« L'épreuve
du 100 mètres féminin aux Jeux olympiques de 1928 s'est déroulée
les 30 et 31 juillet 1928 au Stade olympique d'Amsterdam, aux
Pays-Bas. Il s'agit de la première compétition féminine
d'athlétisme disputée lors des Jeux olympiques de l'ère moderne.
Elle est remportée par l'Américaine Betty Robinson. » (Page
Wikipédia « 100
mètres féminin aux Jeux olympiques d'été de 1928 (athlétisme) »,
https://fr.wikipedia.org/wiki/100_m%C3%A8tres_f%C3%A9minin_aux_Jeux_olympiques_d%27%C3%A9t%C3%A9_de_1928_(athl%C3%A9tisme)
Qu'en était-il lors des Jeux
Olympiques antiques ? Ou plus largement des Jeux panhelléniques,
car je rappelle que les Jeux Olympiques n'était qu'une compétition
(certes, la plus prestigieuse) parmi de très nombreuses autres dans
différentes villes ou sanctuaires de Grèce, où tous les Grecs
étaient invités à participer, d'où le terme de
« panhéllenique ».
Commençons
par un mythe, puisqu'en Grèce antique, tout commence toujours par
des mythes. C'est celui d'Atalante.
Atalante refusait de se laisser imposer un époux. Comme son père
l'y obligeait, elle demanda à n'épouser que celui qui la vaincrait
à la course. Pour décourager les candidats, il fut établi que si
c'était elle qui était victorieuse, le malheureux serait mis à
mort. De nombreux prétendants se présentaient cependant, mais la
petite Atalante courait vite, et les dépassait toujours. Hippomène
parvint cependant à gagner la course, grâce à un subterfuge
suggéré par Aphrodite/Vénus qui lui confia trois pommes d'or à
lâcher sur le parcours pour forcer Atalante à s'arrêter pour les
ramasser. Il y a quand même un petit côté réducteur pour les
femmes dans cette histoire, du genre : même une nana hyper
sportive, vous lui mettez devant le nez un truc qui brille, et elle
ne peut pas s'empêcher de ralentir, un peu comme si Marie-José
Perec allait s'arrêter dans sa course parce qu'on lui signale qu'il
y a des promotions chez … [placez ici le nom d'une grande enseigne
de prêt-à-porter] !!!
Malgré cette
chute un peu réductrice, j'aime cette histoire. Atalante est une
fille courageuse, qui tient à sa liberté et qui rabat l'orgueil de
tous ces petits mecs qui pensaient la vaincre facilement. Son
histoire est superbement racontée par Ovide dans ses Métamophoses
(X,
v. 560-739).
Vous pouvez la lire en latin et en français
à cette page :
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/ovideX/lecture/10.htm
Ovide, le poète de l'amour,
ajoute son petit grain de sel à sa version du mythe. Selon lui, si
Atalante a cédé, ce n'est pas tant attirée par le bling-bling des
pommes en or, mais parce que son cœur se troublait à la vue du
courageux et noble jeune homme : elle ne s'avouait pas
amoureuse, mais s'émouvait qu'il puisse mourir, et finalement ne se
trouva pas mécontente d'être vaincue par lui...
Mais quittons le mythe.
L'essentiel
des sources que nous avons sur les
événements réels nous vient de
Pausanias, un auteur grec tardif (IIe s. ap. JC) qui a écrit une
sorte de guide géographique de la Grèce, qui l'amène a faire de
petits excursus historiques sur les différents lieux visités.
Il évoque
l'interdiction pour les femmes d'assister aux Jeux (Olympiques du
moins), et la punition mortelle qui aurait été réservée à
celles qui désobéissaient… sauf qu'il précise que cela n'est
jamais arrivé… à l'exception d'une seule femme… à qui on a
pardonné étant donné les circonstances ! Retenons le nom de
cette femme, Kallipateira
(ou « Callipatire » si l'on francise son nom) :
fille, sœur et mère d'athlètes, elle a aussi été l'entraîneuse
de l'un de ses fils et c'est à cette occasion qu'elle a laissé voir
son véritable sexe. Voici le texte de Pausanias (V,
6 (7-8)), en
grec et en français à cette page :
http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/pausanias_perieg_lv05/lecture/6.htm
Ce que
j'aime dans cette histoire, c'est la spontanéité avec laquelle
Kallipateira, toute à la joie de la victoire de son fils, oubliant
toute prudence, saute la barrière et jette ses vêtements d'homme.
On croirait voir des images d'une retransmission d'événement
sportif actuel, où un entraîneur ou une entraîneuse saute la
barrière délimitant le lieu de l'épreuve, lâche tout ce qu'il ou
elle tenait, pour serrer dans ses bras son disciple vainqueur !
En lisant le récit de Pausanias, je crois presque l'entendre hurler
sa joie à en perdre la voix !
Voilà pour
la place des femmes comme spectatrices ou entraîneuses. Comme
participantes, dans un autre passage de son ouvrage, Pausanias
évoque, en marge des « Jeux Olympiques » en l'honneur de
Zeus, des « Jeux Héréens » (« Héraia ») en
l'honneur d'Héra. Vous pouvez lire le texte complet (V, 16 (3)) en
grec et en français ici :
http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/pausanias_perieg_lv05/lecture/16.htm
Il dit que
lors de la course, les participantes avaient « les cheveux
flottants, la tunique abaissée jusqu'au dessous du genou, l'épaule
droite toute nue et débarrassée jusqu'au sein. » C'est
suffisamment inhabituel de la part de jeunes filles ou de femmes
grecques bien élevées pour qu'il le souligne ! Cependant, rien de
scandaleux, visiblement, puisque tout cela est en l'honneur d'Héra.
La dernière
source que je voudrais évoquer n'est pas textuelle, mais
archéologique. C'est donc la plus précieuse puisqu'elle nous livre
un fait brut et direct. Il s'agit d'une inscription sur une stèle
retrouvée à Delphes et datant du milieu du Ier s. ap. JC. Sa
référence dans le corpus des « Fouilles de Delphes »
est FD III, 1 : 534. Le texte grec complet est visible ici :
https://inscriptions.packhum.org/text/239224
L'inscription
a été commanditée par Hermesianax, un citoyen de Tralles (en Asie
Mineure), en l'honneur de ses trois filles, Tryphosa, Hédéa, et
Dionysia, victorieuses dans plusieurs compétitions sportives et
musicales, lors de différents Jeux panhelléniques. Il n'est pas du
tout question des féminins Jeux Héréens, mais des Jeux Pythiques,
Isthmiques, Néméens, Sébastéens d'Athènes, Asclépiens
d'Epidaure. Cela signifierait-il qu'elles étaient les seules filles
à concourir, comme notre mythique Atalante ? Ou bien que ces
compétitions sportives comportaient des épreuves réservées aux
femmes (finalement comme aujourd'hui, où la plupart des épreuves
sportives ne sont pas mixtes) ? Je pencherais pour la deuxième
hypothèse, qui semble plus vraisemblable, et qui est étayée par le
fait qu'on précise de Tryphosa qu'elle était « la première
des filles » et pour Hédéa « la première fille ».
On pourrait traduire « catégorie filles ».
Que nous
apprend l'inscription sur ses trois demoiselles ? Beaucoup de
choses.
- Tryphosa
a été la première des filles à remporter trois victoires
d'affilée à la course de stade (course à pied) aux Jeux Pythiques
et Isthmiques.
- Hédéa
a aussi gagné deux courses de stade (je vous épargne à chaque fois
la mention des Jeux où avait lieu l'épreuve), une course de chars
de guerre en armes, et l'épreuve junior des citharèdes (épreuves
musicales et sportives étaient mêlés dans ces Jeux et il était
fréquent que le même athlète remporte des prix dans les deux types
de disciplines). On apprend enfin qu'elle a été la première de son
âge… , puis la première fille… , mais dans les deux cas
l'inscription est effacée et on ne sait pas quels sont ces exploits
où elle a établi des records.
- Dionysia,
malheureusement, sa partie d'inscription est encore plus effacée,
mais on sait qu'elle a remporté deux victoires à la course de
stade.
Moi, j'ai
un faible pour Hédéa. Quelle fille douée !
- Elle
concourt dans au moins trois disciplines différentes (dont deux
sportives et une musicale ; certes c'était plus habituel chez
les Grecs que chez nous, mais imaginez une personne qui serait
championne olympique d'athlétisme et qui gagnerait en même temps un
prix d'interprétation aux Victoires de la Musique!!!).
- Elle bat
des records, au moins deux, même si on ne sait pas de quoi.
- Elle est
précoce, puisqu'elle a déjà gagné un prix dans la catégorie
junior (mot à mot : « enfants ») et qu'elle a été
la première de son âge en quelque chose.
- Et pour
finir, moi, ça me perturbe, cette épreuve de chars de guerre en
armes ! Je trouve que c'est quand même un truc qui a l'air très
viril, non ? Pour cette épreuve-là, j'avoue que j'ai plus de
mal à imaginer une épreuve strictement féminine avec toute une
troupe de femmes en armes sur des chars de guerre ! Dans le
mythe, oui, mais dans la réalité ? Si c'était le cas, alors
bravo les Grecs d'avoir permis cela !!! Et si ce n'est pas le
cas, cela signifie que notre petite Hédéa était la seule nana
casquée et armée sur son char de guerre au milieu des mecs barbus,
et alors bravo Hédéa !!!
*
Ajout le 18 juillet 2021
J'ai depuis découvert ce fabuleux site consacré aux femmes grecques célèbres : http://chaerephon.e-monsite.com/medias/files/artistes.html
Vous y trouverez, à la rubrique "sportives" :
- le texte sur Kallipateira ("Callipatira"), autrement appelée "Pherenikê", ainsi que d'autres textes la mentionnant, en grec avec la traduction française,
- la stèle des trois sœurs, en grec avec la traduction française,
- le texte d'une stèle qui m'avait échappé sur une autre sportive, Seia Spes, en grec avec la traduction française.
Bonne lecture !
*
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