,
avoir des valeurs féministes n'empêche pas de rire franchement à
la lecture de ce texte, d'abord parce qu'il est vraiment drôle, et
aussi parce qu'on peut rire au deuxième degré de ses excès et
réfléchir, à propos de certaines visions caricaturales de la femme
par l'homme qui n'ont finalement guère changé en cinq siècles…
Un
de mes passages préférés est dans la « 3e joie » :
la femme est enceinte, la maison est alors envahie de toute une
troupe de femmes – amies, cousines, sages-femmes, etc. – qui
viennent soi-disant assister la femme dans sa grossesse et son
accouchement, mais qui profitent surtout de la maison, mangent toutes
les réserves, boivent le meilleur vin de la cave, prodiguent à la
future mère de pernicieux conseils pour ne pas se laisser diriger
par son mari. Pendant ce temps, le malheureux court la campagne pour
faire des courses pour sa femme qui a évidemment des « envies »
de femme enceinte, il rentre fatigué, crotté (parce qu'il pleuvait
et qu'il est tombé de cheval, et le pire est que cela aussi semble
être la faute de sa femme !!!), mais ne peut pas se reposer en
arrivant, parce que sa femme se plaint qu'elle n'a rien mangé, qu'il
n'y a que lui qui sache préparer un bouillon comme elle les aime,
alors il se met à cuisiner, il renverse la casserole et se brûle
(il faudra encore qu'on m'explique en quoi c'est la faute de sa
femme !), et lui-même ne mangera que les restes froids des
amies et sages-femmes…
Sur
un ton moins drôle et qui me fait beaucoup moins rire, l'auteur
revient dans la « 7e joie » sur les peines comparées de l'homme et de la
femme : « Bien est vray que la femme, tant que elle
porte enfans et est grosse, qu'elle est bien empeschée, et à
l'enfantement a grant paine et douleur : mais ce n'est rien à
comparer envers un soussy que ung homme raisonnable prent, de pencées
profondes pour aucune grant chose qu'il a affaire. » En gros :
oui, ok, les filles, c'est pas drôle pour vous, la grossesse et
l'accouchement, mais bon, faut quand même reconnaître que nous on
souffre beaucoup plus avec notre cerveau en ébullition que vous avec
vos petits ennuis de ventre… Hélas, je crains que certains hommes
d'aujourd'hui ne pensent encore la même chose, sans le moindre ton
parodique, en plus.
D'autres
passages plus truculents racontent comment la femme prend un amant
(ou plusieurs : un riche pour lui payer des robes, et un jeune
et beau pour satisfaire son plaisir !), comment elle le cache à
son pauvre mari cocu, comment – surprise carrément au lit avec son
amant – elle arrive à embobiner son mari et à lui faire croire
que « ce n'est pas du tout ce qu'il pense », comment une
jeune fille déflorée et se retrouvant enceinte se dépêche avec la
complicité de sa mère de se trouver un mari avant que son état ne
soit visible, comment sur les conseils de sa mère elle fait croire à
son époux lors de la nuit de noces qu'elle est bien vierge (elle
doit se débattre comme si elle avait peur et, au moment fatal,
pousser un cri « soupireux » comme quelqu'un qui se
plonge dans l'eau froide jusqu'à la poitrine sans savoir ce qui
l'attend !). Les écarts d'âge sont évoqués et sont – ô
surprise ! – toujours défavorables à l'homme : le vieil
homme qui a épousé une jeune femme se laisse mener par le bout du
nez, ou bien elle profite de ce qu'il est un peu malade pour le faire
passer pour complètement gâteux et diriger la maison à sa place ;
mais la pire situation est celle du jeune homme qui a épousé une
vieille femme, car celles-ci sont gloutonnes et voraces de chair
fraîche, leur appétit sexuel est insatiable, elles sont jalouses et
possessives, et le malheureux jeune époux, la santé usée, finira
par vieillir prématurément…
Si
je vous ai fait envie, sachez que nous disposons d'une édition
pratique et agréable, chez Folio Classique (2016), avec une
traduction en français moderne de Nelly Labère, dans une mise en
page très maniable : à gauche, l'ancien français pour le
plaisir de la lecture dans le texte original, à droite la traduction
en français moderne pour jeter un œil en cas de doute.
Une
dernière petite citation pour la route ? « La plus sage
femme du monde, au regart du sens, en a autant comme j'ay d'or en
l’œil, ou comme ung singe a de queue. » L'auteur ignorait
visiblement que certains singes ont la queue très longue !
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