mardi 16 août 2011

L'avion de Victor Hugo n'a pas sauvé le monde.

J'ai récemment découvert sur un des « sentiers fleuris » d'internet un texte surprenant à plus d'un titre. L'auteur n'en est personne d'autre que le grand Victor Hugo lui-même, mais le sujet en est fort inattendu puisque – sans prononcer ce mot qui n'existait pas encore – il parle de l'aviation!
Il s'agit d'une lettre envoyée en 1863 à Félix Nadar, le célèbre photographe, dont on sait moins qu'il a aussi été un pionnier de la navigation aérienne en ballon. Après quelques lignes de félicitations, Hugo en vient vite au fait qui lui tient à cœur : le ballon n'est qu'une étape, car il dépend du vent, le pilote ne peut le mouvoir à sa guise : « Qui n'a pas en soi son moteur, est mû, mais ne se meut pas. » Hugo imagine donc judicieusement l'étape suivante : un véhicule aérien capable de se mouvoir de lui-même. Mais il ne donne pas la moindre indication sur ce que serait le fonctionnement de cet appareil rêvé, car ce n'est pas cela qui l'intéresse, mais bien les conséquences de cette navigation aérienne sur l'Humanité.

Et là, après le premier sujet d'étonnement (Victor Hugo a imaginé l'aviation un demi-siècle avant son invention, Jules Verne n'était pas le seul écrivain à avoir anticipé les inventions modernes du XXe s.), vient un sujet, là, de stupéfaction : le grand homme était un doux rêveur, un naïf idéaliste.
Vous vous souvenez sans doute d'un article que j'ai écrit il y a quelques mois et qui avait un titre semblable à celui d'aujourd'hui (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2011/02/larchitecte-qui-voulait-sauver-le-monde.html). J'y racontais comment Claude-Nicolas Ledoux croyait sincèrement (et – de notre point de vue actuel – naïvement) qu'une architecture intelligemment pensée pourrait amener la paix et l'harmonie entre les hommes. Victor Hugo pense la même chose de l'aviation. En effet, selon lui, elle abolira les frontières, donc il n'y aura plus de guerres, plus de douanes, plus d'exils ; et du coup, plus de tyrannies, la paix universelle, etc. Voici quelques passages parmi les plus lyriques :
« Depuis six mille ans, en effet, l'homme est noué. La vieille coupure violente du nœud gordien, c'est-à-dire la civilisation par la guerre, a été jusqu'ici l'expédient. Expédient bête et misérable. Mettez l'homme en possession de l'atmosphère, le lien des ténèbres se défera de lui-même.
Arminius a délivré la Germanie, Pélage l'Espagne, Wasa la Suède, Washington l'Amérique du Nord, Bolivar l'Amérique du Sud, Botzaris la Grèce, Garibaldi l'Italie. La Pologne en ce moment délivre la Pologne. Cela est grand et beau. Faisons plus, délivrons l'homme. »
« C'est toute la borne abolie. C'est toute la séparation détruite. C'est le vieux nœud gordien lâchant prise. C'est toute la tyrannie sans raison d'être. C'est l'évanouissement des armées, des chocs, des guerres, des exploitations, des asservissements, des haines. C'est la colossale révolution pacifique. C'est brusquement, soudain, et comme par un coup d'aurore, l'ouverture de la vieille cage des siècles. C'est l'immense mise en liberté du genre humain. »
Je ne peux pas tout citer. Allez donc lire l'intégralité de la lettre (elle n'est pas longue) ici : http://membres.multimania.fr/almasty/hugonad.htm

Une lecture très attentive décèle toutefois sous ce bel idéalisme un européanocentrisme qui préfigure les méfaits de la colonisation, puis ceux de la mondialisation :
« C'est l'Europe délivrant les autres continents dans l'éblouissement du monde assistant à cette vision : le progrès planant. » et « Ensemencement de fraternité sous toutes les latitudes, ébauche immédiate d'amélioration sous toutes les zones, imposition à tous les bégaiements et à tous les patois de l'idiome le plus voisin du verbe. »
Je n'aime pas du tout cette dernière expression, qui me rappelle ce que les Grecs appelaient « barbares », à savoir tous ceux qui, ne parlant pas grec, s'exprimaient selon eux par borborygmes.
Mais Victor Hugo croyait certainement sincèrement, comme beaucoup d'intellectuels de son temps, que l'Europe détenait une civilisation supérieure et que c'était faire preuve de générosité que de la répandre de par le monde. Et, à l'exception de cette réserve, on ne peut que souscrire au programme qu'il projette : la paix, la fraternité entre les hommes, la liberté de circuler, la démocratie, etc.

Or, ce rêve, comme celui de Claude-Nicolas Ledoux, comme ceux de tous les utopistes des XVIIIe et XIXe s., a échoué, et ce du fait de quelques simples lois (douanes dans les aéroports, police des frontières).
Mais ce qui est bien pire, et qui ferait presque rire si cela ne faisait pas pleurer, c'est que non seulement l'aviation n'a pas apporté la paix universelle, mais elle est au contraire responsable des pires atrocités des XXe et XXIe s., celles qui font que plus aucun intellectuel d'aujourd'hui n'oserait exprimer de tels espoirs de paix universelle. Dès l'invention de l'aviation, pendant la première guerre mondiale, qui a traumatisé à vie tous ceux qui l'ont vécue, qu'est-ce qui a fait de cette guerre une « guerre moderne »? Les avions. Les bombes atomiques lâchées en 1945 sur Hiroshima et Nagasaki? Et l'écroulement des tours du World Trade Center à New York en 2001? Toujours des avions...

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