Dans
le cadre de mes recherches sur le corps féminin au Moyen Âge, j'ai
entrepris de lire la fabuleuse somme Histoire des femmes en
Occident, recueil collectif d'articles, publié pour la première
fois en 1990. Bien que ce soit le Moyen Âge, qui m'intéresse, j'ai
commencé par lire le tome 1 « L'Antiquité », d'abord
parce qu'on ne peut comprendre le Moyen Âge sans connaître
l'Antiquité, et puis je n'ai pas complètement renié ma part
d'antiquisante et je reste intéressée par cette période.
Parmi
tous les articles de ce tome 1, celui qui m'a le plus impressionnée
est celui d'Aline Rousselle, « La politique des corps :
entre procréation et continence à Rome » : j'y ai appris
des choses étonnantes et que j'ignorais, moi qui croyais en savoir
beaucoup sur la famille romaine.
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Je savais que les jeunes filles romaines étaient fréquemment mariées vers 12, 13 ou 14 ans, mais j'avais lu, je ne sais plus où, que le mari (qui, lui, avait plus de 30 ans, le temps d'avoir accompli sa formation militaire et politique) attendait quelques années qu'elle devienne une femme avant de consommer le mariage. Aline Rousselle explique très clairement pourquoi ce n'était pas le cas et pourquoi les Romains pensaient qu'il était préférable de déflorer leurs épouses avant la puberté. D'abord pour une raison sociale : en les déflorant à un âge où elles n'étaient pas du tout prêtes physiquement à éprouver du plaisir, on les rendait frigides à vie (du moins l'espérait-on !), et on s'assurait contre tout risque d'infidélité. Ensuite pour une raison médicale : on croyait que le vagin des vierges était vraiment fermé et que si on ne l' « ouvrait » pas avant la puberté, les règles ne pourraient pas s'écouler correctement et risqueraient en s'accumulant de nuire à la santé de la jeune fille. Oui, oui ! Cela semble incroyable, mais c'est vrai !
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Les épouses légitimes n'avaient en général pas plus de rapports sexuels avec leur époux que ce qu'il en fallait pour faire trois enfants. Pourquoi trois enfants ? C'était la condition nécessaire pour un certain nombre d'avantages législatifs. Et après avoir eu leurs trois enfants ? Eh bien, vu que les contraceptifs n'étaient pas très au point, elle pratiquaient la continence ; d'où également l'intérêt d'être frigides, évoqué plus haut ! Pauvres femmes romaines ? Eh bien pas tant que cela. N'oubliez pas la quantité énorme de risques mortels liés à la grossesse, à l'accouchement, ainsi qu'aux tentatives de contraception ou d'avortement. En pratiquant la continence, elles préservaient leur vie, tout simplement.
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Et les hommes ? Pour eux, pas de risques ! Et eux n'ont pas été éduqués à être frigides ! Il faut donc bien qu'ils se défoulent ailleurs ! Les prostituées, bien sûr, et les esclaves femmes de la maison. Cela, je le savais. Ce que j'ignorais, c'est que le citoyen romain avait surtout une sorte de « concubine en titre », généralement une affranchie, le plus souvent connue et acceptée sans problème par l'épouse légitime. À chacune sa place : à l'une la production des héritiers et la gestion de la maison, à l'autre les plaisirs sexuels, peut-être la tendresse, mais aussi les plus grands risques mortels. Finalement, quelle était la situation la plus enviable ? Pas facile à dire, et pas facile de choisir à la place de laquelle je préférerais être si j'avais le choix !
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Dernier point qui m'a frappée : c'est la lecture que fait Aline Rousselle de l'avènement du Christianisme dans le monde romain et de sa valorisation de l'amour conjugal, en tenant compte de cette analyse. On considère généralement que c'est un progrès pour la condition féminine des épouses légitimes, au vu de la fidélité absolue et de l'amour que leur doit leur époux ; et c'est juste. Mais c'est en même temps une régression, car elles endossent désormais la totalité des risques liés à la reproduction.
On
serait tenté de nos jours de traiter les hommes romains de
violeurs, pédophiles, et trompeurs de leurs épouses ; mais
comme vous le voyez, ce n'est pas si simple, et ces trois attitudes
qui nous révoltent pouvaient aussi servir les intérêts de ces
épouses...
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Et oui, nos premières réactions sont souvent le jugement des comportements d'avant, comme si "nous" étions plus évolués maintenant. Autrefois tout comme maintenant notre partie mentale qui est la survie nous fait pratiquer un comportement général pour pourvoir à cette survie, s'en vient des comportements. C'est ainsi que je peux penser en lisant vos articles. J’apprécie, Merci.
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