Cet
article fait suite à celui publié il y a longtemps déjà sur
Bérose et Callisthène :
L'homme
dont je vais vous parler aujourd'hui est aussi un « passeur de
savoir » ; il a sans doute bien connu Callisthène le neveu
d'Aristote, puisqu'il était lui-même disciple de ce philosophe.
Mais tandis que Callisthène a fait un long voyage pour récupérer
des savoirs babyloniens, à la demande de son oncle, Cléarque de
Soles, lui, voyageait pour répandre les savoirs grecs. En fait non,
pas les savoirs, mais plutôt la sagesse, celle du temple de Delphes.
Au
IVe s. av. JC, dans la foulée des conquêtes d'Alexandre le Grand en
Asie Centrale, le Grec Kinéas fonde une ville dont le nom antique
est perdu. Longtemps oubliée, elle a été redécouverte sur le site
d'Aï Khanoum en Afghanistan en 1964, et fouillée depuis, avec tous
les aléas que vous pouvez imaginer vu la situation politique de ce
pays...
Parmi
les découvertes, on a retrouvé une stèle portant une inscription
en grec :
A gauche : « Ces sentences des anciens se
trouvent dans le sanctuaire pythique sacro-saint. C'est Kléarque qui
les y copia minutieusement et les mit ici, dans le sanctuaire
resplendissant de Kinéas. » Suivent,
à droite, des maximes delphiques à moitié effacées : « Dans
l'enfance, sois modeste. Dans la jeunesse, sois robuste. A l'âge
mûr, sois juste. Dans la vieillesse, sois judicieux. A l'heure de la
mort, sois sans affliction. »
Il semble que Cléarque aurait copié
aussi la totalité des 150 (environ) maximes du temple de Delphes.
Quand je dis « copié », j'imagine que ce n'est pas lui
qui est grimpé sur les échafaudages et qui a manié son burin pour
couvrir les murs et colonnes du temple d'Aï Khanoum! N'empêche que
c'est bien lui qui a parcouru (dans le sillage de l'armée
d'Alexandre ou plus tard?) la longue route menant de Delphes à Aï
Khanoum, tout ça pour quoi? Pour transmettre le miel de la sagesse
grecque! Pour le transmettre aux colons grecs de ces lointaines
contrées bien sûr, mais aussi aux Indiens, à des inconnus, des
« barbares » au sens étymologique du terme (personnes
qui ne parlent pas grec)... Une telle persévérance au profit de la
transmission de la sagesse m'émeut.
Mais ce n'est pas tout : il semble
qu'effectivement ces maximes aient eu un écho en Inde, car Asoka, un grand roi indien du IIIe s. av. JC, a fait publier dans
son royaume des édits en sanskrit, mais aussi en grec et en araméen (on en a retrouvé des inscriptions aussi).
Asoka était très influencé par le bouddhisme naissant, mais ses
édits rappellent aussi beaucoup les maximes delphiques. Vous voyez
qu'on nage en plein multi-culturalisme à une époque où les
communications n'avaient pourtant rien à voir avec aujourd'hui...
Une dernière chose me plaît. Pour
que les historiens puissent aujourd'hui nous raconter cette histoire,
ils se sont appuyés sur des inscriptions retrouvées en Grèce, des
inscriptions retrouvées en Afghanistan, la transmission des textes
grecs et la transmission des textes indiens : or tous ces éléments
se complètent et se confirment les uns les autres. Mes élèves me
demandent souvent comment on peut être sûr de telle ou telle chose
concernant l'Antiquité, et je leur réponds toujours que l'on n'est
pas sûr de tout, mais que la connaissance se fait surtout par
croisement d'informations de sources variées : on en a ici un
magistral exemple.
Pour terminer, deux articles sur
lesquels je me suis appuyée :
- l'article de Wikipédia sur Cléarque
de Soles, court, mais qui dit l'essentiel :
- « Les maximes delphiques d'Aï
Khanoum et la formation de la doctrine du dhamma d'Asoka »
de V. P. Yailenko (1990) :
(j'ai aussi puisé dans cet article la
traduction de la stèle)
- toutes les informations
muséographiques sur la stèle :
- l'intégralité des maximes de
Delphes transcrites par des écrivains grecs (car pour le coup,
l'archéologie ne nous les a pas toutes livrées à Delphes pas plus
qu'à Aï Khanoum), en grec et en français :
http://chaerephon.e-monsite.com/medias/files/septsages.html
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