Chers lecteurs,
J'ai définitivement terminé mon Mémoire d'histoire médiévale sur "Le dragon de sainte Marguerite dans les textes et l'iconographie des manuscrits occidentaux, du VIIIe au début du XVIe siècle", et je l'ai soutenu cette semaine avec succès.
Les plus fidèles d'entre vous ont déjà eu quelques aperçus de cette étude à travers plusieurs articles que j'ai écrits ici sur ce sujet ; cf. le libellé "sainte Marguerite" : http://cheminsantiques.blogspot.fr/search/label/sainte%20Marguerite
Pour en avoir une vision plus globale, je vous livre aujourd'hui une sorte de "bande annonce" : il s'agit de l'introduction de mon Mémoire légèrement modifiée. Si cela vous met en appétit et vous donne envie de lire l’œuvre entière (un peu roborative, il est vrai : 160 pages de texte + 140 pages d'annexes), contactez-moi par mail.
Cher lecteur, vous ouvrez un
volume consacré à sainte Marguerite et contenant de nombreux
extraits de récits de sa vie. Félicitations ! Désormais, vous
êtes intégralement protégé contre tout péril sur terre comme sur
mer, contre le feu, la noyade, toute blessure ou mort violente par
couteau, lance ou épée, contre la maladie, la fièvre, l'ergotisme,
la peste, la lèpre, le tétanos, l'hydropisie, la paralysie,
l'indigestion, la constipation, toute douleur à l'estomac, au
ventre, à la tête, ou à la chair des pieds et des mains, contre
toutes les affections liées à la grossesse, à l'enfance ou à la
vieillesse, contre la douleur, la peur et la mort provoquées par
l'enfantement, contre la naissance d'enfants boiteux, aveugles,
sourds, muets ou contrefaits dans votre maison, contre toute forme de
possession démoniaque et contre les conséquences de vos péchés !
C'est du moins ce
qu'affirmaient les hommes et les femmes du Moyen Âge ; et
sainte Marguerite était la seule à avoir un tel pouvoir. Le succès
de cette sainte ne se dément pas tout au long du Moyen Âge,
présente dans des milliers de textes et de représentations
iconographiques : elle n'y est jamais représentée sans son
incontournable attribut qui permet de l'identifier. Et quel
attribut ! Il ne s'agit pas d'un banal objet, mais de rien de
moins qu'un dragon. Un dragon dont elle émerge après avoir été
engloutie par lui. Même pour nos esprits rationnels et blasés du
XXIe siècle, l'image est forte, et il semble évident que c'est du
côté de ce dragon qu'il nous va falloir chercher l'origine du
succès et du pouvoir de sainte Marguerite.
L'histoire
de Marguerite s'est déroulée à Antioche en Pisidie (région d'Asie
Mineure)à l'époque des persécutions des Chrétiens par les
Romains, vers la fin du IIIe
ou
du début du IVe siècle, mais il n'existe aucune source qui prouve
son existence historique. C'était la fille d'un
notable d'Antioche de Pisidie. Alors qu'elle gardait les moutons de
sa nourrice, elle est repérée par le préfet romain Olibrius qui
souhaite en faire son épouse. Elle refuse et revendique sa foi
chrétienne. Elle est une première fois torturée par les bourreaux
d'Olibrius, puis jetée en prison. Là, elle prie Dieu de lui montrer
son ennemi. Un dragon apparaît, qui la dévore. Mais Marguerite
ayant fait le signe de croix, cette croix s'agrandit dans le ventre
du dragon, le crève et le coupe en deux. Marguerite en ressort
indemne. Elle trouve alors un démon sous la forme d'un homme noir,
qui dit être le frère du premier démon incarné par le dragon. Un
débat s'engage entre eux, puis Marguerite le vainc à son tour en
lui posant le pied sur la tête. Elle est sortie de sa prison et
subit une deuxième série de tortures, notamment par le feu et par
l'eau, puis est finalement décapitée, non sans avoir au passage
converti plusieurs milliers d'assistants, y compris le bourreau
lui-même.
Quel rôle a donc joué le
dragon dans le succès de la légende et du culte de cette sainte au
Moyen Âge occidental ?
Nous
commencerons par un panorama chronologique des sources textuelles et
iconographiques et du contexte de leur production et de leur
réception entre le VIIIe et le XVIe siècle,
en faisant ressortir la place prise par le dragon dans ces sources :
cible
d'une sainte exorciste au haut Moyen Âge (VIIIe au XIe siècle), le
dragon de Marguerite incarne l'Orient redécouvert par les Croisés
au XIIe
siècle ;
au XIIIe
siècle,
il change d'apparence pour se plier, soit aux règles des
ecclésiastiques, soit à la foi des laïcs, avant de saigner sous le
coup des maux qui accablent la société occidentale du XIVe
siècle.
Plus proche des individus au XVe
siècle
et notamment des femmes laïques, dont il devient modèle et
repoussoir à la fois, il s'éteint doucement au début du XVIe
siècle, non sans jeter quelques rayons flamboyants sous la plume et
le pinceau des meilleurs artistes.
Nous nous pencherons ensuite
plus précisément sur l'aspect chrétien du dragon dans cette
légende, qui se trouve, selon les versions et selon les époques, en
correspondance ou en rupture avec le discours officiel de l’Église :
étroitement
lié à une symbolique chrétienne, il fournit à l’Église un
point d'appui solide comme figure du diable, dont il a toutes les
caractéristiques ; il est aussi une image parlante de
l'incarnation du Christ, que ce soit dans son enveloppe charnelle,
sur terre ou lors de son séjour infernal. Mais à l'insu de
l’Église, ce rôle de repoussoir se renverse lorsque la fonction
protectrice dérive de la sainte qui l'affronte au dragon lui-même :
certains indices montrent en effet que pour les laïcs, notamment les
femmes, c'était plus le dragon que Marguerite qui avait le pouvoir
de les protéger notamment des maux liés à la grossesse et à
l'enfantement. Le dragon met aussi à mal les théories de certains
savants ecclésiastiques sur l'immatérialité des démons, en
montrant un dragon-démon qui semble bien pourvu d'un corps réel,
puisqu'il avale, saigne, et meurt. L’Église laisse alors plus ou
moins explicitement paraître sa méfiance envers ce dragon trop
encombrant.
Nous aborderons le rôle
joué par le dragon de Marguerite sur les frayeurs des hommes et des
femmes du Moyen Âge. Sa présence a
fait de cette histoire un miroir tendu aux hommes et aux femmes du
Moyen Âge, dans lequel chacun d'eux pouvait lire ses propres peurs :
au-delà d'une frayeur partagée des péchés de
luxure et de gloutonnerie, frayeur de la dévoration et de la
désintégration, se dessinent des frayeurs plus sexuées. Reflet
pour les hommes d'une féminité inquiétante, potentiellement
dominatrice et castratrice, mais aussi d'une double
féminité (l'inquiétant dragon et la pure sainte), le
dragon de Marguerite reflétait pour les femmes la violence masculine
et l'expression des souffrances (liées en particulier aux différents
flux sanguins) propres à leur sexe.
Cependant,
l'histoire ou la représentation du dragon de Marguerite fournissait
aussi de quoi surmonter les peurs qu'il engendrait. C'est ce qui a
fait le succès de cette légende et de son iconographie pendant des
siècles, dans toute l'Europe, et à travers toutes les strates de la
société.
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Bonjour Nadia,
RépondreSupprimerEt sincères félicitations pour votre réussite.
Au fait, lors de l'accouchement de Marie de Médicis, « les reliques de Mme Sainte Marguerite estoient sur une table de la chambre ». On faisait venir ces reliques de Saint-Germain-des-Prés où elles étaient conservées (Histoire de l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés). Surement le saviez-vous.
Dans le fil de vos articles concernant Sainte Marguerite, vous faites référence à Nadia Ibrahim Frederikson qui explique qu'une déesse, liée au culte d'Aphrodite, était appelée « Margarito » ou « La dame aux perles ».
L'étymologie de Marguerite est effectivement « Perle ».
Rappelons que dans l'antiquité, tous les attributs que l'homme de cet âge donnait à la Femme nous sont restitués par les étymologies des noms féminins qui tous au début ont été des qualificatifs emprunt d'adoration et de respect de la Femme.
Après l’étymologie restituée du prénom féminin Marguerite « la Perle », je me permets d'en rappeler quelques autres :
— Nous trouvons Zoé, de Zoon (vie) parce que partout elle représente la plus grande intensité vitale.
— Il y a Sophie, de Sophia, sagesse.
— Lucie, de Lux, lumière.
— Pulchérie, de pulchra, sans tache.
— Félicité, bonheur. —
— Héloïse, de Hélios, soleil. De ce nom on fera Loïse, puis Louise, puis Elise, puis Lise, puis Elisabeth.
— Coelimena, de coeli, ciel, et mens, du sanscrit manas, esprit. De ce nom on fait les suivants : Coelinie, d'où Céline, de Coelini, fille du ciel.
— Virginie, Virgo, femme pure.
— Nathalie, de natalité, nativité, naissance.
— Claire, Clarisse, sans ombre.
— Blanche, sans tache (ce nom vient du teuton « Blank », la brillante).
— Rose, Reine des fleurs.
— Hélène, le nom de la Grèce.
— Olympe, le séjour des élus.
— Victoire, Victorine, celle qui triomphe.
— Catherine, de cathartique (Kathartikos), purifier, pure.
— Adèle, Adélaïde, Delphine, de Adelphie, l'amour des autres, l'altruisme.
— Angèle, Angélique, l'ange gardien, celle qui en a la douceur.
— Flore, Flora, Florine, Florentine, de fleur. — Laure, louée (de lauréate).
— Constance.
— Clémente, Clémentine.
— Placide.
— Reine.
— Athénaïs, de Athéné, un des noms de Minerve, qui veut dire sagesse.
— Véra, Véronique, de vérité.
— Psyché, âme.
— Valérie, qui a de la valeur.
— Estelle, de Stella, étoile.
— Cécile, bonne maîtresse de maison.
— Nelly, qui séduit les hommes.
— Marthe, la provocante.
— Julie, jeunesse.
— Zélie, zélée.
— Pauline, petite.
— Mélanie, brune.
— Flavie, blonde.
— Hortense, de hortus, jardin.
— Eudoxie, de Eudokos, qui est priée (euchos, prière et logos, discours).
— Euphémie, qui parle bien (de eu, bien, et phêmi, parler).
— Eulalie, aimable causeuse.
— Léonie, Léa, Léopoldine, intrépide comme des lionnes.
— Magdeleine, de Magdoe, la grande, magnifique.
— Suzanne, lis.
— Maximilienne, la plus grande.
— Noémi, la belle.
— Alphonsine, toute flamme.
— Amélie (en wisigoth), puissante entre toutes.
— Jeanne (en breton, Yvonne, Yolande), de Juna, Junon, pleine de grâce.
— Emma, la gracieuse (en hébreu).
Toute l'antiquité a célébré la Femme. Toutes ces figures, et bien d'autres, dont sont émaillés tous les livres sacrés de l'antiquité, étaient les louanges adressées aux femmes déifiées dans la première forme religieuse de l'humanité.
Merci, cher Alchimiste.
RépondreSupprimerEn effet, je connaissais le récit de l'accouchement de Marie de Médicis mentionnant la présence des reliques de sainte Marguerite. Je l'ai même cité dans mon Mémoire bien que cela sorte de mon sujet, qui avait pour limite chronologique le début du XVIe siècle.
Quant à votre catalogue de prénoms féminins, pourquoi pas, mais on pourrait faire une liste toute semblable de prénoms élogieux masculins.
A propos des prénoms, vous avez raison Nadia.
RépondreSupprimerPouvez-vous en citer quelques-uns provenant d'une étymologie glorieuse et fondée sur la réalité.
Il y a bien Innocent (le troisième), ce monstre dont les persécutions contre les cathares ont ouvert la porte à l'inquisition.
Nous aurions pu citer Ramsès (disciple de Ram) si seulement ce fameux Ram ou Rama, appelé le Scander aux deux cornes (type du diable) à cause du bélier qu'il avait pris pour emblème, ce celte encensé par tous les historiens, n'avait pas été en réalité ce grand perturbateur et ce révolté contre la vie régulière et le travail des tribus matriarcales.
Finalement j'en ai un : Cicéron, qui signifie Prince des orateurs.
Cicéron est en 3 parties : SIS, HER et ON.
SIS = parleur
HER = maître (dominus, her-us en latin)
ON = superlatif
Je n'en vois pas d'autres,..peut-être Philippe.
Bonne continuation.
Je pourrais vous citer des centaines de milliers de prénoms! Il suffit d'ouvrir un dictionnaire des prénoms pour trouver des prénoms aux étymologies élogieuses, qu'ils soient masculins ou féminins. Plus simplement, de nombreux prénoms féminins que vous citez vous-même ont leur pendant masculin, par exemple : Luc / Lucien, Félix, Victor, Clément, Paul, Maxime, Léon, Alphonse, etc.
SupprimerQuant à Cicéron, ce n'est pas un prénom, mais un "cognomen", sorte de surnom familial, que ses ancêtres portaient déjà. Et sa signification est "pois-chiche", par référence à un furoncle sur le nez en forme de pois-chiche. Je serais curieuse de savoir de quelle langue vous faites venir ces mots "sis", "her" et "on"...
Je ne sais pas ce qu'il y a de plus problématique pour notre avenir : les hommes qui inventent les erreurs ou les femmes qui les propagent ?
RépondreSupprimerVous êtes sérieuse avec votre "pois-chiche" ?
Pour l'étymologie, voyez l'ouvrage d'Oscar Vignon : "Mystifications historiques, philologiques, philobochiques : Hoch ! Moch ! Boch !".
Mais oui, je suis sérieuse! Et non, je ne suis pas une femme qui propage les erreurs des hommes! Il ne manquerait plus que cela! C'est bien pour cela que je suis attentive au sources et que, quand je me penche sur l'Antiquité ou sur le Moyen Âge, je cherche d'abord les sources (textes écrits à l'époque, images produites à l'époque, vestiges trouvés par l'archéologie), avant de les confronter aux écrits des historiens.
RépondreSupprimerEn tant que romancière, j'adore le regard fantaisiste sur l'histoire, c'est pourquoi j'aime lire vos message : j'aime votre histoire de David femme, vos spéculations alchimiques, vos étymologies fantaisistes, etc. Mais en tant qu'historienne, je n'accorde de crédit à une assertion que si elle est prouvée par une source. C'est pourquoi par exemple je vous ai demandé de quelle langue venaient les mots "sis", "her", "on" que vous prétendez à l'origine du nom "Cicéron". En revanche, tout ce que je vous ai dit sur la signification de "pois chiche", sur le fait que ce n'était pas un nom, mais un surnom porté par ses ancêtres, etc., tout cela provient de sources antiques. On peut toujours croire à des mystifications, je veux bien ; mais je peux croire aussi à une mystification de la part d'Oscar Vignon! Jusqu'à preuve du contraire, j'accorde plus de crédit à la version qui repose sur des sources plus sûres. C'est le principe de la méthode scientifique.