samedi 23 avril 2022

Est-ce qu’Adam et Eve pétaient, suaient, pissaient et chiaient ?


Vous pensez sans doute que les théologiens du Moyen Âge étaient bien trop sérieux pour se préoccuper d’une question aussi dérisoire ? Eh bien, elle n’était pas du tout dérisoire, si l’on songe qu’elle rentrait dans un grand débat, celui de la corporéité. Le corporel, le matériel, le physique sont souvent rattachés au péché originel : donc les fonctions matérielles du corps existaient-elles avant le péché originel ?

J’avais déjà écrit un article à ce sujet, auquel je vous renvoie : « Du sexe au paradis originel? » https://cheminsantiques.blogspot.com/2020/01/du-sexe-au-paradis-originel.html


Le texte que nous allons regarder aujourd’hui est un texte d’Albert le Grand, XIIIe siècle, dans ses Commentaires aux sentences de Pierre Lombard.

Une petite explication s’impose : Pierre Lombard est un théologien du XIIe siècle dont l’ouvrage, Les sentences, est un recueil de citations de Pères de l’Église, mis en ordre et destiné à donner les bases de la théologie chrétienne. Il est ensuite abondamment utilisé tout au long du Moyen Âge, et le sport favori des théologiens qui vont suivre sera d’écrire des Commentaires aux sentences de Pierre Lombard. On a donc de ces Commentaires écrits par des dizaines d’auteurs médiévaux. Le site « Magister sententiarum » entreprend d’en éditer le maximum en ligne à cette page : http://magistersententiarum.com/home. Ces auteurs étant tous également professeurs d’Université, ils se sont prêtés au jeu d’imaginer toutes les questions possibles et imaginables sur le monde, la vie, l’homme, Dieu (ces questions sont parfois directement rattachées à une des sentences de Pierre Lombard, et parfois elles sont amenées de fil en aiguille et sont inventées par l’auteur même du Commentaire), et d’y répondre par des textes détaillant arguments et contre-arguments, reflétant les débats oraux qui pouvaient avoir lieu entre étudiants dans les Universités, le maître donnant généralement la solution finale de la question.


Notre texte se trouve dans les Commentaires aux sentences de Pierre Lombard d’Albert le Grand, livre II, distinction XX, article 5. Vous pouvez le lire en latin ici : http://magistersententiarum.com/book/52/distinction/1310


La question précise demande « Utrum fuissent in eis [primi parentes] resolutiones superfluitatum, sicuti pollutiones, menstrua, egestiones, et urinae ? », « S’il y avait en eux [nos premiers parents] un relâchement des superfluités, comme les pollutions, les menstrues, les excréments et les urines ? » La phrase suivante paraphrase la question et ajoute « et sudores et huiusmodi » (« et la sueur, et les choses de ce genre »).

Vous avez vu passer la mention des menstrues, et vous avez compris comment je suis tombée sur ce texte ! Eh oui, vous me connaissez bien ! Quant aux pollutions, rien à voir avec les gaz à effets de serre du XXIe siècle, il s’agit de ce que nous appelons encore « pollutions nocturnes », même si elles peuvent être diurnes, c’est-à-dire les éjections involontaires (ou pas) de sperme.

Voici un résumé des réponses proposées par Albert le Grand.

La première réponse est que non, car ils dégagent une odeur fétide, laquelle implique une punition, or il n’y avait pas de punition avant le péché originel.

Trois contre-arguments sont alors avancés :

- Dieu a fabriqué dans le corps humain des organes pour recevoir les superfluités humides, comme la vessie, et les superfluités sèches, comme l’estomac et les intestins.

- De même il a créé les pores de la peau pour que la sueur s’en échappe. Cela ne servirait à rien s’il n’y avait pas de superfluités.

- On pourrait dire que la nourriture étant juste en bonne quantité, elle n’avait pas besoin d’être évacuée, mais cela ne tient pas, car sinon il n’y aurait pas besoin de digestion, et la nourriture serait détruite avant même d’être consommée.

Résolution : certains de ces relâchements de superfluités corrompent et affaiblissent l’énergie vitale, et ceux-là n’existaient pas chez nos premiers parents : la pollution, les menstrues, la sueur. Mais d’autres sont naturelles, comme les excréments, l’urine et les crachats ; « et illae fuissent, ut puto, tamen sine pudore et fetore foeditatis », « et ceux-là existaient, je pense, mais sans la honte ni l’odeur fétide » !

 

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