J'entame aujourd'hui une nouvelle série d'articles, celle des livres insolites. C'est un sentier qui nous mènera dans les méandres de ma bibliothèque et où je cueillerai pour vous les fleurs les plus étonnantes. Aujourd'hui, j'ai choisi de vous parler de la rencontre entre deux de mes passions, la littérature classique et la bande dessinée.
Phèdre, Le Cid et les autres aux éditions "Petit à Petit"
Les éditions "Petit à petit" ont entrepris de transposer en bandes dessinées un grand nombre d’œuvres littéraires: romans, contes, poèmes, chansons contemporaines, et aussi théâtre. J'ai donc lu Phèdre de Racine et Le Cid de Corneille en bandes dessinées.
Le théâtre me semble avoir un grand avenir dans la bande dessinée, puisqu'il a un grand point commun avec elle: ce sont les deux seuls genres littéraires qui ne sont composés que de dialogues entre des personnages (exception faite de quelques cartouches dans un cas, didascalies dans l'autre). C'est comme si la pièce était jouée, mais par des acteurs de papier: certes, il manque le son de leur voix, mais on a les expressions de leur visage.
Ces ouvrages sont destinés à de jeunes lecteurs, d'où sans doute assez peu de hardiesse dans les choix et certaines bienséances malvenues (ex: dans Phèdre, quand Hippolyte évoque sa mère amazone qui lui a fait sucer son orgueil avec son lait, on voit la farouche Amazone, cheveux au vent, muscles bandés, brandissant une épée, mais vêtue d'un charmant bikini...). D'autre part, la qualité des dessins laisse à mon avis un peu à désirer. Toutefois, ces quelques défauts n'empêchent pas d'éprouver un grand plaisir à la lecture de ces ouvrages et, même pour une lectrice multirécidiviste de ces pièces comme je le suis, d'y découvrir des saveurs qui m'avaient jusque là échappé.
Allez voir leur site: http://www.petitapetit.fr/
César et Ovide en latin dans le texte... et dans l'image
Le Comte von Rothenburg (alias "Rubricastellanus", comme il se surnomme lui-même) est l'homme à qui l'on doit les traductions latines d'Astérix. Passionné de bandes dessinées, ce professeur allemand de littérature latine a également eu l'idée d'adapter d'authentiques textes latins en bandes dessinées, à savoir le début des Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César et des extraits des Métamorphoses d'Ovide.
Comme il ne s'agit pas de théâtre, cette fois-ci, se posait le problème de la fidélité au texte: tout ne passe pas en bulles!
Pour César, il a essayé de coller le plus possible au texte latin, en ne faisant que quelques modifications et ajouts: il a simplement tapé le premier en caractères droits et les seconds en caractères italiques. Le repérage est très aisé.
Pour Ovide, les choses étaient plus compliquées, car les Métamorphoses sont écrites en vers: difficile d'y toucher sans que ça se sente! Il a donc choisi de faire figurer dans les bulles et les cartouches une version simplifiée et adaptée à la bande dessinée, et en bas de chaque case, il rappelle le texte authentique correspondant. Du coup, le texte authentique s'éclaire, on en comprend mieux la structure, et on peut enfin en goûter le charme poétique.
Là encore les dessins (faits par lui-même) ne sont pas un chef-d’œuvre du point de vue graphique; en revanche, il y a beaucoup de hardiesse et même parfois d'humour! Le bienfait d'une telle démarche est indiscutable. Quand nous étions étudiants, les professeurs nous conseillaient de nous entraîner en faisant du "petit latin", qui consistait à lire un texte latin de façon fluide, en essayant de le comprendre globalement et en ayant éventuellement un oeil sur la traduction comme béquille. Je crois sincèrement que ces transpositions en bandes dessinées sont les meilleurs supports de petit latin qui soient.
Ces deux ouvrages sont publiés aux éditions "Klett" sous les titres exacts de "Bellum Helveticum" et de "Metamorphoses"
http://www.klett.de/
Le Platon de Sfar
Je déplorais dans les exemples précédents le manque de grande qualité graphique. Mais quand un vrai grand dessinateur de bandes dessinées s'empare d'un classique, on a tout: qualité graphique, hardiesse, humour... Joann Sfar a ainsi décidé de se constituer une "Petite bibliothèque philosophique" dont je ne connais que le premier volume, celui consacré au Banquet de Platon, une œuvre que j'ai toujours adorée, à la fois pour son message philosophique, pour sa construction littéraire, et pour ses pointes d'humour. Mais Joann Sfar en fait redécouvrir mille autres saveurs.
Le fameux problème de la fidélité au texte, il l'a résolu d'une manière radicale, mais offrant une grande souplesse: le texte authentique de Platon (dont j'ai oublié de préciser qu'il est traduit en français!) est présenté imprimé; et les dessins interviennent dans la marge, où ils peuvent prendre aussi bien la forme d'un petit croquis que s'étaler sur une page entière, ou parfois noyauter le texte imprimé, rentrer dedans. C'est un régal à tous points de vue.
L'ouvrage est publié aux éditions Bréal, collection "La petite bibliothèque de Joann Sfar"
http://www.editions-breal.fr/
Bonne lecture!
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Johan Sfar a depuis illustré le Candide de Voltaire chez le même éditeur Breal
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