mardi 30 décembre 2008

Comment les figues ont fléchi le destin de Rome.

La figue, comme l’olive, est un des fruits emblématiques de la culture méditerranéenne. Dans la langue arabe, on associe souvent « tîn wa zaïtoun » (« figue et olive ») ; et il est probable que la pomme offerte par Eve à Adam (devenue une pomme par une mauvaise traduction du latin « malum » = « pomme » ou « fruit ») était en réalité une figue.
Or, parmi les anecdotes de l’histoire de Rome, on en trouve plusieurs mettant en scène des figues, qui ont joué un rôle déterminant dans le destin de Rome.

Nous sommes en 150 av. JC. Caton l’Ancien (appelé aussi « Caton le Censeur » en raison de la façon remarquable dont il a accompli sa charge de censeur trente-quatre ans plus tôt) est un brillant homme politique romain que ses 84 ans (âge extrêmement rare pour l’époque ; il mourra d’ailleurs l’année suivante) n’ont pas rendu gâteux, loin de là ! Il participe en effet activement à toutes les séances du Sénat et, cette année-là, il participe à une ambassade romaine envoyée à Carthage pour régler un différend entre cette dernière et le roi numide Massinissa. Mais arrivé sur place, il se rend vite compte qu’il y a plus grave que cette querelle à régler : Carthage est devenue une ville riche, florissante, et représente donc un danger potentiel pour Rome. Caton rentre à Rome et se présente aussitôt au Sénat, où il prononce un discours convaincant, puis, dans un geste théâtral, il déplie un pan de sa toge, d’où tombent des figues, encore toutes fraîches, qu’il offre aux sénateurs des premiers rangs. Pendant que ces derniers dégustent les fruits mûrs à point, Caton les avertit : « La terre qui a produit ces figues n’est qu’à trois journées de navigation. Que se passera-t-il si les Carthaginois décident aujourd’hui de nous attaquer ? « Delenda est Carthago » : Il faut détruire Carthage ! » Et l'année suivante, Carthage fut détruite et complètement rasée.

Nous sommes en 55 av. JC. Depuis cinq ans, César et Pompée, décidant momentanément de faire taire leur rivalité, se sont alliés en un « triumvirat » (groupe de trois hommes) avec Crassus, l’homme le plus riche de Rome. Cette année-là, ils se partagent l’empire romain et l'Orient revient à Crassus. A Brindes, port du sud de l’Italie, celui-ci s'apprête à embarquer pour rejoindre son nouveau territoire. Sous sa fenêtre passe un marchand ambulant vendant dans son panier des figues sèches de Caunus. Vantant sa marchandise, il criait dans la rue « Cauneas ! Cauneas ! ». Or Crassus entendit « Cave ne eas ! Cave ne eas ! », c’est-à-dire « Prends garde à ne pas y aller ! ». Ayant un peu hésité, il décida pourtant de passer outre et de partir quand même. Il mourra deux ans plus tard dans une bataille contre les Parthes.

Nous sommes en 14 ap. JC. Auguste, le premier empereur romain est âgé de 77 ans. Il vieillit et, après un règne remarquable et mené d’une main de maître, les soupçons s’installent dans son esprit, notamment contre sa femme Livie qui intrigue depuis des années pour que son fils d’un premier lit, Tibère, soit le successeur d’Auguste. Il ne fait plus confiance à personne et est pris d’une telle crainte de l’empoisonnement qu’il ne se nourrit que de figues qu’il cultive lui-même dans son jardin personnel et qu’il mange en les cueillant directement sur l’arbre. Or Livie, qui mijotait en effet un projet d’empoisonnement, a l’idée géniale d’injecter directement le poison dans les figues du jardin d’Auguste. Puis, telle la sorcière de Blanche-Neige, elle goûta devant lui les fruits sains et lui laissa manger ceux qui étaient empoisonnés. Ainsi mourut le premier empereur de Rome.

La première histoire est racontée par Plutarque, auteur grec, dans la Vie de Caton l’Ancien, 41. Vous pouvez en lire une traduction française ici (en descendant jusqu'au paragraphe XLI) : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/caton.htm
Et par Pline, auteur latin, dans les Histoires Naturelles, XV 20. Vous pouvez en lire une traduction française ici (en descendant jusqu'au paragraphe 20) :
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/pline_hist_nat_15/lecture/10.htm

La deuxième histoire est racontée par Cicéron, auteur latin, dans De la divination, II 40. Vous pouvez en lire une traduction française ici (en decendant jusqu'au paragraphe XL, à la fin de la page) : http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/cicero_de_diuin02/lecture/4.htm

La troisième histoire est racontée par Dion Cassius, auteur grec, dans l'Histoire Romaine , 56 (30). Vous pouvez en lire une traduction française ici (en decendant jusqu'au paragraphe 30): http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Dion/livre56.htm


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mardi 9 décembre 2008

Retour sur l’année romaine


Cet article complète l’article du 18 septembre (« Où sont passés ces quatre garnements? » : http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/09/o-sont-passs-ces-quatre-garnements.html).
Il semble que l’année romaine primitive commençait en mars et comprenait dix mois dont on ne connaît pas la longueur. Le roi Numa aurait ajouté les mois de janvier et février.
Il y avait donc deux cycles annuels qui coexistaient :
- une année commençant en janvier qui suivait le cycle solaire,
- une année commençant en mars qui suivait le cycle saisonnier.
On trouve d’ailleurs des fêtes de fin d’année aussi bien en décembre avec les Saturnales qu’en février avec les Lupercales, les deux étant des fêtes où domine l’idée de renversement de l’ordre, avec des sortes de carnavals.

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mercredi 29 octobre 2008

A quoi sert-il d'apprendre?


Des élèves en mal de réflexion philosophique demandent souvent à leur professeur à quoi sert telle ou telle matière, telle leçon ou telle activité scolaire.
Quand on leur renvoie la question, on se rend compte que « servir » renvoie pour eux à des réalités très concrètes. En gros, les mathématiques vont leur servir à calculer leur liste de courses (« et encore, il y a la calculatrice »), le français à rédiger une lettre d'embauche et l'anglais à demander leur chemin dans un pays étranger. Pour eux, ce qu'on apprend à l'école n'a d'autre but que pour leur futur métier et pour des applications concrètes. A ce titre, des matières comme l'histoire, les langues anciennes, le sport, la musique et les arts plastiques sont totalement inutiles.
Je dis « eux », mais je me souviens que moi aussi, quand j'étais à l'école primaire, que je détestais le sport et que je ne savais pas monter à la corde, je m'étais dit que ce serait pourtant utile pour m'échapper d'un immeuble en flammes!

Or ces raisonnements sont stupides ; ils peuvent prêter à sourire quand ils sont tenus par des enfants encore naïfs, mais deviennent dangereux quand ils contaminent les plus hautes sphères de l’État, ceux qui décident des programmes scolaires et du financement des filières universitaires. Aujourd'hui en effet, on voudrait réduire les connaissances du primaire et du secondaire à un « socle commun » purement utilitaire, tandis que les approfondissements culturels seraient réservés aux élites, et un candidat presque président de la République déclarait en avril 2007: « Vous avez le droit de faire de la littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a mille étudiants pour deux postes. [...] Les universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable, mais l’État doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes. »
Je tiens donc à l'affirmer ici clairement: on n'apprend pas pour des applications concrètes et utilitaires ni pour un futur métier! En tout cas pas seulement. Alors, à quoi sert-il d'apprendre, me demanderez-vous? A beaucoup de choses, bien plus importantes qu'un travail et une liste de courses.

Apprendre pour conserver et améliorer sa santé mentale
De même que si on ne fait pas de sport on augmente les risques de dégradations de sa santé physique, de même si on n'apprend pas, le cerveau perd l'habitude de ces mécanismes. On sait que l'apparition de maladies neuro-dégénératives comme la maladie d'Alzheimer est retardée chez des sujets qui avaient gardé l'habitude d'apprendre (de lire, de se cultiver) tout au long de leur vie.

Apprendre pour mieux apprendre
C'est une conséquence de la raison précédente. De même qu'un sportif bien entraîné fera de meilleures performances, de même quelqu'un qui a l'habitude d'apprendre apprendra de plus en plus facilement. Ainsi, les gens qui savent déjà quatre ou cinq langues n'ont souvent pas de difficultés à en apprendre une quantité d'autres.

Apprendre pour le plaisir d'apprendre
Le plaisir me semble une chose suffisamment capitale dans la vie d'un être humain pour qu'on ne le balaie pas d'un méprisant « Le plaisir de la connaissance est formidable, mais ». Qui n'a jamais éprouvé de plaisir à apprendre quelque chose? Et comment des adultes (parents, enseignants, hommes politiques) oseraient-ils prétendre savoir ce qui procurera ou non du plaisir aux enfants et jeunes gens dont ils ont la charge? Il faut leur offrir le plus grand choix, au risque de tarir leur précieuse gourmandise.

Apprendre pour devenir un citoyen responsable et un être humain tolérant
L'étude de la littérature, de la philosophie, de l'histoire, des langues anciennes, et d'autres matières encore, nous montrent différentes manières de penser. Cela nous apprend le relativisme des sociétés humaines et des individus, ce qui nous apprend à être tolérant. Cela nous fait aussi nous poser des questions et nous apprend donc à penser, non pas forcément comme nos parents, nos professeurs, nos dirigeants politiques, nos journaux télévisés, mais à penser par nous-mêmes.

Notons que toutes ces raisons se renforcent les unes les autres: celui qui aura une bonne santé mentale, c'est-à-dire l'esprit plus vif, sera plus intelligent donc plus facilement responsable et tolérant; celui qui apprendra plus facilement comprendra plus facilement, y compris ses semblables; celui qui éprouvera beaucoup de plaisir voudra le faire partager; celui qui saura penser par lui-même en retirera du plaisir, de même celui qui s'entendra bien avec ses semblables parce qu'il sera plus tolérant, etc.

Bon apprentissage!

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mercredi 8 octobre 2008

De Villepinte à Brescia (un souvenir littéraire)

Lundi 29 septembre, en descendant du RER à Vert-Galant pour me rendre comme tous les matins dans mon collège de Villepinte, j'ai été frappée de l'épaisseur du brouillard qui enveloppait tout, surtout que ce brouillard était inexistant aux stations précédentes. Cela m'a confirmée dans l'impression que j'ai parfois que je travaille au bout du monde. Mais au fur et à mesure que je m'aventurais dans ce nouvel environnement, j'ai eu la sensation d'entrer dans un monde magique. De très jolis lampadaires, assez bas et à la lumière blanche installés depuis peu faisaient des auréoles mystérieuses et l'absence totale de passants pendant quelques minutes ainsi que le silence inhabituel, dû au ralentissement des voitures plus prudentes et au brouillard lui-même qui étouffait les sons, accentuait cette sensation de magie. Et soudain, alors que j'étais ainsi séduite par ce paysage, j'ai eu une sensation de déjà ressenti et j'ai murmuré: « Brescia! »
De fait, ce n'était pas un souvenir personnel, mais un souvenir de lecture, une de mes pages préférées de la littérature, extraite du Voyage en Italie de Jean Giono (1954) (dont j'avais déjà cité un extrait: http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/08/cultivons-notre-jardin.html).
Je dis « une page », mais je constate en prenant le livre que c'est quatre pages. Je vais donc tâcher de ne vous donner que les passages les plus significatifs et les plus proches de mon impression de ce lundi.

« Brescia passe pour être la patrie des femmes qui ont les plus beaux yeux de l'Italie. Nous bifurquons en pleine nuit dans la route qui y mène. A la lumière des phares, qui donne tant d'intensité irréelle aux verts, elle m'apparaît bordée de peupliers et de prairies comme une de ces routes des Alpes, que j'aime. Me voilà disposé à trouver tout beau. [...]
Les rues où nous nous engageons cependant, mal éclairées par des lanternes rares, et strictement désertes (il n'est que huit heures du soir), nous promènent entre des murs nus, hauts de cinq à six mètres, semblables à des murs de casernes, de prisons ou de forteresses. Cet avant-goût militaire ne me déplaît toujours pas, au contraire. Nous circulons dans un opéra à l'acte où le tyran perpètre ses mauvais coups. [...]
Enfin on ne sait pourquoi nous piquons dans une ruelle et débouchons sur une place. Là, c'est le comble de l'irréel. Du coup, on s'arrête. Toujours strictement aucun personnage vivant. Sous des projecteurs à lumière si blanche qu'on en a froid dans le dos, nous fait face un décor de carton qui représente la façade d'une maison de campagne russe 1900, comme il y en a dans les Récits d'un chasseur. Côté cour on voit de biais le fronton, le balcon et le perron d'un petit palais rococo ; côté jardin une simple maison de brique praticable au rez-de-chaussée par une large baie vitrée derrière laquelle luisent les nickels des bouteilles sur des étagères. « Merde », dit Antoine. Il est cependant très bien élevé. [...]
Le boulevard que nous parcourons à petite allure prudente est une très large allée de parc. C'est à peine si l'on distingue à droite et à gauche le blanc des façades volets fermés et portes closes. On a l'impression que les réverbères n'ont rien à voir avec la civilisation, qu'ils sont des lumières naturelles comme celle des étoiles et des vers luisants. Ils n'éclairent pas plus d'ailleurs. Nous sommes dans une sorte d'artificiel à rebours. On a réussi (je crois bien que c'est la lumière, aussi bien l'éblouissante de tout à l'heure que la veilleuse de maintenant) à donner l'impression de carton peint avec de vrais arbres, de vrais feuillages et de vraies maisons. Tous les volumes sont aplatis. Illusion que l'absence de personnages rend parfaite. Nous ne sommes plus très sûrs d'avoir nous-mêmes une épaisseur. »


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samedi 27 septembre 2008

La clé interdite

Les Romains pensaient que lorsqu'un homme et une femme font l'amour, leurs sangs se mélangent. Ils pensaient aussi que le bébé est formé à partir du sang de sa mère. La conclusion logique de ces deux postulats est que si une femme trompe son mari, son sang deviendra impur et que l'enfant que le mari aura avec sa femme sera une sorte de bâtard puisqu'il aura en lui, en plus du sang de ses parents, celui de l'amant de sa mère. En revanche l'homme peut tromper sa femme, cela n'altèrera en rien la pureté de sa descendance. Par conséquent, dans la loi romaine, l'adultère était strictement interdit pour la femme d'un citoyen romain, mais il était accepté pour un citoyen romain, à condition naturellement que ce ne soit pas avec la femme d'un autre citoyen romain (mais avec les esclaves ou les prostituées).

Comme le vin ressemble beaucoup au sang, ils pensaient que – symboliquement – boire du vin, c'était aussi en quelque sorte faire pénétrer dans son corps un sang étranger. C'est d'ailleurs exactement ce que pensent aussi les Chrétiens avec le sang du Christ. Du coup, évidemment, pas question pour la femme romaine de boire une goutte de vin. D'où une coutume assez humiliante qui autorisaient tous les invités d'un mariage à embrasser la mariée sur la bouche pour vérifier que son haleine ne sentait pas le vin. D'où aussi l'histoire de clés qui m'intéresse aujourd'hui. Dans le couple, le citoyen romain s'occupait des affaires extérieures (politique, guerre, vie sociale) et sa femme des affaires intérieures (direction des esclaves, gestion de la maison et du budget). Par conséquent, elle était la gardienne du trousseau de clés contenant les clés de toutes les pièces de la maison. Toutes... sauf une : le cellier, où l'on entreposait les amphores de vin!

Est-ce que cela ne vous rappelle pas quelque chose? Une femme qui a le droit d'utiliser les clés de toutes les pièces de la maison, sauf une... La femme de Barbe Bleue bien sûr!
Et le parallèle ne s'arrête pas là, car que découvre cette dernière dans la pièce interdite (qu'elle a évidemment ouverte: ah! L'éternelle curiosité féminine! Encore une incarnation d'Eve-Pandore-Schtroumpfette (voir mon article du 23 août)), que découvre-t-elle, donc? Du sang! Pas du sang symbolique sous forme de vin, mais du vrai sang de femmes assassinées, du sang qui va faire une tache indélébile sur la clé, révélant à Barbe Bleue l'impureté de sa femme. En somme, l'histoire de Barbe Bleue, ce pourrait être un cauchemar qu'aurait fait une matrone romaine!

Je me demande si cette ressemblance est fortuite, mais je dirais que non, car la clé interdite à une femme par son mari et le sang (symbolique ou pas) présent dans la pièce interdite, je trouve que cela fait vraiment beaucoup de points communs...

Affaire à suivre. Dites-moi si vous avez des pistes...


Nouvelles pistes, 21 juillet 2019 :

Je suis revenue il y a un mois sur cette histoire dans cet article : https://cheminsantiques.blogspot.com/2019/06/les-pouvoirs-magiques-du-sang-menstruel_20.html
et je me dois de corriger un point de cet article de 2008.

Les Romains (comme d'ailleurs les Grecs et les gens du Moyen Âge) ne pensaient pas que les sangs des deux parents se mélangeaient, mais que le liquide séminal du père se mélangeait au sang menstruel de la mère (qui, selon certains, était une sorte de liquide séminal).

J'ai exposé depuis dans un autre article cette théorie ainsi que la théorie concurrente. En voici un extrait : "Selon la première théorie, l'homme apportait sa semence (le sperme) et la femme apportait la forme (en accueillant l'embryon dans sa matrice) ; selon la seconde, chacun apportait une semence, et c'est le mélange de ces deux semences qui donnait naissance à l'enfant. Cette semence féminine était selon les uns les menstrues, selon d'autres le liquide émis par la femme quand elle ressent du plaisir sexuel. On ignorait alors l'existence de l'ovulation, qui n'a été découverte qu'à la fin du XVIIe siècle, invalidant chacune des deux théories qui s'étaient affrontées durant des siècles !"
Si vous voulez savoir les conséquences de chacune de ces deux théories pour les femmes, vous pouvez lire la suite dans cet article (vers la fin) : http://cheminsantiques.blogspot.com/2019/03/le-corps-feminin-et-le-fromage-une.html


Autres nouvelles pistes, 12 février 2020 :

1) Non non, j'avais bien raison en 2008 et je me suis trompée en 2019. Il s'agit bien de deux sangs qui se mélangent, car de nombreux savants de l'Antiquité pensaient que le sperme était lui-même de même nature que le sang masculin, il perdait simplement sa couleur rouge. C'est d'ailleurs bien pour cela qu'on parle d'un "fils de mon sang", "bon sang ne saurait mentir", "sang noble", "pur sang", "filiation par le sang", ou encore "frères consanguins" quand ils ont le même père (tandis que les "frères utérins" ont la même mère, rappel de la théorie selon laquelle il n'existe pas de semence féminine, mais le rôle de la mère serait de "mouler", "former" les enfants dans son utérus (voyez encore mon article sur la femme fromage)).

Mais la différence est que le sang masculin est le même que celui qui circule dans les veines de l'homme et qui coule lorsqu'il se blesse ; tandis que le sang féminin est bien le sang menstruel (la partie qui n'est pas évacuée).

2) Quant à Barbe Bleue, une amie spécialiste des contes m'a posé il y a quelques jours l'énigme suivante : comment se fait-il que le sol de la pièce interdite soit recouvert de sang, alors que les femmes assassinées sont toutes pendues ? J'avoue n'avoir jamais prêté attention à ce curieux paradoxe ! Et la réponse coule de source - si je puis dire ! Il s'agit du sang menstruel qui s'est écoulé par leur sexe, comme pour les vider de ce liquide propre aux femmes, puisque c'est en tant que femmes qu'elles ont désobéi.

Mon amie ajoute en effet que la "clé d'or" que la femme de Barbe Bleue ne doit pas toucher n'est autre que le "clitoris". Je reconnais que l'hypothèse est d'autant plus séduisante qu'elle s'appuie à la fois sur un jeu de mots (non seulement en français, mais aussi en grec ancien, où les racines "kleid-" et "kleit-" sont très proches) et sur une ressemblance métaphorique (le petit objet précieux qui ouvre une porte inaccessible)

Je ne pense pas en revanche que la clé de la matrone romaine soit le clitoris, d'une part parce que le mot n'était pas le même, d'autre part parce que le problème des Romains était celui de la "pureté" de la transmission paternelle : l'adultère bouleversait la donne, mais pas le plaisir solitaire. Cependant, cette clé romaine a évidemment à voir aussi avec la sexualité.

Si je résume mes nouvelles pistes :
La matrone romaine comme la femme de Barbe Bleue ont le droit de faire beaucoup de choses, mais leur mari contrôle et interdit le point sensible de leur sexualité (l'adultère pour le mari romain, la masturbation pour Barbe Bleue). La pièce interdite de la maison est celle qui cache leur propre "secret de femme" (pour reprendre une expression en vogue au Moyen Âge pour désigner tout ce qui touche au corps féminin) : le sang menstruel. Si elle outrepasse l'interdit, cela se verra (la tache indélébile de sang sur la clé) ou se sentira (l'haleine vineuse de la matrone romaine).

Une petite recommandation pour la fin, puisque nous avons parlé du clitoris, si vous souhaitez en savoir plus sur l'histoire de cet organe, allez voir l'excellente page d'Odile Fillod : https://odilefillod.wixsite.com/clitoris/histoire.


Dernier ajout : 21 février 2020 :
 
En cherchant les sources antiques de cette histoire de vin, de clé et de matrone romaine, je suis tombée sur cet article passionnant de 2017, par Marie-Adeline Le Guennec, "Les femmes et le vin dans la Rome antique" : https://hospitam.hypotheses.org/621.

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jeudi 18 septembre 2008

Où sont passés ces quatre garnements?

Les Romains avaient coutume d'appeler certains de leurs enfants par des numéros. Certains de ces prénoms ont même perduré jusqu'à nous en français, comme Quentin (de « Quintus », « Cinquième ») ou Octave (d' « Octavus », « Huitième »). Je m'étais souvent posé la question de l'absence de certains numéros: par exemple, dans la liste canonique des onze prénoms romains (les seuls en usage du moins chez les grandes familles romaines à l'époque de la République), il n'y a que Quintus (5e), Sextus (6e) et Decimus (10e); mais d'autres numéros, comme Septimus (7e), Octavus (8e) ou Nonius (9e) apparaissent comme noms de famille ou surnoms et seront plus tard utilisés aussi comme prénoms.
Or voilà qu'il y a quelques jours, en picorant dans l'excellente Histoire universelle des chiffres de Georges Ifrah, je tombe sur une explication assez intéressante de l'absence de certains de ces numéros. Il explique que notre perception visuelle directe des nombres s'arrête à 4 (si nous voyons de I à IIII bâtons, nous n'avons pas besoin de compter pour savoir combien il y en a ; à partir de IIIII, si). Pour illustrer cette loi psychologique, il propose de nombreux exemples puisés dans toutes les civilisations montrant un traitement différent entre les quatre premiers chiffres et les suivants. A propos des Romains, il donne deux exemples de séries où ceux-ci nomment jusqu'à 4 et numérotent à partir de 5: les mois et les prénoms.

Arrêtons-nous d'abord un instant sur les mois. Les quatre premiers sont Martius (de Mars), Aprilis (d'Apru, divinité étrusque équivalente à Aphrodite/Vénus), Maius (de Maia, divinité de la croissance) et Junius (de Junon). Les suivants sont en effet numérotés de 5 à 10: Quintilis, Sextilis, September, October, November, December (avant que les 5e et 6e ne prennent les noms de Julius (Jules (César)) et Augustus (Auguste), les premiers Romains à être divinisés après leur mort).
On pourrait objecter à Georges Ifrah que les deux derniers mois sont à nouveau nommés et non numérotés 11 et 12. Je pense que l'explication est à trouver dans le fait que l'année romaine primitive comportait dix (et non douze) mois lunaires: les noms des dix premiers mois doivent donc dater de cette époque très ancienne. Le nom du mois suivant, Januarius (de Janus, dieu à double visage, dieu de la frontière, du seuil) laisserait à penser que l'année romaine commençait bien en Janvier, comme nous, et non en Mars (comme le suggèrent les mois numérotés). En réalité, renseignements pris dans les pages du Citoyen romain sous la République de Florence Dupont, il y avait plusieurs débuts d'année dans le calendrier romain, selon que c'était le début de la saison guerrière (en Mars), de la saison agricole (en Mars ou Avril), de l'entrée en charge des hommes politiques (variable) ou encore de multiples fêtes religieuses. Februarius est le mois des purifications.

Revenons aux prénoms. Georges Ifrah dit que les Romains nommaient leurs quatre premiers enfants, puis numérotaient les suivants. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui. Primus et Secundus existaient comme surnoms. Tertius et Quartus sont attestés dans des inscriptions (ex: inscription de Pompéi n°C.I.L. IV, 1881: « Virgula Tertio suo: indecens es. » : « Virgule à son Tertius: tu es indécent! » ; la petite Virgule semble toutefois avoir été bien émoustillée par l'indécence de celui qu'elle a appelé « son » Tertius et qu'elle a éprouvé le besoin de rappeler sur un mur!).
Toutefois il est vrai que l'emploi de ces noms est plus rare et plus tardif. Je pense donc que son explication est valable. Reste à expliquer pourquoi dans la liste canonique des onze prénoms, 7e, 8e et 9e sont aussi absents.
Voici une hypothèse personnelle qui vaut ce qu'elle vaut: il était assez rare d'avoir plus de six garçons (j'ai oublié de vous dire que seuls les garçons ont droit à un prénom ; les filles doivent se contenter du nom de famille de leur père féminisé en -a (en principe, du moins)), d'où la rareté de Septimus, Octavus et Nonius, et leur absence comme prénom courant,. Quant à Decimus, peut-être est-il resté malgré tout en raison de la symbolique de ce numéro (les Romains utilisaient comme nous le système décimal) et peut-être les Romains donnaient-ils ce prénom à un garçon qui n'était pas forcément le dixième, mais parce que ça faisait bien ou que c'était une manière de dire qu'il y avait beaucoup d'enfants (comme quand on dit « Ce livre a cent pages », alors qu'il en a quatre-vingt-sept). Ce serait alors l'équivalent de Numerius, autre prénom latin qu'il faudrait traduire par le néologisme « nombreuxième » (ou plus simplement « enième »)!

Sur mon site:
Un document pédagogique sur la date en latin:
Une liste des prénoms, noms de famille et surnoms romains:



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samedi 23 août 2008

Le péché de la Schtroumpfette

(article modifié le 28 janvier 2009)

Il est tentant – et je ne suis certainement pas la seule à le faire – de comparer Eve, Pandore et la Schtroumpfette, qui ont en commun d'être la première femme, d'avoir été créées par un être aux pouvoirs supérieurs (Dieu (ou le Diable), Zeus, Gargamel) et d'avoir apporté la discorde et la déchéance à l'homme ou à une communauté d'hommes, en commettant et en faisant commettre à un homme une faute irréparable (mordre au fruit de l'arbre de la connaissance, ouvrir la boîte renfermant les maux de l'humanité, causer la rupture du barrage sur la rivière schtroumpf (toutes les interprétations métaphoriques sont envisageables!))

Ce qui m'intéresse ici, c'est d'observer à la lumière de cette comparaison une différence entre la version album de La Schtroumpfette et la version dessin animé (du moins ce qui me semble être le reflet du dessin animé, trouvé dans un « cahier de vacances schtroumpf »).
Dans l'album, c'est la schtroumpfette blonde et jolie, créée par le grand schtroumpf, qui commet la faute et elle la commet en toute innocence, guidée seulement par la curiosité et poussant un schtroumpf à faire lui-même le geste fatal, à force de séduction et d'entêtement (exactement comme Eve poussant Adam à goûter la pomme, ou Pandore poussant Epiméthée à ouvrir la boîte).
Dans le dessin animé au contraire, c'est la schtroumpfette brune, créée par Gargamel qui commet cette faute en toute connaissance de cause, pour obéir aux ordres de Gargamel et pour nuire volontairement aux schtroumpfs.
Au passage, on pourrait se questionner sur ce qu'a vraiment de magique l'opération du grand schtroumpf, car pour rendre la schtroumpfette jolie et sympathique, il n'a fallu qu'un peu de maquillage, un bon coup de peigne, des chaussures à talon et une robe en dentelle: la magie n'a rien à voir là-dedans! Reste la couleur des cheveux: nous voilà alors dans le stéréotype le plus grossier, qui assimile la blondeur à la beauté...

Mais surtout ces deux versions sont à rapprocher des deux interprétations concernant Eve dans la tradition chrétienne. Elle aussi est présentée parfois comme agissant innocemment, juste sous l'effet de la curiosité, de la légèreté, de l'entêtement, et d'autres fois créature du Diable, rusée comme un serpent et agissant sciemment exprès pour nuire à ce pauvre Adam.
Et là, je me demande quelle version est la plus misogyne. A première vue, celle qui accuse franchement la femme comme une créature malfaisante ayant la volonté de nuire ; mais est-ce si sûr?
Il se trouve justement que cette interprétation n'existe pas dans l'histoire de Pandore, qui agit toujours innocemment, juste sous l'effet de la curiosité, de la légèreté, de l'entêtement. Certes, Zeus est derrière tout cela, et Pandore est sa créature pour punir les hommes et se venger de Prométhée (comme la schtroumpfette est la créature de Gargamel pour se venger des schtroumpfs) mais ce n'est pas lui qui la pousse à ouvrir la boîte: il lui insuffle juste le caractère qui la poussera à commettre cet acte. Et pourtant, malgré cette innocence, cette histoire n'excuse pas la femme et ne paraît pas très édulcorée en matière de misogynie.
N'oublions pas non plus, pour revenir aux schtroumpfs, qu'en général la version des dessins animés (made in USA) est plus politiquement correcte que celle des albums (pensons par exemple aux schtroumpfs noirs devenus violets, pour éviter toute comparaison possible avec les humains à peau noire). La schtroumpfette volontairement nuisible serait donc plus politiquement correcte que celle qui fait le mal en toute innocence?
Eh bien oui! Cette version, qui semble en apparence excuser Eve, Pandore ou la Schtroumpfette, est bien – très sournoisement – la plus misogyne. Réfléchissez: si c'est en toute innocence que la femme commet des fautes, c'est donc qu'il ne servira à rien de la punir, de la menacer: il vaut donc mieux, pour préserver la paix et le bonheur, l'écarter soigneusement de toutes les fonctions importantes de la société! Et c'est en effet ce que l'Humanité et la Schtroumpfité s'acharnent à faire depuis des millénaires. Le résultat est-il si satisfaisant?

Pour aller plus loin:
- Le récit de la Bible concernant Eve (très objectif: les interprétations viendront plus tard dans la Chrétienté):
- Le récit d'Hésiode concernant Pandore:
- Pour la Schtroumpfette, vous pouvez vous reporter à l'album La Schtroumpfette de Peyo
- Pour en savoir plus sur les schtroumpfs et si vous ne le connaissez pas déjà, le site de notre ami Gilles Furelaud, « Pourquoi les schtroumpfs sont-ils bleus? »:
http://furelaud.free.fr/

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dimanche 13 juillet 2008

Le casque et l'escargot

En relisant Hérodote l'autre jour dans la douce lumière matinale d'une voie ferrée séquanosanctidionysienne (eh oui, c'est un si joli adjectif gréco-latin qui qualifie le « neuf trois »!), j'ai soudain levé le nez de mon livre, prenant conscience du rapprochement que je n'avais jamais fait entre deux anecdotes que j'aime beaucoup.
Ces deux anecdotes ne sont pas gaies puisqu'elles ont trait à la prise d'une ville assiégée. L'histoire universelle regorge d'anecdotes nous racontant comment une ville assiégée a été prise par le seul côté non surveillé, dont les habitants pensaient qu'il était inaccessible. Ma chère Sémiramis elle-même aurait d'ailleurs ainsi gagné sa notoriété, si l'on en croit les légendes (lors de la prise de Bactres, cf. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, II 7).
Mais les deux anecdotes qui ont retenu mon esprit ont ceci de savoureux que l'idée d'attaquer du côté présumé inaccessible est venu d'un pur hasard, déclenché par un infime détail, un casque dans un cas, un escargot dans l'autre!

1) Le casque: la prise de Sardes en Lydie par les Perses en 546 av. JC, racontée par Hérodote:
« Voici la manière dont la ville de Sardes fut prise. Le quatorzième jour du siège, Cyrus fit publier, par des cavaliers envoyés par tout le camp, qu'il donnerait une récompense à celui qui monterait le premier sur la muraille. Animée par ces promesses, l'armée fit des tentatives, mais sans succès : on cessa les attaques ; le seul Hyroiadès, Marde de nation, entreprit de monter à un certain endroit de la citadelle où il n'y avait point de sentinelles. On ne craignait pas que la ville fût jamais prise de ce côté. Escarpée, inexpugnable, cette partie de la citadelle était la seule par où Mélès, autrefois roi de Sardes, n'avait point fait porter le lion qu'il avait eu d'une concubine. Les devins de Telmisse lui avaient prédit que Sardes serait imprenable, si l'on portait le lion autour des murailles. Sur cette prédiction, Mélès l'avait l'ait porter partout où l'on pouvait attaquer et forcer la citadelle. Mais il avait négligé le côté qui regarde le mont Tmolus, comme imprenable et inaccessible. Or Hyroiadès avait aperçu la veille un Lydien descendre de la citadelle par cet endroit, pour ramasser son casque qui avait roulé du haut en bas, et l'avait vu remonter ensuite par le même chemin. Cette observation le frappa, et lui fit faire des réflexions. Il y monta lui-même, et d'autres Perses après lui, qui furent suivis d'une grande multitude. Ainsi fut prise Sardes, et la ville entière livrée au pillage. » (Hérodote, L'Enquête, I 84)

2) L'escargot: la prise du fort de Jugurtha en Numidie par les Romains en 106 av. JC, racontée par Salluste:
« Marius perdit là bien des journées et se donna en vain beaucoup de mal. Il se demandait avec anxiété s'il renoncerait à une entreprise qui s'avérait inutile, ou s'il devait compter sur la fortune, qui souvent l'avait favorisé. Il avait passé bien des jours et des nuits dans cette cruelle incertitude, quand par hasard, un Ligure, simple soldat des cohortes auxiliaires, sortit du camp pour aller chercher de l'eau sur le côté du fort opposé à celui où l'on se battait. Tout d'un coup, entre les rochers, il voit des escargots, un d'abord, puis un second, puis d'autres encore ; il les ramasse, et dans son ardeur, arrive petit à petit près du sommet. Il observe qu'il n'y a personne, et, obéissant à une habitude de l'esprit humain, il veut réaliser un tour de force. Un chêne très élevé avait poussé entre les rochers ; d'abord légèrement incliné, il s'était redressé et avait grandi en hauteur, comme font naturellement toutes les plantes. Le Ligure s'appuie tantôt sur les branches, tantôt sur les parties saillantes du rocher ; il arrive sur la plate-forme et voit tous les Numides attentifs au combat. Il examine tout, soigneusement, dans l'espoir d'en profiter bientôt, et reprend la même route, non au hasard, comme dans la montée, mais en sondant et en observant tout autour de lui. Puis sans retard, il va trouver Marius, lui raconte ce qu'il a fait, le presse de tenter l'ascension du fort du même côté que lui, s'offre à conduire la marche et à s'exposer le premier au danger. » (Salluste, La Guerre de Jugurtha, 93)

Les traductions sont publiées par Philippe Remacle: http://remacle.org/


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mercredi 11 juin 2008

Qui sont les Romains?

De même que l'adjectif « chaldéen » traité dans les précédents articles, l'adjectif « romain » a lui aussi de multiples sens: il peut qualifier
  • un habitant de la ville de Rome quelle que soit l'époque, de sa fondation mythique en 753 av. JC à aujourd'hui
  • la civilisation de l'Empire romain dans l'Antiquité (couvrant tout le pourtour du bassin méditerranéen et une grande partie de l'Europe)
  • les rites de l'église catholique
  • voire le peuple byzantin (que les Arabes appellent « Roumi »)
  • sans parler des « Roumains » ni des « Roms »
  • et je pourrais ajouter encore le « Roman », style architectural du Moyen Age, mais aussi langue, puis genre littéraire écrit en cette langue, avant de devenir le genre littéraire vedette de la littérature, quelle que soit sa langue d'écriture, et de donner au passage encore l'adjectif « romantique » (qui n'a aujourd'hui pas plus de rapport avec le roman que ce dernier n'en a avec Rome!)
  • enfin, le prénom « Romain » ne prête a priori pas à confusion... sauf pour certains: ma fille (qui sait sans trop comprendre de quoi il s'agit que je m'intéresse aux Romains), rentrant à l'école maternelle en septembre dernier, m'a annoncé comme un événement qu'il y avait « un Romain dans [sa] classe »!

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mercredi 28 mai 2008

Des Chaldéens célèbres


Je voudrais rebondir sur le dernier article pour vous livrer une galerie de portraits de Chaldéens célèbres, légendaires et réels, correspondant aux différents sens du terme évoqués dans le dit article.

Comme « Chaldéen » de Chaldée, dans la Bible, on pense naturellement à Abraham « natif d'Our en Chaldée ».
Notons toutefois que d'après une étude de Paul Perdrizet déjà citée dans ce blog (http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/04/il-tait-une-fois-trois-rois-mages-guids.html), cette appellation serait née d'une erreur de traduction de la Bible : d’après le texte original en hébreu, il ne s’agirait pas d’ « Our en Chaldée » mais d’ « Our des Kasdim », localité connue par ailleurs et située beaucoup plus au nord, en Haute Mésopotamie. La version des Septante (première traduction en grec de la Bible) traduit correctement, mais ses successeurs, remplaceront « Our des Kasdim » par une autre ville d’Our, celle de Chaldée.

Comme « Chaldéen » de Chaldée, dans la mythologie grecque, Céphée, le père d'Andromède (roi d'Ethiopie ou de Palestine selon la plupart des versions) serait roi des Chaldéens selon Hellanicos.

Comme « Chaldéen » de Chaldée, dans la réalité historique, Merodak Baladan (de son vrai nom Marduk Apla Iddina) a pris en 703 av. JC le pouvoir à Babylone, se rebellant contre l'impérialisme assyrien (du nord de la Mésopotamie) représenté par le roi assyrien Sennacherib.

Comme « Chaldéen » de la dynastie chaldéenne de Babylone, le plus célèbre est Nabuchodonosor II (604-562 av. JC), qui anéantit Jérusalem et condamna tout son peuple à l'exil en Babylonie, mais aussi qui redonna toute sa splendeur à Babylone, restaurant sa ziggourat (la fameuse « tour de Babel »), créant un jardin sur terrasse pour sa femme d'origine mède (les fameux « Jardins Suspendus de Babylone ») et décorant de briques émaillées les solides remparts (la fameuse « porte d'Ishtar »).

Comme « Chaldéen » prêtre de Bêl-Mardouk et astrologue-astronome, il y a bien sûr mon cher Bérose, et je vous renvoie à l'article que je lui ai consacré: http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/11/brose-et-callisthne-des-passeurs-de.html

Comme « Chaldéens » astrologues-astronomes grecs, on cite les noms d'Artémidore de Parium, Apollonios de Myndos, Epigène de Byzance (évoqués par Pline l'Ancien, Sénèque, et d'autres auteurs grecs ou latins).

Comme « Chaldéen » charlatan, le plus drôle est celui qui, dans L'Amateur de mensonges de Lucien (IIe s. ap. JC), guérit un homme d'une morsure de vipère à l'aide d'une formule magique et du fragment de pierre tombale d’une vierge attaché au pied de la victime. Ayant ensuite décidé d’en finir avec tous les serpents du pays, il les réduit en cendres, non sans avoir été retardé par un vieux python qui s'était excusé en raison de son grand âge.

Comme « Chaldéen » chrétien d'Irak, on peut citer le nom du patriarche Jean Simon Soulaka, qui a été le premier patriarche a être officiellement reconnu par l'Eglise romaine en 1551.


Comme vous pouvez le constater, c'est une belle brochette d'hommes qui n'ont aucun rapport les uns avec les autres, si ce n'est qu'ils ont pu être qualifiés de "Chaldéens"!

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jeudi 22 mai 2008

Qui sont les Chaldéens?


Vous m'avez souvent entendue parler des « Chaldéens » dans ce blog:

Or l'adjectif « chaldéen » a de multiples sens: selon les époques et le contexte, il a pu désigner différents groupes ethniques, sociaux ou religieux.
Les textes sumériens retrouvés sur les tablettes en cunéiforme sont les premiers à mentionner les « Kaldu », terme que les Grecs transcriront en « Khaldaïoï », que nous traduisons « Chaldéens »

Un peuple du sud de la Mésopotamie
Les « Chaldéens » sont d'abord un peuple habitant – on s'en doute – la « Chaldée », région du sud de la Mésopotamie (Irak actuel) où se trouvent les Marais (vaste étendue de marais et de roselières au confluent du Tigre et de l'Euphrate).

Une dynastie babylonienne
C'est de ce peuple qu'est originaire Nabopolassar, qui a fondé en 626 av. JC la dynastie « chaldéenne » de Babylone (qui n'est pas une ville de Chaldée, mais est juste au nord de cette région), dynastie qui n'a régné qu'un siècle, de 626 à 539 av. JC, mais dont l'éclat, transmis par la Bible et par les auteurs grecs, a fait la gloire de Babylone.


Des prêtres babyloniens
Après l'extinction de cette dynastie (et la conquête de Babylone par les Perses), l'ancienne aristocratie politique s'étant sans doute muée en élite intellectuelle, les « Chaldéens » sont les savants et les lettrés de Babylone, et notamment les prêtres de Bêl-Mardouk, le dieu tutélaire de cette ville.

Des astronomes-astrologues babyloniens
Ces prêtres étant particulièrement versés dans l'astronomie-astrologie, ce sont tous ceux qui pratiquaient cette science en Mésopotamie que l'on a appelés ainsi.

Des astronomes-astrologues grecs
Pendant le règne des Séleucides, c'est-à-dire des successeurs d'Alexandre le Grand (entre 330 et 130 av. JC), de nombreux Grecs ont suivi l'enseignement de ces Chaldéens dans des écoles d'astronomie-astrologie à Babylone ou à Borsippa. Eux-mêmes, de retour en Grèce, ont fondé des écoles et se sont fait appeler aussi « Chaldéens ».

Des charlatans de toutes origines
A la même époque, des charlatans (devins, tireurs d'horoscopes, exorcistes et autres magiciens), soit effectivement originaires de Babylonie, soit grecs ou romains ou de quelque autre contrée du Bassin Méditerranéen, pressentant le profit juteux que pouvait leur rapporter une prétendue origine prestigieuse, se sont fait appeler « Chaldéens », ou même « Babyloniens » ou « Assyriens », ou encore « Mages » (ces derniers étaient en réalité des prêtres perses de la religion mazdéenne (cette confusion est d'ailleurs à l'origine de notre mot « magie » ainsi que de la légende biblique des mages guidés par une étoile à la naissance de Jésus: cf. mon article du 20 avril 2007, http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/04/il-tait-une-fois-trois-rois-mages-guids.html.))

Des Chrétiens d'Irak
Enfin, lorsque le Christianisme s'est répandu en Orient, les différentes communautés chrétiennes ont repris les noms des régions de l'antique Mésopotamie: « Assyriens », « Chaldéens »... C'est le seul sens qui soit encore en vigueur aujourd'hui pour des personnes vivantes. Si vous entendez donc parler un « Chaldéen » à la radio ou à la télévision, il ne s'agira pas d'un homme de l'Antiquité, mais tout simplement d'un Chrétien d'Irak.


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jeudi 8 mai 2008

Le pétrole dans l'Antiquité (suite)


Vous vous souvenez de mon article sur le pétrole et les Grecs il y a trois mois (http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/02/les-grecs-et-le-ptrole.html). Je vous y disais notamment qu'Hérodote (dont l’œuvre fut publiée vers le milieu du Ve s. av. JC) est le premier auteur de l'histoire à nous parler du pétrole. Je viens de découvrir que ce n'est pas tout à fait exact.
En effet, dans l'exposition du Louvre « Babylone » dont je vous ai parlé la dernière fois figure une tablette du XVIIIe s. av. JC, qui est une lettre adressée au roi de Mari (au nord de la Mésopotamie, en actuelle Syrie) Zimrî-Lîm par son ambassadeur ; celui-ci y rend compte de sa mission auprès du roi de Babylone Hammurabi (celui du fameux code de lois). Ces deux rois se disputaient la possession de la ville de Hît, célèbre pour sa source de bitume (le nom même de cette ville, « Id » en akkadien, a donné le mot akkadien « iddu » qui signifie « bitume » ; cf. http://www.saudiaramcoworld.com/issue/198406/bitumen.-.a.history.htm).

Voici la fin cette lettre, relatant la réponse d'Hammurabi à Zimrî-Lîm :
« La force de votre pays, ce sont les ânes et les chariots, mais la force de notre pays, ce sont les bateaux. C'est justement pour le bitume et le naphte que je désire vraiment cette ville; pour quelle autre raison ai-je désiré cette ville? En échange de Hît, j'accepterai tout ce que Zimrî-Lîm m'écrira. »

Quelques précisions s'imposent.
D'abord, qu'est-ce que cette allusion aux bateaux? En Mésopotamie, le bois était rare ; aussi les bateaux étaient (et sont encore) fabriqués à l'aide de roseaux tressés que l'on calfatait ensuite de bitume.
Le bitume lui-même, c'est-à-dire la forme solide du pétrole, était très couramment utilisé en Mésopotamie, et la lettre d'Hammurabi n'est pas le seul texte à le mentionner. Zayn Bilkadi, l'auteur de l'article en anglais (publié en 1984) dont j'ai mis le site en lien ci-dessus, cite également un passage des annales du roi Tukulti Ninurta II (890-884 av. JC), qui dit: « Devant Hît, près des sources de bitume, à l'endroit des pierres Usmeta, là où les dieux parlent, j'ai passé la nuit. » L'auteur de l'article explique que ces pierres Usmeta étaient des dépôts de gypse imprégnés de bitume et de soufre, ce qui provoquaient des explosions de gaz, dont le bruit mystérieux semblait être la voix des dieux.
Ce qui est exceptionnel, donc, dans la lettre d'Hammurabi, c'est le fait qu'il fasse aussi allusion au naphte, la forme liquide, c'est-à-dire le pétrole proprement dit. Et l'on se prend à penser que c'est un bien lourd symbole que le plus ancien texte de l'histoire à mentionner le pétrole le fasse à l'occasion d'une guerre pour la possession de sa source... Déjà!
Mais j'interromps votre rêverie, car, à moins de faire de la science-fiction historique, il est clair que les propriétés du pétrole connues aujourd'hui étaient inconnues dans l'Antiquité; et au temps d'Hammurabi, même sa propriété inflammable ne semble pas avoir été connue (elle le sera par les Perses contemporains d'Alexandre: voir mon article de février dernier). Je pense donc que quand Hammurabi dit « le bitume et le naphte », il faut y voir une simple figure de style d'insistance, mais que c'est essentiellement du bitume qu'il veut parler.

Je terminerai par une dernière chose. En me promenant dans les sentiers fleuris d'internet pour chercher des précisions à ce sujet, je suis tombée sur le résumé d'un article (W. Heimpel, « The River Ordeal in Hît », 1996) qui suggère que l'ordalie fluviale de Hît n'aurait pas eu lieu dans l'Euphrate, mais dans l'une des sources de bitume de la région, où l'accusé aurait eu à combattre les fumées toxiques et les températures élevées. Je pense pour ma part au terrible texte de Diodore que je vous citais dans mon article de février, dans lequel un malheureux se noyait dans un lac d'asphalte paralysant avant d'être rejeté, mort, à la surface: voilà qui ferait aussi un cadre idéal pour une ordalie.

Ce que je trouve saisissant, dans ce que je viens d'apprendre et que je vous livre, c'est le lien du pétrole avec le sacré (des oracles tirés des explosions de gaz aux ordalies dans ses sources)...

Dernière minute
Je ne résiste pas à un dernier ajout car je viens de découvrir un texte de Dion Cassius (dans une biographie de Trajan, empereur romain du IIe s. ap. JC qui fit entrer pour quelques années la Mésopotamie dans l'empire romain) sur les fameuses sources de bitume: il dit que leurs vapeurs toxiques sont « mortelles à tout être animé, excepté pour les hommes à qui on a coupé les parties. C'est un fait dont je ne puis pénétrer la cause ; mais enfin je dis ce que j'ai vu comme je l'ai vu, ce que j'ai entendu comme je l'ai entendu. »
On aura tout vu et tout entendu!!!


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mardi 22 avril 2008

L'exposition Babylone

J'ai encore les yeux qui brillent des cinq heures passées hier dans l'exposition "Babylone" présentée au Musée du Louvre.

Petit catalogue personnel de choses curieuses que vous pourrez y découvrir:
  • des représentations de ziggourats (c'est-à-dire des tours semblables à celle de Babylone, que nous appelons Tour de Babel) contemporaines, sur des tablettes d'argile
  • la description de la ziggourat de Babylone dans des textes contemporains babyloniens à portée politique (discours de Nabuchodonosor pour célébrer la restauration qu'il en a faite) ou mathématico-religieuse (tablette de l'Esagil), par un Grec (Hérodote), et enfin dans la version fantasmée de la Bible
  • des maquettes de foies de mouton divinatoires, mais aussi, plus rares, d'intestins divinatoires
  • de nombreux symboles qui ont donné nos signes du zodiaque (scorpion, taureau, lion, centaure tirant à l'arc (sagittaire), poisson-chèvre (capricorne)), et même ceux auxquels nous avons échappé comme un homme-scorpion
  • les premiers horoscopes du monde
  • un texte d'écolier (sur la topographie de Babylone) bilingue (alphabet grec et écriture cunéiforme)
  • un mystérieux "jeu" en cristal de roche, en forme de petite stèle, avec plein de petits trous
  • un texte araméen sur un papyrus original du IVe s. ap. JC racontant l'histoire de "Sarbanapal", qui pourrait bien être la trace du chaînon manquant entre l'historique Assurbanipal et le Sardanapale des légendes grecques
  • des exemplaires du Talmud de Babylone
  • une inscription latine sur un chapiteau de Moissac faisant allusion à l'épisode biblique de Nabuchodonosor, où le graveur, calligraphe facétieux, s'est amusé à mêler les lettres de façon très inattendue
  • un ouvrage médiéval russe rapportant une légende selon laquelle le premier souverain chrétien russe aurait reçu en cadeau (d'un roi grec) la couronne et d'autres trésors de Nabuchodonosor, en provenance directe de Babylone (et il y a en plus une histoire de dragon...)
  • des ouvrages médiévaux français, arabes, persans, turcs, parlant de "Babilone", de Sémiramis ou de Nabuchodonosor ("Bukht al Nasr", "Le bonheur de la victoire")
  • un texte du jésuite Athanasius Kircher (1679) expliquant scientifiquement pourquoi la tour de Babel ne pouvait pas atteindre le ciel, avec à l'appui une gravure sidérante représentant la tour plantée telle une dent de narval sur la sphère terrestre (qu'elle aurait, nous dit Kircher, déséquilibrée par son poids!)
  • un dessin à influence maçonnique d'Etienne-Louis Boullée (vers 1790) représentant une frise spiralée de silhouettes humaines se tenant par la main, le long d'un cône parfait dont on ne voit pas le sommet, tour de Babel idéale
  • un magnifique tableau de William Blake (1795) représentant l'épisode biblique dans lequel Nabuchodonosor se transforme en bête
  • le témoignage du premier "archéologue", Pietro della Valle qui, en voyage sur le site historique de Babylone en 1616 en a rapporté en Italie "quelques morceaux de ces briques crues et cuites, aussi bien que du bitume, et de ces roseaux qu'ils mettent entre deux"
  • et la conclusion de l'exposition, les derniers mots d'une pièce de théâtre intitulée "Babylone" d'un certain Sâr ou Joseph Péladan: "Par la vertu du temps, l’œuvre des Kaldéens vivra et la pensée de Babilou toujours planera sur le monde"

Pour compléter mes coups de cœur personnels par une vision plus académique de l'exposition, allez voir le site très bien fait et très riche qui lui est consacré:
http://mini-site.louvre.fr/babylone/FR/index.html

Et n'oubliez pas: l'exposition se termine le 2 juin. Alors, ce serait vraiment dommage de la rater!

Bonne visite!

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mercredi 16 avril 2008

Le mystère des tapis volants

Ceux qui me lisent depuis le début se souviennent sans doute de mes articles enthousiastes à la relecture des Mille et une nuits (cf. http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/03/les-mille-et-une-nuits-nouvelle.html et http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/06/les-mille-et-une-nuits-suite.html). Ma mère, qui les avait relues en même temps que moi dans la même édition, m'a demandé à la fin :
  • As-tu trouvé un seul tapis volant?
  • Tiens, non!
Cette question avait bien de quoi piquer la curiosité de quelqu'un qui, comme moi, s'intéresse aux stéréotypes et au préjugés des sociétés, en particulier à ceux que l'Occident a sur l'Orient. Mais je n'ai pas trouvé la réponse.

Jusqu'à ce que, il y a quelques mois, je découvre l'existence d'un site internet fabuleux que je vous recommande vivement, "le guichet du savoir":
http://www.guichetdusavoir.org/
Les bibliothécaires de la bibliothèque municipale de Lyon, auteurs de ce site, répondent en moins de trois jours à n'importe quelle question!

Je leur ai donc soumis le problème et la réponse est ici:
De cette réponse, il ressort que les tapis volants figurent bien dans certains contes des Mille et une nuits, mais il ne s'agit pas des versions « classiques » privilégiées en général par les éditeurs. Il ressort aussi qu'un tapis volant figure notamment dans une version du conte d'Aladin et que ce conte est un de ceux qui a eu le plus de succès en Occident.
Voilà donc des pistes; mais tout cela ne nous dit pas vraiment quand et comment le tapis volant est devenu pour les Occidentaux l'emblème par excellence des Mille et une nuits. Je soupçonnerais volontiers les orientalistes du XIXe s. d'avoir joué un rôle là-dedans, mais le mystère reste entier.


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Suite à cet article de blog, j'avais écrit en 2019 un article dans le magazine Mythologie(s).

Je m'étais livrée à une enquête longue et poussée, et je pense pouvoir dire que j'ai probablement résolu l'énigme !

Vous pouvez accéder à la version auteur de cet article en le téléchargeant depuis cette page :


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mercredi 9 avril 2008

La Mésopotamie à Nantes

Comme chaque année, j'ai assisté au Festival européen de Latin et de Grec, cette année consacré au thème de l'exploration du monde (tourisme, guerre et science):
http://www.festival-latin-grec.eu/

Cette année, pour la première fois, j'y ai aussi participé et, une fois n'est pas coutume, mon article sera très court puisque je vous offre le lien vers la version longue de la conférence que j'y ai prononcée. Le titre de cette conférence n'étonnera pas mes fidèles lecteurs:
"La Mésopotamie vue par les Grecs et les Romains : entre fantasme et réalité"
http://pagesperso-orange.fr/patrick.nadia/MesopotamieGrecs.html

Bonne lecture!

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vendredi 29 février 2008

Cicéron


Aujourd'hui, une fois n'est pas coutume, je ne vous parlerai pas d'un sujet ou d'un personnage méconnu, mais au contraire de l'un des hommes les plus célèbres de l'Antiquité romaine, Marcus Tullius Cicero, que nous nommons Cicéron.
J'ai été assez peinée de la façon dont il est représenté dans la série Rome de Bruno Heller. Je ne vous ai pas parlé de cette série, ayant été encore une fois devancée par Patrick (http://journaldebord-pat.blogspot.com/2007/04/un-chemin-vers-rome.html). En quelques mots, je la juge excellente, à la fois du point de vue du professeur de lettres classiques et du point de vue de l'amatrice de bons films. Il y a très peu d'erreurs et d'anachronismes et ils ne sont pas dérangeants. Je dois dire aussi, que si j'ai commencé à regarder cette série par intérêt pédagogique, j'ai fini par le faire par pur plaisir!
En ce qui concerne les personnages, pour certains, comme César, Brutus, Octave ou Marc-Antoine, le physique de l'acteur et son rôle collent si bien à l'idée que je m'en faisais que je me retrouve maintenant à voir le visage de ces acteurs quand je lis des textes latins!
Or, ce n'est pas le cas de Cicéron: ce personnage veule, lâche, opportuniste, vaniteux, dont on ne consent à montrer le courage que dans ses dernières minutes de vie, incarné par un acteur aux traits mous et fuyants, ce n'est pas ainsi que je vois Cicéron!
Que sait-on de Cicéron d'après les textes qu'il a écrits et ceux que ses contemporains ont écrit sur lui? Énormément de choses... desquelles il ressort, je dois l'avouer, que Cicéron était effectivement un homme veule, lâche, opportuniste et vaniteux! Ah? Oui, mais qu'il était aussi un homme noble, courageux, honnête et altruiste! Paradoxe étrange, me direz-vous, mais bien humain, finalement...

Petit catalogue de ce j'aime chez Cicéron:
  • son visage sur les sculptures (voir plus haut)
  • cette anecdote concernant son enfance : il était tellement brillant à l'école que les parents des autres élèves venaient eux-mêmes chercher leurs enfants à l'école (au lieu d'y envoyer l'esclave « pédagogue ») rien que pour voir le petit prodige!
  • La tendresse émouvante qu'il exprime envers ses enfants dans ses lettres d'exil et son chagrin inconsolable à la mort de sa fille (morte en couches très jeune)
  • la magnificence de ses discours, surtout ceux contre Verrès, contre Catilina et contre Marc-Antoine
  • la rage enflammée de ses discours contre Marc-Antoine (les Philippiques), culminant à cette insulte inouïe dans un discours politique : « Edormi crapulam! » (« Va cuver ton vin! »)
  • sa mort où l'on retrouve les deux faces du personnage : d'abord une fuite lâche (enfin, « lâche »: qu'aurions-nous fait à sa place?) devant les sbires de Marc-Antoine, puis, lorsqu'il a compris qu'il n'y avait plus d'issue, il a courageusement présenté sa tête:
    « Il se pencha hors de la litière en tendant son cou sans bouger, et il fut décapité » (Lhomond, Les grands hommes de Rome, XVIIe s.)

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mardi 12 février 2008

Les Grecs et le pétrole


Le mot « pétrole » vient du grec et signifie « huile de pierre ». Pourtant ce n'est pas ainsi que les Grecs anciens désignaient cette matière mystérieuse.

Ils l'ont découverte lors de leurs voyages en Mésopotamie, d'abord sous sa forme solide, qui était la plus courante et que nous appelons comme eux « asphalte » ou comme les Romains « bitume ». Ces mots nous font penser au revêtement des routes, mais les peuples de Mésopotamie n'en étaient pas là! Ils en faisaient cependant un usage plus varié que nous l'imaginerions. L'asphalte leur servait en effet à la fois de combustible (la lampe à pétrole ne date donc pas d'hier!), de colle, de ciment et d'imperméabilisant.
Les auteurs grecs qui témoignent directement ou indirectement de voyages en Mésopotamie expliquent en effet que les bateaux ainsi que les récipients pour la cuisine étaient faits de roseaux (seul « arbre » dans la région des Marais au sud de la Mésopotamie) calfatés d'asphalte. Cet usage s'est d'ailleurs perpétué jusqu'au XXe s. : les mères collaient un porte-bonheur dans les cheveux de leurs enfants à l'aide d'un peu de goudron. Dans l'architecture, l'asphalte se retrouve associés aux deux autres matériaux fétiches de la Mésopotamie : la brique et le roseau. Hérodote et d'autres auteurs grecs décrivent la construction d'un mur par couches superposées de briques et de lits de roseaux sur lesquels on verse de l'asphalte chaud en guise de mortier.

Quant à la forme liquide (le pétrole proprement dit), ils l'ont appelé « naphte », mot d'origine akkadienne (les Akkadiens sont un peuple de Mésopotamie).
Hérodote est le premier auteur de l'histoire à nous en parler. Il dit que cette huile, que les Perses appellent « rhadinaké » est noire et qu'elle a une odeur forte.
Alexandre le Grand aura ensuite l'occasion de tester les propriétés de cette étrange matière, ainsi que nous le racontent Strabon, Arrien, Plutarque et d'autres. Lui et ses compagnons découvrent qu'un objet enduit de cette huile s'enflamme non seulement au contact, mais même simplement à proximité d'une flamme. Pour le lui faire comprendre, les Perses offrirent à leur nouveau roi un impressionnant spectacle en arrosant de naphte la rue menant à sa résidence, puis en approchant une torche du bout de la rue : celle-ci s'enflamma instantanément sur toute sa longueur! Émoustillé, l'un des compagnons d'Alexandre lui proposa de faire la même expérience sur Étienne, un jeune garçon de l'entourage d'Alexandre, à la physionomie ridicule, nous dit Plutarque, et, on l'imagine, un peu simplet, mais à la belle voix. Le pauvre Étienne faillit bien y laisser la vie (mais le Roi s'était bien amusé et avait fait une expérience...)
Tout cela était donc assez joli à voir, mais bien effrayant. Et ce d'autant plus que les Grecs ont constaté que les propriétés inflammables du naphte n'étaient pas les seules à apporter la mort. Diodore nous décrit une source d'asphalte à laquelle une « foule innombrable de gens puise comme à quelque source intarissable sans que la réserve en semble jamais diminuée » (hélas, pas si intarissable que cela!). A côté de cette source se trouve un gouffre émettant des vapeurs sulfureuses : à peine en a-t-on respiré que les poumons gonflent et s'enflamment et que l'on meurt sur le coup! Et de l'autre côté se trouve un lac :
« Son pourtour présente une surface solide. Mais si quelqu’un de non averti s’y aventure, il se maintient d’abord quelques instants à la surface en nageant, puis plus il se rapproche du centre, plus il est attiré vers le bas, comme par quelque force extérieure. Et lorsqu’il comprend enfin qu’il doit retourner au rivage pour son propre salut, il s’efforce d’échapper à cette attraction, mais c’est comme si quelqu’un le tirait en sens contraire. Bientôt, il ne sent plus ses pieds, puis c’est le tour de ses jambes, puis de ses hanches, enfin c’est son corps tout entier qui est vaincu par cette paralysie, et il est emporté vers le fond. Peu après, il est rejeté à la surface, mort. » (Bibliothèque historique, II 12)
Vraiment pas fréquentable, ce naphte! Quelques auteurs plus rêveurs iront même jusqu'à déclarer que le fameux poison de Médée n'était en fait autre que du naphte!
Bref, après ces quelques découvertes des Grecs, on s'empressera de l'oublier en Occident... en attendant d'autres révélations sur son usage, deux millénaires plus tard.

PS: Cet article est complété par celui du 8 mai 2008 :

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lundi 14 janvier 2008

Lorem ipsum

Quelle ne fut pas ma surprise l'autre jour, en cherchant sur internet des informations sur un logiciel de mon ordinateur de tomber sur ces mots: « Lorem ipsum dolor sit amet consectetuer »! Tiens, du latin! Mais quelle ne fut pas mon indignation de lire ensuite une parenthèse rassurante du concepteur du site m'enjoignant à ne pas tenir compte de ce texte qui était, je cite « un texte incompréhensible en latin utilisé par l'industrie de l'imprimerie pour afficher un exemple de texte »! Ce qui m'a indignée, ce sont les mots « incompréhensible en latin »: je veux bien admettre que le texte soit incompréhensible car il contient des mots de pseudo-latin (« lorem » et « consectetuer » par exemple), mais en ce cas, il ne fallait pas dire « en latin »; si le texte est vraiment en latin, il n'est pas incompréhensible, tant qu'il y a encore des latinistes vivants!!! Non mais!

Bref, j'ai essayé d'en savoir plus, et je suis finalement tombée sur un excellent site en anglais:
dont je vous résume la teneur: il s'agit effectivement d'un texte utilisé pour figurer du texte dans une mise en page, avant d'avoir un contenu. Son premier emploi remonte au XVIe s. La forme standard de ce texte est la suivante:
« Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipisicing elit, sed do eiusmod tempor incididunt ut labore et dolore magna aliqua. Ut enim ad minim veniam, quis nostrud exercitation ullamco laboris nisi ut aliquip ex ea commodo consequat. Duis aute irure dolor in reprehenderit in voluptate velit esse cillum dolore eu fugiat nulla pariatur. Excepteur sint occaecat cupidatat non proident, sunt in culpa qui officia deserunt mollit anim id est laborum. »
Depuis, elle a souvent été modifiée, soit par erreur involontaire, soit par des farceurs qui introduisent au milieu de mauvaises plaisanteries. Restait à savoir l'origine de ce texte, car bien que le sens en soit effectivement incompréhensible, on y trouve des bribes de sens qui ne peuvent pas tomber du ciel!
Eh bien ce sont tout simplement des fragments (coupés vraiment n'importe où, même en plein milieu du mot) d'un texte de ... Cicéron! Mon cher Cicéron lui-même!

Voici donc le texte original (avec en rouge les passages précis du « lorem ipsum »):
« Sed ut perspiciatis unde omnis iste natus error sit voluptatem accusantium doloremque laudantium, totam rem aperiam, eaque ipsa quae ab illo inventore veritatis et quasi architecto beatae vitae dicta sunt explicabo. Nemo enim ipsam voluptatem quia voluptas sit aspernatur aut odit aut fugit, sed quia consequuntur magni dolores eos qui ratione voluptatem sequi nesciunt. Neque porro quisquam est, qui dolorem ipsum quia dolor sit amet, consectetur, adipisci velit, sed quia non numquam eius modi tempora incidunt ut labore et dolore magnam aliquam quaerat voluptatem. Ut enim ad minima veniam, quis nostrum exercitationem ullam corporis suscipit laboriosam, nisi ut aliquid ex ea commodi consequatur? Quis autem vel eum iure reprehenderit qui in ea voluptate velit esse quam nihil molestiae consequatur, vel illum qui dolorem eum fugiat quo voluptas nulla pariatur?
At vero eos et accusamus et iusto odio dignissimos ducimus qui blanditiis praesentium voluptatum deleniti atque corrupti quos dolores et quas molestias excepturi sint occaecati cupiditate non provident, similique sunt in culpa qui officia deserunt mollitia animi, id est laborum et dolorum fuga. Et harum quidem rerum facilis est et expedita distinctio. Nam libero tempore, cum soluta nobis est eligendi optio cumque nihil impedit quo minus id quod maxime placeat facere possimus, omnis voluptas assumenda est, omnis dolor repellendus. Temporibus autem quibusdam et aut officiis debitis aut rerum necessitatibus saepe eveniet ut et voluptates repudiandae sint et molestiae non recusandae. Itaque earum rerum hic tenetur a sapiente delectus, ut aut reiciendis voluptatibus maiores alias consequatur aut perferendis doloribus asperiores repellat. » Cicéron, De finibus I, 10, 32-33

et sa traduction en français (avec en rouge les deux passages correspondant à peu près (malgré les coupes) au « Lorem ipsum »):
« Pour vous faire mieux connaître d'où vient l'erreur de ceux qui blâment la volupté, et qui louent en quelque sorte la douleur, je vais entrer dans une explication plus étendue, et vous faire voir tout ce qui a été dit là dessus par l'inventeur de la vérité, et, pour ainsi dire, par l'architecte de la vie heureuse.
Personne, [dit Épicure], ne craint ni ne fuit la volupté en tant que volupté, mais en tant qu'elle attire de grandes douleurs à ceux qui ne savent pas en faire un usage modéré et raisonnable ; et personne n'aime ni ne recherche la douleur comme douleur, mais parce qu'il arrive quelquefois que, par le travail et par la peine, on parvient à jouir d'une grande volupté. En effet, pour descendre jusqu'aux petites choses, qui de vous ne fait point quelque exercice pénible pour en retirer quelque sorte d'utilité ? Et qui pourrait justement blâmer, ou celui qui rechercherait une volupté qui ne pourrait être suivie de rien de fâcheux, ou celui qui éviterait une douleur dont il ne pourrait espérer aucun plaisir?
Au contraire, nous blâmons avec raison et nous croyons dignes de mépris et de haine ceux qui, se laissant corrompre par les attraits d'une volupté présente, ne prévoient pas à combien de maux et de chagrins une passion aveugle les peut exposer. J'en dis autant de ceux qui, par mollesse d'esprit, c'est-à-dire par la crainte de la peine et de la douleur, manquent aux devoirs de la vie. Et il est très facile de rendre raison de ce que j'avance. Car, lorsque nous sommes tout à fait libres, et que rien ne nous empêche de faire ce qui peut nous donner le plus de plaisir, nous pouvons nous livrer entièrement à la volupté et chasser toute sorte de douleur ; mais, dans les temps destinés aux devoirs de la société ou à la nécessité des affaires, souvent il faut faire divorce avec la volupté, et ne se point refuser à la peine. La règle que suit en cela un homme sage, c'est de renoncer à de légères voluptés pour en avoir de plus grandes, et de savoir supporter des douleurs légères pour en éviter de plus fâcheuses. »
(Traduction M. Guyau, 1875)

Il s'agit donc d'un exposé philosophique (en gros, « supporter un petit mal s'il peut entraîner un grand bien et renoncer à un petit bien s'il risque d'entraîner un grand mal ») tout à fait intéressant, qui n'a rien perdu de sa pertinence, et que les nombreux internautes qui l'emploient seraient bien avisés de méditer au lieu de le taxer d' « incompréhensible »!

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28 juin 2012 : Quatre ans après cet article, je vous renvoie vers un autre article bien plus riche et documenté sur la question :

Lorem ipsum : nouvel état de la question

dans le remarquable blog de Philippe Cibois, La question du latin ( http://enseignement-latin.hypotheses.org/)