Je poursuis encore avec un article sur sainte Marguerite. Vous aurez
remarqué lors des précédents articles le lien très fort qui unit
sainte Marguerite et le dragon. Pourrait-on aller jusqu'à parler
d'amour ou de sexualité dans cette histoire ? C'est indéniable.
D'abord,
parce que ce couple représente la confrontation du principe masculin
et du principe féminin. L'on touche déjà là au premier point
intéressant de la question : car, de Marguerite et du dragon,
qui représente le principe féminin et qui représente le principe
masculin ? Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est
pas si évident.
Bien
sûr, on pense tout de suite au masculin pour le dragon, le monstre
qui s'attaque à une jeune vierge, qui la « mange » (un
récit de Wace (XIIe s.) sur sainte Marguerite raconte même
explicitement que – sous sa forme non de dragon, mais de démon –
il a tenté de la violer). Mais le dragon représente aussi par
d'autres aspects le principe féminin, car c'est lui qui,
comme la femme, saigne (voir l'avant-dernier article), lui qui, comme
la femme, porte dans son ventre (voir le dernier article). D'autre
part, si la dévoration représente l'acte sexuel, il faudrait
regarder de plus près certaines enluminures où, loin d'être une
victime attaquée violemment, Marguerite semble se jeter
volontairement, « pénétrer » dans la gueule ouverte du
dragon.
Oxford, Bodleian Library, Ms Douce 41, f.21r
Pages illustrées du manuscrit consultables en ligne : http://bodley30.bodley.ox.ac.uk:8180/luna/servlet/view/all/what/MS.+Douce+41
Livre de la passion de sainte Marguerite la
Vierge, avec la vie de sainte Agnès, et des prières à Jésus-Christ
et la Vierge Marie.
Florence, Bibliothèque Riccardiana, Ms Ricc. 453, f.13v
Entièrement consultable en ligne : http://www.wdl.org/fr/item/10648/
Florence, Bibliothèque Riccardiana, Ms Ricc. 453, f.13v
Entièrement consultable en ligne : http://www.wdl.org/fr/item/10648/
Cette remarque nous
amène au deuxième point : l'amour suggéré par certains
artistes entre Marguerite et le dragon. Nous venons de voir que
Marguerite pouvait être représentée comme une « victime
consentante ». Si l'on observe à présent les enluminures,
beaucoup plus nombreuses, qui représentent Marguerite au moment où
elle sort du corps du dragon, on est frappé de constater que dans un
grand nombre d'entre elles, la jeune fille et le dragon se regardent
doucement, la tête légèrement penchée l'un vers l'autre, avec
tendresse, avec la complicité d'une aventure intime vécue ensemble.
Livre d'Heures, « Heures de Llangattock », Flandres, vers 1450 (Willem Vrelant)
Los Angeles, Paul Getty Museum, Ms Ludwig IX 7, f. 23v
Los Angeles, Paul Getty Museum, Ms Ludwig IX 7, f. 23v
Livre de prières de Charles le Téméraire, 1469 (Lieven van Lathem)
Los Angeles, Paul Getty Museum, Ms 37, f.49v
Los Angeles, Paul Getty Museum, Ms 37, f.49v
Livre d'Heures, XVe s.
Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Codex Vindobonensis Palatinus 1926, f. 26v
Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Codex Vindobonensis Palatinus 1926, f. 26v
Livre d'Heures à l'usage d'Amiens, 1er quart du XVIe s.
Abbeville, BM, Impr FA 16 in 8 281, f.105v
Abbeville, BM, Impr FA 16 in 8 281, f.105v
Cette richesse de
suggestion des enluminures disparaît dans les peintures sur tableaux. Le thème de
Marguerite ne fait alors plus l'objet en soi d'une représentation
picturale : sainte Marguerite voisine avec d'autres saintes
(notamment Catherine) et saints dans une représentation plus large,
par exemple une Vierge à l'Enfant. Les saints ne sont alors là que
pour le décor et un gros dragon ferait tache ! C'est pourquoi
Marguerite est alors fréquemment représentée avec un tout petit
dragon en laisse, semblable à ces petits chiens de compagnie avec
lequel les dames de la fin du Moyen Age aimaient déjà s'afficher.
Notre parallélisme avec une histoire de couple ne trouve alors plus
guère d'écho... à moins qu'il faille y voir le principe masculin
et agressif du dragon réduit à n'être plus qu'un « homme
objet » entre les mains de la femme puissante et sage qu'est
Marguerite ?
Bartholomaüs Zeitblom, Sainte Barbe, sainte Marguerite, sainte Anne,
sainte Dorothée et sainte Marie Madeleine, vers 1511 (Allemagne, Augsbourg, Bayerische
Staatsgemäldesammlungen, Staatsgalerie in der Katharinenkirche)
Détail
Détail
Sainte Catherine d'Alexandrie, sainte Marie Madeleine et sainte Marguerite d'Antioche. autel de Trebon, Tchéquie,1380
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