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Ma communication n'a pas été retenue, car Marguerite, victime de son succès, était traitée dans le cadre d'une autre communication, celle de Miranda Griffin, dont les hypothèses se rapprochaient de certaines des miennes, puisqu'elle a comparé Marguerite et Mélusine. Elle nous a montré pour étayer son propos deux représentations de chacune de ces héroïnes, toutes deux issues du fonds de manuscrits de Cambridge où elle enseigne (mais de manuscrits différents) : ces deux représentations ont une ressemblance troublante et un effet miroir.
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Voici ensuite, un peu en vrac, quelques découvertes que j'ai faites lors de ce colloque :
- Quand un héros tue un être hybride, il sépare son corps en deux précisément à la jonction des deux parties différentes : ainsi, il met fin à l'hybridité et rétablit l'ordre de la nature. (remarque issue de plusieurs communications)
- Il n'y a pas que des hybrides de corps organiques, mais aussi un mélange organique / inorganique, comme ces chevaliers-poissons qui portaient des heaumes, épées et boucliers sous forme d'excroissances charnelles ; ou comme ces enfants-arbalètes qui sortaient tout armés du ventre de leur mère (non sans conséquences pour celle-ci, d'ailleurs ! Et on retrouve là le motif d'un être qui sort d'un ventre en le déchiquetant, comme Marguerite avec son dragon). (communication d'Antonella Sciancalepore)
- Saint Christophe était à l'origine un monstre cynocéphale (à tête de chien) ! (communication de Jacqueline Leclercq-Marx)
- Les filles d'Adam, après avoir mangé d'une certaine herbe interdite par leur père, ont engendré tous les monstres hybrides : cynocéphales (hommes à tête de chien), sciapodes (hommes munis d'un pied unique avec lequel ils se font de l'ombre), etc. (communication de Pierre-Olivier Dittmar)
- Des auteurs arabes musulmans (repris ensuite par des auteurs chrétiens occidentaux) ont établi une « scala naturae » (échelle de la nature) inspirée d'Aristote et visant à classifier toutes les créations de la nature. L'homme est en haut (certaines échelles incluent aussi Dieu et les anges, qui sont bien sûr au-dessus de l'homme), suivi par les animaux, les végétaux, puis les minéraux. Ce qui est amusant, ce sont certaines créations qui sont entre deux échelons : ainsi le corail est un minéral qui se rapproche du végétal ; le palmier un végétal qui se rapproche de l'animal ; le singe, le perroquet ou l'abeille des animaux qui se rapprochent de l'humain. (communication de Grégory Clesse)
- Il existe une théorie des climats selon laquelle si une femme enceinte se déplace dans un climat différent (quel que soit le climat où a eu lieu la conception), son enfant aura les caractéristiques des populations vivant dans ce climat : couleur de peau, taille, ou toute autre forme corporelle (incluant nos fameux cynocéphales et sciapodes...) (communication de Florence Ninitte)
- Il faut bien distinguer deux sortes d'hybrides :
- ceux que l'on devrait plutôt appeler « monstres », qui sont des créatures nommées, décrites, représentées selon une image standardisée reconnaissable (ex : cynocéphale, sciapode, licorne, griffon, centaure, sirène, etc.) ;
- les « hybrides » proprement dits qui n'ont ni nom particulier, ni forme récurrente, ni description, et qui sont inventées au coup par coup par les artistes : on les trouve notamment comme figures de soutènement des chapiteaux sculptés romans ou encore dans les marges des manuscrits. (communication de Pierre-Olivier Dittmar)Si vous n'avez jamais vu de ces « marginalia », je vous conseille mon manuscrit préféré, le « Luttrell Psalter », entièrement consultable en ligne à cette page : http://www.bl.uk/turning-the-pages/?id=a0f935d0-a678-11db-83e4-0050c2490048&type=book ; et si vous voulez voir directement plusieurs des images les plus amusantes des marges de ce manuscrit, vous pouvez aller par exemple ici : https://www.pinterest.co.uk/JEastwoodArt/luttrell-psalter/.
- Certains sceaux portent l'image d'un être hybride (par exemple une tête humaine d'où émergent une tête d'oiseau et une tête de cheval, un léopard pourvu d'ailes d'oiseau, une tête posée sur des jambes, sans parler de nombreux griffons et dragons), ce qui montre que ces êtres hybrides pouvaient être revendiqués comme marque d'identité. La raison de ce choix reste encore obscure, c'est l'une des nombreuses pistes restées ouvertes lors de ce colloque et qui donnent envie de poursuivre les recherches... (communication de Clémence Gauche)