lundi 30 novembre 2009

Du fenouil au téléthon

Voici, pour une fois, un article qui s'inscrit bien dans l'actualité. Dans quelques jours en effet commence le Téléthon. Mais que signifie vraiment ce mot?

Mes plus anciens lecteurs se souviennent sans doute que mes deux tout premiers articles étaient consacrés à des « monstres étymologiques » (« métrophérique » et « homophobie »). Eh bien, voici un nouveau monstre étymologique.

Le préfixe « télé- » signifie « de loin » : c'est celui de « téléphone », « télévision », et de très nombreux autres mots. Mais « -thon »? Rien à voir avec le « thon » qui vient bien du grec, mais « thunnos ». Je pense que les inventeurs de ce néologisme ont repris la finale de « marathon », puisque le téléthon consiste à faire une sorte de marathon de loin. Certes, mais dans le mot « marathon », « -thon » n'est pas un suffixe : il fait intégralement partie de la racine.

Mais au fait, d'où vient ce mot? De la bataille de Marathon, bien sûr. Je vous rappelle brièvement les faits. En 490 av. JC, les Athéniens sont vainqueurs des Perses dans la plaine de Marathon. Comme le téléphone n'existait pas, un messager est envoyé transmettre le plus vite possible la nouvelle de la victoire à Athènes, situé à 42 km de Marathon. Le brave homme court de toute la vitesse de ses jambes, arrive à Athènes, annonce la nouvelle, puis s'écroule, mort.
Lors des premiers jeux olympiques de l'ère moderne, en 1896, on a appelé de ce nom une course de 42 km, en mémoire de ce courageux messager.

Mais d'où venait ce nom propre de « Marathon »? Eh bien, un « marathôn » (« o » long) en grec, c'est tout simplement un « champ de fenouil », de « marathon » (« o » court) qui signifie « fenouil ».

Si l'on devait donc traduire strictement « téléthon », ce serait un « -nouil de loin »!

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vendredi 13 novembre 2009

Zola et Nougaro corrompraient la jeunesse?

J'ai lu récemment dans Le Canard enchaîné (qui l'avait lu dans Le Figaro) l'information suivante : le 15 septembre dernier, la crèche Émile Zola de Carpentras a été débaptisée (pour être rebaptisée « Les petits berlingots »), au motif que le nom de Zola démoraliserait le personnel, les parents et même les bébés, ou du moins évoquerait une idée de misérabilisme, d'enfants malheureux, qui ne cadre pas avec l'image de bonheur enfantin que veut donner la crèche.

Je trouve cette information particulièrement choquante : ne s'attacher qu'à l'atmosphère générale de ses romans, l'assimiler à ses pires personnages, témoigne d'une incompréhension totale de l'artiste. Pour moi, le nom de Zola évoque un des plus grands écrivains français, mais aussi un homme cultivé, proche des peintres modernes de son époque, et encore un homme engagé défendant des valeurs humanistes, qui fit basculer l'affaire Dreyfus.

En tout cas, si l'on va par là, il faudrait débaptiser bien des crèches et des établissements scolaires, qui portent parfois simplement le nom de la rue où ils sont situés.Tiens! La crèche qu'a fréquenté ma fille, « Nogent – De Gaulle ». Bien que De Gaulle fût un homme admirable par certains côtés, je trouve les valeurs de Zola plus humanistes que les siennes et plus édifiantes pour la jeunesse! Et même « Nogent », qui n'est que le nom de la ville, n'est pas si neutre : il évoque heureusement les guinguettes des bords de Marne et « le petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles », mais non loin de chez nous, à Drancy, appellerait-on une crèche du nom de la ville?

Cette anecdote pitoyable m'en rappelle une autre.
Dans mon ancien collège, on était accueilli depuis plus de vingt ans au standard téléphonique par la voix chaude de Claude Nougaro chantant « Armstrong je ne suis pas noir, je suis blanc de peau... », ce qui changeait du passage des Quatre Saisons de Vivaldi, toujours identique, que l'on entend au standard téléphonique de la plupart des collèges! Or, l'année dernière, on a supprimé Nougaro, sous prétexte que c'était très gênant, voire blessant, pour des parents d'élèves noirs, d'être accueillis par ces paroles! On sous-entendait donc que les paroles de Nougaro pouvaient être interprétées comme racistes. Là encore, il y a de quoi être choqué, car ces paroles introduisent une chanson qui est au contraire un manifeste anti-raciste et un hommage d'un artiste blanc à un artiste noir, Louis Armstrong..

Ces deux anecdotes reflètent selon moi quelque chose de bien plus inquiétant. Les responsables ont cédé aux pressions des parents ou d'autres personnes ignorantes qui pensaient que Zola était un père alcoolique ou un enfant battu comme ses personnages et que Nougaro était un raciste fier d'être blanc de peau. Or en cédant à ces pressions et en écartant Émile et Claude, on a donné raison à ces gens. Bien sûr que tout le monde n'est pas censé connaître l'œuvre de Zola et de Nougaro, mais pourquoi ne pas l'expliquer?
On préférerait donc, dans notre pays, donner raison aux ignorants plutôt que de les éduquer?

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mardi 3 novembre 2009

Les aventures de douze compagnons

Vous vous souvenez de mon article déjà ancien sur les jours de la semaine (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/03/il-tait-une-fois-sept-dieux-qui-se.html). Je concluais sur le symbole très fort que constitue l'origine de ces noms puisque qu'ils ont à la fois une origine gréco-romaine et une origine judéo-chrétienne, comme notre culture européenne...
On retrouve un semblable mélange dans les noms des douze figures des jeux de cartes français.

Je vous les rappelle pour mémoire :
Dans l'ordre « cœur, carreau, pique, trèfle » :
  • Rois : Charles, César, David, Alexandre
  • Dames : Judith, Rachel, Pallas, Argine
  • Valets : Lahire, Hector, Ogier, Lancelot

Note : Les valets ne sont pas des valets de pied! Au Moyen Age, on nommait ainsi un jeune homme, qui n'était pas encore fait chevalier.

Je pensais vous régaler d'un petit historique sur les origines de ces noms, mais j'ai trouvé de nombreux sites et blogs qui en parlent. Les plus complets sont:
et

Vous y apprendrez notamment que ces noms cachent des « clés » pour des personnages de l'entourage de Charles VII au XVe s. (par exemple, Pallas, c'est-à-dire Pallas Athéna, la déesse grecque de la sagesse et de la guerre, représenterait Jeanne d'Arc).

N'étant pas une passionnée du XVe s. français, cette lecture m'intéresse beaucoup moins que la lecture littérale de ces noms, qui fait apparaître trois personnages de la Grèce antique (Pallas, Hector et Alexandre), un personnage de la Rome antique (César) et l'anagramme d'un mot latin (« Argine », anagramme de « Regina » = « reine »), trois personnages du monde biblique (David, Judith et Rachel), et quatre personnages du monde chrétien du Moyen Age au XVe s. (Lancelot, Charles, Lahire et Ogier). Et pour accentuer encore le mélange, dans chaque catégorie, on trouve à la fois des personnages imaginaires et des personnages historiques.
Ce mélange ne serait sans doute pas étranger à la mode médiévale des catalogues : bestiaires ou catalogues de nobles personnages, hommes ou femmes ; et plus particulièrement à un motif que j'ai découvert ici :
le motif des neuf preux. Les auteurs s'amusaient à regrouper trois preux du monde païen, trois du monde biblique et trois du monde chrétien. Or, les trois héros païens sont Hector, Alexandre et César ; parmi les trois héros bibliques on trouve David et parmi les chrétiens Charlemagne (et aussi le roi Arthur, qui est bien proche de Lancelot). Des listes de neuf preuses circulaient aussi, et on y retrouve Judith.
Notons d'ailleurs qu'on retrouve aussi dans les preuses païennes ma chère Sémiramis.
Mais revenons aux cartes. On aurait pu avoir, en s'inspirant de ce modèle des neuf preux, des regroupements par couleurs. Par exemple, les personnages grecs en cœur, les bibliques en carreau, les romains en pique et les chrétiens médiévaux en trèfle. Or rien de tout cela ; au contraire, il n'y a pas deux personnages issus d'une même culture dans chaque couleur!

Encore une fois, le pourquoi de la question ne m'intéresse guère ici. Je trouve seulement que ce mélange fabuleux est une formidable incitation à l'imagination. Je me plais ainsi à imaginer David et Alexandre concourant pour l'exploit le plus glorieux, abattre Goliath à la fronde ou trancher le nœud gordien ; Judith et Pallas papotant, tenant en main, l'une la tête d'Holopherne, l'autre celle de la Gorgone Méduse ; ou encore Lancelot amoureux fou de Rachel, au lieu de Guenièvre...


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