Je
viens de finir avec le plus grand plaisir la lecture de La
Cité des Dames
de
Christine de Pizan (traduit et édité par Eric Hicks et Thérèse
Moreau, éditions Stock, 1986, réédité en 2000). Cette femme a
vécu aux XIVe et XVe siècles : elle est trop peu connue du grand
public, sans doute plus ou moins consciemment écartée des mémoires
par la culture patriarcale traditionnelle. On la cite souvent comme
la première féministe, ce qui n'a pas de sens bien sûr, car le mot
et la notion de féminisme sont anachroniques à cette époque (mais
cela sonne bien, et j'assume d'avoir choisi ce mot comme titre de cet
article!). On la cite aussi comme la première auteure féminine à
avoir vécu de sa plume, ce qui est exact. Née en Italie, arrivée
en France à 4 ans avec son père (astrologue de Charles V), mariée
à 15 ans avec un homme de 25 qu'elle a eu la chance d'aimer
tendrement, veuve à 25 ans, elle se retrouve seule avec trois jeunes
enfants à charge : elle décide de ne pas se remarier et
d'écrire des ouvrages pour gagner sa vie et celle de ses enfants (et
de sa vieille mère). Sa production est prolifique et sa vie longue.
Elle écrit son dernier ouvrage à 65 ans et meurt sans doute peu
après.
La
Cité des Dames
(écrit
entre 1404 et 1405) est une œuvre littéraire qui est en soi une
métaphore, la métaphore de l’œuvre architecturale et utopique
que serait une cité composée uniquement de dames manifestant de
grandes qualités. Christine imagine une discussion entre elle-même
et trois dames envoyées de Dieu : Raison, Droiture et Justice. Elles
l'aident à construire sa cité, d'abord en déblayant et en creusant
le terrain pour les fondations (c'est-à-dire en creusant et en
enlevant tous les préjugés à l'encontre des femmes), puis en
construisant les fondations (énumération de fortes femmes des temps
anciens, intelligentes, habiles, courageuses), les bâtiments (autre
énumération, en insistant sur les vertus de ces femmes), et les
toitures brillantes (les saintes). Ces énumérations ne sont pas des
catalogues ennuyeux, mais des récits vifs et bien menés. Et pour ne
pas lasser le lecteur, Christine les entrelace de petits dialogues
entre elle et les trois envoyées de Dieu, dans lesquels elle glisse
ses affirmations en faveur des femmes ou de l'égalité des sexes,
comme :
- « L'excellence ou l'infériorité des gens ne réside pas dans leur corps selon le sexe, mais en la perfection de leurs mœurs et vertus. » (p. 55)
- « Si c'était la coutume d'envoyer les petites filles à l'école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et de toutes les sciences aussi bien qu'eux. » (p. 91)
- « Quand les hommes seront parfaits, alors les femmes les imiteront ! » (p. 210)
On
se dit en la lisant que Christine de Pizan est bien « moderne »
pour son époque. Mais une autre remarque plus amère s'impose :
nombre de préjugés qu'elle évoque, voire d'oppressions, envers le
sexe féminin, n'ont guère évolué en six siècles ! Comme le
disent Eric Hicks et Thérèse Moreau dans leur introduction (p.
15) : « L'étonnant est donc moins la précocité de son
message, l'intelligence de son argumentation, que la constance de la
bêtise, la ténacité des adversaires, la vitalité des arguments
les plus éculés. » Hélas...
*
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