Aujourd'hui, j'ai cueilli pour vous un ouvrage tout à fait
singulier. Il s'agit de De Laboribus Herculis de Coluccio
Salutati, dont les manuscrits datent de 1383 et 1391. Coluccio
Salutati était un humaniste de Florence. La page Wikipédia qui lui
est consacrée nous apprend sur lui trois choses qui me réjouissent :
- Un
de ses ennemis politiques affirmait qu'une lettre de lui pourrait
« causer plus de dégâts qu'un millier de
cavaliers florentins ».
- C'est à lui que l'on doit la redécouverte des lettres de Cicéron
à ses amis.
- C'est à lui que l'on doit l'invention du point d'exclamation et
des parenthèses.
Le De laboribus Herculis est censé être un ouvrage consacré
à Hercule. Le titre se traduit par « Les travaux d'Hercule ».
Cependant, le lecteur impatient de découvrir les travaux d'Hercule
risque d'être déçu ! En effet, le livre I est une sorte
d'introduction consacrée à la poésie en général. Le livre II
semble lui aussi totalement hors sujet puisqu'il traite de la
conception et de la naissance en général, d'un point de vue
médical ; ce n'est qu'à la fin qu'il se concentre plus en
particulier sur la conception et la naissance d'Hercule. Le livre III
continue encore
un peu sur la conception et la naissance d'Hercule, puis aborde
enfin
ses travaux, non pas les douze
canoniques, mais tous
ceux que Coluccio
Salutati
a pu répertorier, qui se montent à trente
et un
travaux ! Le
livre
IV,
lui,
est consacré exclusivement à la descente aux Enfers d'Hercule.
Le passage qui
m'intéresse se trouve à la fin du livre II. Après avoir rappelé
dans les chapitres 8 et 9 les principes médicaux de la conception et
notamment le rôle qu'y joue le sang menstruel pris
comme une semence féminine
(rôle que j'ai déjà abordé dans de précédents articles,
notamment :
https://cheminsantiques.blogspot.com/2019/03/le-corps-feminin-et-le-fromage-une.html),
Coluccio Salutati se lance dans une entreprise totalement originale,
dont je n'ai jamais vu d'autres exemples.
En effet, il
explique
le mythe de la conception et de la naissance d'Hercule
comme
une sorte de « mythe médical » (je
ne vois pas comment appeler cela autrement!),
donnant à chaque élément de la légende une explication biologique
tirée d'une étymologie totalement fantaisiste des noms propres de
personnes et de lieux ! La légende d'Hercule est donc
interprétée par Coluccio
Salutati
comme
une sorte de code qui donne les clés des connaissances en
embryologie !
Il commence par
le nom d'Amphitryon, le père d'Hercule (si l'on ne considère pas
qu'Hercule est le fils de Jupiter, et je ne crois pas que Coluccio
propose cette version ; j'avoue qu'il écrit dans un latin
difficile et qu'une lecture rapide ne m'a pas permis de tout
comprendre). Coluccio traduit le grec « amphi » (qu'il
écrit d'ailleurs « amphy ») par « circum »
(« autour
de »).
On le suit moins pour la deuxième partie du nom, selon lui
« etheron », qu'il traduit par « diversum »
(« divers »).
Il en déduit donc que le nom d' « Amphitryon »
signifie « in circuitu varium et diversum » (« dans
un circuit varié et divers »)
et que cela désigne le corps humain !
On passe ensuite
au nom d'Alcmène, et là, pour ma plus grande joie de chercheuse, il
est question des menstrues ! Il traduit avec
justesse
« alce »
par « virtus » (« vaillance »
ou « force ») ;
pour « mene » (qui peut signifier « mois » en
grec), il propose « defectus », que l'on pourrait
traduire par « déclin mensuel » (le mot est notamment
utilisé pour la lune décroissante). Et qu'est-ce que cette « force
du déclin mensuel », si ce n'est le sang menstruel qui est en
même temps la semence féminine ? Donc « Alcmène »
signifie « sang menstruel et semence féminine » !!!
Coluccio le dit explicitement en tirant brillamment la conclusion que
« Amphitryon a fait Hercule avec Alcmène » signifie « Le
corps humain a fait Hercule avec du sang menstruel et de la semence
féminine »
Hic
igitur Amphytrion coniungitur cum Alchmena, que ab “alce”, quod
est “virtus”, et “mene”,
quod est “defectus”, dicta est, hoc est cum sanguine menstruo
atque semine muliebri.
Comme
si cela ne suffisait pas, il en rajoute. Plaute (auteur latin du IIe
siècle
av. JC) dit dans sa pièce Amphitryon
que ce roi était allé combattre les Teleboens.
Coluccio prétend que ce nom (qu'il écrit avec un « h » :
« Theleboes ») est apparenté au grec « thelete »
qui signifie « purgationes », (« purgations » ;
je n'ai trouvé aucune racine grecque, ni thelete,
ni telethe,
ni telete,
qui évoque l'idée de purgation). Il poursuit donc sa
démonstration : « Amphitryon est allé combattre les
Teleboens » signifie que le corps humain a lutté contre
la purgation des
semences et des
sangs menstruels (il met tout au pluriel) :
Que
quoniam suam faciunt resistentiam, finxit Plautus Amphytrionem,
Alchmene maritum, ad pugnam cum Thelobois iussu Creontis, Thebarum
principis, accessisse. “Thelete” quidem Grece, “purgationes”
dicte sunt Latine. Constat autem tam spermata quam sanguines
menstruos ad purgationem sine dubio pertinere.
Et il
continue :
Premittuntur
autem oratores ad Theloboos qui repetant ablata, hoc est inquirant an
premissum et captivum semen orificio matricis assumptum remittere
sint parati.
« Des
ambassadeurs sont envoyés aux Teleboens qui vont rechercher les
choses qu'on
leur a prises,
cela signifie qu'ils ont demandé s'ils étaient prêts à rendre la
semence envoyée et fait prisonnière, que s'était approprié
l'orifice de la matrice. »
C'est
un peu confus, mais je comprends que les purgations menstruelles se
plaignent que le corps a gardé pour lui ce mois-ci la semence (qui
est en même temps le sang menstruel) prisonnière dans la matrice,
et qu'elles
ne pourront donc pas faire leur office et couler comme chaque mois.
Je
ne crois pas qu'il existe d'autre cas où la conception est expliquée
ainsi comme des mouvements militaires de troupes adverses ! À
part, bien sûr, dans des documentaires pour enfants des XXe et XXIe
siècles, comme les dessins animés de « Il était une fois
l'homme » !
*
Références : le texte latin du De laboribus Herculis est
entièrement publié ici : https://www.mlat.uzh.ch/browser?text=13031
d'après les éditions suivantes :
Salutati
Coluccio, De laboribus Herculis, éd. B. L. Ullman, Zürich,
Artemis-Verlag, 1951.
et
Salutati
Coluccio, De laboribus Herculis, Roma, Biblioteca Italiana,
2003.
*
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