Cet
article sera un compte-rendu de l'un des articles qui m'a le plus
étonnée et intéressée dans mes lectures sur sainte Marguerite et
le dragon, car il relie tous les éléments de cette légende
(l'héroïne ressortant du dragon, la signification de son nom
« Margarita » = « perle » en latin, sa
protection des accouchements) et leur donne du sens.
Albert
Jean-Pierre, « La légende de sainte Marguerite : un mythe
maïeutique ? », in Razo, Cahiers du Centre
d’Études Médiévales de l'Université de Nice, 8, 1988,
p.19-31.
L'auteur
part de plusieurs textes chrétiens anciens qui prennent la perle
comme symbole de Jésus Christ. De même que la perle se cache tout
au fond de la mer, à l'intérieur de l'huître laide et grossière,
de même Jésus cache sa splendeur divine sous des apparences
humbles, il naît dans une étable et se laisse crucifier. Or on
retrouve ces éléments dans la légende de Marguerite, d'une beauté
parfaite aux sens propre et figuré et qui subit sans protester les
pires tortures. Et parmi ces tortures, l'une retient l'attention de
l'auteur : Marguerite est d'abord brûlée par des torches, puis
jetée dans un bassin d'eau. L'eau et le feu. On les retrouve à
propos de la perle qui naissait, pensaient les Anciens, de la
fécondation de la rosée ou de l'écume de la mer, par le soleil
(vous voyez au passage le rapprochement avec Aphrodite, née aussi de
l'écume de la mer et apparue dans un coquillage, mais cela fera
l'objet d'un autre article!). On retrouve aussi l'eau et le feu dans
la figure du dragon qui, comme vous le savez, crache du feu, et qui,
dans de nombreuses cultures, naît de l'eau ou vit dans des eaux
souterraines... Enfin, Marguerite est jetée dans un affreux cachot,
puis dévorée par un affreux dragon, deux éléments à mettre en
relation avec la perle enfermée dans l'affreuse huître.
L'auteur
poursuit en évoquant des bestiaires du Moyen Age qui racontent
comment l'hydre, un animal imaginaire, fait exprès de se faire
dévorer par le crocodile pour ensuite le déchiqueter de l'intérieur
et en ressortir indemne. Ces bestiaires font de l'hydre le symbole de
Jésus Christ, et comparent son incarnation dans le ventre de la
Vierge et son supplice sur la Croix au ventre du crocodile. Or, cette
histoire d'hydre et de crocodile fait évidemment penser à
Marguerite se laissant dévorer par le dragon puis en ressortant
indemne après l'avoir déchiqueté de l'intérieur.
Partant
de ces rapprochements, l'auteur pense pouvoir expliquer ainsi le fait
que sainte Marguerite était la protectrice des accouchements.
Puisque le ventre de la Vierge est comparé par des auteurs anciens
au ventre du « crocodile » et même à l'enfer, ce sera a
fortiori le cas du ventre d'une simple femme, et le parcours de
l'enfant qui vient au monde sera celui d'un être qui, comme la
perle, comme Jésus, comme Marguerite, a été enfermé dans un lieu
laid et terrifiant, et en ressort indemne, dans toute son intégrité
et sa perfection.
Si
je synthétise, l'auteur se livre à plusieurs parallélismes que
l'on pourrait résumer par la phrase : « D'un lieu
affreux, effrayant et sombre, où il était enfermé et caché, sort
à la lumière un être (une chose) indemne, pur et parfait. »
Ce qui se décline en :
- De l'huître, sort la perle.
- Du ventre de la Vierge / De l'humble condition terrestre / Du monde de souffrances des mortels, sort Jésus Christ.
- Des enfers, sort le héros qui y a effectué une descente (j'en ai moins parlé, mais cet aspect est rapidement évoqué par l'auteur).
- Du ventre du dragon, sort Marguerite / Margarita.
- Du ventre de la femme, sort le nouveau-né.
L'auteur
termine en évoquant la déclaration de Marguerite avant sa mort
(d'après La Légende dorée de Jacques de Voragine) assurant
que tout accouchement se déroulerait bien si on lisait l'histoire de
sa vie pendant l'accouchement ou si on en déposait une version
écrite sur le ventre de la parturiente. Cette déclaration témoigne
en fait a posteriori d'une pratique déjà bien ancrée quand Jacques
de Voragine écrit, au XIIIe s. On en a un autre témoignage par
l'archéologie, grâce aux sachets accoucheurs de sainte Marguerite.
Je ne m'y étends pas (mais je consacrerai peut-être un autre
article à ce sujet passionnant) : en quelques mots, il s'agit
de sachets utilisés comme talismans et contenant entre autres un
parchemin plié en petit et contenant d'une écriture minuscule des
épisodes de la vie de sainte Marguerite ainsi que diverses formules
magiques. On en a retrouvé quatre aux XIXe et XXe s. Le plus
frappant est que certains de ces sachets, dont des éléments
remontaient au XIIIe s., étant encore en usage dans les familles (à
qui ils ont ensuite été rendus) !
*
Pour suivre ce blog sur facebook, être au courant des nouveaux articles et en découvrir d'anciens, c'est ici : https://www.facebook.com/Chemins-antiques-et-sentiers-fleuris-477973405944672/
Les
nouveaux articles sont aussi partagés sur twitter :
https://twitter.com/CheminsAntiques
Bravo à nouveau et peut-être un point sur lequel nos recherches se croisent à nouveau : la descente aux enfers.
RépondreSupprimerIci, celle d'Inanna (plus tard Ishtar, et Aphrodite en Grèce, Turan en Étrurie et Vénus Victrix à Rome).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Descente_d'Inanna_aux_Enfers
(Amusant d'observer ce qu'on fait les Akkadiens avec cette encombrante héroïne...)
https://www.youtube.com/watch?v=Z0-_PuwF6xY
RépondreSupprimer