jeudi 21 mai 2009

Le rossignol latinophone

Vous connaissez tous la célèbre chanson « J'ai descendu dans mon jardin ». N'avez-vous jamais été intrigués par ces vers :
« Un rossignol vint sur ma main.
Il me dit trois mots en latin. »?

Déjà, qu'un rossignol sache parler, cela peut surprendre..., et de surcroît en latin! Mais pourquoi pas, après tout! Tiens, ça pourrait faire un argument, pour les élèves de 6e qui ont du mal à se décider : « Faites du latin : des fois qu'un rossignol vous adresse la parole en cette langue, ce serait bête de ne pas comprendre ce qu'il dit! »


Trêve de plaisanteries! Ce qui m'intrigue surtout, moi, c'est comment il a fait pour dire tout cela en latin, et qu'est-ce qu'il a dit exactement.
Reprenons la chanson :
« Il me dit trois mots en latin :
que les hommes ne valent rien ;
et les garçons encore bien moins.
Des dames il ne me dit rien.
Mais des demoiselles beaucoup de bien. »

On peut transposer les deux premiers vers au discours direct. Le rossignol aurait dit : « Les hommes ne valent rien et les garçons encore bien moins ». Je vous propose comme traduction : « Viri nulla re constant, pueri multo minus. » ou bien « Viri nihil sunt, pueri multo minus », ou encore plus condensé « Viri nequam sunt, pueri nequiores. »
Le vers concernant les dames (« matronae ») ne correspond pas à une parole du rossignol, puisqu'il n'en a rien dit.
Reste les demoiselles (« puellae »). Là, il est plus difficile de transposer au discours direct, car le texte de la chanson n'est pas au discours indirect, mais à ce qu'on appelle en bonne technique un discours narrativisé (c'est-à-dire qu'on sait de quoi a parlé un personnage, mais on n'a pas ses paroles mot pour mot, comme dans « Il m'a raconté sa vie. »). Il ne nous reste donc qu'à imaginer ce qu'a bien pu dire exactement le rossignol...
Cette chanson datant du XVIIe s., l'idée m'est venue de chercher l'inspiration dans la célèbre Carte du Tendre de Madeleine de Scudéry (Clélie, 1654). En prenant les noms de villages qui se rapprochent le plus des trois villages de Tendre, on trouve « Tendresse », « Confiante amitié », « Bonté », « Respect », « Sensibilité », « Exactitude », « Générosité », et je m'arrête là, mais je pourrais continuer encore un peu. J'imagine donc que le rossignol a pu dire : « Les demoiselles sont tendres, dignes de confiance, bonnes, respectueuses, sensibles, exactes et généreuses. », ce qui pourrait donner en latin : « Puellae tenerae, fide dignae, bonae, reverentes, misericordes, diligentes liberalesque sunt. »


Mais tout cela ne fait pas trois mots! Il est vrai que le latin est une langue beaucoup plus condensée que le français, mais on ne peut pas exprimer toutes les paroles du rossignol (surtout « beaucoup de choses » dites sur les demoiselles) en trois mots! J'ai deux hypothèses.
Soit il faut prendre « mot » dans le sens de « expression », « parole frappante ou maxime » (comme on parle des « bons mots » des hommes célèbres ou des « mots d'enfants »). En ce cas, il y a bien trois « mots » concernant chacune des trois catégories : « hommes », « garçons » et « demoiselles ».
Soit les « trois mots » ne concernent que le premier vers, celui sur les hommes. En ce cas, en effet, deux des traductions que je vous ai proposées (« Viri nihil sunt » ou « Viri nequam sunt ») tiennent bien en trois mots.


Amis lecteurs, latinistes ou pas, ornithologues ou pas, si vous avez d'autres idées sur les paroles du rossignol et sur leur traduction en latin, n'hésitez pas à laisser un commentaire à cet article! A bientôt!


Note, le lendemain : Eh bien c'est moi qui fait le premier commentaire à moi-même! Quand j'ai écrit cet article, hier, je me suis emmêlée les cordes vocales : j'avais en effet écrit que ces vers se trouvaient dans la chanson « A la claire fontaine ». Il est vrai qu'il y a aussi un rossignol dans cette chanson, mais qui « chante » tout bêtement, au lieu de parler en latin! Le problème est que quand j'ai cherché la date de cette chanson, j'ai cherché celle de « A la claire fontaine », qui date bien du XVIIe s. Mais voilà que « J'ai descendu dans mon jardin » date du XIVe s. (du moins pour les paroles de la fin, qui m'intéressent). Alors, mon idée de Mlle de Scudéry et de sa Carte du Tendre tombe à l'eau (de la fontaine!). Pour trouver des qualités propres aux demoiselles dans la littérature française du XIVe s., il faudrait sans doute chercher du côté de Charles d'Orléans ou de Christine de Pizan. A suivre, peut-être...

Note, 10 ans plus tard (mars 2019) : J'ai enfin suivi mon conseil d'il y a dix ans, et je suis allée voir du côté de Christine de Pizan, sur qui j'ai d'ailleurs écrit un article il y a deux ans (http://cheminsantiques.blogspot.com/2017/01/christine-de-pizan-une-feministe-au.html). J'y parlais de son livre La Cité des Dames. Or dans ce livre et dans le Livre des trois vertus, écrit plus tard, elle met en scène trois vertus qui vont l'aider à dire du bien des femmes. On est en plein dans le sujet. Ces trois vertus sont Raison, Droiture et Justice. Je vous propose donc, pour notre chanson du XIVe siècle : "Les demoiselles sont raisonnables, droites et justes", ce qui pourrait se traduire par "Puellae sanae rectae justaeque sunt".

Donc le couplet complet du rossignol pourrait être :
"Viri nequam sunt
Pueri nequiores
Puellae sanae rectae justaeque sunt"
 

Note, 12 ans plus tard (novembre 2021) :

Je n’en finis décidément pas, avec ce rossignol latinophone !

Je viens en effet de découvrir un fait curieux qui pourrait infléchir le sens de ces « trois mots en latin » où on parle d’hommes, de garçons, de dames et de demoiselles. Il paraît en effet que « parler latin » au XVe ou XVIe siècle pouvait être une métaphore pour l’acte sexuel, comme cette « fille doucette » dans un poème du XVIe siècle que l’on fait « ruer sur couchette et parler latin ». C’est ce qu’explique Jelle Koopmans, éminent professeur de littérature française des XVe et XVIe siècles à l’Université d’Amsterdam, éditeur et commentateur du recueil :

Le Recueil de Florence. 53 farces imprimées à Paris vers 1515, édition critique par Jelle Koopmans, Orléans, Paradigme (« Medievalia » 70), 2011, p. 251-267 (pour la pièce), 267-272 (pour le commentaire).

Ce recueil contient une farce française du XVe siècle intitulée « Femmes qui apprennent à parler latin ». Tout un programme ! La pièce met en scène un professeur originaire de province qui vient à Paris pour apprendre aux femmes parisiennes à parler latin. Guillemette, Barbette, Alison et Marion se révèlent des élèves très motivées, mais la motivation est peut-être ailleurs… Le comique de la pièce repose entièrement sur des significations équivoques, des doubles sens, que ce soit en français (quand on dit du professeur que « son engin pénètre », on parle bien sûr de la communicabilité de son ingéniosité, mais tiens tiens, je crois que vous, lecteur du XXIe siècle, avez pensé à autre chose, la même chose que les spectateurs du XVe siècle !) ou surtout (puisque c’est le sujet de la pièce) en latin.

Si nos élèves des XXe et XXIe siècles adorent conjuguer les verbes latins au futur, avec la terminaison en -bit, les hommes (et les femmes, donc !) du Moyen Âge s’en donnaient à cœur joie avec la conjugaison du parfait et sa terminaison en -vit ; c’était pour la même raison, puisque le mot « vit » désignait ce que désigne aujourd’hui « bite ». Les deux mots n’ont cependant aucun rapport : « vit » vient du latin vectis « barre, levier », sur la même racine que le verbe veho « porter, soulever », tandis que « bite » est un mot d’origine germanique vraisemblablement lié à « bitte (d’amarrage) », d’après le mot scandinave biti « poutre » (source : Dr Orodru, https://twitter.com/hugorodru/status/1443945797813420053)

Nos quatre Parisiennes bien appliquées n’apprennent pas que la langue latine, mais aussi les matières que l’on enseignait dans cette langue à l’Université (réservée aux hommes) : le droit, la médecine, et ce qu’on appelait « arts » (qui correspond à peu près à la philosophie) ; chacune de ces disciplines est exposée de manière à produire des énoncés et des gestes équivoques. Par exemple, à l’occasion de son cours de médecine, le professeur recommande à ses élèves, si elles veulent pratiquer la médecine et « mettre quelqu’un en santé », de prononcer (en joignant, on l’imagine, le geste à la parole) la phrase « O quantum commotus vite ! ». Si « vite », en bon latin médiéval (équivalent de « vitae » en latin classique) pourrait être le mot « vie » au datif ou au génitif, il est évident que le spectateur ou la spectatrice qui ne parle pas latin entend surtout le fameux « vit » dont je parlais plus haut, et aussi l’adjectif « vite », dont les sens ne s’excluent pas, mais s’ajoutent et font penser à tout autre chose accompagnés de « O quantum commotus » (« O combien mis en branle »). Tout cela est confirmé au vers suivant qui recommande à l’apprentie médecine de prendre le pouls du malade au front… ou, selon une autre interprétation, de prendre la chose agitée de pulsations régulières et qui se dresse à l’avant.

Gare, donc, aux conseils en latin du rossignol ! On sait que ces vieilles chansons populaires cachent souvent un sens sexuel derrière des paroles en apparence candides et champêtres… Et celle-ci date du XIVe siècle, soit peu de temps avant l’époque où nos Parisiennes apprendront à parler latin.

 

Nouvelle note, aussi 12 ans plus tard, mais un mois après (décembre 2021) : 

Encore un rebondissement dans cette affaire du rossignol latinophone !

En écoutant une émission sur le sens caché des comptines dites enfantines : https://www.arteradio.com/son/61664900/comptines_cruelles,
je vois que mon intuition sur la signification sexuelle était justifiée, mais pas dans le sens que j'imaginais. Mème si je persiste à penser que "parler latin" puisse signifier ici "avoir une activité sexuelle" (des interprétations contradictoires peuvent coexister), Marie-Claire Bruley (psychologue invitée dans l'émission), évoque plutôt les paroles du rossignol comme des conseils pour éviter au contraire de se livrer à une telle activité, puisque l'oiseau prévient la jeune narratrice contre les hommes et encore plus contre les garçons, et qu'il consacre la supériorité des demoiselles (donc vierges) sur les dames.

Mais le plus intéressant dans son analyse n'est pas tant le rossignol que le coquelicot du refrain. Elle explique que le "coquelicot", dont le nom a pour origine "cocorico", a été nommé ainsi par ressemblance avec la crête du coq, et que ces pétales ou cette crête charnue et rouge sang sont l'image des lèvres d'une vulve teinte de sang menstruel !!!

Je vous jure que je n'invente rien ! Vous pouvez écouter, l'émission ne dure que dix minutes. J'ai écrit cet article en 2009, à une époque où je n'aurais jamais imaginé que je travaillerais un jour sur les menstrues au Moyen Âge, où je ne savais même pas que j'allais m'intéresser à l'histoire médiévale, et voilà que cet article me fait revenir à mon sujet fétiche d'aujourd'hui !

Ce symbolisme de la crête du coq, ne m'a cependant pas étonnée. Je l'avais déjà rencontré avec une petite variante anatomique dans une étonnante histoire du Roman de Renart.
Le texte original en ancien français avec la traduction en français moderne de cette histoire intitulée "Renart, jardinier du roi" se trouve ici : https://roman-de-renart.blogspot.com/2015/10/le-dur-labeur-de-la-terre.html
Il faut ensuite cliquer à chaque fois sur "épisode suivant" pour avancer dans l'histoire. L'histoire se termine avec l'épisode "la barbe du loup".
On y voit Renart qui, se vengeant cruellement d'autres animaux, les écorche et utilise des parties de leur corps pour fabriquer le sexe féminin : la peau du cou du cerf pour le périnée, la fourrure du loup pour les poils pubiens, et la crête du coq pour... le clitoris ("landie" en ancien français) !
 

Note, 13 ans plus tard (juillet 2022) : 

Ce rossignol et ce coquelicot n'en finissent pas de croiser mon chemin. Aujourd'hui, j'ai découvert un article publié en 2012 par Michel Chandeigne sous le titre poétique "Le silence des coquelicots" et que l'on peut lire ici :
Il est consacré à notre chanson, et je pense que l'émission d'Arte Radio dont je parlais plus haut y a puisé sa source.
Michel Chandeigne y retrace l'historique de la chanson, depuis sa première version, "Belle Aelis" au XIIe siècle. Il fait également le rapprochement entre "coquelicot", "coq" et "cocorico", entre la crête rouge du coq et les pétales rouges du coquelicot, et associe ce dernier au sang menstruel ou à celui de la défloration.

Note en février 2023 : 

Cette note n’est pas une note à l’article en soi, mais à une autre note, celle de novembre 2021, où je parlais de la farce « Femmes qui apprennent à parler latin ». Comme je rapportais l’hypothèse selon laquelle « parler latin » pourrait avoir eu à la fin du Moyen Âge et peut-être plus tard une connotation sexuelle, je voulais ajouter ici de nouveaux exemples qui selon moi confortent cette hypothèse. Il s’agit de trois proverbes :

- Poule qui chante, Prêtre qui danse / Et Femme qui parle latin, / N'arrivent jamais à belle fin.

- Femme qui boit du vin, fille qui parle latin, soleil qui se lève trop matin ne viennent jamais à bonne fin.

- Épouse qui boit du vin, femme qui parle latin ont ordinairement mauvaise fin.

Ces proverbes sont cités dans :

Ziolkowski Jan M., « The Obscenities of Old Women : Vetularity and Vernacularity », in Speculum, vol. 82, n° 1, janv. 2007 (1e publication 1998), p. 73-89 (p. 75).


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mardi 12 mai 2009

Les tribulations de la planète Vénus

Dans un de mes premiers articles, il y a plus de deux ans, je vous avais expliqué que si les planètes du système solaire portent des noms de dieux romains, c'est que ces derniers les ont empruntés aux Grecs, lesquels les avaient auparavant empruntés aux Babyloniens (cf. "Il était une fois sept dieux qui se promenaient dans le ciel" : http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/03/il-tait-une-fois-sept-dieux-qui-se.html ).
Ce que j'ai découvert depuis, c'est que les Babyloniens ne donnaient pas forcément à la planète le nom du dieu auquel elle était associée, mais qu'elle pouvait avoir un nom propre. Sans revenir sur chaque planète, je m'attarderai aujourd'hui sur celle qui a le plus retenu l'attention des Anciens : Vénus.
Comme je vous l'avais dit, avant que les Romains n'associent cette planète à leur déesse de l'amour Vénus, les Grecs avaient fait de même avec Aphrodite, et avant eux les Babyloniens avec Ishtar. Mais ces derniers, tout en l'associant à Ishtar, appelaient plus souvent cette planète du nom de « Dilbat ».

Or, les Grecs et les Romains donnèrent aussi à cette planète un nom propre, ou plutôt deux noms. Chez les Grecs, « Phôsphoros » ( = « qui apporte la lumière ») ou « Hespéros » ( = « du soir ») et chez les Romains « Lucifer » ( = « qui apporte la lumière ») ou « Vesper » ( = « du soir ») ; en gros « l'étoile du matin » et « l'étoile du soir ». J'ai trouvé là l'explication d'un mystère qui m'avait toujours troublée : pourquoi, même en français, appelle-t-on parfois Vénus « l'étoile du matin », alors que ce n'est pas une étoile mais une planète? Vous me direz, pour le non astronome cette différence n'est pas perceptible. Eh bien si, justement! Il y a non-astronome et non-astronome : évidemment le citadin du XXIe s. que je suis et que vous êtes sans doute est totalement ignare dans ces domaines (petit test : sauriez-vous dire à quel endroit et à quelle heure va apparaître la lune aujourd'hui et quelle sera sa phase? Non? Moi non plus!) ; mais pour les bergers, les paysans, les marins et les nomades du monde entier, ces distinctions sont évidentes. Ils savent tous qu'une planète n'apparaît pas toujours au même endroit de la voûte céleste : ce n'est donc pas à heure fixe qu'elle apparaît à l'horizon et il n'est donc pas logique, me disais-je, d'appeler « étoile du matin » une planète qui peut apparaître à l'horizon aussi bien le matin qu'à tout autre moment d'une journée de 24h.

L'explication est la suivante.
Vénus est l'objet le plus brillant du ciel après le Soleil et la Lune, donc très remarquable pour un observateur attentif. D'autre part, comme elle est sur une orbite plus petite que celle de la Terre, elle semble toujours très proche du Soleil. On ne la voit donc pas dans le cœur de la nuit, puisque le Soleil n'est alors pas visible. En revanche, le matin et le soir, les Grecs et les Romains ne manquèrent pas de repérer une étoile à l'éclat très vif apparaissant à l'aube juste avant le lever du Soleil, qu'ils nommèrent donc « porteuse de lumière » puisqu'elle annonçait l'arrivée du jour, et de même une étoile à l'éclat très vif, apparaissant le soir, qu'il n'identifièrent d'abord pas comme étant le même astre. Les Babyloniens, eux, avaient apparemment fait le rapprochement, puisqu'ils donnèrent le même nom de « Dilbat » à l'étoile du matin et à celle du soir.

Mon histoire n'est pas tout à fait finie. Vous aurez sans doute trouvé que les noms grecs et latins pour « qui apporte la lumière » ne vous étaient pas inconnus.
« Phôsphoros » vous aura rappelé le phosphore, à juste titre puisque c'est un gaz qui émet de la lumière.
Mais « Lucifer » vous a sans doute troublés. Vous croyiez qu'il s'agissait du nom du diable et vous voilà perplexes, n'est-ce pas? Ne vous en faites pas : là aussi, j'ai une explication, qui d'ailleurs – je vous jure que je ne fais pas exprès! – nous ramène encore et toujours aux Babyloniens!

En effet, le seul passage de la Bible où figure le nom de Lucifer est dans l'Ancien Testament, dans le livre d'Isaïe (14, 12) : « Te voilà tombé du ciel, Lucifer, fils de l'Aurore! Tu es abattu à terre, toi qui foulais les nations! ». Ce passage concerne en fait le roi de Babylone, comme il apparaît un peu plus tôt dans le texte : « Alors tu prononceras ce chant sur le roi de Babylone » (14, 4). Quel roi de Babylone? Probablement Nabuchodonosor II, responsable de la destruction du Temple de Jérusalem et de la déportation de sa population à Babylone en 586 av. JC, l'ennemi par excellence du Peuple d'Israël, qui a donné naissance aux légendes du colosse aux pieds d'argile, de la Tour de Babel ou encore de la grande prostituée de Babylone, légendes qui fustigent toutes une ambition démesurée vouée à l'échec (ce que les Grecs appellent en un mot « hybris »). De fait, Nabuchodonosor finira son règne glorieusement, mais ses successeurs se déchireront et finiront anéantis en 539 av. JC par la conquête des Perses qui feront rentrer chez eux les exilés de Jérusalem.
Le nom latin de « Lucifer » n'est naturellement pas dans le texte original hébreu, qui parle de « Helal », c'est-à-dire « astre brillant » (c'est d'ailleurs ainsi que traduisent aujourd'hui les traducteurs de la Bible). Il est probable (je n'ai pas réussi à trouver une confirmation) que ce nom était lui-même une traduction d'un titre akkadien, « Astre brillant, fils de l'Aurore » s'appliquant aux rois de Babylone et qu'Isaïe le reprend là ironiquement. Ce que je ne sais pas non plus (mais qui nous permettrait de boucler la boucle), c'est si cette expression akkadienne s'appliquait aussi à la planète Vénus. En tout cas, c'est saint Jérôme, le premier traducteur de la Bible en latin, qui propose la traduction de « Lucifer », en effet calquée sur le texte hébreu. Il semble qu'ensuite, des commentateurs chrétiens peu au fait de l'histoire ancienne prendront « Lucifer » pour un nom propre et verront dans ce passage, non un roi déchu, mais un ange déchu, qu'ils assimileront à Satan.

Voilà comment la déesse de l'amour est devenue le diable, en passant par une planète et par un roi de Babylone!


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lundi 4 mai 2009

La première écrivaine

La galerie de portraits féminins dressée dans l'un de mes sentiers fleuris commence à s'allonger. Aux côtés des traîtresses, Eve, Pandore, la Schtroumpfette, la femme de Barbe-Bleue ou Nazira, je vous ai fait découvrir les belles figures des écrivaines Sappho, Héloïse ou Sulpicia, d'une mère et d'une musicienne des Mille et une nuits, de la hardie bergère Anne, et de la reine Zénobie.

Cette galerie serait incomplète si je n'évoquais pas Enheduanna. Enheduanna était la fille de Sargon Ier (roi de Mésopotamie, premier unificateur des deux régions de la Mésopotamie, Akkad et Sumer, qui régna de 2335 à 2279 av. JC). Elle fut la prêtresse du dieu de la lune Nanna (ou Sin), à Ur. Et surtout elle composa des poèmes en sumérien en l'honneur de la déesse de l'amour Inanna (ou Ishtar).

C'est en fait la première femme écrivain de l'humanité dont le nom soit mentionné. Et je dirais même plus : c'est le premier écrivain de l'humanité dont le nom soit mentionné. Eh oui! Le premier écrivain connu de l'humanité est une femme! Cela valait le coup de le signaler, non?


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