mercredi 29 octobre 2008

A quoi sert-il d'apprendre?


Des élèves en mal de réflexion philosophique demandent souvent à leur professeur à quoi sert telle ou telle matière, telle leçon ou telle activité scolaire.
Quand on leur renvoie la question, on se rend compte que « servir » renvoie pour eux à des réalités très concrètes. En gros, les mathématiques vont leur servir à calculer leur liste de courses (« et encore, il y a la calculatrice »), le français à rédiger une lettre d'embauche et l'anglais à demander leur chemin dans un pays étranger. Pour eux, ce qu'on apprend à l'école n'a d'autre but que pour leur futur métier et pour des applications concrètes. A ce titre, des matières comme l'histoire, les langues anciennes, le sport, la musique et les arts plastiques sont totalement inutiles.
Je dis « eux », mais je me souviens que moi aussi, quand j'étais à l'école primaire, que je détestais le sport et que je ne savais pas monter à la corde, je m'étais dit que ce serait pourtant utile pour m'échapper d'un immeuble en flammes!

Or ces raisonnements sont stupides ; ils peuvent prêter à sourire quand ils sont tenus par des enfants encore naïfs, mais deviennent dangereux quand ils contaminent les plus hautes sphères de l’État, ceux qui décident des programmes scolaires et du financement des filières universitaires. Aujourd'hui en effet, on voudrait réduire les connaissances du primaire et du secondaire à un « socle commun » purement utilitaire, tandis que les approfondissements culturels seraient réservés aux élites, et un candidat presque président de la République déclarait en avril 2007: « Vous avez le droit de faire de la littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a mille étudiants pour deux postes. [...] Les universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable, mais l’État doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes. »
Je tiens donc à l'affirmer ici clairement: on n'apprend pas pour des applications concrètes et utilitaires ni pour un futur métier! En tout cas pas seulement. Alors, à quoi sert-il d'apprendre, me demanderez-vous? A beaucoup de choses, bien plus importantes qu'un travail et une liste de courses.

Apprendre pour conserver et améliorer sa santé mentale
De même que si on ne fait pas de sport on augmente les risques de dégradations de sa santé physique, de même si on n'apprend pas, le cerveau perd l'habitude de ces mécanismes. On sait que l'apparition de maladies neuro-dégénératives comme la maladie d'Alzheimer est retardée chez des sujets qui avaient gardé l'habitude d'apprendre (de lire, de se cultiver) tout au long de leur vie.

Apprendre pour mieux apprendre
C'est une conséquence de la raison précédente. De même qu'un sportif bien entraîné fera de meilleures performances, de même quelqu'un qui a l'habitude d'apprendre apprendra de plus en plus facilement. Ainsi, les gens qui savent déjà quatre ou cinq langues n'ont souvent pas de difficultés à en apprendre une quantité d'autres.

Apprendre pour le plaisir d'apprendre
Le plaisir me semble une chose suffisamment capitale dans la vie d'un être humain pour qu'on ne le balaie pas d'un méprisant « Le plaisir de la connaissance est formidable, mais ». Qui n'a jamais éprouvé de plaisir à apprendre quelque chose? Et comment des adultes (parents, enseignants, hommes politiques) oseraient-ils prétendre savoir ce qui procurera ou non du plaisir aux enfants et jeunes gens dont ils ont la charge? Il faut leur offrir le plus grand choix, au risque de tarir leur précieuse gourmandise.

Apprendre pour devenir un citoyen responsable et un être humain tolérant
L'étude de la littérature, de la philosophie, de l'histoire, des langues anciennes, et d'autres matières encore, nous montrent différentes manières de penser. Cela nous apprend le relativisme des sociétés humaines et des individus, ce qui nous apprend à être tolérant. Cela nous fait aussi nous poser des questions et nous apprend donc à penser, non pas forcément comme nos parents, nos professeurs, nos dirigeants politiques, nos journaux télévisés, mais à penser par nous-mêmes.

Notons que toutes ces raisons se renforcent les unes les autres: celui qui aura une bonne santé mentale, c'est-à-dire l'esprit plus vif, sera plus intelligent donc plus facilement responsable et tolérant; celui qui apprendra plus facilement comprendra plus facilement, y compris ses semblables; celui qui éprouvera beaucoup de plaisir voudra le faire partager; celui qui saura penser par lui-même en retirera du plaisir, de même celui qui s'entendra bien avec ses semblables parce qu'il sera plus tolérant, etc.

Bon apprentissage!

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mercredi 8 octobre 2008

De Villepinte à Brescia (un souvenir littéraire)

Lundi 29 septembre, en descendant du RER à Vert-Galant pour me rendre comme tous les matins dans mon collège de Villepinte, j'ai été frappée de l'épaisseur du brouillard qui enveloppait tout, surtout que ce brouillard était inexistant aux stations précédentes. Cela m'a confirmée dans l'impression que j'ai parfois que je travaille au bout du monde. Mais au fur et à mesure que je m'aventurais dans ce nouvel environnement, j'ai eu la sensation d'entrer dans un monde magique. De très jolis lampadaires, assez bas et à la lumière blanche installés depuis peu faisaient des auréoles mystérieuses et l'absence totale de passants pendant quelques minutes ainsi que le silence inhabituel, dû au ralentissement des voitures plus prudentes et au brouillard lui-même qui étouffait les sons, accentuait cette sensation de magie. Et soudain, alors que j'étais ainsi séduite par ce paysage, j'ai eu une sensation de déjà ressenti et j'ai murmuré: « Brescia! »
De fait, ce n'était pas un souvenir personnel, mais un souvenir de lecture, une de mes pages préférées de la littérature, extraite du Voyage en Italie de Jean Giono (1954) (dont j'avais déjà cité un extrait: http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/08/cultivons-notre-jardin.html).
Je dis « une page », mais je constate en prenant le livre que c'est quatre pages. Je vais donc tâcher de ne vous donner que les passages les plus significatifs et les plus proches de mon impression de ce lundi.

« Brescia passe pour être la patrie des femmes qui ont les plus beaux yeux de l'Italie. Nous bifurquons en pleine nuit dans la route qui y mène. A la lumière des phares, qui donne tant d'intensité irréelle aux verts, elle m'apparaît bordée de peupliers et de prairies comme une de ces routes des Alpes, que j'aime. Me voilà disposé à trouver tout beau. [...]
Les rues où nous nous engageons cependant, mal éclairées par des lanternes rares, et strictement désertes (il n'est que huit heures du soir), nous promènent entre des murs nus, hauts de cinq à six mètres, semblables à des murs de casernes, de prisons ou de forteresses. Cet avant-goût militaire ne me déplaît toujours pas, au contraire. Nous circulons dans un opéra à l'acte où le tyran perpètre ses mauvais coups. [...]
Enfin on ne sait pourquoi nous piquons dans une ruelle et débouchons sur une place. Là, c'est le comble de l'irréel. Du coup, on s'arrête. Toujours strictement aucun personnage vivant. Sous des projecteurs à lumière si blanche qu'on en a froid dans le dos, nous fait face un décor de carton qui représente la façade d'une maison de campagne russe 1900, comme il y en a dans les Récits d'un chasseur. Côté cour on voit de biais le fronton, le balcon et le perron d'un petit palais rococo ; côté jardin une simple maison de brique praticable au rez-de-chaussée par une large baie vitrée derrière laquelle luisent les nickels des bouteilles sur des étagères. « Merde », dit Antoine. Il est cependant très bien élevé. [...]
Le boulevard que nous parcourons à petite allure prudente est une très large allée de parc. C'est à peine si l'on distingue à droite et à gauche le blanc des façades volets fermés et portes closes. On a l'impression que les réverbères n'ont rien à voir avec la civilisation, qu'ils sont des lumières naturelles comme celle des étoiles et des vers luisants. Ils n'éclairent pas plus d'ailleurs. Nous sommes dans une sorte d'artificiel à rebours. On a réussi (je crois bien que c'est la lumière, aussi bien l'éblouissante de tout à l'heure que la veilleuse de maintenant) à donner l'impression de carton peint avec de vrais arbres, de vrais feuillages et de vraies maisons. Tous les volumes sont aplatis. Illusion que l'absence de personnages rend parfaite. Nous ne sommes plus très sûrs d'avoir nous-mêmes une épaisseur. »


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