Cet
article fait suite à l'article « Mon dragon d'amour » du
30 mars dernier
(http://cheminsantiques.blogspot.fr/2015/03/mon-dragon-damour.html) :
j'y montrais comment on pouvait trouver de manière implicite, dans
les textes et surtout dans les enluminures évoquant la légende de
sainte Marguerite, un certain désir amoureux entre Marguerite et son
dragon.
Vous
aviez peut-être trouvé alors mon idée saugrenue. Aussi, pour vous
montrer que ce thème du désir amoureux entre la femme et le dragon
était bien présent dans l'imaginaire des hommes de l'Antiquité et
du Moyen Age, je vais vous raconter aujourd'hui des histoires
beaucoup plus explicites.
*
* *
La
première est racontée par Plutarque, auteur grec du IIe s. ap. JC,
un des auteurs les plus prolifiques de l'Antiquité, qui
s'intéressait à tous les sujets. Dans « LES
ANIMAUX DE TERRE ONT-ILS PLUS D'ADRESSE QUE CEUX DE MER ? »
(Œuvres
morales),
il relate diverses anecdotes visant à montrer l'intelligence de
certains animaux. Il énumère entre autres quelques histoires
d'amour touchantes entre un animal (éléphant, oie, bélier...) et
une femme ou un homme, parmi lesquelles ce petit récit, que je
trouve très érotique :
« Un
dragon étant devenu amoureux d'une fille d'Étolie, venait la voir
pendant la nuit ; il se glissait doucement auprès d'elle,
s'entortillait autour de son corps sans lui faire aucun mal, même
par mégarde, et il se retirait tranquillement à la pointe du jour.
Comme ses visites étaient très assidues, les parents de la fille
l'envoyèrent au loin. Le dragon ne parut pas de trois ou quatre
jours, sans doute parce qu'il la cherchait de tous côtés; l'ayant
enfin trouvée après bien des recherches, il s'approcha d'elle, non
avec sa douceur accoutumée, mais d'un air sévère, et lui ayant lié
les mains avec les plis de son corps, il la frappait de l'extrémité
de sa queue ; cependant il montrait un courroux amoureux qui laissait
voir plus de désir de pardonner que d'envie de punir. »
(Traduction française par l'abbé
Ricard, 1844. Visible à cette page :
http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/plutarque_animaux/lecture/14.htm,
où vous pourrez lire d'autres histoires d'animaux amoureux)
*
* *
La
deuxième histoire est un conte folklorique de Suède, « Le
lindorm amoureux » (dont on trouve différentes versions dans
des recueils de contes publiés de nos jours). En voici la trame :
une reine qui ne pouvait avoir d'enfant consulte une sorcière ;
celle-ci lui conseille de manger deux oignons crus. La reine (qui ne
devait pas cuisiner très souvent!) se précipite dans le potager et
engloutit un premier oignon avec toute sa peau ! Plus avertie
pour le deuxième, elle prend la peine de l'éplucher. Neuf mois plus
tard lui naissent deux enfants : un affreux petit dragonneau,
qu'elle se hâte de jeter par la fenêtre, et un ravissant petit
garçon. Ce dernier, devenu jeune homme, cherche à épouser une
princesse, en vain. Désespéré, il erre dans la forêt, où il
rencontre soudain un lindorm (dragon de ces contrées) qui lui
explique qu'il est son frère aîné et que lui, le jeune prince, ne
pourra trouver d'épouse tant que lui, le lindorm, n'en aura pas
trouvé une. Les parents, informés, font un appel à fiancée pour
leur fils lindorm, mais celui-ci refuse toute jeune fille qui ne se
donnerait pas à lui volontairement et par amour. Finalement, une
magicienne conseille à sa fille d'aller voir le lindorm, mais pas
n'importe comment. La jeune fille se présente à lui vêtue d'une
infinité de vêtements enfilés les uns sur les autres. Elle propose
au lindorm qu'à chaque vêtement qu'elle retirera, il retirera
lui-même une de ses peaux. Celui-ci accepte, et c'est le début d'un
strip-tease qui dure toute la nuit, jusqu'à ce qu'au petit matin, la
jeune fille, se dépouillant de son dernier vêtement, apparaisse
totalement nue, et le lindorm, quittant sa dernière peau, apparaisse
comme ce qu'il est vraiment (ce qu'il aurait été dès le début si
sa mère n'avait pas mangé l'oignon entier!), un beau jeune
prince...
*
* *
L'héroïne
de la troisième histoire n'est pas une femme anonyme puisqu'il
s'agit d'Olympias, la mère d'Alexandre le Grand, dont plusieurs
auteurs antiques et médiévaux racontent qu'elle aurait conçu
Alexandre, non de son époux Philippe, mais d'un magicien égyptien,
Nectanébo, métamorphosé pour l'occasion en dragon.
La scène
d'amour entre Olympias et le dragon plaît aux enlumineurs du Moyen
Age occidental. En voici quelques exemples :
Illustration
de la Vie d'Alexandre
par Quinte-Curce, manuscrit indéterminé, fol. 30
Illustration
d'un passage du Speculum
Historiale de Vincent de Beauvais, manuscrit réalisé vers
1370-1380,
BNF,
Nle Acq Fr 15939, fol. 11
Et
mon illustration préférée :
Illustration
de la Vie d'Alexandre par Quinte-Curce, manuscrit réalisé à Bruges
vers 1468-1475
British
Library, Burney 169, fol. 14r
Elle
est digne des meilleures scènes comiques des farces composées à
cette époque de la fin du Moyen Age, dans lesquelles le mari cocu se
retrouve à la porte de chez lui ! Le dragon n'a plus rien
d'effrayant dans cette scène bourgeoise. Il joue le rôle de l'amant
tendre et jaloux de sa bien-aimée, dérangé par l'arrivée
inopportune du mari !
Le
dragon en acteur de drame bourgeois ! Auriez-vous imaginé
cela ? Cette image nous révèle peut-être aussi la déchéance
du terrifiant animal en cette fin de XVe s. ...
*
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