L'un des premiers
articles de ce blog était consacré aux origines de la légende des
trois rois mages.
Cette histoire
m'intéressait alors car elle touchait à l'une de mes passions :
les histoires mésopotamiennes déformées par les Grecs, et
l'héritage culturel qui nous est transmis encore aujourd'hui de ces
histoires métissées. Je m'étais alors arrêtée à la Bible.
Aujourd'hui, c'est la suite de cette histoire qui m'intéresse, car
les trois rois mages sont intimement mêlés à l'histoire de la
ville de Cologne qui, comme je l'ai déjà signalé dans les articles
de ces derniers mois, est le décor principal et presque un
personnage du roman que je suis en train d'écrire.
*
* *
Chaldéens
de Mésopotamie et mages mazdéens de Perse
Pour
mémoire, il y a au départ les Chaldéens, qui sont des prêtres
astronomes astrologues babyloniens (dont certains étaient
originaires de la Chaldée, région du sud de la Babylonie, mais le
nom désignant d'abord le peuple désigne ensuite la fonction). Il y
a d'un autre côté les Mages, caste de prêtres appartenant
à l’antique religion de la Perse : le Mazdéisme, qui ont sans
doute adhéré à la réforme de cette religion faite par Zoroastre
(Zarathoustra) au VIe s.
av.
JC. Quand les Grecs, suivant Alexandre, sont arrivés en Mésopotamie,
celle-ci était sous domination de l'Empire perse : les Grecs
ont donc tout mélangé et ont appelé « mages chaldéen »
toute personne originaire du Moyen Orient et ayant quelque
connaissance supposée ou réelle en astronomie ou en astrologie.
Astrologues et
étoile
Prédire la
naissance d'un roi grâce à l'apparition d'une étoile était tout à
fait du ressort des Chaldéens (les vrais), qui faisaient de
l'astrologie à l'échelle des États, pas des individus. On comprend
donc que l’Évangile de Matthieu (II, 1 à 12) parle de
« mages d'orient » avertis par une étoile de la
naissance du roi des Juifs, c'est-à-dire Jésus.
Le chiffre trois
Le
chiffre de trois apparaît dans des traditions plus tardives.
Perdrizet, dans l'article cité dans ma première page sur le sujet
(cf. lien ci-dessus) y voyait peut-être une allusion aux trois
grandes écoles d’astrologie chaldéennes, Babylone, Borsippa et
Ourouk. Pourquoi pas, mais ce chiffre peut s'expliquer plus
simplement, peut-être par déduction des trois présents cités
dans
l’Évangile
de Matthieu
(or, encens, myrrhe), ou plus simplement encore par l'importance
symbolique du chiffre trois dans de nombreuses cultures, et tout
particulièrement dans le Christianisme, avec la Trinité.
Les
rois
Nous
avons donc là les « mages », le nombre de « trois ».
Reste leur appellation de « rois » dans des sources plus
tardives (je n'ai pas encore trouvé lesquelles). Il semble que ce
terme de « rois » leur ait été appliqué, car on
croyait reconnaître dans leur histoire l'accomplissement d'une
prophétie de l'Ancien Testament : « Les rois de Tarsis et des
îles paieront des tributs, les rois de Séba et de Saba offriront
des présents » (Psaumes, 72, 10) ou « Ils viendront tous de
Séba ; ils porteront de l’or et de l’encens » (Isaïe,
60, 6). D'autre part, Jésus lui-même, après l'Adoration, aurait
certifié le titre de rois des trois mages (là non plus, je n'ai pas
encore trouvé la source).
Les
noms
Voilà
donc pour les « trois rois mages ». On les désigne aussi
parfois sous des noms propres : Gaspard, Melchior et Balthazar.
Ces noms apparurent pour la première fois dans un évangile
apocryphe du VIe s. ap. JC, dont je n'ai pas non plus la référence.
*
*
*
C'est
à partir du XIe s., à Milan, qu'apparaissent des textes qui
racontent la suite de l'histoire, c'est-à-dire ce qu'ils ont fait
après ce qui était jusque là le seul épisode connu de leur vie
(la visite à l'Enfant Jésus et son Adoration), où ils sont morts,
et surtout ce que sont devenus leurs reliques.
Les
rois mages après l'Adoration
D’après
cette tradition milanaise (dont je n'ai pas non plus la source), les
rois mages auraient été baptisés par saint Thomas, puis seraient
devenus prédicateurs de l’Évangile. Ils seraient allés mourir à
Saba, au Yémen (sud de l'Arabie, et par ailleurs patrie de Bilkis,
la fameuse « reine de Saba » amie de Salomon!). C'est là
que sainte Hélène (fin du IIIe s. ap. JC, mère de l'empereur
Constantin) aurait retrouvé leurs dépouilles et les aurait
rapportées à Constantinople (ou, selon une autre version, elle les
aurait rapportées de Jérusalem, avec la vraie croix et d'autres
reliques importantes). Enfin, en 343 ap. JC, l'évêque de Milan,
saint Eustorge, les auraient reçues en cadeau de l'empereur
Constantin et transférées dans sa ville de Milan. De fait il existe
bien à Milan une Basilique
Sant’Eustorgio, que l'on dit avoir été fait bâtir par cet évêque
pour abriter ces précieuses reliques.
Découverte
des reliques à Milan et transfert à Cologne
Or,
environ un siècle après l'émergence de cette tradition dans la
région de Milan, se produit un événement qui va bouleverser la
légende en la faisant entrer dans la réalité. En 1162, lors
du siège de Milan par l'Empereur (du Saint Empire Romain Germanique)
Frédéric II Barberousse, les Milanais rasent pour des raisons
stratégiques un antique monastère des faubourgs de Milan,
probablement non loin de la basilique Sant'Eustorgio, et y découvrent
des ossements. Il va de soi qu'étant donné les histoires qui
circulaient dans la région, ces ossements ont immédiatement été
identifiés comme les reliques des trois rois mages. L'Empereur en
prend évidemment possession et en fait don à son chancelier Rainald
von Dassel, qui se trouvait être l'archevêque de Cologne. Les
reliques sont donc transférées à Cologne en 1164, et c'est à
cette occasion que Rainald von Dassel ordonne la construction, pour
leur servir d'écrin, de la désormais célèbre cathédrale de
Cologne.
La
châsse des rois mages et le camée d'Agrippine
Dans
la cathédrale, les reliques des trois rois mages sont conservées
(avec d'ailleurs les reliques d'autres saints) dans une splendide et
monumentale châsse en or. Cette châsse et toute son iconographie,
avec une symbolique à plusieurs niveaux, mériterait un article à
elle seule. Ce qui m'intéresse, car c'est encore un croisement de
mes centres d'intérêt, c'est que sur les parois extérieures de
cette châsse sont enchâssés (c'est le cas de le dire!) plusieurs
objets antiques, dont un camée d'agate de 54-59 ap. JC
représentant... Agrippine et Néron ! L'orfèvre qui a choisi
ce camée était-il au courant du rôle d'Agrippine dans la fondation
de la ville ? (cf. mes articles :
http://cheminsantiques.blogspot.fr/2015/01/neron-et-agrippine-au-bord-du-rhin-12.html
et
http://cheminsantiques.blogspot.fr/2015/02/neron-et-agrippine-au-bord-du-rhin-22.html)
Probablement, car au Moyen Age, la ville continuait d'être appelée
de son nom latin « Colonia Claudia Ara Agrippinensis ».
Mais il est frappant de retrouver sur le même objet l'histoire des
rois mages et celle d'Agrippine, qui somme toute sont contemporains
et auraient pu se rencontrer, et qui sont, les uns comme l'autre, des
héros locaux de Cologne !
Un
signe de pouvoir
Si
l'on revient à la Cologne du XIIe s. et au Saint Empire Romain
Germanique, la possession de ces reliques par l'Empereur (ou l'un de
ses représentants l'archevêque de Cologne) avait une portée
énorme. Comme je l'ai évoqué plus haut, Jésus
lui-même, après l'Adoration, aurait certifié le titre de rois des
trois mages. La possession de leurs reliques légitimait donc la
souveraineté chrétienne de leur possesseur.
Mode
des rois mages à Cologne
D’autre
part, indépendamment de ces fortes implications politiques, les rois
mages deviennent très vite (dès les années qui suivent 1164) très
populaires et à la mode à Cologne. On les appelle parfois au
Moyen Age « Les trois rois de Cologne », ou même
simplement « Les trois rois ». On observe durant tout le
Moyen Age et la Renaissance, et même jusqu'au XIXe s., une forte
présence des prénoms « Kaspar », « Melchior »,
« Balthazar » à Cologne et dans la région. Enfin, ils
sont toujours présents dans les trois couronnes représentées en or
sur fond de gueules (rouge) au chef du blason de Cologne.
Mode
des rois mages dans le reste de l'Empire et même au-delà
Cette
mode se propage vite au-delà des murs de Cologne, dans le reste de
l'Empire, et même au-delà. Des classifications voient le jour
(variables et interchangeables selon les versions), concernant les
âges des trois rois (15, 30, 60 ans) et leurs origines (Asie,
Afrique, Europe). On se met même à leur attribuer des armoiries. Le
premier à le faire est le héraut Gelre, dans son célèbre
Armorial,
publié à la fin du XIVe s., dans la région... de Cologne, bien
sûr !
Tout
est prêt pour que la peinture s'empare du motif. Les deux peintres
les plus célèbres de Cologne, bien sûr : Stefan Lochner dans
l'une de ses œuvres les plus célèbres, le Retable
des saints patrons de Cologne (1445),
aujourd'hui exposé dans la cathédrale, à quelques mètres de la
châsse ! Et mon cher Barthel Bruyn (auteur par ailleurs du
tableau à l'origine de mon roman!) dans plusieurs tableaux, dont un
de 1525. Dürer et Cranach, pas Colonais, mais bien habitants de
l'Empire, s'y sont aussi essayés. Vous constaterez que ces tableaux
représentant l'Adoration des rois mages, très fréquents dans le
Saint Empire Romain Germanique, se font beaucoup plus rares dans les
autres régions de l'Europe chrétienne. Ce n'est pas un hasard. Dans
la peinture aussi, derrière la signification chrétienne, il fallait
voir le symbole politique (on peut sans doute aller jusqu'au terme de
« propagande ») du pouvoir chrétien légitime de cet
Empire qui se voulait « Saint » et « Romain »
(c'est-à-dire en lien avec le centre de la chrétienté) autant que
« Germanique ».
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Ajout le 15.07.2017
Si l'histoire de la récupération politique des rois mages au Moyen Âge vous intéresse, vous tirerez profit de cette interview d'une demi-heure, sur la radio en ligne "Fréquence médiévale", de Doina Elena Craciun, qui a soutenu une thèse consacrée aux usages politiques de l’image des rois mages au Moyen Âge à l’EHESS.
http://www.him-mag.com/frequence-medievale-les-rois-mages-une-legende-medievale/
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Ajout le 15.07.2017
Si l'histoire de la récupération politique des rois mages au Moyen Âge vous intéresse, vous tirerez profit de cette interview d'une demi-heure, sur la radio en ligne "Fréquence médiévale", de Doina Elena Craciun, qui a soutenu une thèse consacrée aux usages politiques de l’image des rois mages au Moyen Âge à l’EHESS.
http://www.him-mag.com/frequence-medievale-les-rois-mages-une-legende-medievale/
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