samedi 10 novembre 2007

Bérose et Callisthène, des passeurs de savoir

Je vais vous parler aujourd’hui de deux hommes peu connus, mais qui ont contribué à la transmission des sciences babyloniennes auprès des savants grecs (et plus tard, par ricochet, à nous-mêmes).

Bérose était l’un de ces « prêtres-astrologues-astronomes » babyloniens, souvent appelés « chaldéens », dont je vous ai déjà parlé dans mes articles du 26 février (sur les sept dieux qui ont donné les noms des jours de la semaine) et du 19 avril (sur les rois mages). Il est difficile de cerner l’homme et son œuvre, car il n’est évoqué et cité que dans des textes postérieurs de plusieurs siècles à son existence présumée ; cependant une analyse attentive permet de faire la part des choses entre ce qui est probablement exact et ce qui est visiblement fantaisiste.
Ce qui est, à mon avis, certain :
Bérose a vécu à Babylone, il était contemporain d’Alexandre, et probablement jeune homme lors du premier passage de ce dernier à Babylone en 330 av. JC : il serait donc né vers 350 av. JC. Il a dédié son ouvrage au souverain séleucide Antiochos Ier Sôter qui régna de 280 à 261 av. JC : il est donc mort au plus tôt quelques années après 280 (sans doute guère plus, car cela lui ferait déjà 70 ans, ce qui est un bel âge pour l’époque !).
Il a rédigé en grec un ouvrage sur l’histoire de la Mésopotamie. Nous en avons de larges citations par des auteurs grecs plus tardifs et ces textes correspondent tout à fait aux archives locales découvertes aux XIXe et XXe siècles sur des tablettes en cunéiforme.
Ce qui est beaucoup plus incertain : il aurait dans le même ouvrage publié des informations sur les sciences typiquement babyloniennes (mathématiques, astronomie, mesure du temps) : l’idée est séduisante et semble plausible ; toutefois, tous les auteurs grecs et latins plus tardifs qui évoquent cette partie de son œuvre se contentent, justement, d’une évocation et ne citent jamais de texte, contrairement à la partie historique dont les citations sont, je l’ai dit, longues et précises.
Ce qui tient à coup sûr de l’élucubration, mais qui m’amuse beaucoup : Bérose aurait fondé une école à Cos (île au large de l’Asie Mineure), il serait le père d’une Sibylle (prophétesse semi-divine), on lui aurait érigé en plein Athènes et au frais de l’État une statue pourvue d’une langue en or, etc.

Callisthène était le neveu du philosophe et savant Aristote. C’était aussi un compagnon d’Alexandre le Grand (qui fut, rappelons-le, éduqué par Aristote dans son enfance).
Ce qui est certain : Aristote a eu accès à certaines informations scientifiques babyloniennes : on trouve en effet dans ses écrits des textes mathématiques et astronomiques directement inspirés de ce qu’on a pu trouver récemment sur des tablettes babyloniennes en cunéiforme.
Ce qui n’est pas certain, mais probable : un seul auteur ancien l’évoque, c’est pourquoi je reste prudente : Aristote aurait directement chargé son neveu Callisthène de lui rapporter de Babylone des informations scientifiques. Cette hypothèse semble étayée par le fait que Callisthène n’aurait pas suivi Alexandre le Grand dans son expédition vers l’Orient jusqu’en Inde, mais serait resté à Babylone.
La mort de Callisthène : séduit par de nombreuses coutumes perses, Alexandre a voulu entre autre imposer la proskynèse (prosternation devant le souverain comme devant un dieu) à ses courtisans, y compris ses fidèles compagnons grecs et macédoniens : plusieurs d’entre eux refusent avec indignation de s’humilier ainsi. Callisthène prend la tête de la protestation et le paye de sa vie, un soir d’ivresse d’Alexandre, qui regrettera vite amèrement d’avoir fait tuer son vieil ami…

Rêvons un peu : Si vous m’avez suivi, vous voyez que Bérose et Callisthène se sont trouvés en même temps à Babylone, que l’un était un Babylonien qui voulait transmettre son savoir aux Grecs, l’autre un Grec qui voulait recueillir le savoir des Babyloniens, qu’ils avaient tous deux vingt ans. Je les imagine intelligents, cultivés, avides de savoir, curieux de tout, enthousiastes, généreux, sympathiques. Évidemment, ils se sont rencontrés, ne pensez-vous pas ?

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samedi 3 novembre 2007

La tulipe, le chameau et l’inscription romaine

Connaissez-vous Augier Ghislain de Busbecq ? Non, n’est-ce pas ? Eh bien moi non plus, jusqu’à il y a quelques jours, mais ce que j’ai découvert sur ce brave homme (en me promenant sur les sentiers fleuris d’internet !) me fait m’indigner contre son injuste oubli. Et je sens qu’il est de mon devoir à moi de réparer cet oubli (du moins envers la petite poignée de lecteurs que vous êtes), à moi qui me passionne pour l’histoire romaine, à moi qui me passionne pour les chameaux, à moi que touchent tous les rapprochements de l’Orient et de l’Occident…
Augier Ghislain de Busbecq est un humaniste français de la Renaissance, originaire de Busbecq, un village proche de Lille. Au milieu du XVIe s., l’Empereur Ferdinand Ier de Habsbourg (dont la cour était à Prague, encore un centre d’intérêt pour moi !), charge Augier d’une ambassade auprès du sultan ottoman Soliman le Magnifique. Il semble qu’il n’était pas très doué pour la politique et que son ambassade fut plutôt un échec.
En revanche, cet homme curieux et intelligent mit son nez partout en Turquie et en rapporta des trésors en Occident :
- de nombreux manuscrits grecs et latins inédits
- la fameuse inscription latine des Res gestae divi Augusti d’Ancyre (Ankara) : il s’agit d’un texte officiel dans lequel l’empereur romain Auguste fait le récit à la 1e personne des événements de son règne (l’existence de ce texte était connue depuis l’Antiquité, mais on pensait que tous les exemplaires de cette inscription avaient disparu)
- une quantité de plantes inconnues en Occident, dont la tulipe, le lilas commun et le marronnier d’Inde
- une quantité d’animaux de toutes sortes, dont le chat angora, inconnu lui aussi en Occident.
Il paraît qu’il avait une véritable ménagerie dans sa maison en Turquie. Je ne sais pas s’il rapporta chez lui tous ces animaux, mais en tout cas, il amena six chameaux à l’Empereur Ferdinand pour l’inciter à utiliser dans ses états ces bêtes si utiles : il avait bien raison, mais je n’ai pas l’impression qu’il fut très écouté !…
Bref, il a écrit quatre lettres en latin pour raconter ses voyages, mais ni le texte latin, ni leur traduction française ne sont publiés en France. J’ai toutefois lu sur Wikipédia qu’une thèse sur cet homme a été soutenue en décembre 2006 par Dominique Arrighi et qu’elle devrait paraître chez Droz avec les textes en bilingue. Apparemment, il n’y a rien pour l’instant, mais j’attends avec impatience…

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lundi 22 octobre 2007

La physiologie du goût


Je rebondis sur mon article précédent sur les plaisirs de bouche et j’en profite pour poursuivre une rubrique entamée sur ce blog, celle des livres insolites (cf. articles du 27.02 et du 13.06).
Je veux en effet vous parler aujourd’hui de La physiologie du goût de Brillat-Savarin (publié en 1825). J’ai découvert cet ouvrage à quinze ans et l’ai aussitôt classé parmi mes livres préférés. Précisons tout de suite que pour l’apprécier, il faut aimer les textes décousus et le mélange d’informations savantes, d’anecdotes personnelles et de réflexions philosophiques.

Pour faire la transition avec mon article précédent, je commencerai par vous citer un passage qui, par son style et son contenu, fait venir l’eau à la bouche. Une dame, venue pour une œuvre charitable rendre visite à un curé, arrive chez lui alors qu’il venait de se mettre à table et assiste à son dîner. Sa curiosité et son désir culinaire (mais croiriez-vous que le bon curé lui aurait fait apporter une petite assiette ? le goujat n’y songe même pas!) sont à leur comble quand elle voit arriver une omelette au thon :
Après ce premier plat, il attaqua l’omelette, qui était ronde, ventrue et cuite à point. Au premier coup de la cuiller, la panse laissa échapper un jus lié qui flattait à la fois la vue et l’odorat ; le plat en paraissait plein, et la chère Juliette avouait que l’eau lui en était venue à la bouche.

Dans un registre plus savant mais non moins passionnant, Brillat-Savarin nous explique que le goût comporte en fait trois sensations successives :
Celui qui mange une pêche, par exemple, est d’abord frappé agréablement par l’odeur qui en émane ; il la met dans sa bouche, et éprouve une sensation de fraîcheur et d’acidité qui l’engage à continuer ; mais ce n’est qu’au moment où il avale et que la bouchée passe sous la fosse nasale que le parfum lui est révélé ; ce qui complète la sensation que doit causer une pêche. Enfin, ce n’est que lorsqu’il a avalé que, jugeant ce qu’il vient d’éprouver, il se dit à lui-même : « Voilà qui est délicieux ! »

Mais une de mes anecdotes préférées est celle du turbot. Brillat-Savarin est appelé à la rescousse par une cousine et son mari : ils ont acquis un énorme turbot qui ne rentre dans aucun de leurs plats de cuisson. Le problème tourne à la dispute conjugale, le mari étant d’avis de couper le poisson en deux, la femme ne pouvant se résoudre à ce « crime ». Sur ce, survient Brillat-Savarin. S’aventurant dans la buanderie, il y trouve une chaudière (j’imagine qu’il s’agit d’une sorte de grosse marmite pour faire bouillir l’eau du linge), installe dessus une grande claie destinée au rangement des bouteilles de vin et transformée pour l’occasion en panier vapeur, et pose sur le tout en guise de couvercle un cuvier (là aussi, initialement destiné au linge).
J’adore cette anecdote pour l’ingéniosité de la solution trouvée, ainsi que pour le désespoir de la dame à l’idée de devoir couper une aussi belle pièce, mais ce qui me fait rire est aussi la conclusion rassurante de Brillat-Savarin :
Tout ceci est bon à retenir, parce qu’il est peu de maisons de campagne où l’on ne puisse trouver tout ce qui est nécessaire pour constituer l’appareil dont je me servis dans cette occasion, et qu’on peut y avoir recours toutes les fois qu’il est question de faire cuire quelque objet qui survient inopinément et qui dépasse les dimensions ordinaires.
Pauvre Brillat-Savarin ! Il serait bien embêté, aujourd’hui, pour transformer une machine à laver en cocotte-minute ! Il est vrai aussi que les énormes turbots ne courent plus les rivières…

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lundi 8 octobre 2007

Plaisirs de bouche (trois dîners dans la littérature)


Cherchant des textes littéraires pouvant se marier avec la contemplation d’une nature morte, pour une amie artiste qui m’a invitée à intervenir ponctuellement dans ses cours (http://artsammeron.blogspot.com), je me suis un peu égarée dans les sentiers fleuris de ma bibliothèque et me suis retrouvée à cueillir des textes alliant littérature, gastronomie et sensualité (pour ne pas employer un mot plus cru !).

J’emprunte le titre de cet article, « Plaisirs de bouche », au titre d’un ouvrage paru chez Librio, qui réunit quelques extraits du journal de Casanova (XVIIIe s.) où le récit de ses conquêtes féminines est mêlé à des évocations de repas. Il s’agit bien sûr d’une habile ruse d’éditeur, cette lecture s’avérant décevante, tant du point de vue du contenu (pour qui aurait attendu des histoires croustillantes dans les deux sens du terme) que du point de vue littéraire. Une exception, toutefois, et qui fait passer tout le reste : quelques pages où Casanova raconte un dîner qu’il fit en compagnie de deux jeunes filles, naïves pensionnaires d’un couvent, où il leur fit servir des huîtres, met qu’elles n’avaient jamais goûté :
Armelline après en avoir avalé cinq à six dit à Emilie qu’un morceau si délicat devait être un péché ; Emilie répondit que ce ne devait pas être un pêché parce que le morceau était exquis, mais parce que nous en avalions un demi-paul [ Il s’agit du prix].
- Un demi-paul ?dit Armelline, et notre seigneur le Pape ne le défend pas ? Si ce n’est pas un péché de gourmandise, je voudrais savoir ce qu’on entend par gourmandise. Je mange ces huîtres avec plaisir ; mais je t’assure que je veux m’en accuser en confession pour voir ce que le confesseur me dira.
Le summum de la sensualité est atteint quand il les persuade de lui donner à manger l’huître par la bouche :
Je lui ai mis la coquille à la bouche, je lui ai dit de humer l’eau en gardant l’huître entre ses lèvres. Elle exécuta la leçon fidèlement après avoir bien ri, et j’ai recueilli l’huître en collant mes lèvres sur les siennes avec la plus grande décence. Armelline l’applaudit en lui disant qu’elle ne l’aurait pas crue capable de faire cela et elle l’imita parfaitement. Elle fut enchantée de la délicatesse avec laquelle j’ai pris l’huître de dessus ses lèvres. Elle m’étonna en me disant que c’était à moi aussi à leur faire la restitution du cadeau, et Dieu sait le plaisir que j’ai eu à m’acquitter de ce devoir.

Bien différent est le dîner que partage un jeune arriviste avec deux ravissantes jeunes femmes et le mari de l’une d’entre elles, dans Bel-Ami de Maupassant (XIXe s.). Là, il ne se passe rien en apparence (si ce n’est que la conversation finit par rouler sur l’amour, mais en restant générale et sans jamais devenir personnelle), mais la description des aliments et du plaisir que prennent les convives à les savourer est si sensuelle qu’on peut facilement y voir une métaphore de plaisirs d’un autre type.
En effet, les huîtres (encore elles !) sont « mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés », la truite est « rose comme de la chair de jeune fille », les côtelettes d’agneau « tendres, légères, couchées sur un lit épais et menu de pointes d’asperges », lesquelles sont un « légume onctueux comme une crème »… Et ces descriptions s’entrelacent avec le récit de leur conversation tournant de plus en plus sur les plaisirs de l’amour, mais toujours noyée dans les sous-entendus.
Pour voir le récit entier du dîner, qui en vaut vraiment la peine, suivez ce lien :
(A partir de « Les huîtres d’Ostende… », environ à 1/5e de la page)

En cherchant bien, on trouverait, j’en suis certaine, mille autres exemples encore plus délicieux de repas sensuels dans la littérature. Cependant, je me contente, comme je l’ai toujours fait dans ce blog, de mes lectures personnelles et de ce qui me vient à l’esprit.

Le troisième dîner dont je vais vous parler n’a rien de sensuel. Il est même grossier et presque animal. Il me semble toutefois aller avec les autres, car là aussi, l’écrivain a su rendre avec une habileté particulière le plaisir de manger. Il s’agit d’un repas de mariage populaire (un chiffonnier et une serveuse de bistrot) dans Le Chiendent de Raymond Queneau (XXe s.). Là, l’objet de tous les désirs gustatifs n’a qu’un nom : le potage.
Si l’un tire sur son bouillon du bout des lèvres, l’autre l’engloutit férocement. Pour le refroidir, les uns soufflent et d’autres en font des cascades. On lape et l’on clapote. Ici c’est un chuintement et là une dissonance. De cette musique naît peu à peu une harmonie élémentaire.
Petit à petit, les convives rassasiés commencent à parler, jusqu’au moment où ils se rendent tous compte de la présence des autres :
Car, à gamelle vide, nez qui se lève.


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vendredi 10 août 2007

Cultivons notre jardin

Je suis en train de lire un plaisant essai que m’a offert une parente tchèque, L’année du jardinier de Karel Čapek (1929).

Parlant du 1er mai, Čapek déclare :
« Un homme qui possède quelques arpents de terre et qui y cultive quelque chose devient, en vérité, un être conservateur car il est assujetti à des lois naturelles millénaires ; on aura beau faire, aucune révolution n’accélérera la germination ni ne fera fleurir les lilas avant le mois de mai ; cette leçon rend l’homme plus sage et fait qu’il se soumet aux lois et aux coutumes. » (traduction Joseph Gagnaire)

Puis il déploie une réflexion sur le travail que feraient bien de méditer ceux qui nous abrutissent avec une prétendue « valeur travail », comme si le travail était une valeur en soi !
« Mais ce n’est pas le travail qui importe, c’est la campanule. Tu ne travailles pas parce que le travail est beau, ni parce qu’il ennoblit, ni parce qu’il est sain ; tu travailles pour que la campanule croisse et pour que les saxifrages s’étendent comme un tapis. » Il poursuit sa réflexion en assurant que, le 1er mai, on ne devrait pas célébrer le travail en lui-même, mais « le petit salé, les enfants et la vie », bref tout ce qui est le résultat du travail et de son salaire.

Ces deux passages, et surtout le premier, m’ont rappelé comme une évidence fulgurante un passage d’une de mes œuvres préférées, le Voyage en Italie de Jean Giono (1954). Après vérification, il s’est avéré que c’était très différent. Voici en effet les phrases précises auxquelles mon souvenir se référait :
« On ne peut pas imaginer l’homme sans imaginer le bonheur. Si ce n’est pas ce qu’il cherche, que cherche-t-il ? Sans remonter à Sardanapale, il y a toujours un géranium qu’on plante dans une vieille casserole. »
et :« Soigner des bêtes ou des plantes engage dans un sens où l’on trouve très vite le bonheur. Il suffit d’une truie ou d’une graine. »
(Concernant la première citation, inutile de dire, pour ceux qui me connaissent ou qui commencent à me connaître par ce blog, que le choc pour moi avait aussi été dans l’évocation de Sardanapale et, de façon sous-entendue, des Jardins Suspendus de Babylone, de toutes les légendes sur la Mésopotamie véhiculées par les Grecs, bref de mon dada !)



Différent ? Pas si sûr… Certes, l’un parle de propriété privée et de révolution, d’effort et de résultat, tandis que l’autre parle de bonheur. Toutefois, ce qui m’a profondément touchée dans les deux cas, c’est l’idée que le jardinage transforme l’homme : il le rend sage, il le rend heureux.
Vous pensez peut-être à une citation littéraire plus célèbre : « Il faut cultiver notre jardin. », conclusion du Candide de Voltaire (1759). J’aime cette phrase, mais elle me touche cependant moins que les réflexions de Čapek et de Giono. Peut-être parce qu’il est si évident que c’est une métaphore et que l’on sent bien que Voltaire, dans le fond, se fiche des pistaches, des ananas et du cédrat confit, mais qu’il nous invite plutôt à cultiver notre jardin intérieur. Les réflexions de Čapek et de Giono, elles, peuvent aussi être lues sur un plan métaphorique, mais ils nous parlent avant tout vraiment de jardinage : ils ont les mains dans la terre autant que dans l’encre, et ce n’est que par hasard qu’ils amorcent une réflexion philosophique au milieu d’un discours sur les plants et les semis ou d’une description de la route de Padoue à Ferrare.


Quant à moi, je n’ai pas de jardin, mais j’ai un peu plus qu’un géranium dans une vieille casserole : j’ai un balcon. M’en occuper me rend-il heureuse ? Certes oui ! Me rend-il plus sage ? Je l’espère…


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mercredi 1 août 2007

Mille ans de noms romains

Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’une longue, très longue liste de noms, deux par an pendant mille ans…
En 509 av. JC, les Romains ont renversé leurs rois et ont établi une République. A partir de ce moment-là, l’idée même de quelque chose qui ressemble de près ou de loin à un roi leur est devenue haïssable !
Première conséquence : pour exercer le pouvoir exécutif, ils ont décidé qu’il y aurait deux personnes au lieu d’une (les consuls) et qu’ils changeraient chaque année, avec impossibilité pour un consul d’être élu deux années de suite. De là est venue tout naturellement l’idée de désigner les années non par des numéros par rapport au début d’une ère, mais par les noms des deux consuls de cette année-là.
Deuxième conséquence : quand environ cinq cent ans plus tard, Auguste est devenu le premier empereur, il a tout fait pour ne pas avoir l’air de rétablir la royauté. Il s’est donné comme titre « imperator », que l’on traduit par « empereur », mais qui signifie « général en chef », et il a conservé absolument intacts tous les organes de la République (mais en les contrôlant en réalité lui-même). Du coup, le consulat a perduré et avec lui l’habitude de désigner les années par le nom de leurs deux consuls, et ce jusqu’à la chute de l’Empire romain d’Occident et même quelques années au-delà.
Ces listes sont bien sûr venues jusqu’à nous, soigneusement recopiées au cours des siècles, puisque c’est notre unique moyen de dater les événements mentionnés dans les textes romains. On les trouve facilement sur internet (il suffit de taper « liste des consuls romains » dans un moteur de recherche).
Figurez-vous que je me suis amusée à lire l’intégralité des noms les uns à la suite des autres, de 509 av. JC à 541 ap. JC ! Je vous entends déjà ricaner : « On s’amuse comme on peut, y en a bien qui lisent l’annuaire ! » Détrompez-vous ! C’est beaucoup plus intéressant que de lire l’annuaire. Lire deux noms par an pendant mille ans, c’est faire une véritable étude sociologique ! Je vous livre donc, en vrac, quelques observations singulières que j’ai pu faire :
- Au tout début, les surnoms liés à des lieux sont tirés de la proximité immédiate de la ville, à savoir de ses collines (« Capitolinus » (« du Capitole »), « Esquilinus » (« de l’Esquilin »), « Vaticanus » (« du Vatican »), « Aventinensis » (« de l’Aventin »), « Caelomontanus » (« du mont Caelius »)), ainsi que d’autres régions proches de Rome (« Sabinus » (« Sabin »), « Tuscus » (« Etrusque »), « Gallus » (« Gaulois »)), puis, à partir du IIIe s. av. JC, on commence à voir apparaître la Grèce (« Atticus », « Achaicus », « Macedonicus », « Creticus ») et le reste de la Méditerranée (« Numidicus » (« de Numidie »), « Africanus » (« d’Afrique »), « Asiaticus » (« d’Asie »)).
- Quelques précisions pour mieux comprendre ce qui précède : n’imaginez pas forcément une foule d’immigrés (tellement bien intégrés qu’ils sont élus consuls) dans les premiers siècles de la République romaine. Si on vous surnomme « l’Africain », cela ne signifie pas forcément que vous êtes d’origine africaine, mais que vous avez vécu, combattu, remporté une victoire en Afrique, ou encore que votre père y est mort en héros. Autre chose : n’oubliez jamais que dans l’Antiquité, l’Afrique, c’est une mince bande de littoral qui s’étend du Maroc à la Libye, et que l’Asie, c’est l’Asie mineure (Turquie actuelle) et le Proche-Orient.
- Toutefois quelques noms grecs font timidement leur entrée parmi ces consuls des premiers siècles (« Philippus », « Philus », « Thermus »). Si certains étaient peut-être d’authentiques immigrés ou leurs descendants, il faut plutôt y voir des Romains attirés par la culture grecque et s'inventant un cognomen grec (un peu comme aujourd'hui des Français qui s'attribuent un nom aux consonances américaines).
A partir du IIIe et surtout du IVe s. ap. JC, ces noms grecs et ceux d’autres origines méditerranéennes vont devenir légion (« Afranus Hannibalianus » doit venir de Carthage, « Seleucus Cyrus » de Perse, « Jordanes » et « Sabbaticus » du Proche-Orient, et je donne ma langue au chat pour les origines de « Dagalaifus », « Richomeres », « Merobaudes » et « Olybrius » !). C’est justement la période (le Bas Empire) où les empereurs romains eux-mêmes seront originaires de diverses régions de l’Empire romain (la dynastie des Sévères, de Syrie, ou Philippe l’Arabe, d’Arabie, etc.)
- Un mystère profond pour moi : à partir de IVe s. ap. JC, presque un consul sur deux se prénomme Flavius et à partir du Ve s., c’est la totalité (à de rares exceptions près). Quelle mouche a piqué les Romains de cette époque pour donner à tous leurs enfants le même prénom ? (notons que ce prénom était dans la Rome républicaine un nom de famille probablement tiré lui-même d’un surnom signifiant « blond »)
- Le fameux ordonnancement des « tria nomina » (« trois noms ») romains, à savoir « praenomen » (« prénom »), « gentile nomen » (« nom de famille ») et « cognomen » (« surnom ») est à de rares exceptions près respecté jusqu’au IIe s. ap. JC. A partir de ce siècle, les surnoms se multiplient (parfois quatre ou cinq à la suite !). Puis le prénom classique disparaît : le nom de famille devient prénom (« Flavius » !) et le surnom devient nom de famille. La quantité des surnoms se réduit à nouveau au Ve s. ... du moins pour la majorité des consuls, mais pas pour les deux derniers, en 541 Flavius Anicius Faustus Albinus Basilius Junior et en 540 Flavius Marianus Petrus Theodorus Valentinus Rusticius Boraides Germanus Justinus!

Si les noms romains vous intéressent et que vous aimeriez en avoir une liste, non exhaustive, mais étendue, je vous invite à consulter cette page de mon site :

Ajout en janvier 2021 :
Grâce à un fidèle lecteur, j'ai enfin la réponse à ce mystère des Flavius !
Dans l'article " The Names of Flavius and Aurelius as Status Designations in Later Roman Egypt." de James Keenan, ZPE, 11, 1973 (https://www.jstor.org/stable/20180636?seq=1), l'auteur explique que, suite à une victoire de l'empereur Constantin Ier (dont le nom complet était Flavius Valerius Constantinus) en 324, tous les membres de l'élite de l'Égypte romaine ont adopté "Flavius" comme prénom. "Flavius" a même fini par devenir, plutôt qu'un prénom, une sorte de marqueur de dignité, un peu comme "sire" ou "monsieur" en d'autres temps...


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vendredi 13 juillet 2007

Zip zap clic


Je ne suis pas une vieille ringarde conservatrice de la langue française. Je sais que l’idée d’une langue pure et correcte est une invention née au XVIIIe siècle avec l’Académie Française, par une volonté politique, mais que dans la réalité pratique, toute langue évolue, et je suis toujours ravie d’accueillir de nouveaux mots.
Mais je voudrais m’en prendre aujourd’hui à une certaine évolution qui me semble inquiétante : c’est celle qui consiste à faire entrer de plus en plus d’onomatopées dans la langue, et à les transformer en noms et en verbes.
Admettons que « zapper » et « cliquer » ont obtenu leurs lettres de noblesse puisqu’ils sont apparus en même temps que des objets nouveaux, la télécommande et la souris d’ordinateur, pour l’usage desquels il a bien fallu inventer de nouveaux verbes. Mais quelle n’est pas ma surprise, en feuilletant des catalogues de vêtements, de découvrir qu’un velcro est appelé un « scratch », une fermeture éclair un « zip » et un bouton pression un « clip ». Le ridicule est atteint quand j’entends dans une boutique une petite vendeuse à peine plus âgée que mes élèves m’expliquer sur un ton supérieur : « Vous voyez, Madame, ça se zippe, ça se scratche, ça se clipe… », ou pire « ça se déclipe » ! J’ai remarqué aussi qu’on ne dit plus qu’un ballon éclate, mais qu’il « claque », ni qu’un avion s’écrase, mais qu’il se « crashe » (je sais que ce mot vient de l’anglais, mais « crash » en anglais a bien une origine onomatopéique).
A quand « pschitter » pour « se dégonfler » (on l’a frôlé avec le « ça a fait pschitt » de notre ancien président, mais c’était heureusement de l’humour) ou pour « vaporiser », à quand « boumer » pour « exploser », « slurper » pour « aspirer » ou « smaquer » pour « embrasser » ?
Il y a quelques années, un brigadier de police intervenant dans une de mes classes de 3e pour une prévention de la toxicomanie faisait remarquer aux élèves que certains surnoms de drogues (« beuh », « bobo », « lolo » pour la cannabis, « coco » pour la cocaïne, etc.) ressemblaient à du langage bébé et que l’on voyait par là que l’intelligence des consommateurs de ces drogues régressait ! D’aucuns trouveront sans doute ce raisonnement tiré par les cheveux, mais je pense qu’il ne faut pas le prendre au pied de la lettre, mais retenir l’idée d’une régression.
Et pour terminer cet article par où je l’ai commencé, non la langue française ne s’enrichit pas de ces nouveaux mots, mais elle s’en appauvrit. Si nous continuons ainsi, sans doute dans quelques siècles communiquerons-nous en aboyant…
Remarque (quelques semaines plus tard): Une fidèle lectrice me suggère que si les commerciaux n'utilisent pas les termes "fermeture éclair" et "velcro", c'est que ce sont des noms de marques déposées. On devrait dire correctement "fermeture à glissière" et "bande auto-agrippante". Il faut avouer que c'est un peu long...

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mercredi 4 juillet 2007

Persepolis



(Remarque: sur certains navigateurs (internet explorer par exemple) apparaît ci-dessus une double affiche du film et pas sur d'autres (mozilla firefox par exemple) ; c'est un profond mystère informatique pour moi, surtout que je n'ai jamais mis une seule image sur mon blog! J'imagine qu'elle est venue toute seule quand j'ai voulu activer le lien vers le site du film)

Je m'apprêtais à écrire un article sur Persepolis, le film d'animation de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, que j'ai vu il y a quelques jours.
http://www.myspace.com/persepolislefilm

Mais comme il fallait s'en douter, mon Patrick m'a précédée:
http://journaldebord-pat.blogspot.com/
(article du lundi 2 juillet). Rien d'étonnant, puisque nous l'avons vu ensemble!
Peu importe, finalement, car mes remarques seront complémentaires des siennes.

D'abord, quelques points de comparaison avec la bande dessinée du même nom (en 4 tomes, aux éditions L'Association): la bande dessinée prend plus son temps, s'attarde plus sur les anecdotes, ses dessins ont le charme spontané du croquis; le film, étant plus dense et plus direct, est beaucoup plus bouleversant, ses dessins se sont enrichis et approfondis, sans doute grâce à l'intervention de Vincent Paronnaud, qui a ajouté des gris aux noirs et blancs de Marjane Satrapi. J'ai remarqué aussi dans ces dessins quelques "intertextes" (ainsi appelle-t-on en littérature des clins d'oeil à une oeuvre connue) : un tableau de Picasso au moment où le corps de Marjane rentre dans sa puberté, Le Cri de Munch face à une scène macabre, et même le monstre "sans visage" du Voyage de Chihiro de Miyazaki, incarné ici par deux mégères voilées de noir de la tête aux pieds!

Mon émotion face à ce film, comme face à la bande dessinée, mais plus encore, est aussi très personnelle. A travers les malheurs de l'Iran, j'entends ceux de l'Irak, que je ne connais pas, mais d'où vient mon père (deux pays souvent en guerre depuis cinq mille ans, mais si souvent aussi se tendant la main à travers un foisonnement d'échanges culturels...). Notre histoire familiale connaît, comme celle de Marjane Satrapi, les jeunes gens enrôlés de force, les arrestations arbitraires, les tortures savantes, les exécutions sommaires, les faux passeports, les traversées de frontières à pied dans les montagnes enneigées, mais aussi les intellectuels résistant toujours, les gens simples révoltés par la barbarie, et l'espoir, et l'humour...


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mercredi 13 juin 2007

Livres et sites insolites: nous sommes latins


Nombreux sont les ouvrages et les sites internet qui relient soit la langue latine, soit la civilisation romaine à notre actualité. Si j'en faisais le sujet d'un article exhaustif, j'en aurais pour une journée à le taper (rien qu'avec ce que je sais, qui n'est qu'une goutte!). J'ai donc décidé d'être partiale et de ne vous parler que de trois livres et de trois sites internet, mes "coups de cœur", comme on dit...


3 livres


- Anne Quesemand et Juliette Le Maoult, Rien de nouveau sous le soleil - Nihil nove sub sole (Pocket bilingue "Langues pour tous")

Les auteurs ont sélectionné des textes latins antiques qui semblent faire écho à notre actualité : l'insécurité la nuit, les embarras de la circulation, les hooligans, la peur des étrangers, les récriminations contre la jeunesse actuelle, la défense de la méthode syllabique contre la méthode globale, etc.



- Jean-Loup Chiflet, Ad aeroportum! A l'aéroport - Le latin d'aujourd'hui (Editions Mots et Cie)

L'auteur (qui est aussi le directeur de cette collection "Mots et Cie", dont tous les ouvrages sont étonnants, savants, drôles et, ce qui ne gâche rien, agréables à la vue et au toucher!) s'est appuyé sur un lexique du latin contemporain édité par le Vatican pour fabriquer des "phrases d'exemple" désopilantes.

Quelques exemples: "Rosarium conversi intonsi papaveris granis factus est" ("Le chapelet du hooligan converti est fait de graines de pavot") ; "Melius est quam filius Donaldi!" ("C'est meilleur que chez MacDo!") ; "Perspice! Ejus brevissimae Graecae feminae patent!" ("Mate un peu, on voit son string!)



- Angela Wilkes et John Shackell, Le latin pour débutants (Usborne)

L'ouvrage se présente comme un manuel de conversation pour enfants, sous forme de bandes dessinées. Nous, lecteurs adultes, pourrions trouver son humour parfois un peu "neu-neu", mais précisément c'est un livre qui est réellement adressé aux enfants, et je pense qu'il est tout à fait accessible dès l'école primaire.



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3 sites


- Les informations en latin:


Vous trouverez sur cette page des liens vers les sites qui diffusent des informations en latin: un vaticanais (certes), un finlandais (le premier sur internet!), un autrichien et un polonais (qui propose aussi des liens vers des blogs en latin).


- Les cercles de discussion en latin:


C'est la page des liens du site du cercle latin de Paris (Circus latinus Lutetiensis) : vous y trouverez les adresses des sites d'autres cercles de discussion latine de par le monde, et toutes sortes d'autres liens intéressants.


- L'inspiration antique dans les marques et la publicité:


Il s'agit d'une page de mon propre site internet! J'y collectionne les noms de marques, de clubs sportifs, de groupes de chanteurs, les allusions publicitaires, etc. qui se réfèrent à l'Antiquité grecque et latine.

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J'ajouterai en bonus deux magazines en latin pour les jeunes élèves, "Adulescens" et "Juvenis":




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Les Mille et une nuits (suite)

Je suis toujours plongée dans la lecture des Mille et une nuits (cf. mon article du 01.03.2007).

Dans un univers où un plat de grenades confites peut prouver une filiation (cf. le même article), quoi d'étonnant qu'une poële à frire prouve l'innocence d'une femme injustement accusée d'adultère?
Un mauvais plaisant avait déposé du blanc d'oeuf sur le lit conjugal d'un ennemi pour lui faire croire à une tache de sperme. Le mari naïf accuse aussitôt sa femme d'avoir un amant et ameute tous les voisins. L'un d'eux demande une poële et sous les yeux de l'assistance ébahie, il fait cuire le supposé sperme... qui blanchit et qu'il fait goûter à tout le monde. Dans cette histoire comme dans l'autre, c'est le goût, ce sens souvent négligé, qui a apporté la preuve décisive.

Ces deux histoires ont aussi un autre point commun: la surprise. On ne s'attend pas à ce que d'un plat de grains de grenades confits ou d'une poële à frire jaillisse la vérité.

Pas plus qu'on ne s'attend à ce qui va sortir d'un certain sac de satin vert orné de deux galons d'or, qu'une courtisane égyptienne a fait chercher chez elle (867e nuit). Encore moins quand elle en fait tomber trente-deux pièces de bois. Et voilà qu'en quelques instants, sous nos yeux éblouis de lecteurs, elle assemble ces trente-deux (2x2x2x2x2, est-ce un hasard? sûrement pas!) pièces de bois et le puzzle fini se révèle être un luth, l'instrument du poète par excellence, c'est la lyre orientale. Et bien sûr cette jeune fille, non seulement est d'une beauté parfaite, dit des poèmes merveilleux et saura tirer de ce luth des accents humains, mais elle sait aussi monter elle-même sans la moindre hésitation les trente-deux pièces détachées de l'instrument.

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lundi 28 mai 2007

Les lettres latines au féminin

Ce que j'aime, dans l'enseignement, c'est quand un élève nous pose une question vraiment intéressante, mais à laquelle on n'avait jamais songé soi-même, qui plus est quand cette question est d'une simplicité déconcertante.

Ainsi, quand l'un de mes élèves latinistes m'a demandé s'il existait des écrivains romains femmes, j'ai ouvert la bouche pour lui répondre, mais...
Sappho, oui, grand écrivain femme de l'Antiquité, mais grecque, pas romaine.
Tant de femmes de pouvoir ou d'influence, oui, de Tanaquil à Agrippine, en passant par Cornelia, Claudia ou Livie, mais pas une ligne d'elles.
Les inspiratrices des poètes, le célèbre quatuor de Lesbie, Délie, Cynthie et Corinne, mais ce sont leurs amants qui parlent d'elles.
Ah! Et les poèmes sublimes d'Hildegarde de Bingen, et les lettres troublantes (même si leur authenticité est mise en doute) d'Héloïse à Abélard? Certes, ce sont bien des écrivains femmes de langue latine, mais elles ont vécu dans l'Allemagne et la France du XIIe siècle, et non dans la Rome antique.

Alors? Alors, après avoir ouvert quatre fois la bouche sans proférer un son, j'ai finalement dit à mon élève que j'allais chercher. J'ai cherché. Et j'ai trouvé. La seule femme écrivain romaine relativement connue se nomme Sulpicia, elle a vécu au Ier s. av. JC dans l'entourage du poète Tibulle et a écrit des vers d'amour.

Cela dit, en allant sur internet approfondir ma recherche sur cette dame, je suis tombée sur une autre Sulpicia, vivant deux siècles plus tard, peut-être pas écrivain, mais en tout cas auteur, auteur d'une violente diatribe contre le pouvoir en place de l'époque. Cette découverte due au simple hasard de l'homonymie me laisse à penser qu'il y a peut-être d'autres auteurs latins femmes de l'époque romaine. Faites-moi signe si vous en rencontrez!

Si cet article vous a mis en appétit, voici où lire en traduction française des textes de :
Sappho: http://remacle.org/bloodwolf/poetes/falc/sappho/oeuvre.htm
Hildegarde de Bingen: http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Textes/index.html (sélectionner "Sainte Hildegarde" dans le menu de gauche)
Héloïse: http://www.pierre-abelard.com/table-traductions.htm
Sulpicia: http://www.mediterranees.net/civilisation/amour/tibulle/tibulle4.html (dans le recueil des Elégies de Tibulle, livre IV, élégies 7 à 12)
l'autre Sulpicia: http://ugo.bratelli.free.fr/Sulpicia/SatireSulpicia.htm

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Ajout en mars 2018

Cet article a été complété ultérieurement par celui-ci : http://cheminsantiques.blogspot.fr/2013/03/proba-falconia-une-troisieme-poetesse.html

et on trouve la mention de quelques autres écrivaines latines à cette page : https://sententiaeantiquae.com/2018/03/08/a-list-of-women-authors-from-the-ancient-world/

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Ajout en octobre 2022 :

Quinze ans plus tard et une bonne dose de féminisme dans la recherche littéraire et historique plus tard, la quantité d'autrices latines (d'époques médiévale et moderne, mais aussi antique) est telle qu'il a fallu y consacrer un colloque, "Pro mulieribus claris", à Lille, organisé par le Lupercal, colloque qui est loin d'avoir épuisé toutes les sources et ressources de ce domaine.

*
Ajout en janvier 2023 :

Cet article est désormais complété par celui-ci : "De quelques autrices latines illustres" : https://cheminsantiques.blogspot.com/2023/01/de-quelques-autrices-latines-illustres.html
qui s'inspire du colloque d'octobre 2022. Il déroule un catalogue qui est loin d'être exhaustif, mais qui nous permet d'ajouter : 
- pour l'Antiquité : Cornificia (même si on a perdu son œuvre), Julia Balbilla
- pour le Moyen Âge : Dhuoda
- pour l'époque moderne : une multitude d'autrices.
Et j'ajoute encore pour le Moyen Âge :
- Herrade de Landsberg, sur qui je n'ai encore rien écrit, mais cela viendra sans doute
- et tant d'autres...

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mercredi 16 mai 2007

Le Festival Européen de Latin et de Grec (FELG)

Je rentre du Festival européen de latin et de grec dont la troisième édition s'est tenue à Nantes. Comme les précédentes années, l'organisatrice, Elisabeth Antébi, s'est appliquée à mêler avec bonheur moments sérieux et divertissants, intervenants reconnus et méconnus. Ce qui est sûr, c'est qu'au cours de ce festival, on ne s'ennuie jamais: les langues et cultures grecques et latines sont abordées par le biais de la bande dessinée, de la danse, du chant, du spectacle vivant, et même des plaisirs de bouche. Toutes les générations sont représentées parmi les spectateurs qui, d'une année sur l'autre, commencent à tisser des liens. Parmi ces spectateurs, beaucoup de professeurs de lettres classiques, comme moi, certes, mais aussi beaucoup de curieux et d'amateurs de culture, quelle qu'elle soit.

Pour en savoir plus, je vous invite à consulter le site du Festival (qui est aussi celui de l'association "Fortuna juvat" qu'a fondée Elisabeth Antébi pour la défense du latin et du grec):

http://www.antebiel.com/fortunajuvat/

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jeudi 26 avril 2007

Xénophon sirotant sa bière

Dans L’Anabase, l’auteur grec Xénophon relate l’expédition en Mésopotamie en 401 av. JC de dix mille mercenaires grecs engagés par le Perse Cyrus le Jeune pour destituer son frère le roi Artaxerxès II. Mais Cyrus meurt et, le roi de Perse lâchant ses armées à leurs trousses, les Grecs doivent fuir à travers un pays dont ils ne connaissaient rien. Xénophon est à la fois narrateur et acteur de ce voyage (il prendra même un moment la tête de l’expédition). Son style est vif, simple, très facile à lire ; il écrit ce qu’il voit, sans fioritures ; c’est à mon sens le premier vrai reporter de l’Histoire (Hérodote est aussi un sacré reporter, mais son texte a été retravaillé, retouché, tandis que celui de Xénophon est brut).
Au point le plus éprouvant de leur retraite, les mercenaires grecs sont au nord, dans un pays qui doit correspondre au Kurdistan ou à l’Arménie, dans des montagnes couvertes de neige. La fatigue et le froid sont insoutenables, les pieds sont gangrenés par le gel, les yeux aveuglés par la réverbération de la neige, des barbares surgissent pour attaquer l’arrière-garde.
C’est alors qu’apparait un village troglodyte, dont les habitants accueillent avec bienveillance les voyageurs épuisés.
« Il y avait du blé, de l’orge et des légumes, ainsi que de la bière dans des cratères. Les grains d’orge mêmes flottaient à la surface et des brins de paille sans nœud se trouvaient dedans, les uns longs, les autres courts. Quand on avait soif, il fallait les mettre dans ses lèvres et aspirer. C’était très fort, si on n’y ajoutait pas de l’eau ; et très agréable quand on s’était habitué à cette boisson. » (Xénophon, L’Anabase, IV (V, 25-27), traduction personnelle. )
Les Grecs ne connaissaient ni la bière ni l’usage des pailles pour boire, et je trouve très touchant ce petit texte où sont décrites si minutieusement pour la première fois dans notre civilisation occidentale deux choses qui y sont devenues bien courantes.

Ajout le 6 février 2008
Si vous désirez voir des représentations mésopotamiennes anciennes de buveurs de bière aspirant la boisson par des pailles dans une jarre commune, tels que les décrit Xénophon, vous pouvez vous rendre à cette page:

Une petite surprise vous y attend d'ailleurs et vous verrez que les Mésopotamiens savaient goûter plusieurs plaisirs à la fois!

Mise à jour le 26 juillet 2020
Le lien ci-dessus ne fonctionne plus. Vous pouvez trouver une copie des images que contenait la page ainsi que de leurs légendes ici : https://imagesperduesdemonsite.blogspot.com/2020/07/buveurs-de-biere-en-mesopotamie-releves.html


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vendredi 20 avril 2007

Il était une fois trois rois mages guidés par une étoile

Vous les avez aimés, mes « prêtres-astronomes-astrologues » babyloniens (cf. "Il était une fois sept dieux qui se promenaient dans le ciel", le 26 février) ? Sachez que nous leur devons encore beaucoup d’autres choses : les trois rois mages, ce sont eux !

Rappel : nous lisons dans le Nouveau Testament (notamment Matthieu, II, 1 à 12) que des mages d’orient (dans d’autres versions « trois rois mages »), avertis par une étoile de la naissance du roi des Juifs (Jésus) vinrent lui rendre hommage.

1) Pourquoi des mages ?
Les Grecs parlaient de « mages chaldéens », faisant une confusion entre deux types de personnes bien distincts.

Les Mages sont une caste de prêtres appartenant à la religion de la Perse antique : le Mazdéisme. Les Grecs les connaissaient et Hérodote (VIe s. av. JC) en parle.
Quelques années plus tôt, les Perses avaient conquis la Mésopotamie : beaucoup de Mages se sont alors installés dans ce pays et ont pu discuter et échanger des points de vue avec les Chaldéens, d’où la confusion.

Les Chaldéens sont d’abord les habitants de la Chaldée, région du sud de la Mésopotamie, dont fait partie Babylone. Puis, ce terme désigne les « prêtres-astronomes-astrologues » babyloniens.

2) Pourquoi une étoile ?
Vous le savez maintenant, les Chaldéens étaient réputés dans tout le monde antique pour leur science des étoiles et de leur interprétation. Une étoile annonçant la naissance d’un roi était un cas de figure typique de l’ « astronomie-astrologie » chaldéenne.

3) Pourquoi trois ?
Outre le côté magique du chiffre trois dans la plupart des civilisations, il se pourrait que ce chiffre symbolise les trois cités de Chaldée qui avaient les plus grandes écoles d’ « astronomie-astrologie » : Babylone, Borsippa et Ourouk. Il se peut aussi que ce soit la symbolique chrétienne de la Trinité.

4) Pourquoi des rois, apportant de l’or, de l’encens et de la myrrhe ?
Il semble que des passages prophétiques de l’Ancien Testament aient été réinterprétés après coup, notamment « Les rois de Tarsis et des îles paieront des tributs, les rois de Séba et de Saba offriront des présents » (Psaume 72, 10) ou « Ils viendront tous de Séba ; ils porteront de l’or et de l’encens » (Isaïe, 60, 6)

5) Pourquoi Gaspard, Melchior et Balthazar ?
Ces noms apparurent pour la première fois dans un évangile apocryphe du VIe s. ap. JC. Quand à la légende sur leurs âges (jeunesse, maturité, vieillesse) et sur leurs origines (Afrique, Asie, Europe), elle s’est construite petit à petit au cours du Moyen Age.

Bibliographie
Paul Perdrizet, « Légendes babyloniennes dans Les Métamorphoses d’Ovide » (in Revue de l’Histoire des Religions, n°150, 1932, pp.193-228), pp.214-215

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mercredi 21 mars 2007

Alain, Propos sur l’éducation

J’ai découvert il y a quelques mois complètement par hasard (ce qui s'appelle vraiment du hasard: une dame avait posé sur un trottoir où je passais quinze cartons de livres dont elle se débarrassait et qu'elle proposait aux passants!) l’ouvrage d’Alain, Propos sur l’Education (1932).

Je ne le connaissais pas du tout et je trouve qu'il mériterait d'être plus connu en ces temps de discussion et d'interrogations sur l'éducation. L'idée principale en est que l'éducation ne doit pas passer par une découverte ludique, mais doit être sérieuse, grave, voire ardue et ennuyeuse. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette idée, moi pour qui la découverte de la pédagogie Freinet ou de "La main à la pâte" a été un choc psychologique.
Toutefois, je commence justement depuis un ou deux ans (j'ai six ans de pratique) à me remettre en question à ce sujet (en tant que professeur de latin, je me sens très concernée par cette question "ludique or not ludique?"). Ce qui m'a beaucoup intéressée, c'est l'argument d'Alain : selon lui, les élèves à qui l'on propose l'éducation comme un jeu vont trouver cela très plaisant, certes, mais vont plus ou moins consciemment mépriser l'enseignant qui "fait l'enfant" ainsi, tandis que si on leur propose un travail plus difficile, laborieux, sérieux, cela correspond à leur secret désir de devenir des hommes, de sortir de leur état d'enfant. C'est tout le discours de ceux d'entre nous qui pensent qu'il ne faut pas avoir peur de mettre nos élèves devant les grands classiques difficiles plutôt que de se limiter à la « littérature de jeunesse » sous prétexte qu'il n'y a que cela qu'ils comprennent.

Il y a autre chose que j'ai trouvé très intéressant: souvent, on oppose pédagogie de découverte et cours magistral. Or, Alain n'apprécie ni l'un ni l'autre. Pour lui, les deux choses essentielles d'un cours, ce sont la lecture (dans toutes les matières, lecture d'un texte ou lecture du cours) et les exercices (s'exercer des dizaines et des dizaines et des dizaines de fois sur la même chose, pour que cela rentre vraiment). Il observe - non sans une certaine malice, je crois!- que le meilleur cours selon lui est un cours dont le professeur ne sort pas fatigué: il n'a pas passé des heures à préparer son cours, il n'a pas usé sa voix à parler, il ne va pas passer la nuit à corriger des devoirs complexes, mais il vérifie que tous les élèves lisent silencieusement le cours, puis il passe dans les rangs pendant les exercices, répond à une question, donne un conseil, éclaire une remarque.

J'aime aussi beaucoup quand il dit que même les instituteurs de l'école primaire doivent être très cultivés, mais pas cultivés par les résumés que leur auront fait leurs propres enseignants, mais cultivés à la source, ayant eux-mêmes lu les grands auteurs; et que, bien sûr, ils ne vont pas ressortir toute cette science dans leurs cours pour les petits, mais que cela peut parfois éclairer avec une grande précision une question judicieuese. Là, je pense à mon émission favorite: "Les p'tits bateaux" sur France Inter (le dimanche de 19h30 à 20h), où de grands spécialistes répondent à des questions d'enfants.

Bref, je trouve que nos grands pontes de l'Education Nationale feraient mieux de relire ces propos sur l'éducation d'Alain (qu'on soit d'accord ou pas avec lui, sa rélexion fournie et intelligente fait se poser des questions) plutôt que de pondre des réformes qui ressemblent à un habit d'Arlequin mal cousu! D'ailleurs, il a même des idées qui évoque le socle commun (il parle de la nécessité absolue de savoir lire et compter avant toute chose), mais quand il le dit, ça ne tombe pas du ciel sans queue ni tête comme dans la loi Fillon, ça s'inscrit dans une réflexion mûrie et bien construite.

J'oubliais, pour ceux qui se sentiraient tentés de le lire: c'est très agréable à lire, les chapitres font une ou deux pages, il y a plein d'exemples et d'anecdotes clairs et souvent amusants; parfois, il se répète un peu, mais on peut sauter des passages...

Bonne lecture, et surtout bonne réflexion.

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lundi 19 mars 2007

Festival des Dionysies

Un festival se déroule en ce moment à Paris (du 10 mars au 6 avril), discrètement, mais dans l’enthousiasme de ceux qui y assistent : il s’agit des Dionysies :
http://www.dionysies.org/
Sous ce nom (qui évoque le premier festival de théâtre du monde, celui de la Grèce antique) se dévoilent des manifestations de grande qualité conduites par deux compagnies théâtrales : la compagnie Démodocos (http://cpta.free.fr/ ) et la compagnie Dido Lycoudis. Les membres de ces compagnies sont à la fois des professionnels du théâtre et des passionnés de littérature grecque et latine. Cela donne des spectacles où les trois langues, grecque, latine et française se mêlent sans lourdeur, nous permettant de goûter à la fois l’agrément de la compréhension et la saveur de la prononciation.
Les pièces de théâtre proprement dites n’ont pas encore commencé, mais pour avoir déjà vu Antigone de Sophocle joué par la compagnie Démodocos l’année dernière (au Festival Européen de Latin et de Grec dont j’aurai l’occasion de vous reparler, mais dont voilà déjà un aperçu : http://www.antebiel.com/ASPASIE/journal/becherellatingrec.html ), je peux vous assurer qu’on ressort de là bouleversé par un spectacle qui ne ressemble à rien de ce qu’on a vu, qui semble à la fois terriblement moderne et terriblement antique : la reconstitution historique (masques, diction, passages en grec antique, etc.) est mise au service du plaisir du spectateur.
Pour l’instant, j’ai assisté au spectacle d’ouverture, une lecture : « Orateurs antiques contre la torture, la tyrannie et la vénalité », où Démosthène, Cicéron et d’autres nous ont fait trembler de honte, de peur, de rire, et trouver bien fades les discours des hommes politiques d’aujourd’hui…
J’ai également assisté (et participé) à une lecture par (presque) cent lectrices de cent traductions d’un même poème de Sappho, la poétesse grecque antique, poème connu entre tous où elle décrit les symptômes du coup de foudre : cœur qui bat, oreilles qui bourdonnent, bouffées de chaleur, yeux qui se voilent, langue qui se fige, sueur, perte du souffle… Ces cent traductions avaient été réunies par Philippe Brunet, professeur de grec ancien qui est par ailleurs le directeur de la compagnie Démodocos et l’organisateur des Dionysies. Loin d’être ennuyeuse, cette suite de lectures présentait une telle variété de tons, à la fois de la part des traducteurs et de celle des lectrices, que l’on était chaque fois curieux de la lecture qui allait suivre et chaque fois surpris et ravi, et finalement emporté dans un mouvement où l’humour l’a de plus en plus emporté sur l’émotion, jusqu’au bouquet final d’un grotesque sublime…

L’anthologie de traductions réunies par Philippe Brunet est publiée aux éditions Allia à un prix modique et sous le titre L’Égal des dieux de Sappho : http://www.alliaeditions.com/Catalogueview.asp?ID=18#

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vendredi 9 mars 2007

Azur et Asmar

En lisant Les Mille et une nuits (cf. mon article précédent), je ne peux m’empêcher de voir paraître devant moi les images magnifiques du dernier dessin animé de Michel Ocelot, Azur et Asmar, que j’ai vu lors de sa sortie il y a quelques mois. Tout le raffinement exprimé dans l’extrait que je citais la dernière fois, on le retrouve dans ce dessin animé qui, comme tous les films de Michel Ocelot, est un chef-d’œuvre !
D’abord, ce film fait du bien en une époque où beaucoup de Français assimilent le monde arabo-musulman à un monde triste, sévère et réactionnaire, quand ce n’est pas à l’intégrisme et au terrorisme !

Mais aussi, on y retrouve toute la qualité du style de Michel Ocelot, dont il faut tout voir :
- Princes et princesses
- Kirikou et la sorcière
- Kirikou et les bêtes sauvages

- Azur et Asmar- et tous les futurs films que j’espère bien qu’il nous mijote encore !

Les films de Michel Ocelot sont d’abord un régal pour les yeux, chaque image est un tableau, et si c’était la seule raison d’aller les voir, cela suffirait ! Mais ils portent aussi une morale humaniste bien plus profonde que la morale conventionnelle de la plupart des dessins animés pour la jeunesse (pas tous, heureusement ; je vous ferai sans doute un jour l’éloge de Hayao Miyazaki) : dans ses films, la laideur cache la beauté, la méchanceté cache une souffrance, et la candeur du jeune héros cache une détermination à toute épreuve.

J’ai écouté parler Michel Ocelot dans les bonus (« boni » ?) du DVD de Princes et Princesses et je trouve qu’il ressemble à ses héros : pareillement candide et prêt à chercher la beauté et la bonté partout où elles se trouvent, mais pareillement têtu, prêt à s’indigner face à l’intolérance, et déterminé à ne pas se laisser marcher sur les pieds.
Je repense au premier producteur de Kirikou qui avait voulu l’obliger à cacher les seins de ses femmes africaines (on voit le ridicule que cela a donné avec l’Amazone mère d’Hippolyte : cf. mon article du 27 février) et à son refus catégorique : il risquait gros, car il n’était rien à l’époque, mais il a tenu bon, et grâce à lui nous avons pu voir l’Afrique puis le monde arabe sans stéréotypes, mais non sans merveilles.

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mardi 6 mars 2007

Les Mille et une nuits (nouvelle traduction)

Jeudi 1er mars 2007

Une nouvelle traduction française des Mille et une nuits vient de paraître. Après celle de Galland au XVIIe siècle et celle de Mardrus au début du XXe, cette nouvelle traduction, effectuée par deux grands professeurs de littérature arabe, André Miquel et Jamel Eddine Bencheikh, me semble en passe de devenir un classique.
Ils ont essayé d’être le plus fidèle possible au texte d’origine (ce qui n’est pas évident, car cette œuvre s’est écrite au cours de plusieurs siècles, sous la plume de plusieurs auteurs et en plusieurs pays, et il n’en existe pas de version canonique, même si celle qu’ils ont utilisée forme un consensus relatif parmi les spécialistes).

J’avais lu il y a quelques années la traduction de Galland, qui est très agréable à lire, mais au même titre que Le Sopha de Crébillon, Les bijoux indiscrets de Diderot ou tout autre œuvre française orientalisante du XVIIe ou XVIIIe siècle. Avec la traduction de Miquel et Bencheikh, on apprécie vraiment la saveur de la littérature arabe, avec des poèmes qui viennent ponctuer le récit (tiens, comme dans Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, et d’ailleurs, on retrouve beaucoup d’éléments semblables à l’ « heroïc fantasy » dans Les Mille et une nuits), avec des formules qui reviennent (par exemple « Cette histoire est tellement surprenante qu’elle mériterait d’être gravée avec une pointe fine au coin de l’œil »), etc.
Cette traduction est publiée chez La Pléiade, ce qui ne la rend pas digeste pour tous les porte-monnaie, mais pourquoi ne pas l’emprunter à la bibliothèque ? Pour ma part, j’ai eu la chance d’en avoir un exemplaire, car mon père a réalisé la calligraphie ornant le coffret (il y a trois volumes).

Le plat de grains de grenade confits (plus fort que le test ADN)
Voici l’un des passages que j’ai préférés (au fait, je n’en suis qu’au sixième de la lecture et ne suis donc sans doute pas au bout de mes surprises !) :
Une mère qui croyait son fils mort depuis des années acquiert la certitude qu’il est vivant en goûtant un plat de grains de grenade confits. Elle s’évanouit sous le coup de l’émotion, et quand on l’a ranimée (avec de l’eau de rose, attention !), elle s’écrie :
« Il faut que mon fils soit de ce monde, car personne d’autre n’aurait préparé ainsi ces grains de grenade. C’est bien mon fils, Badr ad-Dîn Hasan, pas de doute. Non, pour cette cuisine-là, il n’y a que lui et moi : c’est moi qui lui ai appris. »

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Livres insolites: classiques en bandes dessinées

mardi 27 février 2007

J'entame aujourd'hui une nouvelle série d'articles, celle des livres insolites. C'est un sentier qui nous mènera dans les méandres de ma bibliothèque et où je cueillerai pour vous les fleurs les plus étonnantes. Aujourd'hui, j'ai choisi de vous parler de la rencontre entre deux de mes passions, la littérature classique et la bande dessinée.

Phèdre, Le Cid et les autres aux éditions "Petit à Petit"
Les éditions "Petit à petit" ont entrepris de transposer en bandes dessinées un grand nombre d’œuvres littéraires: romans, contes, poèmes, chansons contemporaines, et aussi théâtre. J'ai donc lu Phèdre de Racine et Le Cid de Corneille en bandes dessinées.

Le théâtre me semble avoir un grand avenir dans la bande dessinée, puisqu'il a un grand point commun avec elle: ce sont les deux seuls genres littéraires qui ne sont composés que de dialogues entre des personnages (exception faite de quelques cartouches dans un cas, didascalies dans l'autre). C'est comme si la pièce était jouée, mais par des acteurs de papier: certes, il manque le son de leur voix, mais on a les expressions de leur visage.

Ces ouvrages sont destinés à de jeunes lecteurs, d'où sans doute assez peu de hardiesse dans les choix et certaines bienséances malvenues (ex: dans Phèdre, quand Hippolyte évoque sa mère amazone qui lui a fait sucer son orgueil avec son lait, on voit la farouche Amazone, cheveux au vent, muscles bandés, brandissant une épée, mais vêtue d'un charmant bikini...). D'autre part, la qualité des dessins laisse à mon avis un peu à désirer. Toutefois, ces quelques défauts n'empêchent pas d'éprouver un grand plaisir à la lecture de ces ouvrages et, même pour une lectrice multirécidiviste de ces pièces comme je le suis, d'y découvrir des saveurs qui m'avaient jusque là échappé.

Allez voir leur site: http://www.petitapetit.fr/

César et Ovide en latin dans le texte... et dans l'image
Le Comte von Rothenburg (alias "Rubricastellanus", comme il se surnomme lui-même) est l'homme à qui l'on doit les traductions latines d'Astérix. Passionné de bandes dessinées, ce professeur allemand de littérature latine a également eu l'idée d'adapter d'authentiques textes latins en bandes dessinées, à savoir le début des Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César et des extraits des Métamorphoses d'Ovide.

Comme il ne s'agit pas de théâtre, cette fois-ci, se posait le problème de la fidélité au texte: tout ne passe pas en bulles!
Pour César, il a essayé de coller le plus possible au texte latin, en ne faisant que quelques modifications et ajouts: il a simplement tapé le premier en caractères droits et les seconds en caractères italiques. Le repérage est très aisé.
Pour Ovide, les choses étaient plus compliquées, car les Métamorphoses sont écrites en vers: difficile d'y toucher sans que ça se sente! Il a donc choisi de faire figurer dans les bulles et les cartouches une version simplifiée et adaptée à la bande dessinée, et en bas de chaque case, il rappelle le texte authentique correspondant. Du coup, le texte authentique s'éclaire, on en comprend mieux la structure, et on peut enfin en goûter le charme poétique.

Là encore les dessins (faits par lui-même) ne sont pas un chef-d’œuvre du point de vue graphique; en revanche, il y a beaucoup de hardiesse et même parfois d'humour! Le bienfait d'une telle démarche est indiscutable. Quand nous étions étudiants, les professeurs nous conseillaient de nous entraîner en faisant du "petit latin", qui consistait à lire un texte latin de façon fluide, en essayant de le comprendre globalement et en ayant éventuellement un oeil sur la traduction comme béquille. Je crois sincèrement que ces transpositions en bandes dessinées sont les meilleurs supports de petit latin qui soient.

Ces deux ouvrages sont publiés aux éditions "Klett" sous les titres exacts de "Bellum Helveticum" et de "Metamorphoses"
http://www.klett.de/

Le Platon de Sfar

Je déplorais dans les exemples précédents le manque de grande qualité graphique. Mais quand un vrai grand dessinateur de bandes dessinées s'empare d'un classique, on a tout: qualité graphique, hardiesse, humour... Joann Sfar a ainsi décidé de se constituer une "Petite bibliothèque philosophique" dont je ne connais que le premier volume, celui consacré au Banquet de Platon, une œuvre que j'ai toujours adorée, à la fois pour son message philosophique, pour sa construction littéraire, et pour ses pointes d'humour. Mais Joann Sfar en fait redécouvrir mille autres saveurs.
Le fameux problème de la fidélité au texte, il l'a résolu d'une manière radicale, mais offrant une grande souplesse: le texte authentique de Platon (dont j'ai oublié de préciser qu'il est traduit en français!) est présenté imprimé; et les dessins interviennent dans la marge, où ils peuvent prendre aussi bien la forme d'un petit croquis que s'étaler sur une page entière, ou parfois noyauter le texte imprimé, rentrer dedans. C'est un régal à tous points de vue.

L'ouvrage est publié aux éditions Bréal, collection "La petite bibliothèque de Joann Sfar"
http://www.editions-breal.fr/

Bonne lecture!

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Il était une fois sept dieux qui se promenaient dans le ciel

lundi 26 février 2007

Aujourd'hui, je vais vous parler d'une histoire très ancienne et mouvementée, dont vous connaissez tous le dernier chapitre puisqu'il figure sur vos agendas et sur vos calendriers : c'est l'histoire des noms des jours de la semaine. Ils sont sept, comme les sept nains, les sept couleurs de l'arc-en-ciel, les sept collines de Rome ou les sept branches du chandelier. Et pourtant, rien d'artificiel dans ce nombre sept.


1er chapitre: Babylone

Tout a commencé en Mésopotamie il y a cinq mille ans (je vous avais dit que c'était une histoire ancienne!), et plus particulièrement il y a trois mille ans dans la ville de Babylone. Là, des "prêtres-astrologues-astronomes" observaient les "astres" (sans faire la distinction moderne entre planètes et étoiles) du ciel diurne et nocturne. Ils avaient constaté que les astres étaient ordonnés selon une disposition invariable, si bien qu'ils avaient cartographié la voûte céleste.

Ils avaient alors remarqué que la lune et le soleil se promenaient dans cette voûte céleste, en suivant d'ailleurs le même "chemin de ronde" (un chemin circulaire que l'on nomme en astronomie moderne "l'écliptique"). Monsieur Lune mettait vingt-huit jours à faire le tour du chemin de ronde et Monsieur Soleil trois-cent-soixante-cinq jours. Ils se rendirent alors compte que d'autres astres se promenaient également dans le ciel. Je ne parle pas des comètes, étoiles filantes et autres "bibbou" (ainsi appelaient-ils les astres errants), mais de cinq astres qui eux aussi suivaient le fameux chemin de ronde (que l'on pourrait aussi appeler "périphérique": voyez mon article du 23.02.07!) et qui eux aussi accomplissaient ce tour en un temps régulier...
- Combien de temps?
- Attendez! Les questions, à la fin de l'histoire!
Je reprends... Il va de soi que ce fameux chemin de ronde devait être balisé: il fut donc divisé en douze sections, que l'on appela le zodiaque (dont je vous raconterai peut-être l'histoire un autre jour).

Vous vous doutez bien que Monsieur Soleil et Monsieur Lune avaient été depuis longtemps divinisés, sous les noms de Outou (en sumérien) puis Sahmash (en akkadien; on retrouve le mot arabe "shams"= "soleil"), et Nanna (en sumérien) puis Sin (en akkadien). Les cinq autres astres ne pouvaient être que cinq autres dieux, car qui donc se promènerait ainsi dans le ciel? On leur donna donc les noms des principaux dieux du panthéon mésopotamien. Ce furent donc:

  • Nin Urta le dieu du temps
  • Ishtar la déesse de l'amour
  • Nergal le dieu de la guerre
  • Nabou le dieu de la sagesse et des inventions
  • et Mardouk, qui est loin d'être un dieu capital du panthéon mésopotamien, mais qui est le dieu attitré de Babylone, et comme ce sont des Babyloniens qui ont nommé ces astres ils lui ont naturellement attribué celui qui paraissait le plus gros.
Il manque quatre dieux pourtant plus ou aussi importants que ceux-là dans le panthéon mésopotamien:

  • Enlil, le dieu principal
  • An, le dieu du ciel
  • Enki/Ea, le dieu des eaux
  • Ereshkigal, la déesse des Enfers (monde souterrain des morts, comme ches les Grecs et les Romains)
Pourquoi n'ont-ils pas été choisis? J'ai ma petite idée sur la question: Enlil s'est fait piquer sa place par Mardouk; quant aux autres, simple question de logique: les dieux des eaux et des Enfers souterrains ne peuvent pas se promener dans le ciel, et le dieu du ciel ne peut se promener en lui-même!...


2e chapitre: la Grèce

Parlerais-je aujourd'hui de Bérose ou de Callisthène, ces hommes oubliés par l'histoire, mais sans qui les sciences babyloniennes ne seraient sans doute pas parvenues aux savants grecs? Non, non, une autre fois... (ce sera fait le 10.11.2007: http://cheminsantiques.blogspot.com/2007/11/brose-et-callisthne-des-passeurs-de.html)
Sachez simplement que les Grecs copièrent le système babylonien, mais en l'accommodant à leur sauce et en remplaçant

  • Nin Urta par leur dieu du temps, Kronos
  • Ishtar par leur déesse de l'amour, Aphrodite
  • Nergal par leur dieu de la guerre, Arès
  • Nabou par leur dieu malin et inventeur, Hermès
  • et Mardouk, par leur dieu principal, Zeus.


3e chapitre: les Romains

Parlerais-je aujourd'hui des Etrusques, ce peuple un peu oublié, mais sans qui les connaissances des Grecs ne seraient sans doute pas parvenues à temps aux Romains? Non, non, une autre fois...
Sachez simplement que les Romains copièrent le système grec, mais en l'accommodant à leur sauce et en remplaçant

  • Kronos par leur dieu du temps, Saturne
  • Aphrodite par leur déesse de l'amour, Vénus
  • Arès par leur dieu de la guerre, Mars
  • Hermès par leur dieu malin et inventeur, Mercure
  • et Zeus par leur dieu principal Jupiter.
Ça y est? Vous les avez reconnus?
- Bien sûr, mais... il en manque!


4e chapitre: le télescope

Dans les trois premiers chapitres de mon histoire, l'observation du ciel se fait à l’œil nu. Arrivent le télescope, la science moderne, et trois nouveaux "astres errants" sont découverts. En prolongation du système déjà existant, les savants européens qui les découvrent leur donnent le nom d'autres dieux romains:

  • Neptune, le dieu des eaux
  • Uranus, le dieu du ciel
  • Pluton, le dieu des Enfers
Vous vous souvenez? Justement ceux que les Babyloniens avaient écartés! Bien sûr, la logique n'est plus la même.


5e chapitre: la semaine

Les Babyloniens avaient déjà divisé le parcours de vingt-huit jours de la lune en quatre parties de sept jours. Quoi de plus tentant que d'associer à chacun de ces jours le nom de chacun des sept dieux qui se promènent dans le ciel?

Là encore, l'idée se transmet aux Grecs puis aux Romains, en changeant à chaque fois le nom des dieux, pour aboutir finalement à :

  • Lundi < "Lunae dies" (jour de la lune)
  • Mardi < "Martis dies" (jour de Mars)
  • Mercredi < "Mercurii dies" (jour de Mercure)
  • Jeudi < "Jovis dies" (jour de Jupiter)
  • Vendredi < "Veneris dies" (jour de Venus)
Vous serez sans doute surpris que "Jupiter" fasse "Jovis" au génitif (complément du nom) et non "Jupiteris" ou "Jupitris". Il faut savoir que Jupiter à la base s'appelle "Jos" et qu'on lui a adjoint le mot "pater" ("père") : "Jos pater" (devenu "Juppiter", puis "Jupiter") trouve son équivalent dans l'expression "Dieu le Père".

Et "samedi" et "dimanche"? Vous voyez que dans d'autres langues, la logique babylonio-gréco-romaine est toujours là: en anglais, par exemple, "saturday" est bien le jour de Saturne et "sunday" le jour du Soleil. Mais d'où viennent "samedi" et "dimanche"? Je vous avais dit que c'était une histoire mouvementée!

  • "samedi" vient de la tradition juive: "Sambati dies" (jour du Sabbat)
  • "dimanche" vient de la tradition chrétienne: "dies Dominicus" (jour du Seigneur)


Conclusion
Vous savez pourquoi je vous ai raconté cette histoire? Parce que notre culture repose surtout sur deux piliers: un pilier gréco-romain (avec parfois des fondations babyloniennes) et un pilier judéo-chrétien. Vous voyez que l'histoire des noms des jours de la semaine en est la plus belle illustration!

Pour écrire cet article, je me suis entre autres beaucoup servi de "Astrologie en Mésopotamie" (Revue "Les dossiers d'archéologie", n°191, mars 1994)


- Et ma question?
- Qu'était-ce, au fait?
- Combien de temps mettent les cinq astres errants autres que le soleil et la lune à parcourir le "chemin de ronde"?
- Mercure met environ 115 jours, Vénus environ 584, Mars environ 780, Jupiter environ 399 et Saturne environ 378 (c'est ce qu'on appelle en astronomie moderne la "période synodique"). D'autres questions?

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Encore un monstre étymologique

Samedi 24 février 2007

Puisque je parlais hier de monstre étymologique, en voici un autre qui est très présent dans l'actualité médiatique: il s'agit du mot "homophobe". Le préfixe "homo" vient d'une racine grecque signifiant semblable et le préfixe "hétéro" d'une racine grecque signifiant "autre": d'où "homogène"/"hétérogène" (de même origine/d'origines différentes), mais aussi "homosexuel"/"hétérosexuel" ([qui se lie avec une personne] de même sexe/de sexe différent).
Dans le langage courant, on a fini par abréger ces deux derniers mots en "homo" et "hétéro", et c'est à partir de cette abréviation qu'a été fabriqué "homophobe". Le suffixe "phobe" vient d'une racine grecque signifiant "qui déteste".
Un "homophobe" est donc une personne qui déteste les personnes qui se lient avec des personnes de même sexe, mais si on suit la stricte étymologie, "homophobe" devrait signifier... "qui déteste son semblable"!
Au passage, faisons le point sur la différence entre "misos" ("misogyne", "misanthrope", ...) et "phobos" ("homophobe", "xenophobe", ...) qui ont les deux le sens de "qui déteste": à "phobos" s'ajoute aussi la notion de peur maladive, que l'on retrouve dans "claustrophobe", "arachnophobe", ou plus simplement dans "une phobie". Le xénophobe et l'homophobe sont donc bien aussi des malades qu'il faudrait soigner...

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Orbival ou métrophérique?

Vendredi 23 février 2007

Habitante depuis peu du Val-de-Marne, je suis avec attention l'évocation d'un projet francilien, qui démarrerait dans ce département, et dont le but serait la réalisation d'un métro reliant entre elles les villes de la grande couronne de Paris. Deux noms ont été suggérés pour ce métro: "Orbival" et "Métrophérique".

"Orbival", outre le charme d'une jolie consonance, repose sur une étymologie sensée: "orbis" est le mot latin qui signifie "cercle" ; "val" se réfère évidemment un peu trop explicitement au Val-de-Marne, ce qui est gênant dans l'optique d'une prolongation sur toute la grande couronne, mais le mot peut finalement évoquer les vaux de tous les autres cours d'eaux franciliens.

En revanche, "Métrophérique" est un monstre étymologique! C'est un mot valise qui emprunte à deux mots français, "métropolitain" et "périphérique".
Ce que nous appelons le "métro" est l'abréviation de "métropolitain", qui est lui-même une façon plus courte de dire "chemin de fer métropolitain". En ce sens "métropolitain" est l'adjectif qui se rattache à "métropole", c'est-à-dire la grande ville ou la capitale. Mais le véritable sens étymologique de "métropole" est "ville mère", du grec "mêtêr, mêtros" = "mère" et "polis"= "cité". Donc, quand nous entrons dans le "métro", étymologiquement nous entrons dans la "mère"! Quand on voit que c'est un lieu sombre et chaud où on se laisse transporter dans un ronronnement berceur, on se dit qu'il y a du travail pour les psychanalystes de ce côté là!
"Périphérique", lui, vient aussi du grec, "péri"= "autour" et "phérô"= "porter" ou "transporter". Le boulevard "périphérique" est donc celui qui nous transporte autour (sous-entendu, de la ville).
Vous me suivez toujours? Alors vous voyez qu'un "métropolitain périphérique" est une excellente idée, mais que si on ne prend qu'un morceau de chaque mot et qu'on l'appelle "métrophérique", c'est... "une mère porteuse". Très poétique, mais guère conforme à la réalité! Bon voyage!

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