mercredi 9 décembre 2020

Le charme post-menstruel de Bethsabée


Mes plus fidèles lecteurs se souviennent peut-être, lors de ma « période Stoskopff », de cet article de 2016 que j’avais intitulé « Voyeurisme et femme-poisson ». C’était ici : https://cheminsantiques.blogspot.com/2016/10/voyeurisme-et-femme-poisson-stoskopff.html

Il est temps de revenir sur ce motif de la femme au bain, car qui dit femme au bain, dit toilette féminine, et quand on parle de toilette féminine le sang menstruel n’est jamais loin (même quand on n’en parle pas !) Laissant de côté Artémis et Suzanne, je veux revenir aujourd’hui sur deux de ces célèbres histoires de femmes surprises pendant leur bain, qui ne sont pas sans lien avec la menstruation : celle de Mélusine et celle de Bethsabée.


Le lien de l’histoire de Mélusine avec la menstruation semble évident, puisque, à intervalles réguliers, elle se retire à l’écart de son mari, et que, quand ce dernier transgresse l’interdit et regarde en cachette, il voit que le bas du corps de sa femme a pris une forme monstrueuse. Je reviendrai peut-être plus longuement dans un autre article sur le lien entre Mélusine et la menstruation.


Quant à l’histoire de Bethsabée, l’idée ne m’était même jamais venue à l’esprit qu’elle puisse avoir quelque rapport que ce soit avec la menstruation, jusqu’à ce que je tombe sur une glose médiévale. Petite explication : depuis la fin de l'Antiquité et tout au long du Moyen Âge, des théologiens ont entrepris d'ajouter dans les marges des manuscrits de Bibles en latin (parfois même entre les lignes) un grand nombre de petits commentaires et explications. On regroupe l'ensemble de ces commentaires sous le nom de « glose ». Pour en savoir plus, je vous conseille cet excellent article de Martin Morard : https://big.hypotheses.org/557

Sur le site https://gloss-e.irht.cnrs.fr/index.php, vous avez le texte latin, et toutes les gloses, avec l’indication de leur origine. En y tapant le mot « menstruum », je suis tombée sur ceci.

Un passage situé en II Samuel, 11 : 2 (la glose écrit « II Rg (Rois), 11 : 2 », sans doute une erreur ou un classement différent) raconte la rencontre de David et de Bethsabée : « viditque mulierem se lavantem ex adverso super solarium suum : erat autem mulier pulchra valde. » = « et il vit une femme qui se lavait en face de lui depuis sa terrasse : la femme était très belle. » En-dessous de « mulierem se lavantem », une glose interlinéaire ajoute : « propter fluxum menstruum ut quidam volunt » = « à cause de son flux menstruel, comme certains le prétendent ». Un peu plus loin, au verset 4, le texte biblique poursuit : « Missis itaque David nuntiis tulit eam, que cum ingressa esset ad illum, dormivit cum ea, statimque sanctificata est ab immunditia sua » = « David lui envoya des messagers pour lui ordonner qu’elle vienne le voir, il dormit avec elle, et elle se sanctifia aussitôt de son impureté. » Et la glose précise pour expliquer « immunditia » (impureté) : « id est menstruali effusione » = « c’est-à-dire son écoulement menstruel ».

On ne saura jamais si les hommes qui ont écrit l’histoire de David avaient aussi cette interprétation. Quoi qu’il en soit, elle n’est pas incohérente avec un autre passage de l’Ancien Testament, le Lévitique, qui énumère avec précision certaines règles d’hygiène, et comporte notamment tout un chapitre sur la menstruation. Il y est dit notamment que le coït pendant la période des menstrues est totalement prohibé, et que sept jours après la fin de ses menstrues, après avoir pris un bain purificateur, la femme peut à nouveau avoir une relation sexuelle. Donc si on interprète, comme l'auteur de cette glose, que le bain que prenait Bethsabée quand le roi David l’a aperçue était ce bain purificateur « post-menstruel », cela signifie implicitement qu’elle entrait dans la période de relations sexuelles licites (restait encore la question de l’adultère, mais qui était finalement moins grave au regard de la loi juive que celle du coït pendant les menstrues, et que le roi David régla proprement en envoyant le mari de Bethsabée se faire massacrer dans une bataille).

Et finalement, qui sait si ce n’est pas ce signe explicite d’une disponibilité sexuelle qui a séduit le roi David, bien plus que la beauté ou que la nudité de Bethsabée ?


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