Comme
promis, voici la suite de mes aventures sur le portail
lexicographique du CNRTL (cf. article précédent). En effet, en le
consultant, la semaine dernière, j'y ai découvert un onglet qui
n'existait pas auparavant et dont l'intitulé, « Proxémie »,
était plutôt mystérieux.
Si
vous cherchez la signification du mot « proxémie », vous
allez tomber sur une notion sociale que j'ignorais et qui est très
intéressante. Il s'agit de mesurer la distance à laquelle se
tiennent deux personnes qui se parlent et de la mettre en relation
avec leur lien social (et aussi avec leur culture : un Français
trouvera qu'un Espagnol qui lui parle est trop proche, mais qu'un
Japonais est trop éloigné !). Si vous voulez en savoir plus,
l'article de Wikipédia est plutôt bien fait :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Prox%C3%A9mie.
Mais
je me suis perdue, une fois de plus, car cette notion fort
intéressante n'a rien à voir avec le lexique ! Bref, à force
de creuser, j'ai fini par trouver le sens spécifique du mot « proxémie » en
linguistique. Pour dire la vérité, je n'ai trouvé nulle part de
vraie définition. Mais j'ai fini par en élaborer une à partir de
ce que j'ai compris : il s'agit de la représentation graphique
de réseaux sémantiques de mots, en particulier de réseaux de
synonymes ou de mots proches. C'est finalement assez semblable à
notre vieux « champ lexical », mais dans ce champ, on
semait des mots en vrac et sans nuance ! La proxémie, qui, vous
l'aurez compris, ne peut se faire qu'avec l'aide d'un outil
informatique, permet de représenter sur un graphique en trois
dimensions les distances relatives entre les différents mots d'un
champ lexical.
Pas
très facile à comprendre sans exemple, certes ! Voici la
capture d'écran de la proxémie du mot « rêve » :
Mais
le mieux est d'aller y voir vous-même :
http://www.cnrtl.fr/proxemie/r%C3%AAve,
car le graphique est en trois dimensions, vous pouvez le faire bouger
et circuler à l'intérieur d'un simple mouvement de souris...
J'ai
compris le principe de la proxémie en linguistique grâce à un
excellent article de Bernard Victorri, « Quand les mots
s'organisent en réseaux », publié en 2010, et que l'on peut
lire en ligne ici :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00666584/document
Or,
dans cet article, un point m'a particulièrement fascinée. L'auteur
y cite le travail d'un chercheur, Bruno Gaume (l’inventeur de cette
notion de proxémie), qui a travaillé sur les 9000 verbes français
d'un dictionnaire et sur leurs relations de synonymie. Je vous cite
une partie de l'article qui rend compte du résultat :
« Prenons
l'exemple d'un des graphes qu'il a beaucoup étudié, Synoverbe,
l'ensemble des verbes français muni de la relation de synonymie
telle qu'elle est donnée dans le dictionnaire électronique des
synonymes de l'Université de Caen. Ce graphe comporte quelque 9000
sommets (chaque sommet représentant un verbe) et près de 50000
arêtes (chaque arête représentant une relation de synonymie entre
deux sommets). Bien entendu, il existe une grande disparité entre
les sommets : certains verbes sont très centraux, au sens où ils
sont au centre de zones très densément connectées, tandis que
d'autres ne sont rattachés au reste du graphe que par quelques
liens. On trouvera figure 1 la représentation en trois dimensions,
grâce à la proxémie, des deux cents verbes les plus centraux. On
observe qu'ils s'organisent suivant quatre axes qui forment une sorte
de tétraèdre conceptuel du lexique verbal du français. Au bout du
premier axe, noté A sur la figure, on trouve des verbes exprimant la
fuite et le rejet (partir, fuir, disparaître,
abandonner, sortir). Autour de B on a des verbes de
production et de croissance comme exciter, exalter,
animer, soulever, transporter, provoquer,
agiter, augmenter. Le troisième axe C est caractérisé
par l'idée de lien et de communication (assembler, joindre,
accorder, fixer, établir, indiquer,
montrer, révéler, exposer, marquer,
dire, composer). Enfin, la région D correspond à des
verbes de destruction et de dégradation tels que briser,
détruire, anéantir, abattre, affaiblir,
ruiner, épuiser, écraser, casser,
dégrader. Il faut souligner que l'on passe d'une région à
une autre par des changements sémantiques graduels : ainsi on passe
de B à D par la série de verbes exciter, enflammer,
agiter, tourmenter, troubler, ennuyer,
bouleverser, fatiguer, ruiner, détruire,
anéantir. »
J'aime
bien la notion de « tétraèdre conceptuel du lexique verbal
français » ! Si je caricature un peu le résultat de
cette expérience, elle nous montre que l'ensemble de l'activité du
monde (du moins telle qu'exprimée dans la langue française) se
résume à quatre activités : construire et détruire, se
rapprocher et s'éloigner !
A
méditer...
*
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