mercredi 21 mars 2007

Alain, Propos sur l’éducation

J’ai découvert il y a quelques mois complètement par hasard (ce qui s'appelle vraiment du hasard: une dame avait posé sur un trottoir où je passais quinze cartons de livres dont elle se débarrassait et qu'elle proposait aux passants!) l’ouvrage d’Alain, Propos sur l’Education (1932).

Je ne le connaissais pas du tout et je trouve qu'il mériterait d'être plus connu en ces temps de discussion et d'interrogations sur l'éducation. L'idée principale en est que l'éducation ne doit pas passer par une découverte ludique, mais doit être sérieuse, grave, voire ardue et ennuyeuse. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette idée, moi pour qui la découverte de la pédagogie Freinet ou de "La main à la pâte" a été un choc psychologique.
Toutefois, je commence justement depuis un ou deux ans (j'ai six ans de pratique) à me remettre en question à ce sujet (en tant que professeur de latin, je me sens très concernée par cette question "ludique or not ludique?"). Ce qui m'a beaucoup intéressée, c'est l'argument d'Alain : selon lui, les élèves à qui l'on propose l'éducation comme un jeu vont trouver cela très plaisant, certes, mais vont plus ou moins consciemment mépriser l'enseignant qui "fait l'enfant" ainsi, tandis que si on leur propose un travail plus difficile, laborieux, sérieux, cela correspond à leur secret désir de devenir des hommes, de sortir de leur état d'enfant. C'est tout le discours de ceux d'entre nous qui pensent qu'il ne faut pas avoir peur de mettre nos élèves devant les grands classiques difficiles plutôt que de se limiter à la « littérature de jeunesse » sous prétexte qu'il n'y a que cela qu'ils comprennent.

Il y a autre chose que j'ai trouvé très intéressant: souvent, on oppose pédagogie de découverte et cours magistral. Or, Alain n'apprécie ni l'un ni l'autre. Pour lui, les deux choses essentielles d'un cours, ce sont la lecture (dans toutes les matières, lecture d'un texte ou lecture du cours) et les exercices (s'exercer des dizaines et des dizaines et des dizaines de fois sur la même chose, pour que cela rentre vraiment). Il observe - non sans une certaine malice, je crois!- que le meilleur cours selon lui est un cours dont le professeur ne sort pas fatigué: il n'a pas passé des heures à préparer son cours, il n'a pas usé sa voix à parler, il ne va pas passer la nuit à corriger des devoirs complexes, mais il vérifie que tous les élèves lisent silencieusement le cours, puis il passe dans les rangs pendant les exercices, répond à une question, donne un conseil, éclaire une remarque.

J'aime aussi beaucoup quand il dit que même les instituteurs de l'école primaire doivent être très cultivés, mais pas cultivés par les résumés que leur auront fait leurs propres enseignants, mais cultivés à la source, ayant eux-mêmes lu les grands auteurs; et que, bien sûr, ils ne vont pas ressortir toute cette science dans leurs cours pour les petits, mais que cela peut parfois éclairer avec une grande précision une question judicieuese. Là, je pense à mon émission favorite: "Les p'tits bateaux" sur France Inter (le dimanche de 19h30 à 20h), où de grands spécialistes répondent à des questions d'enfants.

Bref, je trouve que nos grands pontes de l'Education Nationale feraient mieux de relire ces propos sur l'éducation d'Alain (qu'on soit d'accord ou pas avec lui, sa rélexion fournie et intelligente fait se poser des questions) plutôt que de pondre des réformes qui ressemblent à un habit d'Arlequin mal cousu! D'ailleurs, il a même des idées qui évoque le socle commun (il parle de la nécessité absolue de savoir lire et compter avant toute chose), mais quand il le dit, ça ne tombe pas du ciel sans queue ni tête comme dans la loi Fillon, ça s'inscrit dans une réflexion mûrie et bien construite.

J'oubliais, pour ceux qui se sentiraient tentés de le lire: c'est très agréable à lire, les chapitres font une ou deux pages, il y a plein d'exemples et d'anecdotes clairs et souvent amusants; parfois, il se répète un peu, mais on peut sauter des passages...

Bonne lecture, et surtout bonne réflexion.

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lundi 19 mars 2007

Festival des Dionysies

Un festival se déroule en ce moment à Paris (du 10 mars au 6 avril), discrètement, mais dans l’enthousiasme de ceux qui y assistent : il s’agit des Dionysies :
http://www.dionysies.org/
Sous ce nom (qui évoque le premier festival de théâtre du monde, celui de la Grèce antique) se dévoilent des manifestations de grande qualité conduites par deux compagnies théâtrales : la compagnie Démodocos (http://cpta.free.fr/ ) et la compagnie Dido Lycoudis. Les membres de ces compagnies sont à la fois des professionnels du théâtre et des passionnés de littérature grecque et latine. Cela donne des spectacles où les trois langues, grecque, latine et française se mêlent sans lourdeur, nous permettant de goûter à la fois l’agrément de la compréhension et la saveur de la prononciation.
Les pièces de théâtre proprement dites n’ont pas encore commencé, mais pour avoir déjà vu Antigone de Sophocle joué par la compagnie Démodocos l’année dernière (au Festival Européen de Latin et de Grec dont j’aurai l’occasion de vous reparler, mais dont voilà déjà un aperçu : http://www.antebiel.com/ASPASIE/journal/becherellatingrec.html ), je peux vous assurer qu’on ressort de là bouleversé par un spectacle qui ne ressemble à rien de ce qu’on a vu, qui semble à la fois terriblement moderne et terriblement antique : la reconstitution historique (masques, diction, passages en grec antique, etc.) est mise au service du plaisir du spectateur.
Pour l’instant, j’ai assisté au spectacle d’ouverture, une lecture : « Orateurs antiques contre la torture, la tyrannie et la vénalité », où Démosthène, Cicéron et d’autres nous ont fait trembler de honte, de peur, de rire, et trouver bien fades les discours des hommes politiques d’aujourd’hui…
J’ai également assisté (et participé) à une lecture par (presque) cent lectrices de cent traductions d’un même poème de Sappho, la poétesse grecque antique, poème connu entre tous où elle décrit les symptômes du coup de foudre : cœur qui bat, oreilles qui bourdonnent, bouffées de chaleur, yeux qui se voilent, langue qui se fige, sueur, perte du souffle… Ces cent traductions avaient été réunies par Philippe Brunet, professeur de grec ancien qui est par ailleurs le directeur de la compagnie Démodocos et l’organisateur des Dionysies. Loin d’être ennuyeuse, cette suite de lectures présentait une telle variété de tons, à la fois de la part des traducteurs et de celle des lectrices, que l’on était chaque fois curieux de la lecture qui allait suivre et chaque fois surpris et ravi, et finalement emporté dans un mouvement où l’humour l’a de plus en plus emporté sur l’émotion, jusqu’au bouquet final d’un grotesque sublime…

L’anthologie de traductions réunies par Philippe Brunet est publiée aux éditions Allia à un prix modique et sous le titre L’Égal des dieux de Sappho : http://www.alliaeditions.com/Catalogueview.asp?ID=18#

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vendredi 9 mars 2007

Azur et Asmar

En lisant Les Mille et une nuits (cf. mon article précédent), je ne peux m’empêcher de voir paraître devant moi les images magnifiques du dernier dessin animé de Michel Ocelot, Azur et Asmar, que j’ai vu lors de sa sortie il y a quelques mois. Tout le raffinement exprimé dans l’extrait que je citais la dernière fois, on le retrouve dans ce dessin animé qui, comme tous les films de Michel Ocelot, est un chef-d’œuvre !
D’abord, ce film fait du bien en une époque où beaucoup de Français assimilent le monde arabo-musulman à un monde triste, sévère et réactionnaire, quand ce n’est pas à l’intégrisme et au terrorisme !

Mais aussi, on y retrouve toute la qualité du style de Michel Ocelot, dont il faut tout voir :
- Princes et princesses
- Kirikou et la sorcière
- Kirikou et les bêtes sauvages

- Azur et Asmar- et tous les futurs films que j’espère bien qu’il nous mijote encore !

Les films de Michel Ocelot sont d’abord un régal pour les yeux, chaque image est un tableau, et si c’était la seule raison d’aller les voir, cela suffirait ! Mais ils portent aussi une morale humaniste bien plus profonde que la morale conventionnelle de la plupart des dessins animés pour la jeunesse (pas tous, heureusement ; je vous ferai sans doute un jour l’éloge de Hayao Miyazaki) : dans ses films, la laideur cache la beauté, la méchanceté cache une souffrance, et la candeur du jeune héros cache une détermination à toute épreuve.

J’ai écouté parler Michel Ocelot dans les bonus (« boni » ?) du DVD de Princes et Princesses et je trouve qu’il ressemble à ses héros : pareillement candide et prêt à chercher la beauté et la bonté partout où elles se trouvent, mais pareillement têtu, prêt à s’indigner face à l’intolérance, et déterminé à ne pas se laisser marcher sur les pieds.
Je repense au premier producteur de Kirikou qui avait voulu l’obliger à cacher les seins de ses femmes africaines (on voit le ridicule que cela a donné avec l’Amazone mère d’Hippolyte : cf. mon article du 27 février) et à son refus catégorique : il risquait gros, car il n’était rien à l’époque, mais il a tenu bon, et grâce à lui nous avons pu voir l’Afrique puis le monde arabe sans stéréotypes, mais non sans merveilles.

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mardi 6 mars 2007

Les Mille et une nuits (nouvelle traduction)

Jeudi 1er mars 2007

Une nouvelle traduction française des Mille et une nuits vient de paraître. Après celle de Galland au XVIIe siècle et celle de Mardrus au début du XXe, cette nouvelle traduction, effectuée par deux grands professeurs de littérature arabe, André Miquel et Jamel Eddine Bencheikh, me semble en passe de devenir un classique.
Ils ont essayé d’être le plus fidèle possible au texte d’origine (ce qui n’est pas évident, car cette œuvre s’est écrite au cours de plusieurs siècles, sous la plume de plusieurs auteurs et en plusieurs pays, et il n’en existe pas de version canonique, même si celle qu’ils ont utilisée forme un consensus relatif parmi les spécialistes).

J’avais lu il y a quelques années la traduction de Galland, qui est très agréable à lire, mais au même titre que Le Sopha de Crébillon, Les bijoux indiscrets de Diderot ou tout autre œuvre française orientalisante du XVIIe ou XVIIIe siècle. Avec la traduction de Miquel et Bencheikh, on apprécie vraiment la saveur de la littérature arabe, avec des poèmes qui viennent ponctuer le récit (tiens, comme dans Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, et d’ailleurs, on retrouve beaucoup d’éléments semblables à l’ « heroïc fantasy » dans Les Mille et une nuits), avec des formules qui reviennent (par exemple « Cette histoire est tellement surprenante qu’elle mériterait d’être gravée avec une pointe fine au coin de l’œil »), etc.
Cette traduction est publiée chez La Pléiade, ce qui ne la rend pas digeste pour tous les porte-monnaie, mais pourquoi ne pas l’emprunter à la bibliothèque ? Pour ma part, j’ai eu la chance d’en avoir un exemplaire, car mon père a réalisé la calligraphie ornant le coffret (il y a trois volumes).

Le plat de grains de grenade confits (plus fort que le test ADN)
Voici l’un des passages que j’ai préférés (au fait, je n’en suis qu’au sixième de la lecture et ne suis donc sans doute pas au bout de mes surprises !) :
Une mère qui croyait son fils mort depuis des années acquiert la certitude qu’il est vivant en goûtant un plat de grains de grenade confits. Elle s’évanouit sous le coup de l’émotion, et quand on l’a ranimée (avec de l’eau de rose, attention !), elle s’écrie :
« Il faut que mon fils soit de ce monde, car personne d’autre n’aurait préparé ainsi ces grains de grenade. C’est bien mon fils, Badr ad-Dîn Hasan, pas de doute. Non, pour cette cuisine-là, il n’y a que lui et moi : c’est moi qui lui ai appris. »

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Livres insolites: classiques en bandes dessinées

mardi 27 février 2007

J'entame aujourd'hui une nouvelle série d'articles, celle des livres insolites. C'est un sentier qui nous mènera dans les méandres de ma bibliothèque et où je cueillerai pour vous les fleurs les plus étonnantes. Aujourd'hui, j'ai choisi de vous parler de la rencontre entre deux de mes passions, la littérature classique et la bande dessinée.

Phèdre, Le Cid et les autres aux éditions "Petit à Petit"
Les éditions "Petit à petit" ont entrepris de transposer en bandes dessinées un grand nombre d’œuvres littéraires: romans, contes, poèmes, chansons contemporaines, et aussi théâtre. J'ai donc lu Phèdre de Racine et Le Cid de Corneille en bandes dessinées.

Le théâtre me semble avoir un grand avenir dans la bande dessinée, puisqu'il a un grand point commun avec elle: ce sont les deux seuls genres littéraires qui ne sont composés que de dialogues entre des personnages (exception faite de quelques cartouches dans un cas, didascalies dans l'autre). C'est comme si la pièce était jouée, mais par des acteurs de papier: certes, il manque le son de leur voix, mais on a les expressions de leur visage.

Ces ouvrages sont destinés à de jeunes lecteurs, d'où sans doute assez peu de hardiesse dans les choix et certaines bienséances malvenues (ex: dans Phèdre, quand Hippolyte évoque sa mère amazone qui lui a fait sucer son orgueil avec son lait, on voit la farouche Amazone, cheveux au vent, muscles bandés, brandissant une épée, mais vêtue d'un charmant bikini...). D'autre part, la qualité des dessins laisse à mon avis un peu à désirer. Toutefois, ces quelques défauts n'empêchent pas d'éprouver un grand plaisir à la lecture de ces ouvrages et, même pour une lectrice multirécidiviste de ces pièces comme je le suis, d'y découvrir des saveurs qui m'avaient jusque là échappé.

Allez voir leur site: http://www.petitapetit.fr/

César et Ovide en latin dans le texte... et dans l'image
Le Comte von Rothenburg (alias "Rubricastellanus", comme il se surnomme lui-même) est l'homme à qui l'on doit les traductions latines d'Astérix. Passionné de bandes dessinées, ce professeur allemand de littérature latine a également eu l'idée d'adapter d'authentiques textes latins en bandes dessinées, à savoir le début des Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César et des extraits des Métamorphoses d'Ovide.

Comme il ne s'agit pas de théâtre, cette fois-ci, se posait le problème de la fidélité au texte: tout ne passe pas en bulles!
Pour César, il a essayé de coller le plus possible au texte latin, en ne faisant que quelques modifications et ajouts: il a simplement tapé le premier en caractères droits et les seconds en caractères italiques. Le repérage est très aisé.
Pour Ovide, les choses étaient plus compliquées, car les Métamorphoses sont écrites en vers: difficile d'y toucher sans que ça se sente! Il a donc choisi de faire figurer dans les bulles et les cartouches une version simplifiée et adaptée à la bande dessinée, et en bas de chaque case, il rappelle le texte authentique correspondant. Du coup, le texte authentique s'éclaire, on en comprend mieux la structure, et on peut enfin en goûter le charme poétique.

Là encore les dessins (faits par lui-même) ne sont pas un chef-d’œuvre du point de vue graphique; en revanche, il y a beaucoup de hardiesse et même parfois d'humour! Le bienfait d'une telle démarche est indiscutable. Quand nous étions étudiants, les professeurs nous conseillaient de nous entraîner en faisant du "petit latin", qui consistait à lire un texte latin de façon fluide, en essayant de le comprendre globalement et en ayant éventuellement un oeil sur la traduction comme béquille. Je crois sincèrement que ces transpositions en bandes dessinées sont les meilleurs supports de petit latin qui soient.

Ces deux ouvrages sont publiés aux éditions "Klett" sous les titres exacts de "Bellum Helveticum" et de "Metamorphoses"
http://www.klett.de/

Le Platon de Sfar

Je déplorais dans les exemples précédents le manque de grande qualité graphique. Mais quand un vrai grand dessinateur de bandes dessinées s'empare d'un classique, on a tout: qualité graphique, hardiesse, humour... Joann Sfar a ainsi décidé de se constituer une "Petite bibliothèque philosophique" dont je ne connais que le premier volume, celui consacré au Banquet de Platon, une œuvre que j'ai toujours adorée, à la fois pour son message philosophique, pour sa construction littéraire, et pour ses pointes d'humour. Mais Joann Sfar en fait redécouvrir mille autres saveurs.
Le fameux problème de la fidélité au texte, il l'a résolu d'une manière radicale, mais offrant une grande souplesse: le texte authentique de Platon (dont j'ai oublié de préciser qu'il est traduit en français!) est présenté imprimé; et les dessins interviennent dans la marge, où ils peuvent prendre aussi bien la forme d'un petit croquis que s'étaler sur une page entière, ou parfois noyauter le texte imprimé, rentrer dedans. C'est un régal à tous points de vue.

L'ouvrage est publié aux éditions Bréal, collection "La petite bibliothèque de Joann Sfar"
http://www.editions-breal.fr/

Bonne lecture!

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Il était une fois sept dieux qui se promenaient dans le ciel

lundi 26 février 2007

Aujourd'hui, je vais vous parler d'une histoire très ancienne et mouvementée, dont vous connaissez tous le dernier chapitre puisqu'il figure sur vos agendas et sur vos calendriers : c'est l'histoire des noms des jours de la semaine. Ils sont sept, comme les sept nains, les sept couleurs de l'arc-en-ciel, les sept collines de Rome ou les sept branches du chandelier. Et pourtant, rien d'artificiel dans ce nombre sept.


1er chapitre: Babylone

Tout a commencé en Mésopotamie il y a cinq mille ans (je vous avais dit que c'était une histoire ancienne!), et plus particulièrement il y a trois mille ans dans la ville de Babylone. Là, des "prêtres-astrologues-astronomes" observaient les "astres" (sans faire la distinction moderne entre planètes et étoiles) du ciel diurne et nocturne. Ils avaient constaté que les astres étaient ordonnés selon une disposition invariable, si bien qu'ils avaient cartographié la voûte céleste.

Ils avaient alors remarqué que la lune et le soleil se promenaient dans cette voûte céleste, en suivant d'ailleurs le même "chemin de ronde" (un chemin circulaire que l'on nomme en astronomie moderne "l'écliptique"). Monsieur Lune mettait vingt-huit jours à faire le tour du chemin de ronde et Monsieur Soleil trois-cent-soixante-cinq jours. Ils se rendirent alors compte que d'autres astres se promenaient également dans le ciel. Je ne parle pas des comètes, étoiles filantes et autres "bibbou" (ainsi appelaient-ils les astres errants), mais de cinq astres qui eux aussi suivaient le fameux chemin de ronde (que l'on pourrait aussi appeler "périphérique": voyez mon article du 23.02.07!) et qui eux aussi accomplissaient ce tour en un temps régulier...
- Combien de temps?
- Attendez! Les questions, à la fin de l'histoire!
Je reprends... Il va de soi que ce fameux chemin de ronde devait être balisé: il fut donc divisé en douze sections, que l'on appela le zodiaque (dont je vous raconterai peut-être l'histoire un autre jour).

Vous vous doutez bien que Monsieur Soleil et Monsieur Lune avaient été depuis longtemps divinisés, sous les noms de Outou (en sumérien) puis Sahmash (en akkadien; on retrouve le mot arabe "shams"= "soleil"), et Nanna (en sumérien) puis Sin (en akkadien). Les cinq autres astres ne pouvaient être que cinq autres dieux, car qui donc se promènerait ainsi dans le ciel? On leur donna donc les noms des principaux dieux du panthéon mésopotamien. Ce furent donc:

  • Nin Urta le dieu du temps
  • Ishtar la déesse de l'amour
  • Nergal le dieu de la guerre
  • Nabou le dieu de la sagesse et des inventions
  • et Mardouk, qui est loin d'être un dieu capital du panthéon mésopotamien, mais qui est le dieu attitré de Babylone, et comme ce sont des Babyloniens qui ont nommé ces astres ils lui ont naturellement attribué celui qui paraissait le plus gros.
Il manque quatre dieux pourtant plus ou aussi importants que ceux-là dans le panthéon mésopotamien:

  • Enlil, le dieu principal
  • An, le dieu du ciel
  • Enki/Ea, le dieu des eaux
  • Ereshkigal, la déesse des Enfers (monde souterrain des morts, comme ches les Grecs et les Romains)
Pourquoi n'ont-ils pas été choisis? J'ai ma petite idée sur la question: Enlil s'est fait piquer sa place par Mardouk; quant aux autres, simple question de logique: les dieux des eaux et des Enfers souterrains ne peuvent pas se promener dans le ciel, et le dieu du ciel ne peut se promener en lui-même!...


2e chapitre: la Grèce

Parlerais-je aujourd'hui de Bérose ou de Callisthène, ces hommes oubliés par l'histoire, mais sans qui les sciences babyloniennes ne seraient sans doute pas parvenues aux savants grecs? Non, non, une autre fois... (ce sera fait le 10.11.2007: http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/11/brose-et-callisthne-des-passeurs-de.html)
Sachez simplement que les Grecs copièrent le système babylonien, mais en l'accommodant à leur sauce et en remplaçant

  • Nin Urta par leur dieu du temps, Kronos
  • Ishtar par leur déesse de l'amour, Aphrodite
  • Nergal par leur dieu de la guerre, Arès
  • Nabou par leur dieu malin et inventeur, Hermès
  • et Mardouk, par leur dieu principal, Zeus.


3e chapitre: les Romains

Parlerais-je aujourd'hui des Etrusques, ce peuple un peu oublié, mais sans qui les connaissances des Grecs ne seraient sans doute pas parvenues à temps aux Romains? Non, non, une autre fois...
Sachez simplement que les Romains copièrent le système grec, mais en l'accommodant à leur sauce et en remplaçant

  • Kronos par leur dieu du temps, Saturne
  • Aphrodite par leur déesse de l'amour, Vénus
  • Arès par leur dieu de la guerre, Mars
  • Hermès par leur dieu malin et inventeur, Mercure
  • et Zeus par leur dieu principal Jupiter.
Ça y est? Vous les avez reconnus?
- Bien sûr, mais... il en manque!


4e chapitre: le télescope

Dans les trois premiers chapitres de mon histoire, l'observation du ciel se fait à l’œil nu. Arrivent le télescope, la science moderne, et trois nouveaux "astres errants" sont découverts. En prolongation du système déjà existant, les savants européens qui les découvrent leur donnent le nom d'autres dieux romains:

  • Neptune, le dieu des eaux
  • Uranus, le dieu du ciel
  • Pluton, le dieu des Enfers
Vous vous souvenez? Justement ceux que les Babyloniens avaient écartés! Bien sûr, la logique n'est plus la même.


5e chapitre: la semaine

Les Babyloniens avaient déjà divisé le parcours de vingt-huit jours de la lune en quatre parties de sept jours. Quoi de plus tentant que d'associer à chacun de ces jours le nom de chacun des sept dieux qui se promènent dans le ciel?

Là encore, l'idée se transmet aux Grecs puis aux Romains, en changeant à chaque fois le nom des dieux, pour aboutir finalement à :

  • Lundi < "Lunae dies" (jour de la lune)
  • Mardi < "Martis dies" (jour de Mars)
  • Mercredi < "Mercurii dies" (jour de Mercure)
  • Jeudi < "Jovis dies" (jour de Jupiter)
  • Vendredi < "Veneris dies" (jour de Venus)
Vous serez sans doute surpris que "Jupiter" fasse "Jovis" au génitif (complément du nom) et non "Jupiteris" ou "Jupitris". Il faut savoir que Jupiter à la base s'appelle "Jos" et qu'on lui a adjoint le mot "pater" ("père") : "Jos pater" (devenu "Juppiter", puis "Jupiter") trouve son équivalent dans l'expression "Dieu le Père".

Et "samedi" et "dimanche"? Vous voyez que dans d'autres langues, la logique babylonio-gréco-romaine est toujours là: en anglais, par exemple, "saturday" est bien le jour de Saturne et "sunday" le jour du Soleil. Mais d'où viennent "samedi" et "dimanche"? Je vous avais dit que c'était une histoire mouvementée!

  • "samedi" vient de la tradition juive: "Sambati dies" (jour du Sabbat)
  • "dimanche" vient de la tradition chrétienne: "dies Dominicus" (jour du Seigneur)


Conclusion
Vous savez pourquoi je vous ai raconté cette histoire? Parce que notre culture repose surtout sur deux piliers: un pilier gréco-romain (avec parfois des fondations babyloniennes) et un pilier judéo-chrétien. Vous voyez que l'histoire des noms des jours de la semaine en est la plus belle illustration!

Pour écrire cet article, je me suis entre autres beaucoup servi de "Astrologie en Mésopotamie" (Revue "Les dossiers d'archéologie", n°191, mars 1994)


- Et ma question?
- Qu'était-ce, au fait?
- Combien de temps mettent les cinq astres errants autres que le soleil et la lune à parcourir le "chemin de ronde"?
- Mercure met environ 115 jours, Vénus environ 584, Mars environ 780, Jupiter environ 399 et Saturne environ 378 (c'est ce qu'on appelle en astronomie moderne la "période synodique"). D'autres questions?

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Encore un monstre étymologique

Samedi 24 février 2007

Puisque je parlais hier de monstre étymologique, en voici un autre qui est très présent dans l'actualité médiatique: il s'agit du mot "homophobe". Le préfixe "homo" vient d'une racine grecque signifiant semblable et le préfixe "hétéro" d'une racine grecque signifiant "autre": d'où "homogène"/"hétérogène" (de même origine/d'origines différentes), mais aussi "homosexuel"/"hétérosexuel" ([qui se lie avec une personne] de même sexe/de sexe différent).
Dans le langage courant, on a fini par abréger ces deux derniers mots en "homo" et "hétéro", et c'est à partir de cette abréviation qu'a été fabriqué "homophobe". Le suffixe "phobe" vient d'une racine grecque signifiant "qui déteste".
Un "homophobe" est donc une personne qui déteste les personnes qui se lient avec des personnes de même sexe, mais si on suit la stricte étymologie, "homophobe" devrait signifier... "qui déteste son semblable"!
Au passage, faisons le point sur la différence entre "misos" ("misogyne", "misanthrope", ...) et "phobos" ("homophobe", "xenophobe", ...) qui ont les deux le sens de "qui déteste": à "phobos" s'ajoute aussi la notion de peur maladive, que l'on retrouve dans "claustrophobe", "arachnophobe", ou plus simplement dans "une phobie". Le xénophobe et l'homophobe sont donc bien aussi des malades qu'il faudrait soigner...

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Orbival ou métrophérique?

Vendredi 23 février 2007

Habitante depuis peu du Val-de-Marne, je suis avec attention l'évocation d'un projet francilien, qui démarrerait dans ce département, et dont le but serait la réalisation d'un métro reliant entre elles les villes de la grande couronne de Paris. Deux noms ont été suggérés pour ce métro: "Orbival" et "Métrophérique".

"Orbival", outre le charme d'une jolie consonance, repose sur une étymologie sensée: "orbis" est le mot latin qui signifie "cercle" ; "val" se réfère évidemment un peu trop explicitement au Val-de-Marne, ce qui est gênant dans l'optique d'une prolongation sur toute la grande couronne, mais le mot peut finalement évoquer les vaux de tous les autres cours d'eaux franciliens.

En revanche, "Métrophérique" est un monstre étymologique! C'est un mot valise qui emprunte à deux mots français, "métropolitain" et "périphérique".
Ce que nous appelons le "métro" est l'abréviation de "métropolitain", qui est lui-même une façon plus courte de dire "chemin de fer métropolitain". En ce sens "métropolitain" est l'adjectif qui se rattache à "métropole", c'est-à-dire la grande ville ou la capitale. Mais le véritable sens étymologique de "métropole" est "ville mère", du grec "mêtêr, mêtros" = "mère" et "polis"= "cité". Donc, quand nous entrons dans le "métro", étymologiquement nous entrons dans la "mère"! Quand on voit que c'est un lieu sombre et chaud où on se laisse transporter dans un ronronnement berceur, on se dit qu'il y a du travail pour les psychanalystes de ce côté là!
"Périphérique", lui, vient aussi du grec, "péri"= "autour" et "phérô"= "porter" ou "transporter". Le boulevard "périphérique" est donc celui qui nous transporte autour (sous-entendu, de la ville).
Vous me suivez toujours? Alors vous voyez qu'un "métropolitain périphérique" est une excellente idée, mais que si on ne prend qu'un morceau de chaque mot et qu'on l'appelle "métrophérique", c'est... "une mère porteuse". Très poétique, mais guère conforme à la réalité! Bon voyage!

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Présentation

jeudi 22 février 2007

Bonjour à tous les lecteurs qui aiment à se perdre dans les sentiers fleuris de la culture. Ce blog n'a d'autre but que de vous faire partager les fleurs que je cueillerai au gré de mes lectures, discussions ou pensées. Comme j'erre souvent dans les chemins de l'Antiquité (grecque et romaine surtout, mais aussi mésopotamienne), je l'ai appelé "Chemins antiques", mais si mes pas me guident dans d'autres "sentiers fleuris", je vous en ferai partager aussi l'agrément.

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Je suis également co-auteur (avec mon Patrick) d'un site où vous trouverez des articles scientifiques et historiques, des idées pédagogiques en français et en latin, et plein d'autres choses curieuses :
http://perso.orange.fr/patrick.nadia

Patrick tient aussi un blog, où vous trouverez plein de réflexions intéressantes sur la science, la culture, la politique, etc. :
http://journaldebord-pat.blogspot.com