mercredi 8 octobre 2008

De Villepinte à Brescia (un souvenir littéraire)

Lundi 29 septembre, en descendant du RER à Vert-Galant pour me rendre comme tous les matins dans mon collège de Villepinte, j'ai été frappée de l'épaisseur du brouillard qui enveloppait tout, surtout que ce brouillard était inexistant aux stations précédentes. Cela m'a confirmée dans l'impression que j'ai parfois que je travaille au bout du monde. Mais au fur et à mesure que je m'aventurais dans ce nouvel environnement, j'ai eu la sensation d'entrer dans un monde magique. De très jolis lampadaires, assez bas et à la lumière blanche installés depuis peu faisaient des auréoles mystérieuses et l'absence totale de passants pendant quelques minutes ainsi que le silence inhabituel, dû au ralentissement des voitures plus prudentes et au brouillard lui-même qui étouffait les sons, accentuait cette sensation de magie. Et soudain, alors que j'étais ainsi séduite par ce paysage, j'ai eu une sensation de déjà ressenti et j'ai murmuré: « Brescia! »
De fait, ce n'était pas un souvenir personnel, mais un souvenir de lecture, une de mes pages préférées de la littérature, extraite du Voyage en Italie de Jean Giono (1954) (dont j'avais déjà cité un extrait: http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/08/cultivons-notre-jardin.html).
Je dis « une page », mais je constate en prenant le livre que c'est quatre pages. Je vais donc tâcher de ne vous donner que les passages les plus significatifs et les plus proches de mon impression de ce lundi.

« Brescia passe pour être la patrie des femmes qui ont les plus beaux yeux de l'Italie. Nous bifurquons en pleine nuit dans la route qui y mène. A la lumière des phares, qui donne tant d'intensité irréelle aux verts, elle m'apparaît bordée de peupliers et de prairies comme une de ces routes des Alpes, que j'aime. Me voilà disposé à trouver tout beau. [...]
Les rues où nous nous engageons cependant, mal éclairées par des lanternes rares, et strictement désertes (il n'est que huit heures du soir), nous promènent entre des murs nus, hauts de cinq à six mètres, semblables à des murs de casernes, de prisons ou de forteresses. Cet avant-goût militaire ne me déplaît toujours pas, au contraire. Nous circulons dans un opéra à l'acte où le tyran perpètre ses mauvais coups. [...]
Enfin on ne sait pourquoi nous piquons dans une ruelle et débouchons sur une place. Là, c'est le comble de l'irréel. Du coup, on s'arrête. Toujours strictement aucun personnage vivant. Sous des projecteurs à lumière si blanche qu'on en a froid dans le dos, nous fait face un décor de carton qui représente la façade d'une maison de campagne russe 1900, comme il y en a dans les Récits d'un chasseur. Côté cour on voit de biais le fronton, le balcon et le perron d'un petit palais rococo ; côté jardin une simple maison de brique praticable au rez-de-chaussée par une large baie vitrée derrière laquelle luisent les nickels des bouteilles sur des étagères. « Merde », dit Antoine. Il est cependant très bien élevé. [...]
Le boulevard que nous parcourons à petite allure prudente est une très large allée de parc. C'est à peine si l'on distingue à droite et à gauche le blanc des façades volets fermés et portes closes. On a l'impression que les réverbères n'ont rien à voir avec la civilisation, qu'ils sont des lumières naturelles comme celle des étoiles et des vers luisants. Ils n'éclairent pas plus d'ailleurs. Nous sommes dans une sorte d'artificiel à rebours. On a réussi (je crois bien que c'est la lumière, aussi bien l'éblouissante de tout à l'heure que la veilleuse de maintenant) à donner l'impression de carton peint avec de vrais arbres, de vrais feuillages et de vraies maisons. Tous les volumes sont aplatis. Illusion que l'absence de personnages rend parfaite. Nous ne sommes plus très sûrs d'avoir nous-mêmes une épaisseur. »


*

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