En cherchant les expressions
pour désigner les menstrues, je suis tombée sur une jolie
métaphore. Pour tout dire, elle sort de mon sujet, car elle n'est
pas médiévale, mais figure dans des ouvrages de la fin du XVIe
siècle.
C'est le « fourrier de la
lune ». Il m'a d'abord fallu comprendre ce qu'était un
fourrier, ce que j'ignorais, n'étant pas très versée en histoire
militaire : il s'agissait d'un soldat dont la mission était de
précéder de quelques jours une armée en campagne pour choisir dans
la ville où s'arrêterait l'armée les logis où pourraient habiter
les officiers. Il faisait une marque à la peinture sur la porte de
ces logis, pour que les intéressés puissent aisément les
retrouver.
Dans l'expression « fourrier
de la lune », la lune est l'officier, le fourrier est le
phénomène de la menstruation, le sexe féminin est le logis, et le
sang est la marque à l'entrée du logis. L'origine de cette
métaphore est bien sûr humoristique, mais au-delà de l'humour, j'y
vois un très beau symbole qui relie de façon forte la lune, la
menstruation et le sexe féminin : le lien n'est pas nouveau,
certes, mais il donne ici une dimension cosmique à la menstruation
individuelle de chaque femme, comme si elle accueillait chaque mois
la Lune dans son vagin.
Je ne sais pas si les auteurs
du XVIe siècle ont été nombreux à utiliser cette métaphore ;
j'en ai trouvé deux, Guillaume Bouchet et Nicolas de Cholières.
Guillaume Bouchet, dont je vous
reparlerai lors d'un prochain article, a écrit entre 1584 et 1598
Les Serees, c'est-à-dire « Les Soirées » :
c'est un recueil hétéroclite où il met en scène des amis, hommes
et femmes, discutant lors de soirées et abordant divers sujets. Le
passage qui m'intéresse se trouve dans le 2d livre, 22e soirée.
Guillaume Bouchet y rapporte une théorie médicale, confirmée par
Hippocrate, selon laquelle il faut éviter les relations sexuelles
pendant la grossesse, car cela pourrait causer un avortement. Cette
théorie explique selon lui que les femmes publiques conçoivent fort
rarement. Il termine par un exemple historique :
« Iules
Capitolin refere que Zenobie, Roine
des Palmyriens, ne voulait qu'on lui touchast jusques à ce que son
Kalendrier
fust
rubriché, & jusques à ce que le
fourrier de la lune eust
marqué le logis »
Les
Sérées de Guillaume Bouchet, sieur de Brocourt, avec notice et
index
par
C.-E. Roybet,
Paris,
A. Lemerre, 1873-1882 (6 volumes), vol. 3, p. 290.
Julius Capitolinus est le nom de l'un des auteurs présumés de l'Histoire Auguste, un recueil du IVe siècle ap. JC regroupant des vies d'empereurs romains et d'usurpateurs. La vie de Zénobie, racontée dans le chapitre « Les trente tyrans » est plutôt attribuée à Trebellius Pollion qu'à Julius Capitolinus, mais peu importe. Voici le passage à l'origine de la citation de Guillaume Bouchet :
« Cuius
ea castitas fuisse dicitur, ut ne virum suum quidem scierit nisi
temptandis conceptionibus. Nam cum semel concubuisset, exspectatis
menstruis continebat se, si praegnans esset, sin minus, iterum
potestatem quaerendis liberis dabat. »
« On
dit que sa chasteté était telle qu'elle n'acceptait son mari que
pour les tentatives de conception. En effet, lorsqu'elle avait une
fois couché avec lui, elle observait la continence, attendant ses
menstrues, au cas où elle serait enceinte, et si elle ne l'était
pas, elle lui donnait à nouveau le pouvoir, cherchant à faire des
enfants. »
(traduction personnelle)
Guillaume
Bouchet a rapporté fidèlement l'idée contenue dans ce passage,
mais il y a ajouté son joli vocabulaire. Le « calendrier »
désignait en ce XVIe siècle le sexe féminin. Je l'ai trouvé dans
plusieurs textes, et n'ai pas de certitude sur l'origine du mot. Dans
ce contexte, cela ferait penser à une allusion aux menstrues, dont
la régularité est inscrite au calendrier, mais le mot peut aussi
être employé dans un autre contexte (érotique, par exemple), sans
la moindre allusion aux menstrues. « Rubriqué » fait
penser au mot « rubrique » : rappelons que ce mot
tire son origine de l'encre rouge qui était utilisée dans les
manuscrits médiévaux pour les titres de parties ou de chapitres ;
« rubriqué » signifie donc simplement « peint en
rouge » et fait allusion au sang qui teinte de rouge le sexe
féminin. Quant au fourrier de la Lune, vous comprenez maintenant
parfaitement l'allusion…
Nicolas
de Cholières a écrit en 1585 Les
Matinées.
Je ne sais si les deux auteurs se connaissaient et s'il y avait un
jeu ou une rivalité entre eux, car les titres de leurs ouvrages
respectifs semblent se répondre. Comme chez Guillaume Bouchet, il
s'agit d'une mise en scène de dialogues légers entre amis. Tout le
chapitre intitulé « De la trefve conjuguale » traite des
raisons pour lesquelles un mari doit s'abstenir d'avoir des relations
avec sa femme. Parmi celles-ci la période des menstrues tient une
grande place et est traitée avec une si grande quantité de
métaphores humoristiques que je ne peux toutes vous les rapporter.
L'ouvrage est entièrement consultable sur Gallica ici :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k43483/f1.planchecontact.
Le chapitre « De la trefve conjuguale » va de la p. 299 à
la p. 325, et le passage spécifiquement consacré aux menstrues de
la p. 308 à la p. 315.
Voici
quelques unes de ces citations, qui mettent en scène notre
« fourrier de la lune » :
« il
est necessaire de faire trefves du combat entre le mary et la femme
lors que la lune, pour tenir sa diette et vaquer à ses purifications
menstrueles, fait marquer les logis féminins par son fourrier,
lequel pour escusson n'a que son impression rouge. »,
« Or
le fourrier
ne peut marquer le logis de nos femmes que pour douze passades, qui,
quand chascune dureroit huit jours, ne seroit par an que quatre vingt
seize jours »
Et
il en est à nouveau question avec une autre raison d'observer la
trève conjugale, la grossesse. Zénobie est à nouveau convoquée en
exemple dans un langage encore plus imagé que celui de Guillaume
Bouchet :
« Que
sy les fourriers
lui marquoient sa cabane, elle ne faisoit plus de la retive et
prenoit plaisir de joüer avec son mary un seul coup au trou-Madame »
Nicolas
de Cholières,
Les
Matinées,
éd. Éd. Tricotel, Genève, 1879, p. 299-325, « De la trefve
conjuguale » (édition originale : Nicolas de Cholières,
Les
Neuf Matinées du seigneur de Cholières,
Paris, chez Jean Richer,1585).
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