En relisant Hérodote l'autre jour dans la douce lumière matinale d'une voie ferrée séquanosanctidionysienne (eh oui, c'est un si joli adjectif gréco-latin qui qualifie le « neuf trois »!), j'ai soudain levé le nez de mon livre, prenant conscience du rapprochement que je n'avais jamais fait entre deux anecdotes que j'aime beaucoup.
Ces deux anecdotes ne sont pas gaies puisqu'elles ont trait à la prise d'une ville assiégée. L'histoire universelle regorge d'anecdotes nous racontant comment une ville assiégée a été prise par le seul côté non surveillé, dont les habitants pensaient qu'il était inaccessible. Ma chère Sémiramis elle-même aurait d'ailleurs ainsi gagné sa notoriété, si l'on en croit les légendes (lors de la prise de Bactres, cf. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, II 7).
Mais les deux anecdotes qui ont retenu mon esprit ont ceci de savoureux que l'idée d'attaquer du côté présumé inaccessible est venu d'un pur hasard, déclenché par un infime détail, un casque dans un cas, un escargot dans l'autre!
1) Le casque: la prise de Sardes en Lydie par les Perses en 546 av. JC, racontée par Hérodote:
« Voici la manière dont la ville de Sardes fut prise. Le quatorzième jour du siège, Cyrus fit publier, par des cavaliers envoyés par tout le camp, qu'il donnerait une récompense à celui qui monterait le premier sur la muraille. Animée par ces promesses, l'armée fit des tentatives, mais sans succès : on cessa les attaques ; le seul Hyroiadès, Marde de nation, entreprit de monter à un certain endroit de la citadelle où il n'y avait point de sentinelles. On ne craignait pas que la ville fût jamais prise de ce côté. Escarpée, inexpugnable, cette partie de la citadelle était la seule par où Mélès, autrefois roi de Sardes, n'avait point fait porter le lion qu'il avait eu d'une concubine. Les devins de Telmisse lui avaient prédit que Sardes serait imprenable, si l'on portait le lion autour des murailles. Sur cette prédiction, Mélès l'avait l'ait porter partout où l'on pouvait attaquer et forcer la citadelle. Mais il avait négligé le côté qui regarde le mont Tmolus, comme imprenable et inaccessible. Or Hyroiadès avait aperçu la veille un Lydien descendre de la citadelle par cet endroit, pour ramasser son casque qui avait roulé du haut en bas, et l'avait vu remonter ensuite par le même chemin. Cette observation le frappa, et lui fit faire des réflexions. Il y monta lui-même, et d'autres Perses après lui, qui furent suivis d'une grande multitude. Ainsi fut prise Sardes, et la ville entière livrée au pillage. » (Hérodote, L'Enquête, I 84)
2) L'escargot: la prise du fort de Jugurtha en Numidie par les Romains en 106 av. JC, racontée par Salluste:
« Marius perdit là bien des journées et se donna en vain beaucoup de mal. Il se demandait avec anxiété s'il renoncerait à une entreprise qui s'avérait inutile, ou s'il devait compter sur la fortune, qui souvent l'avait favorisé. Il avait passé bien des jours et des nuits dans cette cruelle incertitude, quand par hasard, un Ligure, simple soldat des cohortes auxiliaires, sortit du camp pour aller chercher de l'eau sur le côté du fort opposé à celui où l'on se battait. Tout d'un coup, entre les rochers, il voit des escargots, un d'abord, puis un second, puis d'autres encore ; il les ramasse, et dans son ardeur, arrive petit à petit près du sommet. Il observe qu'il n'y a personne, et, obéissant à une habitude de l'esprit humain, il veut réaliser un tour de force. Un chêne très élevé avait poussé entre les rochers ; d'abord légèrement incliné, il s'était redressé et avait grandi en hauteur, comme font naturellement toutes les plantes. Le Ligure s'appuie tantôt sur les branches, tantôt sur les parties saillantes du rocher ; il arrive sur la plate-forme et voit tous les Numides attentifs au combat. Il examine tout, soigneusement, dans l'espoir d'en profiter bientôt, et reprend la même route, non au hasard, comme dans la montée, mais en sondant et en observant tout autour de lui. Puis sans retard, il va trouver Marius, lui raconte ce qu'il a fait, le presse de tenter l'ascension du fort du même côté que lui, s'offre à conduire la marche et à s'exposer le premier au danger. » (Salluste, La Guerre de Jugurtha, 93)
Les traductions sont publiées par Philippe Remacle: http://remacle.org/
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