jeudi 23 décembre 2010

La banane de Pline

Encore une question d'élève :
- Comment dit-on « banane » en latin?
- Mais voyons, les Romains ne connaissaient pas les bananes!

Cela dit, je ne laisse pas complètement en plan mon élève, car je me souviens avoir justement vu avec une certaine stupeur ce mot dans un des manuels de latin américains que je commande parfois sur le site « Amazon ». Les Américains enseignent le latin comme une langue vivante. Ils sont donc moins calés que nous sur le contexte culturel nécessaire à une bonne compréhension des textes d'auteurs ; en revanche, ils manient la langue avec beaucoup plus d'aisance que nous et rentrent donc beaucoup plus facilement dans ces textes d'auteurs ; rien n'est parfait! Si je fais parfois mon marché parmi les manuels d'outre Atlantique, ce n'est pas pour contrevenir aux instructions officielles du programme de l'Education Nationale française, c'est juste pour piocher ponctuellement des idées de petits dialogues faciles qui soulagent les élèves en leur donnant le sentiment d'avoir compris un texte entier sans peiner.

Bref! De retour chez moi, je me plonge dans le manuel en question et retrouve facilement ma banane : « ariena »! Voilà qui est surprenant, car on aurait pu s'attendre à « banana », mais d'où sort ce « ariena » bien précis, qui ne veut dire « banane » dans aucune langue moderne, pour désigner une réalité inconnue des Romains?

Je saute sur le Gaffiot qui, de « ariena », me renvoie à « ariera » et j'apprends que c'est le fruit du jaquier, un arbre que je n'avais pas l'heur de connaître. Il y a une référence : Pline, XII 24. C'est le chapitre consacré aux arbres exotiques dans l'Histoire Naturelle de Pline l'Ancien. Je commence à comprendre : il se peut que les Romains n'aient pas connu la banane, mais qu'un auteur l'ait décrite d'après des récits de voyageurs.

Bon. Je tente de trouver le texte de Pline en question, en latin et si possible en traduction française, ce qui, malgré la magie d'internet, n'est pas si facile, car Pline a écrit une telle somme que rares sont les traducteurs qui ont osé le traduire entièrement (apparemment, il n'existe que des traductions du XIXe s. (inutile de dire qu'on ne les trouve plus à la Fnac!)) et que rares sont les internautes d'aujourd'hui qui ont fini de le numériser entièrement en latin! D'autre part, il s'avère que « XII 24 » est parfois référencé « XII 12 », il doit y avoir des chapitres et des paragraphes qui se superposent...
Bref, j'ai fini par trouver, et je vous soumets le texte dans la traduction de Littré légèrement modifiée :
« Un autre arbre fruitier, plus grand, l'emporte par la grosseur et la saveur de son fruit, dont les sages de l'Inde se nourrissent. La feuille a la forme d'une aile d'oiseau ; elle est longue de trois coudées, et large de deux. Le fruit sort de l'écorce ; il est admirable par la douceur de son suc ; un seul suffit pour rassasier quatre personnes. L'arbre se nomme pala ; le fruit ariena. Il abonde surtout dans le pays des Sydraques, terme de l'expédition d'Alexandre. »

D'autre part, en cherchant un peu, là encore sur internet, j'ai compris que l'on avait parfois pensé que Pline décrivait dans ce texte la banane, avant de découvrir qu'il s'agissait plutôt du fruit du jaquier.
Du coup, même si cette interprétation a été démentie, il était tentant de proposer ce mot latin existant pour traduire notre si commune banane ; et je ne pense pas que le bon Pline s'en serait offusqué...

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Un commentaire à cet article m'a été fait deux ans plus tard, le 10 septembre 2012 :

Une recherche + approfondie mais rapide sur Internet nous dit que lorsque Alexandre parvint aux Indes, il défendit à tous ses soldats de consommer ce fruit jaune, trop lourd, disait-il, et capable de réduire les forces de son armée. Ainsi l'armée d'Alexandre le Grand a-elle certainement apporté des bananiers en Europe, et grecs et romains ont-ils probablement cultivé et mangé ces fruits. MUSA est le terme latin botanique et l'Académie de Latin, même de France, devrait accepter MUSA, faute de trouver d'autres traductions certaines chez les auteurs latins et grecs classiques. Et il est prudent de ne pas avoir trop d'a priori en matière d'histoire. Les migrations humaines et naturelles des plantes à travers le monde sont bien plus anciennes que les romains, qui ne sont pas les inventeurs exclusifs de "la civilisation".

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Ma réponse à ce commentaire :

Merci pour ces compléments d'informations, mais ils ne font que poser de nouvelles questions, qui me passionnent, mais auxquelles je n'ai à mon grand regret pas trouvé de réponse.

D'abord, l'histoire d'Alexandre. Vous avez raison, il suffit d'une recherche très rapide sur internet (Alexandre + banane!) pour voir apparaître l'anecdote que vous citez, en plusieurs centaines d'exemplaires, le même texte mot pour mot, comme toujours sur internet! Mais quant à trouver la source, bon courage! Pour m'être intéressée il y a quelques années à l'expédition d'Alexandre (à propos de ma chère Mésopotamie), je sais que son histoire est principalement relatée par quatre auteurs antiques : Diodore de Sicile, Arrien, Plutarque et Quinte-Curce. Bien que cette question m'intrigue, j'avoue n'avoir pas le courage de me plonger dans la relecture de ces quatre œuvres, d'autant plus qu'un grand nombre d'autres auteurs anciens parlent aussi d'Alexandre, ce qui est le cas d'ailleurs de Pline dans le texte que je citais dans mon billet.

Deuxième problème : même sans avoir le texte sous les yeux, je pense qu'il est difficile d'affirmer avec certitude que le fruit jaune et lourd cité était bien une banane. On voit bien pour le texte de Pline que les uns penchent pour la banane, les autres pour le fruit du jaquier ; et je crains qu'on ne puisse jamais savoir la vérité exacte.

Une dernière question m'est évoquée par la deuxième partie de votre commentaire, concernant le mot "musa". De même que je m'étais interrogée sur l'origine du mot "arena", je m'interroge sur celle de "musa", mais je n'ai pas trouvé de réponse, ce mot n'existant pas en latin classique.

Finalement, après toutes ces questions sans réponses, je laisse le dernier mot à l'imagination. Dans le manga Thermae Romae, l'auteure Mari Yamazaki imagine que son héros, un Romain de l'Antiquité, qui fait des allers et retours avec le Japon contemporain, en aurait rapporté une banane, dont il aurait planté une graine dans le jardin de l'empereur Hadrien : une petite pousse sort de terre, mais finit, hélas, écrasée sous les ébats amoureux du fils adoptif de l'empereur et de sa belle! Qui sait? Voilà peut-être comment les Romains connurent ou ne connurent jamais la banane!...

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Ajouts en 2022 :

- Je trouve qu'il y a 12 ans (je n'étais pourtant pas si jeune !), j'avais un style un peu ampoulé que je n'ai plus. Il semblerait qu'en vieillissant j'aie mûri comme une bonne banane ! 

- Il existe désormais une traduction française récente dans une édition commode à consulter et en un seul volume des Histoires Naturelles de Pline l'Ancien. C'est l'œuvre de Stéphane Schmitt publiée en 2013 dans la collection La Pléiade.

- En ce qui concerne le mot "musa", l'explication en était à portée de souris (d'ordinateur). Une courte recherche m'a appris qu'il vient du nom d'Antonius Musa, médecin de l'empereur Auguste, dont j'apprends qu'il a soigné entre autres le grand poète Horace et le beau Marcellus (neveu d'Auguste hélas mort jeune, dont nous avons conservé une sublime statue en pied visible au Louvre et deux sublimes vers de Virgile dans l'Énéide). "Le naturaliste Carl von Linné donna en son honneur le nom de Musa au genre Musa, qui regroupe les bananiers" (d'après https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Antonius_Musa).

- D'autre part, c'est probablement ce nom latin scientifique qui est à l'origine du nom courant de la banane en arabe, موز , "mouz", transcription de "musa".

- Quelques points encore irrésolus :
--> "ariena"/ "ariera" désignait-il un fruit correspondant à la banane ou non ?
--> pourquoi Linné a-t-il choisi le nom d'Antonius Musa pour désigner la banane ? Était-ce un simple hommage sans raison précise ou y a-t-il un lien entre ce médecin et ce fruit ?

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lundi 15 novembre 2010

Halloween chez les Romains

J'ai pris l'habitude d'afficher chaque jour sur le tableau de ma salle de classe la date du jour d'après le calendrier romain, suivie si possible de l'indication d'une fête ou d'une célébration ayant lieu ce jour-là chez les Romains, ainsi que d'un événement qui se serait produit ce jour-là dans l'Histoire romaine.
Or, le 5 octobre dernier, c'était « Mundus patet », « le monde est ouvert ». Il s'agit du monde des morts. En effet, ce jour-là, les Romains, déplaçaient une lourde pierre plate posée sur un trou censé être une bouche des Enfers. Les esprits des morts pouvaient donc sortir toute la journée à l'air libre et faire la fête avec leurs proches du monde des vivants. A la fin de la journée, ils regagnaient sagement leur trou!
Une élève m'a demandé si c'était la même chose que Halloween. La similitude m'a en effet frappée, ainsi que la proximité dans le calendrier, d'autant plus que les Romains remettent ça le 8 novembre!
Bien sûr, Halloween est apparentée à la Toussaint, qui est une fête chrétienne, mais on sait bien que les Chrétiens n'ont rien inventé et que la plupart de leurs fêtes ont une origine gréco-romaine. Gréco-romaine ou celte, et en l'occurrence, Halloween est bien d'origine celte, et les Chrétiens ont juste greffé la Toussaint le lendemain, histoire de se démarquer.
Toutefois, la question de mon élève reste entière, car il semble difficile à croire que ce soit le hasard qui ait fixé des fêtes semblables vers la même période de l'année (Mundus Patet a lieu trois fois : le 24 août, le 5 octobre et le 8 novembre). Je pense qu'il ne faut pas aller chercher bien loin la réponse. Chez les Romains comme chez les Celtes, la fête des morts a lieu tout simplement en automne, au moment où la nature semble commencer à mourir, où le temps est plus triste, où les nuits sont plus longues, et où l'on est naturellement plus porté à songer à la mort.

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mercredi 27 octobre 2010

Tom et Léa sauvent le patrimoine de l'Humanité

Après Percy Jackson (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/07/mythologie-la-sauce-u.html), me revoilà dans la littérature de jeunesse, à nouveau d'origine américaine, mais pour les plus jeunes. Il s'agit de la série « La cabane magique », découverte grâce à ma fille. Cette série a actuellement un grand succès si j'en juge par sa présence non seulement dans les rayonnages des librairies, mais aussi dans ceux des magasins de presse et des hypermarchés!

L'idée de départ est simple et séduisante. Les héros, Tom et Léa (un frère et une sœur de 9 et 7 ans), voyagent dans le temps et dans l'espace grâce à une cabane magique (dirigée par la fée Morgane, qui prend elle-même ses ordres de l'enchanteur Merlin) et à des livres. Dans chaque tome de la série, ils sont investis d'une mission, en général sauver un livre ou une œuvre d'art importants pour l'Humanité, et doivent résoudre des énigmes pour y parvenir.

Le résultat n'est toutefois pas tellement à la hauteur. L'écriture est assez pauvre (tout est d'ailleurs rédigé au présent, ce que je trouve assez bizarre) et les rebondissements largement prévisibles (peut-être pas par les lecteurs de l'âge ciblé, il est vrai, mais j'aime qu'on soit ambitieux dans la littérature de jeunesse). Enfin, dans les premiers tomes, écrits à la fin des années 1990, les apports culturels se limitent à quelques grands clichés connus du grand public. En revanche, je le reconnais, l'auteure (Mary Pope Osborne) a bien évolué et les derniers tomes (beaucoup plus longs, d'ailleurs), écrits ces dernières années, sont construits sur une intrigue plus complexe et contiennent des apports culturels beaucoup moins évidents.

Je vous parlerai ici des trois tomes qui concernent mes sujets de prédilection – tiens, d'ailleurs, Tom et Léa ne sont pas encore allés en Mésopotamie! Cela viendra peut-être... - : les Romains avec Panique à Pompéi (1998), la Grèce antique, avec Course de chars à Olympie (1998) et l'âge d'or du monde arabo-musulman avec Tempête de sable (2007).

Dans les deux premiers, Tom et Léa sauvent un livre racontant une légende, à Olympie celle de Pégase (dont le nom est orthographié en grec au début du roman (avec une erreur sur la graphie du êta majuscule!) : cela est censé susciter un suspense insoutenable, sauf que quand on lit le grec (je sais, je sais, c'est rare chez les lecteurs de l'age ciblé!), on sait tout de suite le mot de la fin!) et à Pompéi, celle d'Hercule (« vir fortissimus in mundi » : là encore j'ai assez vite deviné qui était « l'homme le plus fort du monde »!).

Le passage qui m'a le plus fait rire (de consternation!) est la rencontre de Tom et Léa avec Platon dans Course de chars à Olympie :

Tous deux se dirigent vers l'entrée du bâtiment, quand une voix les interpelle:
- Attendez!
Ils se retournent. Un homme à barbe blanche marche vers eux.
- Bonjour, dit-il en regardant la petite fille. Qui êtes-vous?
- Et vous? réplique Léa, agressive.
Le barbu sourit :
- Je me nomme Platon.
- Platon? répète Tom. Votre nom me dit quelque chose...
- Peut-être avez-vous entendu parler de moi. Je suis philosophe.
- C'est quoi, un phiso... un philosophe? lui demande Léa.
- Un homme qui recherche la sagesse.
- Waouh! fait la petite fille, impressionnée.
Cela fait rire Platon.


Lequel Platon est ensuite présenté comme un fervent féministe, ce qui est totalement anachronique! Mais surtout, je trouve cette grande figure un peu ridiculisée dans son rôle de barbu de passage!

Il en va tout autrement de Tempête de sable. Vous vous souvenez de mes récents articles sur la transmission des sciences grecques (notamment des ouvrages d'Aristote) aux Arabes des VIIIe-IXe s., lesquels les ont ensuite retransmis à l'Europe occidentale :
cf. « Des livres très lourds » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/01/des-livres-tres-lourds.html
cf. « Les Grecs, les Arabes et nous » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/05/les-grecs-les-arabes-et-nous.htmlcf. « Pensée grecque, culture arabe » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/08/pensee-grecque-culture-arabe.html
Quelle ne fut pas ma surprise de voir que c'est ce sujet – pour le coup beaucoup plus pointu que l'éruption du Vésuve à Pompéi ou que les Jeux d'Olympie! - qui est traité par Mary Pope Osborne dans ce roman! Et évidemment, vous avez deviné à qui nous devons la transmission des écrits d'Aristote (lesquels semblent tenir tout entiers en un petit livre, ce qui est curieux quand on sait quel auteur prolifique c'était, mais passons!) au calife al-Mamoun... Eh oui, à Tom et à Léa, bien entendu!

Mais ici, malgré quelques inévitables clichés (chameaux, palmiers, tapis volant (tiens! un tapis volant, encore un : cf. « Le mystère des tapis volants » http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/04/le-mystre-des-tapis-volants.html)), le récit est bien documenté, et le personnage du calife al-Mamoun est traité avec splendeur, bien loin du ridicule du pauvre Platon.

Enfin, je dois dire que j'apprécie qu'en 2007, alors que les troupes américaines occupaient une Bagdad effrayante livrée à la guerre civile, une auteure américaine ait choisi d'évoquer dans un ouvrage pour enfants une Bagdad magnifique, porteuse de culture et de sagesse...

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mercredi 6 octobre 2010

Le dernier païen



En lisant l'ouvrage de Dimitri Gutas (cf. "Pensée grecque, culture arabe" : http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/08/pensee-grecque-culture-arabe.html), j'ai découvert l'existence d'un certain Georgios Gémistos Pléthon (1360-1452 ou 4), un philosophe byzantin, qui pensait que la Grèce en particulier et le monde en général se porteraient mieux si l'on abandonnait le Christianisme pour revenir à une système proche du Paganisme grec. Il a exposé sa doctrine dans Les lois, ouvrage malheureusement en partie détruit. Les dieux olympiens, dans un ordre hiérarchique précis, y sont présentés comme dirigeant l'univers. Il disait aussi s'inspirer de la doctrine de Zoroastre (qui avait cours dans la Perse Antique) et des Oracles Chaldaïques (qui est en fait un ouvrage mystique grec tardif, sans aucun rapport avec les Chaldéens, dans quelque sens de ce mot : cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/05/qui-sont-les-chaldens.html et http://cheminsantiques.blogspot.com/2009/08/ils-sont-fous-ces-chaldeens.html).
J'aime le courage de ce monsieur, qui semblait par ailleurs fort intelligent et cultivé, et je regrette que son nom soit tombé dans l'oubli.


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mardi 17 août 2010

Pensée grecque, culture arabe


Suite à un commentaire qui m'avait été fait dans un article récent sur les Grecs et les Arabes (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/05/les-grecs-les-arabes-et-nous.html), je me suis attelée à la lecture de Pensée grecque, culture arabe de Dimitri Gutas. Très intéressant!

J'avoue avoir sauté certains passages qui rentraient dans les détails de tel ou tel traducteur, mais l'essentiel est là : un travail de fourmi, sérieux et approfondi, qui nous dresse un panorama complet du mouvement de traduction des œuvres grecques dans les premiers siècles du califat. Encore une fois, comme dans l'autre ouvrage que j'évoquais ici, on comprend que les entités « Grecs » et « Arabes » n'ont pas de sens intrinsèque, qu'elles ont des significations très différentes selon l'époque, le lieu, la religion. Les traductions concernent des langues aussi variées que le pehlvi (langue de la Perse Sassanide), des langues de l'Inde, le grec, l'hébreu, l'arabe, le syriaque (langue sémitique parlée notamment par des Chrétiens arabes de Syrie) ; des peuples variés (Arabes de Syrie, d'Irak, d’Égypte, Grecs de Byzance et d’Égypte, Persans d'Iran et d'Irak) et des religions variées (Chrétiens, Musulmans, Juifs, Zoroastriens, Païens), toutes ces catégories s'entrecroisant allègrement en un riche bouillon de cultures!

Dimitri Gutas explique bien l'historique de ces traductions, leurs commanditaires, et même les légendes construites après coup sur ces mouvements de traduction. Légendes auxquelles je croyais moi-même : ainsi dans un article du début de cette année (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/01/des-livres-tres-lourds.html), je vous parlais de la « Bayt al Hikma » (« Maison de la Sagesse ») d'al-Mamoun ; elle n'était en réalité qu'une bibliothèque, extrêmement riche, certes, mais en aucun cas une université ni un centre de traduction.

Un point que j'ai trouvé très intéressant et que feraient bien de méditer les intégristes de tous bords (et aussi ceux qui accusent tous les Musulmans d'être des intégristes!) est le suivant.
Une des raisons qui a poussé certains savants religieux musulmans, suivis par les califes, à traduire certains textes grecs, notamment de Platon et d'Aristote, traitant de rhétorique et d'argumentation, est qu'ils voulaient y trouver une méthode dialectique pour être à même de contrer les arguments de leurs adversaires dans des discussions religieuses (soit avec des non-Musulmans, soit entre Musulmans de différentes obédiences). Le plus drôle est que les empereurs chrétiens byzantins, eux, voulaient au contraire se débarrasser de ces textes grecs païens, craignant que la possibilité d'une discussion argumentée risque de leur faire perdre des fidèles si les adversaires argumentaient mieux. Ils furent donc tout contents de voir que les Musulmans s'étaient emparés de ces textes, et pensaient avoir joué un bon tour à ces naïfs!

Peu m'importent l'une ou l'autre religion, mais je trouve que dans cette histoire, les personnes les plus sages, les plus humaines, sont bien celles qui ont préféré la possibilité d'une discussion avec autrui, même si cette discussion pouvait comporter le risque d'être convaincu par celui qu'on voulait convaincre (ce qui, d'ailleurs, n'est pas arrivé : les dialogues que citent Dimitri Gutas témoignent d'une grande écoute de l'autre, mais à la fin chacun reste sur ses positions, convaincu de sa foi!)!

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lundi 19 juillet 2010

Le dromadaire psychopompe

Je vous avais informé récemment de la réouverture le 7 juillet des salles de sculpture grecque au Louvre (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2010/06/dans-les-secrets-de-la-venus-de-milo.html). Naturellement, je n'ai pas tardé à me rendre sur place. J'ai été ravie de revoir mes préférés, parmi lesquels les trois de Praxitèle (ou attribués à, ou copiés de, ces subtilités m'importent moins que la jouissance de la contemplation), Apollon sauroctone (= tueur de saurien, en l'occurrence un lézard), Aphrodite à la pomme et Artémis raccrochant sa tunique : des dieux adolescents, raffinés, gracieux, taillés dans un marbre à paillettes presque translucide. Même la Vénus de Milo m'a semblé moins cruche que d'habitude - est-ce l'éclairage différent (elle est désormais en éclairage naturel, près d'une fenêtre)? est-ce d'avoir lu les propos qui lui ont été attribués (dans le fameux blog)? - et j'ai trouvé son sourire aguicheur d'une beauté troublante...

Mais surtout, j'ai découvert un bas-relief que je ne me souvenais pas avoir jamais vu. Cela fait en effet bientôt quinze ans que je me passionne pour les chameaux, et à peu près autant (et même plus) que je sillonne les salles du Louvre. Il s'agit d'un bas-relief représentant un dromadaire chevauché par une jeune fille aux ailes de papillon :



Le texte du cartel ne fait qu'épaissir le mystère :
« Relief votif (?) :
Psyché sur un dromadaire
IIe s. av. JC
Alexandrie de Troade (Turquie)
Marbre
La fonction comme l'interprétation de ce relief ne sont pas certaines. Psyché aux ailes de papillon montée sur un dromadaire pourrait symboliser le voyage de l'âme vers le monde des Bienheureux. »

En grec, l'âme se dit « psyché » ; elle est souvent personnifiée sous la forme d'une jeune fille, surtout dans le très beau récit d'Apulée racontant l'histoire d'Eros (l'Amour) et Psyché, mais ce récit est postérieur de quatre siècles à notre bas-relief, et il n'y est par ailleurs jamais question d'un voyage en chameau (le narrateur y est un âne, mais c'est une autre histoire!).

Dans la mythologie grecque, l'épithète « psychopompe » (= « conducteur d'âmes ») était souvent attribuée au dieu Hermès, quand il a pour fonction de conduire les âmes de ceux qui viennent de mourir vers le monde des morts.

Dans l'article de Wikipédia consacré au mot « psychopompe », je lis que les divinités psychopompes « sont souvent associés avec des animaux tels que les chevaux, les phoques, les corbeaux, les chiens, les chouettes, les moineaux ou encore les dauphins. »

Eh bien il va falloir y ajouter le chameau! Je pense en effet qu'il n'y a pas de plus belle monture pour parvenir au monde des Bienheureux, au rythme lent et tranquille de son pas sûr et chaloupé.


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Suite à cet article de blog, j'avais écrit en 2015 un article dans le magazine Mythologie(s).

Je m'étais livrée à une enquête longue et poussée, et je pense pouvoir dire que j'ai probablement résolu l'énigme !

Vous pouvez accéder à la version auteur de cet article en le téléchargeant depuis cette page : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03310542v1

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vendredi 9 juillet 2010

Mythologie à la sauce US

J'ai lu récemment le premier tome d'une série pour la jeunesse (qui a aussi inspiré un film sorti cette année que je n'ai pas vu) : il s'agit des aventures de Percy Jackson, par l'auteur américain Rick Riordan. L'idée de départ est savoureuse : les dieux de la mythologie grecque existent toujours et ils continuent à flirter avec des mortels et à engendrer des demi-dieux, et l'histoire suit ces demi-dieux, adolescents d'aujourd'hui des États-Unis, et notamment un, Percy (en fait Persée) Jackson, fils de Poséidon.

Je dois l'avouer : je ne trouve pas ce livre franchement bien écrit (et de plus, pas très bien traduit non plus : on sent les anglicismes), ni bien construit (je devinais toujours ce qui allait se passer au moins trois chapitres avant les personnages : à la longue, c'est un peu lassant!), mais... il est vraiment très drôle. Même si je ne crois pas que j'aurai le courage de me lancer dans les tomes suivants de la série, je me suis bien amusée en lisant ce premier tome.

Ainsi, le héros est, comme beaucoup d'adolescents d'aujourd'hui, dyslexique et hyperactif. La raison en est simple : les demi-dieux sont programmés pour lire le grec ancien (d'où la dyslexie!) et pour participer à des batailles sur le terrain (d'où l'hyperactivité!). Rassurant, non, de se dire que tous nos jeunes dyslexiques ou hyperactifs cachent sans doute une ascendance aussi prestigieuse!
Autres perles : la Gorgone Méduse tient un magasin de nains de jardin (qui sont en fait les gens qu'elle a pétrifiés!) et Procuste tient un magasin de matelas à eau (et encourage vivement ses clients à essayer ses matelas, pour ensuite ajuster leur taille (des clients, pas des matelas!)
Enfin, un des passages qui m'a le plus fait rire, mais au deuxième degré, cette fois, car je ne m'attendais pas à trouver dans un ouvrage pour la jeunesse et sur la mythologie grecque ce trait d'esprit propre à beaucoup d'Américains qui pensent que leur nation est le centre du monde. L'un des personnage explique très sérieusement que le palais du mont Olympe s'est déplacé dans l'histoire pour être toujours « avec le cœur de l'Occident » (il faudrait que l'on m'explique ce que signifie cette expression, et aussi « l'Occident », d'ailleurs, car les dieux grecs, sont plus orientaux que Rick Riordan ne semble le croire!) : d'abord en Grèce, il s'est ensuite déplacé à Rome, puis en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne, en Angleterre, et maintenant il est à New York, au-dessus de l'Empire State Building, car « à l'heure actuelle, les États-Unis sont le fer de lance de l'Occident »...

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samedi 1 mai 2010

Les Grecs, les Arabes et nous


Quand j'ai appris qu'était paru à l'automne 2009 un livre ainsi intitulé, je me suis dit : Voilà un livre pour moi, qui me passionne pour la transmission des savoirs entre Orient et Occident, dans les deux sens, qui ai fait des études de grec et des études d'arabe. Je m'attendais à un documentaire historique ; c'est en partie le cas, mais c'est aussi et surtout un ouvrage polémique, comme l'annonce d'ailleurs d'emblée son sous-titre : « Enquête sur l'islamophobie savante » ; et finalement, ce n'en est que plus intéressant, car j'ai découvert que ce sujet un peu poussiéreux qui ne passionne habituellement pas les foules se révèle brûlant d'actualité s'il est instrumentalisé.

Il s'agit d'un ouvrage collectif auquel ont participé des savants spécialisés en histoire médiévale, anthropologie, philosophie, étude des religions, linguistique, etc., et qui se veut une réponse à un ouvrage de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne, publié l'année précédente en 2008, ainsi qu'à de nombreux articles parus dans des journaux et sur internet dans les mois qui ont suivi, nourrissant une polémique médiatique qui, je l'avoue, m'avait à l'époque totalement échappé.

Le sujet concerne les nombreux textes de l'Antiquité grecque qui ont été transmis à l'Europe médiévale par l'intermédiaire de savants arabes.

En gros, Sylvain Gouguenheim explique que les savants qui prétendent que « nous » devons « tout » aux « Arabes » (ce sont les termes qu'il emploie) ont tort, puisque les textes d'Aristote par exemple n'ont pas été transmis que par les Arabes, mais aussi par des copistes européens, notamment dans un monastère du Mont-Saint-Michel.
***
Les auteurs de Les Grecs, les Arabes et nous lui répondent, non pas en rétorquant « Mais si, mais si, nous devons beaucoup aux Arabes », mais en nous donnant une magistrale leçon de méthode historique, qui finalement fait plus l'intérêt de l'ouvrage que son sujet particulier.

C'est pourquoi je pense que cet ouvrage devrait être lu par tout étudiant en histoire, et même par tout citoyen responsable (même si certains passages sont un peu ardus, on en retiendra l'esprit).

Voici les grandes lignes des précieux enseignements que j'ai retenus de cette lecture salutaire :

  • Premier enseignement : on ne doit pas confondre l'idéologie avec l'histoire. Les vrais historiens ne sont pas pour ou contre telle théorie : ils cherchent à connaître la vérité le mieux possible et, comme tout scientifique qui se respecte (car l'histoire est une science), ne « croient » que ce dont ils ont une preuve certaine.
  • Deuxième enseignement : il faut se méfier des formules vagues. Je ne prendrai qu'un exemple, celui du mot « nous ». D'abord, dans « Nous devons (tout / rien) aux Arabes. » Qui est ce « nous »? Les Européens, les Occidentaux? D'aujourd'hui? Du Moyen Age? D'ailleurs, qui suis-je, dans ce « nous », moi qui suis à moitié française et à moitié arabe? Et puis le « nous » de « On nous avait caché l'existence d'autres filières de transmission. » C'est le « nous » du « grand public » : mais le grand public n'a pas pour habitude de s'intéresser à des sujets aussi pointus. Pour ceux qui veulent se documenter, rien n'est caché, il suffit de consulter des ouvrages spécialisés!
  • Troisième enseignement (qui rejoint le précédent) : dès qu'on fait des recherches sérieuses en histoire, on se rend compte que la vérité n'est jamais simple. L'Europe occidentale médiévale ne doit ni rien ni tout aux Arabes. Et d'ailleurs, quelles réalités recouvrent des termes comme « les Arabes », « l'Islam », « les Grecs », « l'Europe », « le Moyen Age »? Des réalités très différentes dans le temps, dans l'espace, et selon le contexte. Quelques exemples simples : « les Grecs » ne sont pas que les Grecs de l'Antiquité, mais aussi les Grecs de Byzance : ces Grecs appartiennent-ils à l'Europe? A la Chrétienté? Oui, et pourtant souvent en conflit avec la Chrétienté de l'Europe occidentale. « Les Arabes » ne sont pas que des Musulmans, mais aussi des Chrétiens et de Juifs. Et les Juifs, parlons-en : il y en a au Moyen Age comme aujourd'hui des deux côtés de la Méditerranée, et qui appartiennent à différentes cultures, tout en portant aussi la culture hébraïque. « Les Musulmans » ne sont pas tous arabes, mais aussi persans, turcs, berbères. Finalement, entre la fin de l'Antiquité et le Renaissance (car « le Moyen Age » est aussi une formule sujette à caution), on voit graviter autour des textes grecs antiques tant de personnes variées (Chrétiens d'Occident, Chrétiens de Byzance, Chrétiens de Syrie, Arabes musulmans d'Orient et Arabes musulmans d'Espagne, Musulmans persans, Juifs d'Orient, du Maghreb, d'Espagne, d'Europe du Nord, et j'en passe), qu'on aurait bien du mal à réduire tout ce beau monde à des formules ou à des théories.


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mardi 23 mars 2010

Le chameau panacée



Puisque je vous ai parlé de chameaux en janvier et février et de Jahiz en janvier, voici une des anecdotes les plus savoureuses que ce grand écrivain raconte sur ce noble animal. Pour comprendre cette histoire, il faut savoir que le chameau (bien sûr il s'agit du chameau dromadaire, mais contrairement à ce que croient la plupart des français, « chameau » ne signifie pas « à deux bosses », mais est le terme générique) est l'animal symbole des Arabes, lesquels, même en plein IXe s. cultivé, revendiquent leur origine de bédouins du désert, simples et frustes, face aux Perses (ici représentés par le souverain Khosroès) dont le raffinement excessif est souvent moqué.
Khosroès avait appelé à sa cour un bédouin, pensant s'étonner de sa rudesse et de son ignorance. Il lui demanda:
- Quelle est la chose dont le son porte le plus loin ?
Le bédouin répondit :
- Le chameau
- Et quelle est la chose dont la viande est la meilleure ?
- Le chameau.
- Comment le chameau peut-il avoir la voix qui porte le plus loin, alors que nous entendons celle de la grue à tant de lieues à la ronde ?
- Mets la grue à la place du chameau et mets le chameau à la place de la grue, et tu apprendras lequel des deux a la voix qui porte le plus loin.
- Mais comment la viande du chameau peut-elle être meilleure que la viande du canard, du poulet, des poussins, de la francoline, des oiseaux sores, des pigeonneaux...
- Que l'on cuise de la viande de poulet avec de l'eau et du sel, et que l'on cuise de la viande de chameau avec de l'eau et du sel, et tu verras la différence entre les deux viandes.
- Et comment oses-tu prétendre que le chameau porte des charges plus lourdes que l'éléphant, alors que l'éléphant porte des charges de plusieurs ratels ?
- Qu'un éléphant baraque et qu'un chameau baraque, et que l'éléphant essaie de porter la charge du chameau : eh bien, s'il se relève avec, je veux bien reconnaître que c'est lui qui porte les plus lourdes charges ! ...
Pour aller plus loin :

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jeudi 25 février 2010

Va te marrer chez les Grecs


C'est le titre réjouissant d'un petit livre qui ne l'est pas moins. Publié en 2008 dans la petite et agréable collection « Mille et une nuits », il s'agit de la traduction d'un recueil de blagues grecques anciennes (titre original : Philogelos).
Comme dans nos blagues d'aujourd'hui, il y en a de très drôles, de décevantes, et d'assez vulgaires. Sans plus de commentaires et juste pour le plaisir, je vous livre mes préférées :
Pour information, ce que le traducteur Arnaud Zucker traduit par « intellectuel », c'est le mot grec « scholasticos »

  • C'est un intellectuel qui rencontre un de ses amis et lui dit : « J'ai entendu dire que tu étais mort. » L'autre lui répond : « Mais tu vois bien que je suis vivant! - Franchement, réplique le premier, celui qui me l'a dit était beaucoup plus fiable que toi. » (22)
  • Un intellectuel, une nuit, monte sur sa grand-mère. Cela lui vaut d'être rossé par son père. « Mais enfin, s'écrie-t-il, ça fait très longtemps que, toi, tu couches avec ma mère, et je ne t'ai jamais rien fait. Et tu te fâches comme ça la première fois que tu me trouves sur la tienne! » (45)
  • C'est un intellectuel qui est à Athènes et qui écrit une lettre à son père. Tout fier de l'éducation qu'il y a désormais acquise, il met en post-scriptum : « J'espère te trouver, à mon retour, sous le coup d'une accusation passible de la peine de mort, pour te montrer comme je sais bien plaider... » (54)
  • C'est un intellectuel qui, apprenant qu'un certain escalier comporte vingt marches à la montée, demande s'il y en a autant à la descente. (93)
  • C'est un instituteur incompétent à qui l'on demande : « Comment appelait-on la mère de Priam? - Nous, en tout cas, répond l'instituteur qui n'en sait rien, par respect on dit « Madame » » (197)

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mardi 16 février 2010

Zorro, le lézard protecteur

Assistant vendredi dernier à une représentation du Carnaval des animaux, de Camille Saint-Saëns (1886), ponctuée du texte brillant et drôle écrit par Francis Blanche (dans les années 1950, je pense) pour l'accompagner, j'ai éclaté de rire à ce passage :
« Sortis spécialement de leur muséum
Messieurs les fossiles :
Les iguanodons, les mégathériums,
Les ptérodactyles, ichtyosaures,
Nabuchodonosor!
Et autres trésors
Des temps révolus,
Sont venus simplement.
Pour prendre l'air,
L'ère quaternaire, bien entendu! »

Le nom de « Nabuchodonosor », mon cher roi babylonien (qui régna de 604 à 562 av. JC) semblait en effet se marier parfaitement aux noms en « -saure » des monstres d'une Antiquité lointaine.
Cette facétie m'a donné l'envie de faire une petite promenade étymologique autour de ces deux racines qui se prononcent toutes les deux « zor » et n'ont pourtant rien à voir entre elles – ni avec Zorro!

Le « -saure » de l'ichtyosaure vient du grec « sauros » = « lézard ». L'ichtyosaure est un « poisson-lézard », le dinosaure un « terrible lézard » et le brontosaure un « lézard tonnant ».

Le « -sor » de Nabuchodonosor vient de l'akkadien « usur ». Celui que nous appelons « Nabuchodonosor » et que les Anglais appellent « Nebuchadnezzar » s'appelait précisément « Nabu kudurri usur », ce qui signifie « Nabu (un dieu babylonien), protège ma descendance! » ; « usur » signifie « protège ».


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lundi 1 février 2010

La bave du chameau n'atteint pas le pavé parisien

J'aurais aimé – mais je n'ai pas pu – participer à la grande manifestation de l'Education Nationale qui a eu lieu samedi dernier (30 janvier), et ce pour tout un tas de raisons qu'il serait trop long d'évoquer ici, raisons qui ne touchent d'ailleurs pas tant l'Education Nationale que tout le service public (hôpitaux, poste, transports en commun, etc.), qu'on est en train de sacrifier, depuis quelques années, sur l'autel de la rentabilité.

Mais en écoutant la radio, le soir, j'ai encore plus regretté de n'avoir pu être présente en apprenant qu'en tête de la manifestation marchait à pas lents... un chameau! Mon animal favori! En effet, le brave animal se prêtait à plusieurs jeux de mots savoureux, deux d'entre eux inscrits sur des pancartes accrochées à son dos : « La réussite de nos élèves ne doit pas rester un mirage. » et « Les ministres passent, les enseignants bossent » (à la fois jeu de mots sur « bosse » et pastiche du proverbe « Les chiens aboient, la caravane passe. »), et le dernier exprimé à l'AFP par Gilles Moindrot, secrétaire général du Snuipp-FSU (principal syndicat du primaire) : « Il symbolise le régime sec auquel est soumise l'Education Nationale ».

En cherchant sur internet des informations plus précises (et une image du fameux camélidé), je me suis livrée à quelques réflexions amères dont voici un résumé.

Le même texte, de deux paragraphes, racontant la présence du chameau en tête de manifestation, figure dans plus d'une dizaine de sites et de blogs différents sans qu'il n'y ait jamais de référence à une source. Je sais, je sais, c'est monnaie courante sur internet, mais c'est la première fois que je voyais cette pratique à si grande échelle.
Petite anecdote amusante à ce propos : le titre passe de « Le chameau brave le froid, les profs aussi » à « Le chameau bave de froid, les profs aussi ». Minimal effort d'originalité ou erreur quelque peu grotesque?

Deuxième constatation consternante : dans plusieurs commentaires de ces blogs ainsi que sur un site dédié à la protection des animaux, on s'indigne du traitement qui a été infligé à ce pauvre chameau, voire de son « exploitation » (avec certaines dérives du genre : « Quand on voit le traitement que les enseignants font subir aux animaux, on comprend celui qu'ils font subir aux élèves »!).
Certains se posent alors la question, tout à fait bienvenue, de savoir s'il s'agit d'un chameau de Bactriane (ou « d'Asie », ou « à deux bosses ») ou bien d'un dromadaire (ou « chameau d'Arabie » ou « à une bosse »), arguant que les premiers sont bien habitués au froid glacial qu'il faisait à Paris samedi dernier tandis que les seconds, pauvres choux, ont plutôt l'habitude de cuire à 50°. Personne n'a toutefois apporté la réponse. De fait, sous la large banderole « snuipp », difficile de distinguer s'il se cache une ou deux bosses, mais la tête bien poilue de notre ami me fait plutôt pencher pour un chameau de Bactriane. Quand bien même il se serait agi d'un chameau d'Arabie ou dromadaire, ces derniers sont également habitués aux froids extrêmes la nuit dans les déserts du Sahara et de l'Arabie. Mais surtout la question me semble absurde : les syndiqués n'ont pas pris l'avion pour Abu Dhabi pour en rapporter un chameau! Il est évident que cet animal vit en France, probablement dans la région parisienne, voire qu'il y est né, et qu'il ne vit pas sous serre pendant l'hiver. Je ne vois donc pas ce que cela changeait pour lui d'arpenter le pavé parisien plutôt que son parc. Un peu moins d'herbe à brouter, sans doute? Gageons qu'on peut rester plus longtemps sans herbe dans le désert de Gobi qu'au cours des quelques heures d'une manifestation de l'Education Nationale!
Passée la question du froid, je ne vois pas de quelle exploitation on pourrait parler. La charge des pancartes et des banderoles telles qu'on les voit sur la photo me semble risible comparée aux chargements monstrueux que les chameaux transportent sans peine dans leurs régions d'origine...

Toute cette histoire me rappelle un magnifique passage du roman de Michel Tournier, La goutte d'or : Idriss, le héros, après avoir joué comme figurant dans une publicité où figurait aussi un chameau (qui, pour le coup, est un dromadaire), et devant le mener aux abattoirs (il finira heureusement au Jardin d'Acclimation), traverse tout Paris avec son chameau...
« La silhouette ridicule et navrée surgissant dans l'aube grise et pluvieuse de Paris ébahissait les passants et agaçait les sergents de ville. » Michel Tournier.


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jeudi 28 janvier 2010

Le chameau et la courtisane

Ah! Les délices d'un dictionnaire feuilleté au hasard!... En me promenant dans les sentiers fleuris du Gaffiot, je suis tombée sur une curieuse plante, le schoenus.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir deux mots que je ne connaissais pas et manifestement de la même famille!
  • schoenicula : courtisane de bas étage
  • schoenuanthos : herbe à chameau

Comme vous le savez peut-être, le chameau est mon animal fétiche ; je dresse donc toujours l'oreille ou l'œil dès qu'il en est question, et là, j'ai trouvé curieux et amusant de le voir associé à une courtisane de bas étage.

En regardant plus attentivement, j'ai compris que le point commun était le schoenus (du grec « schoinos »), c'est-à-dire le jonc. Le « jonc fleuri » (c'est ainsi que je comprends « schoenuanthos ») devait être particulièrement apprécié des chameaux, tandis que la courtisane de bas étage se parfumait au schoenus, un parfum bas de gamme (si schoenus = « jonc », schoenicula pourrait se traduire littéralement par « jonchette »).

Finalement, la relation entre les deux est plus proche qu'il n'y paraît : chameau et vulgaire courtisane sont enveloppés dans le même mépris. Le schoenus est bien bon pour eux, contrairement aux végétaux plus raffinés que consomment les animaux plus nobles ou qu'utilisent en parfum les courtisanes plus chics!


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jeudi 14 janvier 2010

Des livres très lourds

Le IXe siècle est une période florissante pour la civilisation arabo-musulmane, dont le centre est à Bagdad, en actuelle Irak. Le calife Al Mamoun, fils du célèbre Haroun al Rachid, est un souverain éclairé qui fait construire une « Maison de la Sagesse » (« Bayt al Hikma »), qui est à la fois une bibliothèque, une université, et un centre de traductions.

  • Hounayn Ibn Ishaq (806-873) est un médecin chrétien qui a entrepris la traduction de textes grecs (de Platon, Aristote, Hippocrate, et d'autres) vers le syriaque (sa langue maternelle, une langue sémitique dérivée de l'araméen et parlée par les Chrétiens d'Orient) et vers l'arabe. Al Mamoun était tellement satisfait de ses traductions qu'il lui accordait le poids en or de tout livre traduit en arabe!
  • Al Jahiz (776-868) est le plus grand écrivain arabe. Il a écrit sur tous les sujets possibles et imaginables (sciences, histoire, grammaire, techniques...). Une célèbre légende raconte qu'il est mort dans l'écroulement de sa bibliothèque.

J'aime beaucoup ces deux histoires, même si la deuxième a eu une conséquence tragique. A cette époque, un livre, c'était quelque chose : ça se soupesait, ça se touchait, ça se sentait. Ce n'était pas un vulgaire livre de poche qu'on oublie au fond d'un sac ou qu'on perd dans le métro, et encore moins un immatériel « e-book »! De nos jours, Hounayn aurait vécu dans la misère. Et Jahiz aurait eu la vie sauve, mais il faut bien mourir quand même, et finalement la mort qu'il a eue n'était-elle pas la plus belle?

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