Je poursuis ma série d'articles sur les tableaux de Stoskopff, avec
un tableau qui réunit plusieurs des thèmes évoqués dans les
précédents.
Nature
morte à la carpe sur une boîte de copeaux, 44,5 x 62,5. Clamecy,
Musée d'Art et d'Histoire Romain Rolland, 1635-40.
Contrairement aux deux tableaux précédents, la table n'est pas
indiquée que par une ou deux lignes horizontales, mais une ligne
diagonale esquisse une vision en perspective qui donne une dynamique
à la représentation.
Sur cette table, la même boîte en copeaux que dans les tableaux
précédents et, comme dans le premier, parfaitement close,
l'ouverture semblant condamnée par le poids de l'objet posé dessus.
Cet objet est cette fois une assiette creuse, dans laquelle repose
lourdement une carpe morte qui semble pourtant vivante, vivante par
ses écailles fraîches et scintillantes qui captent des éclats de
lumière si chers à Stoskopff, vivante par l'élasticité de sa
chair qui se laisse voir sous les écailles, vivante par son œil
brillant et noir, vivante enfin et surtout par sa bouche ouverte en
un trou rond avide et assoiffé ; assoiffé d'eau et de vie pour
ce poisson agonisant, premier degré de lecture.
Mais vers quoi tend cette bouche désirante ? Non vers l'eau,
mais vers le feu. Vers le feu de cette bougie suspendue au mur, dont
la mèche encore claire et fumante indique qu'on vient de l'éteindre.
Instant fixé de la peinture, que Stoskopff aime ainsi à signaler
par de si imperceptibles détails (dans un autre tableau, c'est une
couronne de minuscules bulles dans le liquide d'un flacon qui indique
que celui-ci vient d'être manipulé). De cette bougie encore chaude
coulent des larmes de cire qui semblent vouloir descendre vers la
bouche ouverte du poisson pour étancher sa soif. On pourra trouver
très féminine cette bouche ouverte et sombre de la carpe qui
s'offre au regard du spectateur, sensuellement étendue comme un
corps de femme à l'abandon ; et très masculine cette bougie
douce et dure comme une chair d'homme qui semble se tendre en un
arrondi gonflé et dont le feu a été assez brûlant pour faire
jaillir ces gouttes qui, à l'extrémité, coulent de désir vers la
bouche avide.
Reste comme toujours le mystère du contenu de la boîte en copeaux.
Mais aussi celui des oranges. En effet, ce tableau appartient à une
série d'une dizaine, certains signés du maître, d'autres
apparemment de peintres de son entourage. Tous représentent
exactement la même scène : la table, la boîte en copeaux,
l'assiette avec la carpe, la bougie accrochée au mur. Mais, seul de
tous, celui exposé à Clamecy comporte deux différences :
absence d'un pichet à droite du tableau, présence de deux oranges à
gauche. Ces oranges sont évidemment à rapprocher des citrons si
fréquents dans les tableaux de Stoskopff. Les deux agrumes étaient
utilisés à cette époque comme condiment en accompagnement de
viandes ou de poissons. Il s'agissait d'oranges amères. Comme dans
d'autres tableaux avec des citrons coupés ou en tranches, Stoskopff
a soigné la brillance et la luminosité de l'orange coupée, qui
fait exactement face à la source de lumière, et semble presque
irradier elle-même, tel un petit soleil. A côté de la scène
sombre et mortifère de la carpe agonisante et de la bougie
s'éteignant, l'orange apporte la lumière de la vie et de l'espoir ;
à côté de leur expression de soif et de désir, elle apporte un
jus frais et doré. Qu'est cette vie, cette lumière, cet espoir, ce
liquide bienfaisant qui étanchera les assoiffés ? Dieu ?
L'amour ? Toutes les interprétations sont possibles, encore une
fois, et c'est au spectateur d'y traduire ses propres rêves et
fantasmes...
*
Pour suivre ce blog sur facebook, être au courant des nouveaux articles et en découvrir d'anciens, c'est ici : https://www.facebook.com/Chemins-antiques-et-sentiers-fleuris-477973405944672/
Les
nouveaux articles sont aussi partagés sur twitter :
https://twitter.com/CheminsAntiques
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire