Des élèves en mal de réflexion philosophique demandent souvent à leur professeur à quoi sert telle ou telle matière, telle leçon ou telle activité scolaire.
Quand on leur renvoie la question, on se rend compte que « servir » renvoie pour eux à des réalités très concrètes. En gros, les mathématiques vont leur servir à calculer leur liste de courses (« et encore, il y a la calculatrice »), le français à rédiger une lettre d'embauche et l'anglais à demander leur chemin dans un pays étranger. Pour eux, ce qu'on apprend à l'école n'a d'autre but que pour leur futur métier et pour des applications concrètes. A ce titre, des matières comme l'histoire, les langues anciennes, le sport, la musique et les arts plastiques sont totalement inutiles.
Je dis « eux », mais je me souviens que moi aussi, quand j'étais à l'école primaire, que je détestais le sport et que je ne savais pas monter à la corde, je m'étais dit que ce serait pourtant utile pour m'échapper d'un immeuble en flammes!
Or ces raisonnements sont stupides ; ils peuvent prêter à sourire quand ils sont tenus par des enfants encore naïfs, mais deviennent dangereux quand ils contaminent les plus hautes sphères de l’État, ceux qui décident des programmes scolaires et du financement des filières universitaires. Aujourd'hui en effet, on voudrait réduire les connaissances du primaire et du secondaire à un « socle commun » purement utilitaire, tandis que les approfondissements culturels seraient réservés aux élites, et un candidat presque président de la République déclarait en avril 2007: « Vous avez le droit de faire de la littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a mille étudiants pour deux postes. [...] Les universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable, mais l’État doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes. »
Je tiens donc à l'affirmer ici clairement: on n'apprend pas pour des applications concrètes et utilitaires ni pour un futur métier! En tout cas pas seulement. Alors, à quoi sert-il d'apprendre, me demanderez-vous? A beaucoup de choses, bien plus importantes qu'un travail et une liste de courses.
Apprendre pour conserver et améliorer sa santé mentale
De même que si on ne fait pas de sport on augmente les risques de dégradations de sa santé physique, de même si on n'apprend pas, le cerveau perd l'habitude de ces mécanismes. On sait que l'apparition de maladies neuro-dégénératives comme la maladie d'Alzheimer est retardée chez des sujets qui avaient gardé l'habitude d'apprendre (de lire, de se cultiver) tout au long de leur vie.
Apprendre pour mieux apprendre
C'est une conséquence de la raison précédente. De même qu'un sportif bien entraîné fera de meilleures performances, de même quelqu'un qui a l'habitude d'apprendre apprendra de plus en plus facilement. Ainsi, les gens qui savent déjà quatre ou cinq langues n'ont souvent pas de difficultés à en apprendre une quantité d'autres.
Apprendre pour le plaisir d'apprendre
Le plaisir me semble une chose suffisamment capitale dans la vie d'un être humain pour qu'on ne le balaie pas d'un méprisant « Le plaisir de la connaissance est formidable, mais ». Qui n'a jamais éprouvé de plaisir à apprendre quelque chose? Et comment des adultes (parents, enseignants, hommes politiques) oseraient-ils prétendre savoir ce qui procurera ou non du plaisir aux enfants et jeunes gens dont ils ont la charge? Il faut leur offrir le plus grand choix, au risque de tarir leur précieuse gourmandise.
Apprendre pour devenir un citoyen responsable et un être humain tolérant
L'étude de la littérature, de la philosophie, de l'histoire, des langues anciennes, et d'autres matières encore, nous montrent différentes manières de penser. Cela nous apprend le relativisme des sociétés humaines et des individus, ce qui nous apprend à être tolérant. Cela nous fait aussi nous poser des questions et nous apprend donc à penser, non pas forcément comme nos parents, nos professeurs, nos dirigeants politiques, nos journaux télévisés, mais à penser par nous-mêmes.
Notons que toutes ces raisons se renforcent les unes les autres: celui qui aura une bonne santé mentale, c'est-à-dire l'esprit plus vif, sera plus intelligent donc plus facilement responsable et tolérant; celui qui apprendra plus facilement comprendra plus facilement, y compris ses semblables; celui qui éprouvera beaucoup de plaisir voudra le faire partager; celui qui saura penser par lui-même en retirera du plaisir, de même celui qui s'entendra bien avec ses semblables parce qu'il sera plus tolérant, etc.
Bon apprentissage!
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