mercredi 6 février 2019

Les quinze joies du mariage


Je me suis récemment divertie à la lecture d'un ouvrage anonyme écrit entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle, Les quinze joies du mariage. Difficile à classer comme genre, il se présente comme un ouvrage didactique, mais s'apparente plus à un recueil de nouvelles, car il raconte de petites histoires : simplement, les personnages ne sont pas des individus identifiés, mais des sortes de modèles universels du mari et de la femme. Ce qui est certain, c'est que le ton est parodique, et clairement misogyne.
Cependant, avoir des valeurs féministes n'empêche pas de rire franchement à la lecture de ce texte, d'abord parce qu'il est vraiment drôle, et aussi parce qu'on peut rire au deuxième degré de ses excès et réfléchir, à propos de certaines visions caricaturales de la femme par l'homme qui n'ont finalement guère changé en cinq siècles…
Un de mes passages préférés est dans la « 3e joie » : la femme est enceinte, la maison est alors envahie de toute une troupe de femmes – amies, cousines, sages-femmes, etc. – qui viennent soi-disant assister la femme dans sa grossesse et son accouchement, mais qui profitent surtout de la maison, mangent toutes les réserves, boivent le meilleur vin de la cave, prodiguent à la future mère de pernicieux conseils pour ne pas se laisser diriger par son mari. Pendant ce temps, le malheureux court la campagne pour faire des courses pour sa femme qui a évidemment des « envies » de femme enceinte, il rentre fatigué, crotté (parce qu'il pleuvait et qu'il est tombé de cheval, et le pire est que cela aussi semble être la faute de sa femme !!!), mais ne peut pas se reposer en arrivant, parce que sa femme se plaint qu'elle n'a rien mangé, qu'il n'y a que lui qui sache préparer un bouillon comme elle les aime, alors il se met à cuisiner, il renverse la casserole et se brûle (il faudra encore qu'on m'explique en quoi c'est la faute de sa femme !), et lui-même ne mangera que les restes froids des amies et sages-femmes…
Sur un ton moins drôle et qui me fait beaucoup moins rire, l'auteur revient dans la « 7e joie » sur les peines comparées de l'homme et de la femme : « Bien est vray que la femme, tant que elle porte enfans et est grosse, qu'elle est bien empeschée, et à l'enfantement a grant paine et douleur : mais ce n'est rien à comparer envers un soussy que ung homme raisonnable prent, de pencées profondes pour aucune grant chose qu'il a affaire. » En gros : oui, ok, les filles, c'est pas drôle pour vous, la grossesse et l'accouchement, mais bon, faut quand même reconnaître que nous on souffre beaucoup plus avec notre cerveau en ébullition que vous avec vos petits ennuis de ventre… Hélas, je crains que certains hommes d'aujourd'hui ne pensent encore la même chose, sans le moindre ton parodique, en plus.
D'autres passages plus truculents racontent comment la femme prend un amant (ou plusieurs : un riche pour lui payer des robes, et un jeune et beau pour satisfaire son plaisir !), comment elle le cache à son pauvre mari cocu, comment – surprise carrément au lit avec son amant – elle arrive à embobiner son mari et à lui faire croire que « ce n'est pas du tout ce qu'il pense », comment une jeune fille déflorée et se retrouvant enceinte se dépêche avec la complicité de sa mère de se trouver un mari avant que son état ne soit visible, comment sur les conseils de sa mère elle fait croire à son époux lors de la nuit de noces qu'elle est bien vierge (elle doit se débattre comme si elle avait peur et, au moment fatal, pousser un cri « soupireux » comme quelqu'un qui se plonge dans l'eau froide jusqu'à la poitrine sans savoir ce qui l'attend !). Les écarts d'âge sont évoqués et sont – ô surprise ! – toujours défavorables à l'homme : le vieil homme qui a épousé une jeune femme se laisse mener par le bout du nez, ou bien elle profite de ce qu'il est un peu malade pour le faire passer pour complètement gâteux et diriger la maison à sa place ; mais la pire situation est celle du jeune homme qui a épousé une vieille femme, car celles-ci sont gloutonnes et voraces de chair fraîche, leur appétit sexuel est insatiable, elles sont jalouses et possessives, et le malheureux jeune époux, la santé usée, finira par vieillir prématurément…
Si je vous ai fait envie, sachez que nous disposons d'une édition pratique et agréable, chez Folio Classique (2016), avec une traduction en français moderne de Nelly Labère, dans une mise en page très maniable : à gauche, l'ancien français pour le plaisir de la lecture dans le texte original, à droite la traduction en français moderne pour jeter un œil en cas de doute.
Une dernière petite citation pour la route ? « La plus sage femme du monde, au regart du sens, en a autant comme j'ay d'or en l’œil, ou comme ung singe a de queue. » L'auteur ignorait visiblement que certains singes ont la queue très longue !

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